Le site YOZONE recommande : « A reprendre absolument en folio tant il est original et plaisant » pour « Emmanuel, Brigitte et moi » d’Alain Llense

Emmanuel, Brigitte et moi
un roman d’Alain Llense http://www.yozone.fr/spip.php?article24522
Librinova, roman (France), janvier 2020, 195 pages, 14,90€

« Bref, ensemble, Emmanuel, Brigitte et moi, pour raconter leur vie, leur histoire d’amour, leur ascension et leur chute, nous allions écrire un livre. Ce livre, le voici.  »

Le narrateur, un journaliste sur le retour qui a autrefois connu la gloire, reconnaît par hasard, dans un petit restaurant, deux personnages autrefois célèbres : Emmanuel et Brigitte, autrefois maîtres d’une table prestigieuse, le Château de Saint-Arcapriès. Autrefois puissants, autrefois « people », autrefois riches, influents et célèbres, autrefois au sommet, à présent totalement oubliés. Il les aborde, gagne leur confiance et décide d’écrire avec eux l’histoire de leur vie. Une histoire qui sera donc polyphonique, avec des passages narrés par Emmanuel, d’autres par Brigitte, d’autres encore par l’auteur.

Lui, Emmanuel, d’une famille modeste, qui rêve de devenir cuisinier, et a juré qu’il sera le meilleur. Elle, vingt ans de plus, issue d’une famille privilégiée de Saint-Arcapriès, déjà mariée à un banquier. Ils se rencontrent, ils s’aiment, les braves gens glosent. Dès le départ, on est frappé par le ton : Alain Llense a fait le choix d’une narration qui évoque le roman de mœurs classique. Entre Stendhal, Flaubert et consorts, cette « Éducation sentimentale » amuse fortement dans la mesure où les parallèles avec le monde réel sont transparents, mais séduit aussi par cette tonalité qui est à mille lieues de tout sensationnalisme. L’histoire que raconte Alain Llense est sobre, jamais voyeuriste, joliment écrite, et brosse une série de tableaux beaucoup plus fins que des portraits relevant de la simple caricature.

On s’en doute : l’ambition d’Emmanuel est sans limites. Il se fait embaucher à la plus grande table de la région, le Château, dirigé par François, alias Flanby, et en gravit un à un les échelons. Celui qui dirige le prestigieux restaurant est élu : il faut donc s’assurer des voix des uns et des autres. Grâce aux banquiers, qui voient le potentiel d’Emmanuel pour les affaires, grâce aux entremetteurs, grâce aux réseaux d’influence et aux journalistes véreux, Emmanuel et Brigitte trahissent finement, mais sans vergogne, et emportent le Château. Les voilà enfin au sommet, maîtres absolus des lieux. On s’en doute : après le triomphe, après un moment d’embellie, la chute guette. Ce sont les mécanismes de cette chute, toujours dans une tonalité très classique, et avec toujours le même brin de nostalgie, de « déjà-passé », comme une photographie prise à l’instant mais déjà sépia, que l’auteur poursuit son récit.

« La cuisine d’Emmanuel avait fait perdre son identité au Château ? Marion reviendrait aux bonnes vieilles recettes du terroir, reprenant ainsi les vieilles promesses de sa tante. »

Dans sa seconde partie, cet « Emmanuel, Brigitte et moi  » devient un peu plus attendu. Emmanuel est au sommet, les difficultés commencent. On y retrouve ce « pognon de dingue » particulièrement tragique dont l’irréparable maladresse sera sans doute ce que beaucoup retiendront du quinquennat d’Emmanuel Macron, tous comme d’autres ont avant tout retenu, des années passées au pouvoir par François Hollande, ses frasques en scooter. Plus prévisible donc, un brin convenu, cette seconde partie évite néanmoins l’écueil de la facilité, de la caricature trop ostensible (le personnage n’en a pas vraiment besoin parce qu’il en est naturellement une, diraient les mauvais esprits), de l’acharnement contre un personnage qui apparaît victime des circonstances à la fois locales et internationales, ici une embrouille avec un petit groupe de migrants. Un comportement auquel on peut reconnaître une certaine logique, mais qui apparaîtra insupportable, une ou deux déclarations maladroites, et voilà l’opinion qui à Saint-Arcapriès se retourne. Inexorablement, tout s’écroule en dominos, une fréquentation moindre, l’économie du Château qui s’érode, une pression excessive sur les employés qui se gilet-jaunissent, des élections qui pourraient bien faire revenir Flanby, mais une certaine Marion promet tout, promet mieux, et pourrait bien emporter les suffrages.

« Ces derniers temps, ma plume aussi retrouvait un peu de sa vigueur de jeunesse. À vingt-cinq ans je la trempais dans le mouvement d’un monde dont je pensais être rouage, je l’aiguisais à la meule de toutes les injustices, de toutes les barbaries que je me croyais le seul à pouvoir dénoncer. »

Si le roman n’est pas vachard, sa fin apparaît grinçante à souhait. Car si les personnages politiques ont par essence la trahison dans l’âme, ils ne sont pas non plus seuls au monde. Et il se pourrait bien qu’en raccrochant astucieusement le passé au présent, notre journaliste sur le retour, un vieux de la vieille qui se verrait bien revenir en pleine lumière, leur en réserve à tous deux une de derrière les fagots. L’auteur concrétise donc son essai avec une fin à la fois inattendue et parfaitement réussie : joli point d’orgue (après un retour au Château ruiné lui aussi parfaitement classique) pour un roman à la fois classieux et drôle, qui n’est pas seulement un roman sur la chute d’Emmanuel et de Brigitte Macron, mais sur la Chute au sens biblique du terme, celle qui attend tout un chacun, et à laquelle chacun essaie de se dérober par de nouvelles infamies.

Caustique, plein d’humour, calibré à moins de deux cents pages, ne cédant jamais à la facilité, cet « Emmanuel, Brigitte et moi » a été publié chez Librinova, une maison d’auto-édition. On ne s’appesantira pas sur une écriture qui semble se relâcher dans le dernier tiers, ni sur les coquilles, que l’on trouve hélas de plus en plus fréquemment chez les grands éditeurs, mais le nombre d’occurrences d’une faute de plus en plus fréquente (« tâche » au lieu de « tache) est impressionnant, d’autres erreurs sautent aux yeux, et il est regrettable de chuter encore dans la toute dernière phrase – « (…) espérons au moins qu’il restera la mer pour laver nos pêchers (…) ». Des défauts qui ne grèvent en rien la qualité d’un « Emmanuel, Brigitte et moi », qui, avec un travail éditorial de quelques heures pourrait être épuré de ses scories et arriver sur les tables des libraires. C’est dire qu’on le verrait bien repris, par exemple, en Folio, au Livre de Poche, ou encore chez Pocket. Original et plaisant, cet « Emmanuel, Brigitte et moi » le mérite assurément.

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Titre : (Emmanuel, Brigitte et moi, 2020)
Auteur : Alain Llense
Couverture : Raphaël Hardelin / Air Création
Éditeur : Librinova
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 195
Format (en cm) : 14 x 21,5
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9791026238898
Prix : 14,90 €


Hilaire Alrune
1er avril 2020

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