Opération Coronavirus, contribution de Domitille Marbeau Funck-Brentano
Coronavirus, nous n’avons plus que ce mot à la bouche, les réseaux sociaux, les médias, les groupes de parole en sont infectés. Pas d’autres sujets de conversation depuis qu’une mobilisation générale a été décrétée il y a quatre jours par le gouvernement.
Moi qui n’ai pas connu la guerre et qui culpabilisais d’avoir vécu depuis des années dans le confort et la sécurité, je suis servie !
Cette guerre est totalement nouvelle et fait émerger chez beaucoup des comportements anxiogènes.
Mais le danger est d’une tout autre nature : pas de bombes ou de fusils, c’est un ennemi invisible qui s’attaque à votre santé et pour lequel la seule réplique est de ne rien faire si ce n’est respecter une injonction générale qui porte le nom magique de CONFINEMENT.
Si l’on cherche ce mot dans le dictionnaire, on trouve la définition suivante : Fait d’être confiné, ou situation d’une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’oxygène, de nourriture et d’espace.
Les magasins sont dévalisés, les gens se battent pour un paquet de pâtes, les lignes téléphoniques sont saturées, des groupes de parole se forment sur la toile, La peur se transforme en panique, la dépression nous guète !
Puis la solitude est rompue par des petits clics indiquant qu’un des membres du groupe a posté vidéo, photo, ou quelques phrases pour créer un lien qui se fait subitement jour
Une guerre où le seul combat possible est de rester chez soi, est porteuse d’une stratégie déstabilisante. Restez chez vous martèle la télévision dès qu’on l’ouvre. Les gens se retrouvent enfermés avec eux-mêmes s’ils sont seuls ou avec conjoint et enfants s’ils sont en famille. Il faut apprendre à vivre avec ses proches, découvrir ceux que l’on côtoyait tous les jours quand ce n’est pas expérimenter l’enfer, c’est les autres.
Quand j’entends les plaintes incessantes de certains confinés qui tournent en rond dans leur logement, je ne peux m’empêcher de penser à Anne Franck qui est restée deux ans cachée dans un réduit avec sa famille avant d’être découverte et emmenée avec elle vers les camps de la mort.
Le plus difficile pour moi est de ne pouvoir adopter une attitude active, et reprenant ce que j’écrivais dans mon premier roman, L’Écho répété des vagues : « je suis née trop tard pour épouser mon cousin chéri, quand je s’rai grand tout le monde s’ra vieux et quand j’s’rai vieux tout le monde s’ra mort », et d’ajouter aujourd’hui : « je suis née trop tôt pour m’engager auprès du corps médical, être un vrai petit soldat et endosser l’étoffe des héros ! »
Toujours ce problème du moment, celui où l’on arrive sur la terre, pour un temps finalement très court qui s’accélère avec l’âge et nous fait comprendre que la vie est un miracle qu’on ne peut se permettre de gâcher car elle est unique.
Le confinement : un voyage avec soi-même, entouré de nos livres, disques, photos, temps volé au temps où toutes les contraintes sont abolies, où nous sommes autorisés enfin à jouir de tous les instants pour penser.
Le confinement : un voyage initiatique, mais comme tout voyage Il peut aussi prendre corps dans un voyage extérieur, un voyage à Bayreuth dont j’ai fait un roman La Défense d’aimer.
Aller à Bayreuth pour écouter le Ring, c’est prendre le risque d’être confiné pendant une semaine dans une bulle musicale où plus rien n’existe que la musique de Wagner, ses leitmotive, ses personnages, ses interrogations sur le monde, qui partent de la fascination de l’or au crépuscule des élites pour finir par se consumer dans les flammes qu’elles ont elles-mêmes entretenues.
Sommes-nous en ce moment dans cette bulle qui verra exploser le monde capitaliste ou au contraire fera émerger un monde qui ne doit sa survie qu’à la rédemption par l’amour rencontrée chez Wagner ?
La bulle dans laquelle nous sommes confinées est mondiale.
C’est une première dans l’histoire de l’humanité.
Saurons-nous écouter l’appel de la planète qui appelle au secours avec une tendresse infinie car son virus ne tue que 2 % de l’humanité ?
Saurons-nous déchiffrer la langue de l’oiseau qui n’a plus peur de l’homme enfermé dans sa bulle ?
Et si cette bulle, au lieu d’être une prison n’était pas qu’un énorme message d’espoir et de liberté dont nous allons peut-être commencer à percevoir le sens ?
J’ose l’espérer, je retournerai à Bayreuth et j’écouterai la musique avec d’autres oreilles qui donneront naissance à un autre livre.
Domitille Marbeau Funck-Brentano