Laurent Geoffroy, Petite histoire d’un juif français
Lorsque j’ai reçu ce livre, je me suis dit aussitôt : « encore une histoire de Juif ! ». Nous avons subi pendant huit mois les bouffonneries nazies du juif Zemmour (revendiqué comme tel) qui a monopolisé les médias sans obtenir un score honorable (et même aucun député!). Nous avons constaté que tout le premier semestre 2022 Gallimard en Pléiade était exclusivement consacré à des écrivains juifs : Kafka, Proust, Roth – certes de talent, mais enfin…. Est-ce pour se faire « pardonner » par le politiquement correct la parution en même temps de Guerre de Céline ? La communauté juive ne représente qu’environ 800 000 personnes en France, aurait-elle le monopole des médias, des éditions et de la posture morale ?
Sauf que cette réaction épidermique n’est pas de mise pour Laurent Geoffroy.
Son livre juif d’un Juif qui n’a appris être juif que lorsqu’il avait 12 ans, est un ouvrage très intéressant, plaisant à lire et qui fait réfléchir. Je vous le conseille, bien plus que les sempiternelles élucubrations de moraline arrogantes d’un BHL par exemple. C’est que « Laurent Geoffroy » est son nom de bébé caché, né en 1943 « de père inconnu » en pleine occupation nazie tandis que sa mère Sarah était recherchée par la Gestapo et les milices ou polices de Pétain (adulé par le Z) et que son père René était déporté au camp d’Auschwitz. Son vrai nom, reconnu par jugement du tribunal en 1948 après le retour des camps de son père, évadé de dernière minute juste avant l’arrivée des Américains, est Laurent Sedel. Il n’était rien moins avant sa retraite que chef du service d’orthopédie à l’hôpital Lariboisière à Paris. Médecin, fils de médecin, Français de naissance et d’études, laïc et adepte des Lumières.
Qu’il soit « juif » ne veut pas dire grand-chose, il est avant tout un homme.
Il analyse donc ce battage fait depuis des décennies autour « des Juifs » avec du recul et un œil acéré. En racontant son histoire, celle d’un greffé du foie qui a survécu – une nouvelle résurrection après celle d’être né caché ; en racontant l’histoire de ses parents, amoureux, actifs mais naïfs qui ne « croyaient » pas au danger nazi en France ; en racontant l’histoire de ses grands-parents, juifs ashkénazes venus de « Pologne » (aujourd’hui l’Ukraine). Il replace la condition juive d’aujourd’hui dans le contexte historique européen et français. Son message est qu’à en faire trop sur le « devoir de mémoire », on finit par braquer les gens : « encore une histoire de Juif ! ». Sedel en appelle plutôt à un « devoir d’oubli », seule façon de cicatriser les plaies et de bâtir un nouvel avenir débarrassé du concept de « race » (qui n’existe pas).
Mais la condition juive est prise en otage par la droite israélienne et sa politique bornée de forteresse assiégée. Brimer les Palestiniens et les bloquer en corner dans leurs territoires assiégés ou occupés n’est pas une solution à long terme. La solution finale (si l’on ose dire) serait plutôt dans l’instauration d’un État palestinien égal, avec lequel des relations normales pourraient être établies. Mais Netanyahou n’en veut pas, perfusé aux armes américaines et aux capitaux du lobby américain qui, selon l’auteur, se sentirait coupable de n’avoir rien fait en son temps contre l’Holocauste.
Quant à la France, les intérêts bien compris de certains amuseurs ou écrivaillons forcent le thème juif pour raviver le syndrome de l’affaire Dreyfus, la culpabilité du Vel d’Hiv et de Drancy, le David contre Goliath du petit Israël en butte aux innombrables armées arabes en 1967, 1973 et au-delà. Les juifs séfarades venus d’Afrique du nord excellent dans la dérision médiatique et le spectacle ; ils en rajoutent. Claude Lanzmann a inventé le mot Shoah (qui veut dire en hébreu catastrophe) pour rivaliser avec la Nakba (qui veut dire la même chose en arabe palestinien). Mais à en faire trop, l’effet boomerang ne tarde pas. L’auteur ne l’évoque pas, mais la jalousie arabe (il n’y a pas d’autre mot) sur la façon dont les Juifs sont plaints, confortés et célébrés en France alimente l’antisémitisme (même si, l’auteur le rappelle, les Arabes sont aussi des Sémites).
Ce livre hésite entre l’essai et le roman, c’est dommage ; il aurait gagné à être remanié pour choisir son style. Laurent devient donc « Georges » (en grec ancien : celui qui travaille à la terre) et Sedel devient Ledes, on ne sait pourquoi car l’auteur sous pseudo signe de son vrai nom sa biographie en quatrième de couverture. Il aurait fallu opter. Pas étonnant à ce qu’aucun éditeur classique n’ait voulu le publier, selon ce qu’il déclare. Non pas que le livre soit un brûlot, il dit plutôt des choses sensées, mais il est mal construit et nentre pas dans les cases éditoriales. Fait de textes raboutés au prétexte d’une autobiographie familiale (qui ne commence vraiment qu’à la page 80), il contient trop de répétitions et quelques erreurs de frappe, de sens ou d’étourderie comme Robineau pour Gobineau, les « catholiques » sous Constantin (ils furent chrétiens avant que Luther, en protestant mille ans plus tard, ne les fasse catholiques !), Dominique Fernandes pour Fernandez, « au fait » de sa carrière pour « au faîte », la Flag pour la Flak (Flakartillerie en allemand : artillerie antiaérienne et pas flagrants délits en français…)
Le mot résurrection peut avoir un double sens : celui de renaître à la vie pour un nouveau départ ; celui de voir ressurgir les problèmes du passé. Laurent Geoffroy/Sedel hésite sur la crête entre les deux, ravi d’être né et re-né, d’être un survivant dans un monde en perpétuels changements, mais aussi inquiet pour la suite, l’essentialisation de la « mémoire » créant un nouveau dogme appelant aux hérésies et aux réactions violentes dont sa famille est depuis trois génération un exemple.
Malgré ses défauts de publication, un bon livre qui fait remercier l’auteur d’exister et de s’exprimer.
Laurent Geoffroy, Petite histoire d’un juif français – Résurrections, 2022, L’Harmattan, 229 pages, €21.00
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com