Vents contraires
Jean-François Kochanski
Éditions AZ / Content Publishing, biographie romancée, 199 pages, 18 €
« Son visage ressortant au milieu des photos des autres soldats décédé (sic) durant la deuxième guerre mondiale me donna envie de raconter son histoire. »
L’histoire d’un livre est parfois brève : une étincelle, une fascination, une rencontre. Un exemple célèbre est celui de l’écrivain roumain Petru Dumitriu qui, dans les années soixante, tombe en arrêt devant le « Portrait d’un jeune anglais » ou « Portrait d’un homme aux yeux gris » attribué au Titien, et en tire un roman éponyme qui sera le premier tome d’une trilogie historique. Même fascination pour Jean-François Kochanski découvrant au temple Yasukuni, parmi les photographies des soldats japonais morts au cours de la Seconde Guerre Mondiale, le visage d’un jeune officier d’apparence occidentale. Il s’agit de Ryo Kurusu, né aux États-Unis d’un père japonais et d’une mère américaine, qui n’arrivera au japon qu’à l’âge de huit ans et mourra officiellement des suites d’une blessure contractée lors d’un combat aérien le 16 février 1945, mais sans doute, en réalité, décapité par l’hélice d’un autre appareil sur son terrain d’aviation.
Fasciné, Jean-François Kochanski rassemble, entre livres et articles, ce qui a déjà été écrit sur Ryo Kurusu et sur sa famille. Il complète cette documentation par des témoignages recueillis auprès de sa sœur et par l’étude de la correspondance entretenue par cette dernière avec son fils et son époux, ainsi que par la lecture des lettres envoyées par le jeune officier à son père. Ces compléments lui fourniront des éléments d’atmosphère familiale propices à la recréation romanesque de la vie de Ryo Kurusu, narrée à la première personne du singulier. Une recréation émaillée d’éléments d’origine, comme des extraits de lettres authentiques traduits du japonais par Emeric Leusie.
« Mon pays marchait vers le néant comme nul autre peuple. »
Une recréation riche en éléments historiques propres à ces périodes troubles de l’histoire, puisque le père de Ryo Kurusu, diplomate de carrière, fit partie en 1939 des signataires du Pacte entre le Japon, l’Allemagne et l’Italie – un pacte qu’il désapprouvait. Une vie familiale compliquée par un retour au Japon après une petite enfance passée en Europe, les absences d’un père au gré de ses affectations, les difficultés d’être à la fois américain et japonais dans un pays à la politique de plus en plus radicale, un nouveau séjour en Europe à l’âge de la majorité, les tensions croissantes dans la vie quotidienne au Japon alors que se dessinent les déterminants du conflit à venir sont ainsi décrits à travers la vision de Kurusu. Jusqu’au basculement mondial qui survient en 1939. Kurusu rejoint alors l’industrie aéronautique, puis se trouve incorporé et, en juin1942, voit sa candidature comme pilote être acceptée – le mois même du revers de la flotte japonaise à la bataille de Midway, étape clef de la défaite à venir et revers qui reste alors secret vis-à-vis de la population japonaise. Une ignorance de l’inéluctable qui le conduit à refuser un poste de diplomate et à poursuivre son engagement au service du Japon comme pilote d’avion de chasse, scellant ainsi son destin. Il pilote un chasseur japonais KI-43, examine des chasseurs capturés aux forces américaines et comprend peu à peu, mais trop tard, que le Japon recule et va perdre la partie. Les premiers bombardements américains sur l’île et la naissance, en octobre 1944, des unités kamikazes, sont des éléments particulièrement éloquents : le Japon refuse de voir se dessiner la défaite. Les bombardiers américains sont défendus par des chasseurs Grumann F6 Hellcat, premiers artisans de la supériorité aérienne américaine au-dessus des mers, qui effacent littéralement les chasseurs japonais du ciel. Ironie du destin, c’est par un accident sur son terrain d’aviation que Kurusu trouvera la mort.
Complété en fin de volume par la liste des sources de l’auteur, pour une part des documents privés de la famille Kurusu, pour une autre part des références bibliographiques qui permettront au lecteur anglophone d’aller plus loin, ce « Vents contraires » ne manque pas d’intérêt. Il permettra au lecteur de revivre un pan capital de l’histoire du vingtième siècle – un conflit dont on a tendance à ne plus connaitre que les grandes lignes – à travers une vision non occidentale. Une guerre vue par un perdant, un destin d’autant plus poignant que ledit perdant, américano-japonais situé sur une étroite ligne de crête entre les deux mondes, aurait très bien pu basculer dans l’autre camp, et qu’il s’en est sans doute fallu de peu, au gré de ses tribulations et de celles de son père diplomate, pour que cela soit le cas.
Des qualités, donc pour ce « Vents contraires », mais, fort malheureusement, négligence de l’auteur ou de son entourage mais surtout témoignage indiscutable de l’absence d’accompagnement éditorial des « éditions » AZ, le volume souffre fortement d’une absence de relecture. Les virgules sont placées au petit bonheur la chance, non seulement sans aucun sens du rythme naturel des phrases, mais aussi au mépris des règles élémentaires de la grammaire, assez souvent entre le sujet et le verbe, ou entre le verbe et le complément d’objet direct. On trouve des coquilles à toutes les pages, des confusions entre imparfait et passé simple, entre pluriel et singulier, des fautes d’accord, des erreurs de ponctuation. Et ceci jusqu’à la quatrième de couverture (sept lignes) avec “inspiré d’une histoire vrai“ (sic). Les éditions AZ apparaissent, il est vrai, particulièrement décomplexées vis-à-vis de l’orthographe. Pour l’anecdote, on peut lire sur leur site, dans la notice bibliographique de Peter Randa (quelques lignes), “Ses œuvres de science-fiction prennent pour la plupart place dans un univers futuriste où action et dilemme politique se conjuguent habillement pour former des intrigues qui restent plus que jamais d’actualité.” Nul doute que la notice « habillement » rédigée s’apparente à la posture et à la vêture, à la fois bohèmes et désinvoltes, de ceux qui affichent vis-à-vis des impératifs de la langue une indifférence et une décontraction absolues. On ne peut que regretter une telle attitude – quelques heures de travail auraient en effet suffi à rendre ce « Vents contraires » beaucoup plus lisible – car la démarche de Jean-François Kochanski était estimable et méritait un meilleur traitement.
Titre : Vents contraires
Auteur : Jean-François Kochanski
Couverture : Content-Publishing
Éditeur : AZ éditions / content publishing
Pages : 199
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mars 2023
ISBN : 9782382101179
Prix : 18 €
Hilaire Alrune
21 mars 2023