Le philosophe Denis Marquet : un superbe article d’un autre philosophe sur son livre

Le fabuleux livre de Denis Marquet « Dernières nouvelles de Babylone » (Aluna Editions » par le lecteur Emmanuel Jaffelin (sage et notamment philosophe du bonheur et de la gentillesse)

Babylone , ville antique de Mésopotamie, cette ville d’abord mineure devint la capitale d’un royaume étendant son pouvoir sur une vaste partie du Moyen Orient. Ville qui déclina et qui continua d’occuper une place forte dans l’imaginaire politique et littéraire en raison du mythe de sa tour de » Babel et de ses jardins suspendus. Le titre de ce livre indique déjà ce rôle de l’imaginaire dans ce livre philosophique, l’auteur avec ces (ses) dernières nouvelles de Babylon livre des scoops ! Lorsque Denis Marquet écrit à propos de Norbert, personnage central d’une de ses nouvelles, (la dernière, intitulée De Norbert), il proclame et définit (discrètement, voire secrètement) sa propre manière de penser : « avec son art de mêler fiction et réalité en un tout qui semblerait plus cohérent que la vérité même[…][1]». A la différence de Platon, Kant et Hegel, Monsieur Marquet ne place pas l’image et la fiction en deçà de la réalité ! Il suppose (postule?) que la réalité, est sinon moins réelle, du moins moins « conséquente » que son mélange avec la fiction. D’où son rôle d’auteur qui nous fait prendre de la hauteur ontologique[2], en nous invitant à penser que la réalité n’est pas un être supérieur  à l’image et à la fiction puisqu’elle n’ est réellement « réalité » que si elle se mélange à la fiction. De là tient la force de ce livre qui, des Nouvelles aux Aphorismes, invite le lecteur à la réflexion plus qu’à l’adhésion, un livre, tu l’as deviné lectr-ice/eur, plus inspiré par Nietzsche que par Platon !

« être cause et effet, voilà donc l’essence [Wesen] même de la matière ; son être consiste donc uniquement dans son activité [Wirken] […]. C’est donc avec une singulière précision qu’on désigne en allemand l’ensemble des choses matérielles par le mot Wirklichkeit (de Wirken, agir), terme beaucoup plus expressif que celui de Realität (réalité). Ce sur quoi la matière agit [wirkt], c’est toujours la matière ; sa réalité [Seyn] et son essence [Wesen] consistent donc uniquement dans la modification produite régulièrement par une de ses parties sur une autre ; mais c’est là une réalité toute relative ; les rapports qui la constituent ne sont d’ailleurs valables que dans les limites mêmes du monde matériel, absolument comme le temps [et l’espace][3]

Autre exemple de réalité dans sa première nouvelle: »une bonne action » qui fait suite à l’aphorisme suivant :« le sens de l’existence ». Dans la Bonne Action, le héros, Louis, sauve la vie à un homme de quarantaine qui tentait de se suicider : «  sans avoir pourquoi, il réussit à soutenir la tête de l’homme et tenta de le tirer vers la berge. Mais celui-ci, dans un spasme de survie, enserra Louis de ses bras, l’entraînant vers le fond ». Mais Louis, plus tenace que têtu, parvient à la sortir de l’eau ! Naît alors un débat sur le sens de l’existence, le suicidaire s’estimant ne rien valoir tandis que Louis évoque le don .et l’amour : « c’est un devoir de s’aimer soi-même , c’est un devoir de donner.

Dans la Nouvelle suivante, Le Fan de sa vie, l’auteur raconte l’histoire d’un écrivain raté, ou insuffisamment reconnu si l’on s’en tient à son désir, au point d’aller chercher sur internet une fan lectrice qu’il souhaite rencontrer. Ce qui arrive, contre toute attente et dans une surprise qui frappe le héros autant que le lecteur, laissant les deux « éberlués ». Ou : quand le réel transcende l’imaginaire puisque ni le héros ni le lecteur n’avaient prévu une telle rencontre !

Après la mort d’un président de la République américain (USA), un savant s’efforce de le faire renaître sous forme d’intelligence artificielle sans que les citoyens en soient prévenus( le changement pour la continuité). Il s’agit d’une fiction anticipatrice. Ce président, qui aurait lancé une bombe nucléaire dans un des pays de son époque ( le Balouchistan), s’en souvient mal après son opération et sa résurrection, ce qui invite le médecin a débranché son « support bionique ». et à le déclarer mort à sa population.

La Nouvelle « Bébé éprouvante » témoigne d’un nouveau rôle du père dans le monde à venir. Le couple, formé de Frédégonde et Orphéus, n’a pas d ‘enfant. Il décide de faire intervenir la médecine de son époque et de faire programmer l’enfant afin qu’il réponde aux exigences de sa mère : « En premier lieu, je souhaite qu’il ait un caractère organisé, comme sa maman, disait Frégonde [4]». Bref, l’hérésobstétricien prend en compte ces exigences et manipule génétiquement le fœtus pour  que ce couple, soit, de leur enfant, satisfait : « Avec vos gènes et la liste de vos desiderata, nous allons vous fabriquer une magnifique petite fille [5]»

Si la naissance se passe bien, les pleurs de ce nouveau-né la nuit exaspèrent la mère – Frédégonde – même si Orphée tente de protéger sa fille. Sous-entendu : avec l’avancée de la technique les femmes tarderont à devenir des mères et les pères deviendront le noyau dur de l’amour familial. Par conséquent, la fin de cette nouvelle en dit long sur l’avenir de nos familles…

Dans La dernière de Norbert, l’auteur remet en question avec précision la pertinence de la maladie psychique appelée « Paranoia » et qui, selon Norbert, n’existe pas, n’étant que le fruit d’une société qui se sert de cette pseudo-maladie pour bloquer l’action des contestataires de ladite société. Norbert « jure que rendre publiques ses découvertes le mettrait en péril de mort »[6] Fais attention lecteur ! En lisant ce livre, tu entres plus profondément que dans la political correctness ! Pourtant, il s’agit d’un travail de l’imagination : « Si je mets en ligne ce blog entièrement dédié au prodigieux imaginaire de Norbert, c’est naturellement pour que les plus remarquables de ses productions soient données au monde… »[7]

Et Norbert ajoute : « la paranoia est la décision de considérer comme maladie le fait de se montrer manifestement en désaccord avec certaines croyances habituellement partagées au sujet de la réalité »

Tu comprends donc, lect-rice/eur,  que le paranoia est une personne qui tient un discours considéré comme dangereux pour notre société et que le corps médical qui s’appuie sur une telle maladie imaginaire s’avère complice d’un pouvoir totalitaire. Et la fin de cette nouvelle est tragique, mais libératrice de toute paranoia.

Sue le Bonheur, dans la Nouvelle Contrat à terme, le héros Damien se dit qu’il est un rêve !

Ainsi : au-delà des fables auxquelles certains passages peuvent être ramenés, disons que ce livre est fabuleux parce qu’il invite son lecteur à considérer la réalité autrement que comme un être supérieur et distinct de l’image. En disant que je garde une belle image de la lecture des Dernières Nouvelles de Babylone, je veux simplement dire que j’en sors plus éclairé sur la réalité !


[1]– Denis Marquet : Dernières Nouvelles de Babylone (éditions aluna, p103)

[2]– L’ontologie, dans l’antiquité grecque, est la science de l’être.

[3]– Nietzsche : Le monde comme volonté et comme représentation, livre I

[4]– Denis Marquet, Dernières Nouvelles de Babylone, p64, Aluna 2021

[5]– idem p67

[6]– idem p92.

[7]– idem p93

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