Maglione par Aline Dallier (1998)

T11_1(1).jpgVersion originale de l’article en anglais, in Contemporary Women Artistes, St. James Press, Detroit, U.S.A., 1999

Milvia Maglione : peintre et décoratrice inspirée

Milvia Maglione est une artiste bien connue en France et en Italie, depuis les années 1970 environ. Elle se distingue néanmoins assez nettement de l’ensemble de la production dite « d’avant-garde » de ces vingt dernières années dans la mesure où on ne peut la classer ni comme un peintre figuratif, ni comme un peintre abstrait, ni comme une artiste conceptuelle.

Milvia Maglione est une artiste peintre, graphiste et décoratrice, qui se sert de sa main, de son pinceau, de ses ciseaux, de ses aiguilles et autres outils traditionnels pour peindre des paysages imaginaires aussi bien que des portraits stylisés ; mais elle peut aussi broder de grandes tentures souples, assembler des bijoux où sont juxtaposés des pierres précieuses et de simples cailloux, en un mot transfigurer des objets du quotidien en objets fabuleux.

En ces temps d’art transgressif, souvent violent, l’artiste présente une autre singularité car sa finalité esthétique ne vise ni la provocation, ni la déconstruction de l’oeuvre d’art. Son but n’est pas de déranger ni même de « questionner » le spectateur mais plutôt de le consoler des petites et grandes misères de la vie, en lui offrant de beaux objets chargés de tendresse ou d’humour souriant.

Je prendrai comme exemple ses tasses à thé avec soucoupes (Le Thé d’Alice, de 1972), en laine bi-colore crochetée à la main, qui sont un double clin d’oeil à Lewis Carroll et à Meret Oppenheim dont on connaît la fameuse tasse en fourrure, plus sauvage mais moins ludique que celle de Milvia Maglione. En effet, ce que nous propose l’artiste avec ce type d’objets, c’est de prendre la vie comme un jeu – un jeu aussi bien léger que dangereux. Dans ce même esprit, j’évoquerai une oeuvre plus récente, souvent exposée à Paris et à l’étranger à la fin des années 1980 : il s’agit d’une vraie malle de voyage en bois, (cf. le Coffre mystérieux datant de 1987) recouverte d’innombrables objets fétiches miniaturisés qui font partie du vocabulaire habituel de l’artiste : poissons, coquillages, papillons,étoiles, quartiers de lune, nuages, arcs en ciel, feuilles, fleurs, et aussi cuillers, fourchettes, couteaux, petites casserolles qui nous ramènent à une poétique du domestique que nous aurions tort de sous-estimer.

A ce propos, j’aimerais souligner que Milvia Maglione, dans sa vie et dans son oeuvre, a constamment tenté de valoriser une « culture féminine » qui ne reposerait pas seulement sur l’expérience de la relégation des femmes dans la sphère domestique mais qui, au contraire, s’affranchirait de l’enfermement par la créativité à partir du domestique (cf. La Leçon de broderie, 1976).

Quant au principe d’accumulation qui régit l’oeuvre de l’artiste, j’y vois une marque de sa filiation avec les Dadaïstes et post-Dadaïstes, bien que ces derniers travaillent généralement dans un esprit sacrificateur et expiatoire inspiré par un folklore urbain en pleine mutation, tandis que Milvia Maglione s’appuie sur un art populaire encore traditionnel comme celui du sud de l’Italie, dont elle exalte la théâtralité, l’opulence et la sensualité.

En dehors de son goût pour les arts traditionnels et populaires, dont elle est d’ailleurs une collectionneuse avisée, Milvia Maglione n’a cessé de défendre la cause du beau métier d’artiste-artisan qu’elle pratique elle-même avec fierté. C’est ainsi qu’elle a illustré de nombreux livres, créé des prototypes d’assiettes pour la Compagnie des porcelaines de Sèvres, des vases et autres réceptacles pour une célèbre cristallerie française. Elle a également décoré la vitrine de la boutique Hermès à New York, ce qui permet de la comparer à de grands artistes-designers italiens comme Bruno Munari et Enzo Mari qui n’ont pas hésité à faire suivre leurs recherches artistiques proprement dites par des applications au design de haut niveau.

Il n’y a pas si longtemps, la plupart des artistes, et plus encore des artistes femmes, devaient se défendre de pratiquer l’artisanat ou la décoration parallèlement à la peinture ou à la sculpture, sous peine d’être déconsidérés en tant qu’artistes. Dans les années 1920-1930, Sonia Delaunay eut, entre autres mérites celui d’ouvrir la voie pour une meilleure articulation entre arts et arts appliqués. Il revient à Milvia Maglione d’avoir développé cette voie avec délicatesse et imagination.

Aline Dallier
Paris, 1998

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