Stéphanie Janicot (« Disco Queen ») et Gérald Wittock (premier pop-roman « 1M976 ») dissertent du pouvoir de la musique et de la légèreté pour apaiser les maux et la vie

Les années disco, les années bonheur ?

Entretien avec Stéphanie Janicot et Gérald Wittock

On dit souvent que ce n’était pas mieux avant. Avant, pourtant, c’était les années 1970 et 1980, qui font toujours rêver la jeunesse d’aujourd’hui. Années auxquelles l’on fait immanquablement référence lorsqu’on souhaite parler d’une époque festive et heureuse. Années rock, punk, disco. Années folles. Celles des cinquantenaires d’aujourd’hui, en soif de légèreté et d’ivresse. Pour en parler, j’ai réuni deux écrivains, qui ont publié simultanément, un roman sur la fin des années 1970, Stéphanie Janicot, Disco Queen (Albin Michel, 2023), et un roman nous contant le New York de la fin des années 1970, Gérald Wittock, 1m976 (The Melmac Cat, 2023). Nous avons voulu savoir ce qu’il était réellement de cette époque.

Marc Alpozzo : Vous publiez deux romans, Disco Queen (Albin Michel, 2023) pour vous, Stéphanie Janicot, et 1m976 (The Melmac Cat, 2023) pour vous, Gérald Wittock. Ce sont donc deux romans qui portent sur la période disco de la fin des années 1970, même si l’histoire en ce qui concerne Disco Queen se passe aujourd’hui.

Stéphanie Janicot : Les tubes que je cite dans mon roman datent de la fin des années 1970, mais l’histoire centrale de mon personnage se situe aujourd’hui, en 2020.

Gérald Wittock : C’est vrai, on fait référence à une époque et un même style musical. Dans le roman de Stéphanie, on retrouve KC & The Sunshine Band, Donna Summer, Abba… alors que l’histoire de Soizik se passe en France. Et ces mêmes artistes colorent les pages de mon pop roman puisque 1m976 se déroule dans le Bronx en 1976.

M. A. :  Alors, il s’avère que pour des raisons d’histoire familiale, je vivais à New York en 1976, non pas dans le Bronx, mais à Manhattan, Uptown, cela dit, je me souviens bien de l’ambiance, que j’ai parfaitement retrouvée dans votre roman, Gérald. La question que je me suis toutefois posée, c’est pourquoi ce titre ?

G. W. : D’abord 1m976 pourrait être un numéro de matricule. Ou aussi le premier jour du mois 9 de l’année 76, parce que le héros Teddy fait un blocage sur le 1er septembre 1976. Ou bien également, il indique les étages dans un ascenseur : le premier étage, le middle floor, le neuvième, le septième étage ou le sixième, puisqu’on voyage non seulement en musique mais encore en ascenseur.

Gérald Wittock, Stéphanie Janicot et Marc Alpozzo

M. A. : Je vois deux choses qui vous rejoignent : d’abord, la nostalgie d’un passé révolu, qui n’est autre que notre jeunesse, donc d’une période relevant de la légèreté, des paillettes, une époque festive, qui paraissait plus insouciante que la nôtre, et puis un goût très pointu pour la musique appartenant à la période des années 1970 et 1980.

G. W. : Ce qui m’a plu dans Disco Queen, c’est la façon avec laquelle le personnage de Stéphanie va faire face à la maladie, la leucémie, et le fait de la traiter avec tellement de légèreté, notamment en ayant recours à la musique, le disco, m’a fait penser à la manière que j’ai adoptée pour faire face à l’autisme, aux problèmes qu’un jeune adolescent peut rencontrer dans la société actuelle. Moi aussi, j’ai souhaité l’aborder de façon légère.

S. J. : C’est en effet ce que l’on a en commun, deux pathologies graves, que l’on arrive à traiter par le biais de la musique.

G. W. : Sans compter que nos héros ne se prennent pas au sérieux. Si l’on n’est pas responsable des guerres, des tragédies, on est responsable de ce que l’on va vivre à notre échelle. C’est d’ailleurs ce que Stéphanie montre très bien. Il y a un livre dans nos livres, au point que la frontière dans nos récits, entre le réel et l’imaginaire, est ténue.

S. J. : Disons que la forme dit quelque chose du fond, en l’occurrence : l’histoire que l’on se raconte peut influencer le réel. Concrètement, Soizic, coincée dans sa chambre d’hôpital, est en train d’écrire, et ses filles se saisissent de ce qu’elle écrit, pour réaliser le rêve de leur mère. C’est ce que je pense en général : si l’on se raconte les choses de manière légère, on va les voir de manière légère. Ce n’est pas un livre sur le disco, mais sur la légèreté. Qui dit âge dit perte de santé, de personnes proches, et donc, on a tout intérêt à s’alléger, sinon l’on veut franchir les obstacles et ne pas s’écraser avec la vie.

M. A. : Vous ne répondez pas tout à fait à ma question. Vos deux romans se passent dans les années 1970, et le vôtre Gérald, puisqu’il se déroule à New York, dans une mégalopole vraiment dangereuse à l’époque, marque bien cette lourdeur, pourtant, on se souvient de cette époque avec plaisir, et même sous l’angle d’une forme rare d’insouciance, celle des années où tout était possible, ce qui tranche d’ailleurs avec la légèreté de celui de Stéphanie, dans un début de siècle qui se déroule sur une tonalité plus grave, et dans lequel, à la fin, lorsque John Travolta arrive, alors qu’on ne sait plus trop si c’est le rêve ou la réalité. Ces années-là passent aujourd’hui pour des années insouciantes et festives, et en même temps, c’était des années dures, avec la drogue qui était déjà bien présente chez les jeunes, la prostitution, les armes aussi, je me souviens qu’à New York, les écoles primaires publiques avaient des portiques de sécurité à l’entrée pour vérifier que les élèves ne viennent pas avec des armes en classe. Est-ce que le disco n’a pas été créé pour sublimer cette réalité morbide, et retrouver un peu de légèreté dans la musique et les corps qui dansent ?

S. J. : Pour répondre à la première partie de votre question, cette idée du rêve à la fin du roman, vous n’êtes pas le premier à me le dire. Pour autant, je ne sais pas, je ne pense pas avoir voulu que ce ne soit qu’un rêve. Mais c’est au lecteur de décider du sens du livre. En lisant la fin du roman de Gérald, j’ai pensé que votre personnage avait vraiment cet âge adulte, et qu’il n’était pas sorti de chez lui pendant 40 ans. Du coup, la mère avait vraiment vieilli, avait fini par mourir, tandis que lui se voit encore comme un ado, parce qu’il a été enfermé à 16 ans. Vous expliquez que c’est une pathologie qui l’a fait vieillir très vite, d’un coup dans l’ascenseur, alors que moi, je l’ai vécu comme un autiste qui aurait passé une existence recluse, sortant de sa chambre à un âge avancé. Je trouvais ça assez joli. Pour la deuxième partie de votre question, vous avez raison, en 1973, on vivait deux situations en même temps. Il y a eu le premier choc pétrolier, alors que la société était sur le mode de cette émancipation progressive. En France, la liberté commence après mai 1968, le rock devient la musique dominante. Puis le disco se crée à l’image de cette société de consommation, contre le rock qui se prend un peu au sérieux, mais aussi contre le choc pétrolier, la crise annoncée, et la semaine de travail. Saturday Night Fever en parle très bien. On bosse toute la semaine, mais les vendredis et samedis, on met ses habits de lumière et on va danser. C’est donc l’attitude disco, le disco spirit ! On met ses habits de lumière, et tout à coup on devient quelqu’un d’autre, c’est-à-dire qu’on décide que ce quelqu’un d’autre est festif et léger. D’ailleurs au départ, je voulais appeler mon roman « Toi aussi, tu peux être une disco Queen », en référence à cela précisément. Si tout le monde peut l’être, c’est parce que c’est avant tout un état d’esprit. C’est cet état d’esprit que j’ai cherché parce que, dans ma vie, tout était comme ça un peu lourdingue. Pour tenter de devenir légère, j’ai écrit ce livre.

 G. W. : J’ai longtemps été dans le monde de la musique, et je suis d’accord avec Stéphanie lorsqu’elle dit que le disco est arrivé pour donner une claque au rock. Mais il faut s’imaginer qu’il y a eu la guerre du Vietnam et qu’aux États-Unis, toute une génération était contre cette guerre inutile, sinon pour l’industrie de l’armement et l’industrie lourde, et elle avait besoin de retrouver du rêve. Les États-Unis sont aussi le seul pays qui a fait usage de la bombe atomique, alors qu’ils se proclament défenseurs de la paix. Ce n’est donc pas un hasard si la guerre du Vietnam a insufflé chez les jeunes musiciens cette envie de rester vivants. Et si le livre de Stéphanie débute avec Staying alive des Bee Gees, mon Teddy, pour la première fois amoureux, veut crier « Staying alive », alors qu’on ne sait pas s’il rêve d’amour ou de Goldorak, si ça se passe dans sa tête ou dans la réalité, mais il souhaite vraiment « rester vivant ». Si Stéphanie et moi avons choisi le disco, je crois que c’est pour passer ce message. En tant qu’écrivains, on ne peut que relayer cette rage de vivre. Je ne pense pas que l’on puisse l’expliquer, on essaye tout simplement de la raconter.

S. J. : C’est en effet, un signe de résistance. Gloria Gaynor chantait à l’époque I will survive, il y avait également Born to be aliveStaying alive, c’est tout de même une musique qui manifeste une forme de sublimation de la vie, de soi, d’une envie de prendre l’ascendance sur nos destins.

M. A. : Je vous résume : le disco, parce que c’est une manière d’aller vers la légèreté dans un monde tragique. Est-ce bien cela ? D’autant qu’on est de plus en plus dans une société où l’on se questionne, notamment les jeunes, avec le féminisme, la transidentité, l’indigénisme, etc. Ils se questionnent sur leur place dans la société, ils se posent des questions à propos des discriminations, des problèmes d’identité. 

S. J. : En effet. Mais j’ai aussi choisi le disco, parce qu’en ce qui concerne ma génération, lorsqu’il s’agit de faire des fêtes, on choisit le disco, ou la musique des années 80, disons jusqu’à 1985-1986. C’est la musique de notre jeunesse. Tout le monde va vers la musique de sa jeunesse. Ma mère le faisait beaucoup. Par exemple le rock’ n’ roll, parce qu’elle l’avait vécu dans sa jeunesse, ou le jazz des boites de Saint Germain des Près, etc. Toutefois, aujourd’hui, les jeunes aussi adorent le disco parce que c’est beaucoup plus festif que la musique électronique. J’ai reçu récemment le message d’une étudiante qui voulait m’interviewer pour sa thèse sur le disco. Elle m’a confirmé que sa génération adore le disco. C’est donc une musique inégalée. Au moins pour faire ressentir la joie d’une soirée. Ce n’est pas l’Alpha et l’Oméga de la musique, certes, non. C’est même à la limite du kitch et du mauvais goût, mais il n’empêche que pour faire la fête, c’est parfait. Vous dites que les jeunes se questionnent, vous avez raison, mais n’oubliez pas que dans les années 1970, les jeunes se questionnaient aussi beaucoup, ils étaient très militants, très engagés. Le monde est pesant sans doute, mais pas plus qu’en 1940, au XVIIème siècle, ou à n’importe quelle époque. En revanche, que l’on résiste à un discours ambiant par de la fête, c’est déjà ce qui était cherché par cette musique dans les années 70. Et c’est en ce sens, que l’on peut dire qu’ils voulaient résister à leur semaine de labeur, de lourdeur. D’ailleurs, on dit souvent que la jeunesse est insouciante, je ne le crois pas. J’étais par exemple beaucoup plus sombre à 20 ans qu’aujourd’hui. Parce qu’à 20 ans, on a peur de ne pas réussir sa vie, de ne pas pouvoir faire ce que l’on a envie de faire, de ne pas pouvoir écrire tous les livres, avoir des enfants… Cette peur est pesante. En vieillissant, on atteint des âges où la légèreté devient possible, parce que les grands enjeux sont derrière nous. C’est un des privilèges de l’âge. Et si l’on sent la société comme bien plus dure qu’avant, c’est peut-être parce qu’on a moins envie d’être engagés dans cette dureté.

  G. W. : C’est vrai que ce n’est pas pire qu’avant, mais plutôt différent. Je crois que l’homme s’est toujours posé les mêmes questions. D’ailleurs, la philosophie n’existerait pas si l’on avait trouvé les réponses aux grandes interrogations existentielles. Stéphanie aborde dans son roman la transidentité de manière très légère. Sans se poser de questions. L’homosexualité aussi, y est racontée de manière toute simple. Tout est dédramatisé, naturel, et ça fait du bien. Dans les années 70, avec les mouvements hippies, où la sexualité était complètement libérée, au sens d’une vie sexuelle libre, l’on pouvait s’aimer en hétéro comme en homo, sur fond de musique en stéréo ou en mono, sans les limites d’âge que l’on s’impose aujourd’hui. C’était alors un monde différent, mais qui faisait face aux mêmes problèmes humains, encore et toujours d’actualité.

Ce qui me chagrine dans la nouvelle génération des années double vingt (2020), c’est que l’on utilise « la norme » en l’imposant de manière dogmatique. On doit obligatoirement rentrer dans telle ou telle catégorie. Ainsi, on empêche les êtres humains de vivre leur vie pleinement. Aussi, à travers la légèreté et le rêve, ainsi qu’en laissant vivre les personnages d’un roman, nous allons bien au-delà de toutes ces castes qui nous castrent. L’apprentissage de la vie, ce n’est pas de mettre des gens dans des cases ou de tirer des conclusions hâtives, mais de regarder nos vies avec amour, attention, et de laisser à chacun le droit de s’exprimer.

Propos recueillis par Marc Alpozzo

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