« une réflexion formidable, et une mise en perspective des vertus de la littérature. » par Christine Bini

jeudi 18 novembre 2021

La Chambre de Léonie de Hélène Waysbord

Hélène Waysbord, La Chambre de Léonie, éd. Le Vistemboir, septembre 2021. 
Il y a bien des manières de parler de ses lectures, ou des auteurs que l’on aime. Hélène Waysbord en revient toujours à Proust, et singulièrement à la tante Léonie, la malade recluse dans sa chambre qui sait tout de ce qui se passe dans le village. Waysbord en revient à Proust, et intègre sa connaissance de l’œuvre à son propre parcours de petite fille juive réfugiée dans un coin de Normandie durant la guerre, de conseillère de Mitterrand qui lui avait confié des responsabilités importantes sur le dossier des grands travaux, et d’électrice consciencieuse confinée soudainement dans sa maison de campagne normande pour cause de virus. Les lectures personnelles, et presque intimes, sont parfois plus intéressantes que les traités universitaires. C’est dans ce genre d’ouvrages que l’on comprend l’importance de la littérature. Que l’on comprend ce que la littérature nous fait, et combien elle nous aide. 

Le confinement a été une sorte de sidération, pour nous tous. Pour Hélène Waysbord, il a été, entre autres, l’occasion d’écouter la voix de Céleste Albaret, à la radio. Cette replongée proustienne appelle le texte. Mais tous les livres importants sont à Paris, inaccessibles, dans la maison normande il n’y a que des ouvrages dénichés en brocante, dans lesquels il faut retrouver le passage que l’on cherche dans une pagination autre que celle de la Pléiade. Jean-Yves Tadié, qui a dirigé la nouvelle édition de La Recherche dans cette collection, signe d’ailleurs la préface du texte d’Hélène Waysbord. Il écrit : «  Si la littérature s’adresse d’abord à la sensation […] elle révèle aussi les secrets de nos vies, les met en lumière et permet de les accepter. » Ainsi Hélène Waysbord explique-t-elle que le prénom de Proust, Marcel, donnait un éclairage particulier à un paysan normand de son enfance qu’elle n’a jamais oublié. 

Cette lecture intime, nourrie de tout le savoir d’une vie – Waysbord, étudiante, a travaillé la métaphore chez Proust quand ce n’était pas encore dans l’air du temps universitaire – est une lecture sensible, bien entendu, mais aussi une lecture essentielle du point de vue non de l’autobiographie, mais du sentiment de sa propre vie : « Il faut un long temps pour décrypter le livre inscrit en soi en caractères illisibles tant que des phrases écrites par d’autres n’ont pas prêté main forte. » Quel bel hommage à la littérature ! Hommage sensé, ressenti et expérimenté. « Il n’est pas question de mémoire. Il s’agit d’une navigation sans boussole dans l’épaisseur du temps où le passé coexiste avec le présent. » La voix de Céleste Albaret à la radio, la publication d’un inédit de Proust, le confinement forcé en Normandie ont permis cette jonction des temps personnels d’Hélène Waysbord : la disparition des parents, la fillette cachée en Normandie, l’étudiante et l’enseignante, la conseillère du Prince et la dépression subséquente… tous les temps regroupés en un mouvement sphérique, cohérent. Comme Proust écrivant le début et la fin de La Recherche dans le même élan. 

Ce livre, tout personnel, parlera à tout lecteur. Parce qu’il n’est pas un témoignage, mais une réflexion formidable, et une mise en perspective des vertus de la littérature. 

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Hélène Waysbord est née à Paris dans une famille de juifs étrangers, déportés à Auschwitz. Cachée en Normandie et devenue pupille de la nation, elle fit des études classiques et enseigna en classes préparatoires au Lycée Malherbe à Caen. Elle fut à partir de 1982 conseillère de François Mitterrand pour les Grands projets.

Au début des années 2000,  Présidente de la Maison des enfants d’Izieu et haut fonctionnaire au ministère de l’Education nationale, elle conduisit des missions successives sur le thème de la mémoire pour lutter contre l’antisémitisme et le racisme.

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