Laure Minassian, « L’enseignement professionnel entre promotion et relégation », Editions Academia, 20.00€
Le titre du livre de Laure Minassian pose déjà la question centrale à propos de l’enseignement professionnel : faut-il y voir un type d’enseignement permettant à des jeunes de milieux moins favorisés ou moins à l’aise dans le contexte de l’enseignement général d’obtenir un diplôme valorisant et de s’engager dans une poursuite d’études et une carrière ou est-ce une voie de garage pour ceux qui ne réussissent pas ? Les recherches de l’autrice dans plusieurs établissements d’enseignement dans des contextes différents et un suivi longitudinal d’un groupe de lycéens professionnels sur près de dix années lui permettent de mettre en évidence, dans la 3e partie du livre, certaines réussites, donc d’apporter un regard nuancé et équilibré sur la voie professionnelle.
Au-delà de la connaissance du terrain et de la littérature spécialisée, didactique comme sociologique, sur le domaine, qui permet de faire le point sur l’enseignement professionnel, l’ouvrage de Laure Minassian présente deux attraits principaux pour les professeurs de langue, une étude fine et précise de la parole des enseignants dans l’échange en classe, qui vaut pour toutes les disciplines, mais fondamentalement pour les langues (2e partie) et une approche comparative sur l’enseignement professionnel dans différents pays européens et au Canada (1re partie). Le cadre décrit pour l’Allemagne et l’Angleterre-Pays de Galles permettra aux professeurs d’allemand et d’anglais de lycée d’avoir un tableau des systèmes scolaires et des processus de sélection et de classement scolaires à l’œuvre, et de s’en servir dans le cadre d’un travail sur des axes comme « Les univers professionnels, le monde du travail », « Représentation de soi et rapport à autrui » ou « Diversité et inclusion ».
L’analyse des interactions enseignant-élèves, orales aussi bien qu’écrites, est menée avec finesse par Laure Minassian, qui pose clairement la question en termes de volonté de se mettre au niveau des élèves versus nécessité de les faire accéder à des formes élaborées de discours. Elle montre de façon très éclairante comment « l’évitement des écrits scolaires » de la part des professeurs et la demande d’« écrits d’évitement » aux élèves ressortissent à ce que Bourdieu décrivait comme une « indifférence aux différences » et à « l’évitement de la parole de l’élève », qui sacralisent la parole et le pouvoir du maître et légitiment la culture dominante. Laure Minassian met en regard ce type d’interaction, qu’elle nomme « pratico-scolaire » et la co-construction des connaissances en situations-problèmes, à la fois cognitivement plus structurante et socialement plus inclusive, qu’elle nomme « scolaro-technique ».
On perçoit bien que ce que Laure Minassian traite ici dépasse largement le cadre de l’enseignement professionnel. De toute évidence, tout professeur gagne à s’interroger sur l’adéquation entre son mode d’interaction avec ses classes et ses objectifs cognitifs et socio-politiques. Et ce livre sur l’enseignement professionnel est de nature à nous aider dans une telle démarche.
Jean-Luc Breton