Vents contraires, Jean-François Kochanski
Voici donc l’histoire vraie de Ryo Kurusu, soldat de sa Majesté l’empereur du Japon… C’est en visitant le temple Yasukuni à Tokyo que Jean-François Kochanski tombe nez à nez avec le visage d’apparence occidentale d’un jeune officier parmi les soldats japonais morts au combat durant la Deuxième Guerre Mondiale. De cette énigme, après des recherches fouillées au Japon où l’auteur s’installe, sort Vents contraires. Si Ryo a l’allure occidentale, c’est qu’il est le seul métis illustre de cette armée, un métis qui illustre dans sa chair le conflit dans cette partie du globe. Son père est un ambassadeur japonais, sa mère est américaine et il est né sur le sol américain. Jean-François Kochanski nous raconte comment Ryo va devenir japonais, parce que ses parents ont tranché, décidé pour lui. Il découvre son pays à l’âge de 8 ans et y suit l’école et ses études bien souvent loin de ses parents et de ses sœurs qui vont à travers le monde au fil des nominations du père diplomate.
Vents contraires est un récit à plusieurs étages. Nous suivons d’abord la construction d’une identité, celle de Ryo, au cœur même de sa contradiction de naissance. « Ma vie se résumait à avoir été un être perdu entre deux mondes, juste incapable de retrouver son chemin. » On constate que Ryo va devenir japonais essentiellement parce qu’il le désire, et cette allégeance à sa patrie ne dépend d’aucune renonciation. Sa part américaine restera, même enfouie, au fond de lui comme un possible resté en germe.
Nous suivons ensuite cette étrange culture japonaise, si étrangère pour nous. L’auteur note le rapport ambigu déjà à l’époque des japonais vis-à-vis de l’Occident, « Le sentiment d’attraction et de répulsion ressenti par bon nombre de japonais vis-à-vis d l’Occident. » Ce sentiment contradictoire va jusqu’à se manifester dans cette déclaration de guerre violente : « La peur de s’ouvrir au monde, mêlée à la volonté d’y participer, se reflétait dans l’attaque de Pearl Harbor. »
La guerre est finalement un accélérateur d’identité pour tous et particulièrement pour Ryo. Plutôt que de suivre un parcours de diplomate comme on lui propose sous prétexte que sa connaissance des langues et des cultures ennemies pourrait être utiles, il choisit de devenir militaire. Il ne peut pas se permettre de suivre les pas de son père, il lui faut conjurer son statut de métis. Il veut être japonais, comme ses parents ont choisi pour lui, il veut être pleinement japonais. Dès lors, celui dont le visage, semblable à celui d’un acteur américain, se remarque tout de suite, revêt l’uniforme militaire, symbole de son appartenance au pays, l’habit fera de lui le « moine ». La formation donnée a pour but de « Réincarner le samouraï de jadis dans chaque soldat de l’Empereur ».
La tragédie, celle qui venait de leur enlever leurs lendemains, qui dissolvait tout, va se vivre dans la chair même du héros. « L’identité que père et mère avait désiré me donner ne pouvait prendre un autre chemin et combattre la nation m’ayant vu naître en était le prix. » Devenu pilote, il abat un avion ennemi, enlève la vie d’un homme, et il éprouve ce que la guerre fait de nous, il ressent ce soulagement dénué de toute humanité. « Si tout avait été différent, j’aurais pu être un des leurs. » se dit-il à deux reprises en son for intérieur où loge en gésine son identité américaine.
Jean-François Kochanski nous offre un récit à la fois historique et psychologique, voire spirituel au travers de Vents contraires. C’est un ouvrage documenté, parsemé de lettres échangées entre les protagonistes de cette tragédie. Heureuses familles qui s’écrivent ! Retenons l’amertume de cette tragédie : le père diplomate a échoué à préserver la paix avec les Etats-Unis, et c’est cet échec qui fera de son fils un héros de guerre mort au combat.
Vents contraires, Jean-François Kochanski, récit, AZ éditions, 18€