Patrick Grainville admire beaucoup le livre de Claude Delay sur Marilyn Monroe aux Éditions Fayard (Le Figaro littéraire, 24 octobre 2013)

AVT_Patrick-Grainville_5489.pjpeg.jpegMarilyn l’inassouvie

Claude Delay

L’actrice mythique était une femme fatale. Surtout pour elle-même.

Par Patrick Grainville

La photo de Bert Stern qui illustre la couverture du livre de Claude Delay résume tous les drames de Marilyn, ses envoûtements et ses ambivalences mortelles. Dernières photos de Marilyn dans une séance paroxystique, danse de vie et de mort. Nue, elle voile ses seins avec deux énormes roses qui sont ici des symboles hypertrophiés de l’amour. Elle mord légèrement sa bouche, fait un clin d’oeil, longs cils clos, l’autre oeil chavire dans une extase jouée, une séduction stupéfiée. Le ventre arbore le bourrelet de la grosse cicatrice d’une récente opération de la vésicule biliaire.

marilyncouv.jpgClaude Delay a eu raison d’appeler son livre La Cicatrice. Titre paradoxal puisque la blessure de Marilyn ne parviendra jamais à guérir. Blessée à la source. Massacrée par la vie. Tant d’avortements, de fausses couches tragiques. Ainsi qu’une psychanalyse hollywoodienne dévoyée par la promiscuité. Le final d’un suicide équivoque. Comment ne pas revenir à la question, à l’énigme de sa beauté et de sa destruction précoce, comme inscrite dans l’oeuf, la signature du désir et de la mort, les deux pulsions complices du plus beau corps. Une femme fatale mais qui ne l’est que pour elle-même.

Nudité naïve, originelle, lustrale

On sait tout d’elle, les manques originaires, la mère folle, le père inconnu, la quête éperdue du bonheur. Elle appellera tous ses maris « papa » ! La mère qui lorsqu’elle apprend la mort de sa fille, dira : « Marilyn Monroe ? Connais pas… »

Claude Delay, la sensibilité à fleur de peau, détecte et relie tous les indices du mal, les échos de la solitude incurable. Les somnifères, les lavements compulsifs. Marilyn ne serait elle-même que nue, nudité naïve, moins narcissique qu’originelle, lustrale, dépouillée du fardeau archaïque, comme née. Ivre de renaître enfin. Rescapée du naufrage de sa vie. Son angoisse effroyable de la nuit, que seul l’éclair de la photographie paraît exorciser. L’excès du regard photographique. Elle ne peut pas se regarder seule. Posant devant un miroir, elle dit : « Je la regarde. » Seuls l’objectif ou d’interminables bains lui donnent un sentiment d’unité. Claude Delay dédie avec passion à « la fleur sexuelle, à l’inassouvie », un vitrail lucide. À celle qui, pour reprendre un terme de la tauromachie, « a l’ange ». Le poison de l’ange. 

Marilyn Monroe, la cicatrice de Claude Delay. Fayard, 334 p., 20,90 €

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