Une Constitution pour une Algérie nouvelle ?
Le livre de Lachemi Belhocine et de Reza Guemmar, « Projet de Constitution de l’Algérie nouvelle», a fait l’objet d’un débat riche et passionnant lors de la rencontre organisée par le réseau Algériens sans frontières (ASF) le 10 octobre dernier à l’Académie de la diplomatie et des relations internationale à Genève. Compte-rendu.
L’Algérie, un des grands pays Africains pour ne pas dire dans le monde, qu’on appelait il y a quelques années la « Mecque des révolutionnaires », aujourd’hui titube, vacille et n’arrive plus, parait-il, à retrouver son chemin en tant que : « République algérienne démocratique et populaire », projetée par le Congrès de la Soummam magistralement conduit par le duo Abane Ramdane et Ben M’hidi ! Est-ce une fatalité ?
Les crises successives, en l’occurrence la Crise de l’été 1962, le Printemps berbère, les Evènements d’octobre 88, le Terrorisme des années 1990, le Printemps noir et le Mouvement populaire de 22 février 2019 ne sont-ils pas autant d’indicateurs qui renseignent à plus d’un titre que le système politique algérien, né depuis l’indépendance à ce jour, grogne dans tous ses rouages ?
Mais comme le soulignait si bien Me Mabrouk Belhocine, une des mémoires de l’Algérie colonisée et décolonisée : « on doit écrire l’histoire même avec ses pages noires ». Son compagnon de lutte Ferhat Abbas, premier président Gouvernement provisoire de République algérienne, prononce la sentence : « Un Etat « confisqué » est un Etat « mort-né ».
Que se passe-t-il avec l’Algérie, 58 ans après son indépendance ? Sommes-nous un troupeau de moutons qui donnera naissance à un gouvernement de loups, pour reprendre Agatha Christie ? Montesquieu n’avait-t-il pas raison dans sa sentence dans son œuvre L’esprit des lois : « toute nation a le gouvernement qu’elle mérite » ?
Les Algériennes et Algériens peuvent-ils se concilier et se réconcilier et marcher comme un seul homme et prendre conseil de son histoire et discuter de son présent pour projeter son futur ? Pouvons-nous débattre d’un modèle institutionnel et constitutionnel à la hauteur de nos aspirations et de notre histoire, autrement dit d’une Algérie nouvelle que le peuple ne cesse de revendiquer ?
Le Mouvement populaire, appelé « révolution du sourire » ou « Hirak », aboutira-t-il à la mise en place d’un système politique tenant compte des spécificités algériennes ? Un système qui s’articulera autour de la souveraineté du peuple, adapté à la société et à ses valeurs et tenant compte de règles pragmatiques capables de donner naissance à une démocratie algérienne est-il possible ?
La réponse est évidente mais encore faut-il définir et puis avoir le courage de partager ce meilleur. C’est ce qu’a été débattu lors d’une rencontre organisée par le réseau Algériens Sans frontières (ASF) le 10 octobre dernier à l’Académie de la diplomatie des relations internationale à Genève, autour du livre de Lachemi Belhocine et de Reza Guemmar, « Projet de constitution de l’Algérie nouvelle».
« Projet de constitution de l’Algérie nouvelle»
Le Projet de constitution de l’Algérie nouvelle est le résultat d’une étude comparative de 130 constitutions en vigueur à travers le monde. Il faut ajouter à cela un travail minutieux mené sur le terrain et à travers les quatre coins du pays. « Nul besoin de système politique importé », lit-on dans l’avant-poste de l’ouvrage « Projet de constitution de l’Algérie nouvelle ». Toute loi fondamentale est perfectible. Celle figurant dans cet ouvrage a plusieurs mérites, notamment ceux de la stabilité et de la modernité, attachés notamment aux principes de jurisprudence et aux mécanismes juridiques qui ont fait leurs preuves depuis très longtemps.
A l’ouverture des interventions, Me Lachemi Belhocine, présidant du ASF, avait dans sa plaidoirie décortiqué la question : C’est quoi une Algérie nouvelle ? Est-ce le retour aux racines avec un nouveau départ ? N’est-il pas temps que l’Algérie retrouve son chef historique et signataire de son extrait de naissance, en l’occurrence Karim Belkacem à Evian ?
L’Algérie nouvelle, celle qui nous fait combattre et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui, est sans nul doute « celle qui se tournera vers la modernité mais équipée d’un matériel et d’un outillage local, mais surtout celle qui fera la jonction entre son passé lointain et son présent ».
Il s’agit là, relève le président du ASF, d’une initiative qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche citoyenne personnelle et collective, insufflée par une nécessité vitale de changement de mode d’organisation et de fonctionnement sociétaux.
Me Lachemi Belhocine soutient que « ce besoin de changement exprimé par tout un peuple est l’émanation d’un sursaut et d’une prise de conscience que connaît l’Algérie ». C’est dire enfin que si Jean Jacques Rousseau, le premier à avoir conféré la souveraineté au peuple, avait attendu l’assentiment de quelqu’un, il n’aurait certainement pas écrit Du Contrat Social !
Le peuple est seul maître de son destin
L’exercice du pouvoir se fait par les élus choisis par le peuple, qui forment le gouvernement, et qui ont la légitimité pour gouverner. C’est ce qu’on appelle une démocratie dont le fonctionnement repose sur un consensus social. « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », disait Abraham Lincoln.
Le peuple est la source de tout pouvoir selon l’article 7 du Projet de constitution de l’Algérie nouvelle proposé par Me Lachemi Belhocine et Reza Guemmar. Les co-auteurs ajoutent dans l’article 8 que le pouvoir constituant appartient au peuple et ce dernier est garant de la Constitution.
Le peuple exerce sa souveraineté par voie de referendum et subsidiairement par l’intermédiaire de ses représentants élus. Mettant en évidence le pouvoir du peuple, Me Lachemi Belhocine assure que l’Etat, avec ses institutions, puise sa légitimité et sa raison d’être dans la volonté du peuple.
Faisant références aux valeurs de la culture algérienne et à l’esprit du Congrès de la Soummam, Me Lachemi Belhocine énumère les préalables posés par le Projet de constitution de l’Algérie nouvelle :
– La neutralité et l’impartialité de l’Etat dans le domaine des cultes
– Une égalité parfaite entre la femme et l’homme
– Une démocratie participative (souveraineté du peuple).
– Une indépendance du pouvoir judiciaire (avec une autonomie organisationnelle et budgétaire)
– Une réforme de l’État (décentralisation du pouvoir exécutif, autonomie communale, mise en place d’une armée républicaine et protection de l’Institution militaire de tout clivage politique, mise en avant du référendum). Il s’agit là de Constitution idéale, rêvée, décrite dans l’ouvrage de Me Lachemi Belhocine et de M. Reza Guemmar.
L’écrivain Lyazid Benhami dira dans son intervention, tout en paraphrasant Aristote : « le commencement est plus que la moitié de l’objectif », donc osons être ambitieux pour l’Algérie, en invitant au débat constructif et salvateur mais sans exclure aucune sensibilité.
Décortiquant le statut du président tel qu’il est défini dans les articles énoncés dans « le Projet de constitution de l’Algérie nouvelle », en l’occurrence l’article 82, le président du ASF préconise entre autres : « La révocation du mandat du président de la/ du Président (e) de la République peut être demandée par la voix de référendum moyennant cent-mille signatures, valablement recueillies », « La révocation du mandat du président de la/ du Président (e) de la République est validée par la Cour constitutionnelle si le taux de participation est d’au moins 50 % du corps électoral ».
Catégorique Me Lachemi Belhocine confirme que : « seule la Cour constitutionnelle est habilitée à révoquer le mandat du président de la/ du Président (e) de la République si le taux de participation est inférieur à 50 % du corps électoral mais supérieur à 40% », « La révocation du mandat du président de la/ du Président (e) de la République est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés et validés dans 15jours par la Cour constitutionnelle », « La révocation du mandat du président de la/ du Président (e) de la République par voie de référendum peut être demandée au maximum deux fois durant le mandat présidentiel, espacé d’une durée d’au moins 12 mois ».
Pierre Zwahlen, député au parlement Vaudois et président de la commission des affaires étrangères, a, quant à lui, salué le Hirak algérien mené et représenté par le peuple, qui durant plus d’un an maintient encore sa révolution du sourire. « Ce souffle nouveau, puissant, profondément populaire et démocratique soulève encore aujourd’hui le plus grand pays d’Afrique : L’Algérie », souligne le député helvétique.
Il fait remarquer que l’ouvrage « Projet de constitution d’une Algérie nouvelle » « donne une substance programmatique au mouvement social né le 22 février 2019 en Algérie. La démarche est mûrement réfléchie, approfondie, fondée sur la comparaison de nombreux textes d’autres constitutions ». M. Pierre Zwahlen n’est pas étranger à l’Algérie, il y va régulièrement.
« Je suis moi-même reconnaissant à l’Algérie de m’avoir donné l’une des plus belles et orgueilleuses de ses filles, dont j’ai eu deux enfants magnifiques. J’admire le peuple Algérien, par sa constance, sa ténacité, son humour, son rassemblement. Je l’admire en tant que citoyen Suisse qui a trouvé en Algérie sa 2e patrie, mais aussi en tant qu’élu, député au Parlement vaudois », témoigne M. Pierre Zwahlen.
Le député helvétique ajoute: « J’en ai lu les meilleures pages avec intérêt, j’ai aussi été, en tant que Suisse, surpris de cette passion déterminée pour l’entreprise démocratique qu’il reflète. La souveraineté du peuple, les libertés fondamentales, la séparation du pouvoir, le contrôle populaire des élus ouvrent le champ des possibles, à l’Algérie qui est le plus avancé du continent. »
L’indépendance de la justice
L’indépendance de la Justice n’est pas un slogan, mais un énorme combat, avec son lot de sacrifices et de résistances. Les chaines sont-elles si fermées ? Justice de nuit, appels téléphoniques, langue de la matraque et tribunaux aux ordres, sont malheureusement autant de qualificatifs employés pour décrire l’ampleur de l’injustice infligée au pays et aux citoyens. Il serait temps de briser les chaines des tribunaux pour se soustraire définitivement de l’emprise du pouvoir exécutif et à son administration pour le pouvoir d’influence qu’elle exerce.
L’appareil judiciaire est l’un des piliers les plus importants et efficaces dans toute démocratie et État de droit. Ceux qui n’en possèdent pas vivent principalement dans la corruption, les assassinats politiques et la répression.
A la question de savoir la place de la Justice dans son Projet de Constitution de l’Algérie nouvelle, Me Lachemi Belhocine répond : « Notre projet prévoit une justice indépendante car les juges et les procureurs seront sélectionnés par leurs pairs (Conseil national de la magistrature) et surveillés par les conseils de wilaya de la magistrature. Le ministère de la justice aura uniquement pour rôle de fournir la logistique (bâtiment du tribunal, fourniture de bureaux, etc.) »
Me Lachemi Belhocine décortique: « Le fonctionnement de la justice se trouvera de ce fait totalement autonome et indépendant. Ce qui signifie que la justice possédera son propre budget, négocié directement avec le Parlement sans passer par le ministre de la Justice. Ainsi, elle pourra directement se consacrer à la formation des juges, des procureurs, des personnes spécialisées dans la lutte anti-mafia, anticorruption… Mais également dans la cybercriminalité pour une police judiciaire spécialisée. Le citoyen et les avocats, quant à eux, auront leur mot à dire : lors des comités de magistrature de wilaya et de plainte citoyenne, pour tout ce qui concerne la surveillance pour des juges et des procureurs ».
Me Lachemi Belhocine reprend l’article 166 du Projet de Constitution de l’Algérie nouvelle : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif » et explique que « le pouvoir judiciaire est exercé par les magistrats (e) et les procureur (e) s », « il est aussi exercé en matière constitutionnelle, administrative, civile et pénale ». Cela dit, soutient-il, « l’indépendance décisionnelle des magistrat (e) s et des procureur (e) s est garantie ». Peut-on en rêver ?
Pour une armée républicaine
Héritière de l’Armée de libération nationale, l’Armée nationale et populaire constitue la sacro-sainte dans la mémoire et le conscient collectif du peuple algérien. Néanmoins, comme dans tous les pays décolonisés, l’Armée est dans tous les centres des jeux et enjeux politiques, économiques, etc. Ses interférences dans des domaines outre les siens qui lui sont définis par la Constitution sont légions.
L’armée nationale est une institution apolitique qui a pour mission la sauvegarde de l’indépendance et la défense nationale, il s’agit là de l’article 28 du Projet de constitution de l’Algérie nouvelle. Toute mission spéciale de l’armée nationale, qui sort du cadre habituel, est soumise à l’approbation de l’Assemblée législative, lit-on encore. « Une armée républicaine et apolitique. Une armée qui serait garante de la sécurité du peuple, de l’intégrité territoriale et des intérêts du pays », défend l’écrivain Lyazid Benhami.
Plus précis, Me Belhocine rassure : « L’Armée nationale ne peut disposer d’une police que pour la gestion exclusive des affaires militaires », et « la/le ministre de la Défense ou le vice-ministre ne peuvent en aucun cas être des militaires en exercice ». Tandis que M. Reza Guemmar a tenu, quant à lui, à rappeler que ce projet de livre vient de répondre aux attentes des Algériennes et Algériens qui aspirent à une Algérie meilleure, fidèle aux principes de novembre et du congrès de la Soummam, incarnée par le Mouvement populaire, le Hirak du 22 février.
Débattant la même question, Me Lachemi Belhocine rassure : « l’une des revendications fondamentales du peuple algérien en plein révolution pacifique est en l’occurrence le principe immuable de « la primauté du civil sur le militaire. Le juriste est catégorique : « l’Armée doit être républicaine et s’occuper rien que des missions qui lui sont définies par la constitution. Elle ne doit en aucun cas interférer dans les affaires politiques ».
Quant au principe de la primauté du politique sur le militaire qui ne cesse de faire du l’ancre et du sang, le président du ASF soutient que : « une armée doit-être républicaine. Elle sera en charge exclusivement du domaine purement militaire et non une armée qui mobilise ses effectifs pour persécuter les femmes et hommes politiques et qui rafle le foncier à des fins lucratives. Une armée républicaine est une armée qui retrouve ses lettres de noblesse ».
Cependant le haut commandement de l’armée algérienne, regrette Me Lachemi Belhocine, est depuis ces 20 dernières années, voire plus, chapeautée par certains hauts gradés, qui utilisent leurs relations personnelles pour nommer des copains. Les mêmes haut-gradés, constituent des groupes armés et les utilisent comme des milices. On se croirait dotés d’une armée de milice et non républicaine.
Dans le même contexte le Prof Addi Lahouari explique que : « La primauté du politique sur le militaire signifie que le politique désigne des représentants élus pour diriger la nation, à l’inverse des militaires qui accèdent aux grades supérieurs par ancienneté. Le militaire ne rend pas compte aux électeurs, il rend compte à ses supérieurs».
Abondant dans le même sens, le juriste Tahar Khalfoune fait savoir que : « la primauté du civil sur le militaire signifie, selon la charte de la Soummam, que la primauté dans la gestion de la révolution et le choix des décisions stratégiques est reconnue aux politiques. Les concepteurs de ces assises du FLN en 1956 avaient estimé que la réflexion sur la révolution et les choix politiques stratégiques à adopter pour libérer le pays sont une tâche trop sérieuse pour la confier à des militaires ».
L’Algérie demeure-t-elle encore otage des militaires et de la matraque ? « Plus de six décennies plus tard, ce principe conserve encore une validité politique certaine. Sa remise en cause à la réunion du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) du Caire le 20 août 1957 a entraîné illico la militarisation des instances dirigeantes pendant la guerre et celle de tout le pays après l’indépendance. Depuis l’inversion des principes soummamiens du politique et du militaire, l’on ne se considère légitime que si l’on a la force militaire et non le droit avec soi, et c’est la force qui tient lieu de droit », répond le juriste.
Même constat du côté du politologue Bélaïd Abane qui atteste : « on ne peut évoquer la primauté du politique sur le militaire sans penser immédiatement à Abane. C’est lui en effet qui fait avaliser le concept au congrès du 20 août 1956, et l’inscrit dans la Plate-forme de la Soummam. Depuis, le principe est l’objet de diverses interprétations souvent polémiques, qui cristalliseront autour d’Abane moult griefs et animosités ».
Et Lyazid Benhami d’ajouter : « Un pays totalement indépendant est celui dont le destin est dicté par la volonté de son peuple, et non par celle d’une petite caste prenant en otage le Peuple et ses Institutions héroïques ».
La religion et le politique
L’Algérie a été le berceau et le carrefour de toutes les religions monothéistes apparues dans l’héritage d’Abraham, soit le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Or dans le texte de la révision constitutionnelle proposé par référendum le 1er novembre prochain, la construction de l’Etat algérien sur le modèle politique du Parti unique va tuer dans l’œuf tout projet constitutionnel basé sur la séparation du politique et du religieux. La bataille idéologique semble être gagnée par le mouvement conservateur. La religion va être utilisée comme principal pilier de l’identité culturelle et valeur suprême de la famille. Le socialisme spécifique va idéologiser la religion et reposer sur les piliers de l’Islam. L’Islam est religion d’Etat (article 2 de la Constitution).
Dans l’œuvre co-rédigée par M. Reza Guemmar, celui-ci assure que le ministre des affaires religieuses n’a même pas le droit d’être et ni surtout pas de se mêler des questions politiques et de la gestion de la cité. « La religion musulmane ainsi que les religions pratiquées par les minorités sont protégées par la Constitution », soutient-il. Et d’ajouter : « La neutralité et l’impartialité de l’Etat sont garanties. » Voilà des articles qui ne peuvent faire objet de révision dans une quelconque Constitution, a insisté M. Reza Guemmar.
La séparation du politique et du religieux : la Constitution algérienne consacre dans son article 2 l’Islam religion d’Etat. Cela implique qu’il existe bien une communauté de croyant.e.s en raison de la prédominance d’une croyance religieuse. Si un Etat prône la neutralité, l’impartialité, la liberté de culte, aucun article de la Constitution civile ne peut faire référence à l’appartenance religieuse d’un Etat.
A ce sujet, le co-auteur du « Projet de Constitution de l’Algérie nouvelle » relève : « La majorité des constitutions dans le monde sont tombées dans le piège infernal d’opposition Laïcité-Religion. Or, en Algérie, nous sommes au-dessus de ce type de débat réducteur. Notre identité est claire et ne pose aucun litige à ce sujet. La religion est une affaire sacrée de chacune et de chacun et ne doit pas se rabaisser comme un chiffon à la disposition des politiques pour cacher ou nettoyer leurs saletés. »
Le modérateur de la rencontre, Farid Ouadah, un militant du Hirak de la diaspora, est catégorique : « L’islam est certes une réalité sociale et historique en Algérie mais il ne faut pas que cette religion soit mélangée aux affaires politiques ». Et d’expliquer : « La religion doit-être séparée du politique sinon cette dernière servira d’instrument ». Comme dans toutes les dictatures nées des indépendances confisquées, la religion a été, ajoute-t-il, toujours le moyen idéal pour animer les peuples et les conduire dans des guerres sans nom.
Mme Soad Baba Aissa, militante féministe, assure lors de son intervention à propos de la Constitution algérienne que: « Maintenir comme condition d’être de confession musulmane pour présenter sa candidature à la présidence de la République algérienne est une atteinte au principe d’égalité citoyenne. Dans une société laïque, l’Etat n’exerce aucun pouvoir religieux et les Religions n’exercent aucun pouvoir politique ».
Aussi, il faut dire que la religion est une affaire privée. La laïcité est la condition institutionnelle de la neutralité confessionnelle, de la liberté de culte (croyant.e.s, non croyant.e.s), de la coexistence pacifique de chaque citoyen pour assurer les conditions concrète du débat laïc, pluraliste et démocratique.
La liberté de la femme
La femme algérienne mène une révolution sur plusieurs fronts ! Néanmoins, elle subit encore de nos jours les affres de la misogynie sévissant dans la société et des injustices du pouvoir qui, d’ailleurs, ne datent pas d’aujourd’hui. Doit-on et peut-on encore se permettre d’ignorer la place des femmes dans notre société alors qu’elles ont été présentes tout au long de notre histoire aux côtés des hommes, depuis Carthage jusqu’à nos jours.
Les Algériennes font face à une loi discriminatoire promulguée en 1984, le code de la famille. Ce texte va à l’encontre de l’égalité entre les femmes et les hommes alors que cette égalité fut promise dès l’Indépendance de l’Algérie. Cette égalité est même inscrite dans la Constitution (article 29).
Le co-auteur de l’ouvrage « Projet de Constitution de l’Algérie nouvelle », Me Lachemi Belhocine estime que le code de la famille considère la femme comme un bien immobilier. Pour lui : « l’égalité entre femme et homme est un principe indiscutable et immuable. La nouvelle Algérie est celle où femmes et hommes sont égaux dans les droits comme dans les devoirs ».
Mme Soad Baba Aissa, militante féministe, déplore dans son exposé que juste « au lendemain de la guerre d’indépendance, malgré leur pleine participation, les femmes vont être renvoyées à leur rôle traditionnel d’épouse et de mère mais surtout exclues des instances politiques et décisionnelles ».
Elle expliquera comment « l’entrée des femmes dans l’espace public va les pousser à remettre en cause les traditions et la famille traditionnelle patriarcale » et entrainer « un bouleversement dans les relations familiales et entre les femmes et les hommes ». « Les pères, les frères, les maris, les autorités religieuses sont dérangées par cette remise en cause de l’ordre social. De plus, le mode de production capitaliste va engendrer leur intégration croissante sur le marché du travail », estime Soad Baba Aissa.
Elle estime que « les mouvements progressistes et conservateurs vont se livrer une bataille idéologique dans laquelle les femmes sont un véritable enjeu politique, économique, social et culturel : l’éducation obligatoire, l’emploi des femmes, l’évolution des besoins économiques, le profil social de la main d’œuvre féminine ». C’est ainsi que les partis progressistes et islamo-conservateurs en arrivent à « considérer que l’émancipation des femmes et la modernité ne peuvent se construire que dans le cadre islamique pour ne pas être accusés de succomber à « l’hégémonie culturelle occidentale ».
Aussi, les mouvements conservateurs vont sacraliser les fondements de la famille traditionnelle patriarcale et soutenir « l’idée que l’émancipation des femmes dans la société algérienne est une conception importée de l’Occident et peut mettre en danger les valeurs culturelles issues des traditions islamiques ».
« Progressistes ou islamo-conservateurs, les partis politiques vont avoir une préoccupation commune : le contrôle des femmes. Elles sont assignées à devenir les gardiennes « symbolique » de l’identité nationale et des traditions de la culture arabo-islamique », déclare Soad Baba Aissa.
L’édification des fondements de la démocratie passe inévitablement par l’égalité des droits entre les femmes et les hommes et par la responsabilité de l’Etat qui doit faire face « au poids des mentalités qui pèsent sur l’évolution du rôle des femmes et leur place au sein de la famille et de la société ».
Revenant sur les contradictions qui existent entre les textes de loi et la réalité sociale, Soad Baba Aissa dira que « le système algérien a toujours montré un côté pile avec une production du droit dans les textes et un côté face où ses textes sont sans effet dans le réel ».
« Les droits et les libertés existent dans le corpus juridique mais l’exercice de ces droits et libertés demeurent assujettis à des dispositions réglementaires inexistantes. Ces droits et libertés peuvent être aussi complètement réfutés à l’exemple du code de la famille (sous-citoyenneté). Les traités et conventions internationales sont ratifiés, mais avec des réserves au nom du respect des valeurs islamiques, des spécificités culturelles (CEDAW)», conclut Soad Baba Aissa.
La liberté de la presse
Trente ans après le début du pluralisme politique et médiatique en Algérie, le bilan reste regrettable, décevant pour la presse « indépendante » ou « privée », mais aussi pour l’audiovisuel, née de la dernière pluie. « Les médias, toutes catégories confondues, se retrouvent infestée par la police politique, et les opportunistes de tout bord », dénonce Me Lachemi Belhocine.
« Tout le monde sait aussi que la presse algérienne est gérée à partir d’un sombre bureau des « Services » algériens ! C’est là que tout se décide : qui sera « agréé » et qui ne le sera pas, qui aura de la pub et qui en sera privé, quelle est la ligne éditoriale et quelles sont les lignes rouges ! Aujourd’hui, les mêmes pratiques se poursuivent et à chacun sa presse », constate le journaliste Kamel Lakhdar Chaouche. Et d’ajouter : « les atteintes aux libertés de la presse se sont multipliées depuis la présidentielle du 12 décembre 2019. Les médias sont domptés. Ceux qui résistent sont constamment harcelés, privés de publicité et les journaux électroniques sont bloqués ».
Epargnée à un certain égard, la nouvelle génération de journalistes plongée dans le monde des nouvelles technologies que nous appelons communément les médias électroniques, les médias alternatifs, elle survit cependant au gré de l’emballement des évènements. Et jusqu’ici, c’est cette catégorie qui paye actuellement le prix cher. Ainsi, il compte au moins 2 journalistes en prison et d’autres sont poursuivis en justice comme c’est le cas du directeur du journal électronique et de radio Ihecen El Kadi. Aussi, y a lieu de souligner la fermeture d’accès en Algérie pour les journaux électronique comme Dzvid, Le Matin, l’avant-garde, Algérie 360, étant donné que ces derniers sont hébergés à l’étranger.
Déçu M. Mohamed Benchicou le souligne bien : « il ne restait plus personne dans les rédactions, les anciens journalistes étaient morts, blasés ou réduits au silence, les nouveaux n’avaient plus de modèles pour s’inspirer, personne pour leur apprendre que le journalisme n’est qu’insurrection et que la gloire d’une plume est d’être traitée d’insurgée ». Aujourd’hui on débute une carrière de journaliste, dans une espèce d’organisation bureaucratisée.
Le journalisme devient du fonctionnariat. Le journaliste a carrément perdu sa raison d’être. Résultat : les compromissions et l’allégeance aux tenants du pouvoir sont légions. Certaines figures de la presse algérienne profitent du métier de journaliste pour s’intégrer dans le milieu des affaires.
Selon Larbi Ounoughi, directeur général de l’agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep), affirme le 4 mai dernier que « depuis 2012, 347 agréments de création des organes de presse. Parmi ces agréments, 40 titres appartiennent à des prête-noms, alors qu’ils n’étaient ni imprimés ni distribués et l’argent était transféré vers l’étranger. Cependant 107 autres ont fermé boutique faute d’argent, provenant de l’Anep. Le DG de l’Anep révèle à l’occasion que « 15 000 milliards de centimes ont été distribué aux différents titres durant ces 20 dernières années».
Qu’en est-il des sommes distribuées depuis 20 ans ? Aucune enquête n’est envisagée et aucune sanction n’est malheureusement opérée. Aujourd’hui, les mêmes pratiques se poursuivent et des « professionnels » de la presse s’échauffent pour prendre leur part du gâteau avec le nouveau pouvoir.
Mourad Fenzi, ancien cadre de la presse analyse : « la Presse Algérienne n’a jamais autant souffert que lorsque le secteur a été géré par ses propres enfants. C’est le cas avec Hamid Grine : ex-ministre de la Communication, qui en avait fait voir de toutes les couleurs aux rédactions. Pourtant, c’était un ex-journaliste de la sportive. C’est le cas aujourd’hui avec le ministre de la communication et le porte-parole au sein du gouvernement Abdelaziz Djerad, Amar Belhimmer dont le nom et les actes seront retenus par l’histoire ».
Le journaliste regrette : « c’est sous son règne que des sites d’informations ont été fermés, que des journalistes croupissent en prison, que la presse connaît son mauvais quart d’heure. Et décidément ce n’est que le début. Il a réussi à faire régner la terreur dans le secteur de la presse ».
Pourtant sur le plan juridique, la Constitution Algérienne adoptée en 2016 a décriminalisé les délits de presse. En théorie, aucun journaliste ne doit être condamné à une peine privative de liberté. Mais dans les faits, ce principe n’est pas respecté. Le cas du journaliste Khaled Drareni en est une preuve. Arrêté au moment où il filmait une marche à Alger Centre, il a été d’abord placé sous contrôle judiciaire. Puis après un appel du procureur, il a été placé en détention provisoire avant d’être condamné à 2 ans de prison ferme.
Le plus grave dans cette affaire est qu’il a été arrêté alors que la mise en détention préventive est une mesure exceptionnelle et non pas une règle générale répressive. Cela a été fait dans le seul but de démontrer à l’opinion internationale qu’il n’y a pas de journaliste emprisonné pour son travail. Il faut noter également que l’œuvre de Lachemi Belhocine et de Reza Guemmar insiste sur la liberté totale de la presse, et en fait un 4 ème pouvoir. A la lumière de toutes ces avancées et précisions constitutionnelles évoquées dans le Projet de constitution de l’Algérie Nouvelle, nous sommes contraints de constater que la proposition est ambitieuse et moderne en soi. Plus d’un pays pourrait en être inspiré.
Auteur : Kamel Lakhdar Chaouche