Pandemic 3 « Pour un tribunal futur » par Frederika Abbate

PANDEMIC 3
Pour un tribunal futur

Actuellement est en train de se faire la collecte des témoignages des malades guéris, des thérapeutes, de tout le personnel soignant pour laisser une trace de ce qui se passe dans les hôpitaux de France face au virus. Cela servira à plusieurs choses. L’une d’elles, et non des moindres, sera de fournir les témoignages devant le tribunal. Car les responsables seront jugés, n’est-ce pas  ? Ne m’enlevez pas cette idée de la tête s’il vous plaît. La rage m’aide à me prémunir et renforce certainement mes défenses immunitaires, du moins je veux bien le croire et c’est déjà suffisant. Cela servira aussi de matériel à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, en feront la chronique de diverses façons, par l’histoire, la sociologie, la philosophie, les récits oraux faits de personne à personne, l’art, le poème, le roman…

Ainsi, j’ai pris dernièrement connaissance du témoignage d’une infirmière. Une chose qu’elle dit est particulièrement frappante. Une chose terrible, dans tout cet amoncellement d’horreurs, à laquelle j’avais déjà pensée et que j’avais vite écartée de mon esprit tant cela me faisait horreur. L’infirmière est en première ligne face à la mort, dit-elle, c’est son métier mais là elle témoigne de l’inédit si douloureux de cette situation. Mourir du virus n’est pas mourir de n’importe quelle autre manière. Bien sûr, chaque manière est singulière, et c’est très important. Mais là, s’y ajoute une dureté toute spéciale, la personne meurt seule. Dans la solitude extrême qui est en train de l’absorber dans le trou du néant où personne d’aimé ne pourra venir avec elle, s’ajoute l’impossibilité de l’adieu, l’impossibilité de dire la dernière parole d’amour et d’accompagnement. Du fait de la contagion. Rejetée de la société, mise au ban et d’ailleurs souvent c’est bien cela qui arrive puisque dans ce pays qu’on prenait pour un pays nullement sous-développé, les personnes meurent faute de soins appropriés, non par manquement du personnel, il est compétent et dévoué mais certes en sous-nombre, mais faute de matériel. Comment arriver à accepter cela  ? Elle les voit, impuissante, sombrer dans une solitude radicale. Et comment vont se faire les deuils de gens qu’on n’a pas pu assister au moment de la mort, parce qu’ils étaient contagieux  ?  Et qu’on ne dise plus «  infecté  », où sonne par trop le mot «  infect  ». Or, infects, ce ne sont pas les malades qui le sont mais ceux qui laissent faire cela. Contagieux est plus approprié. Pourquoi on évite «  contagieux  »  ? Sinon pour nous empêcher de penser qu’aurait pu s’éviter la prolifération de quelque chose qui ne demandait qu’à se propager et tuer. Sans intentionnalité. Il n’y est pour rien, le virus. Il n’a pas fait une déclaration de guerre. Normal, ce n’est pas d’une guerre qu’il s’agit. Ou alors, ce n’est pas le virus l’attaquant… Mais les gens, on les a laissé se côtoyer au contraire.

Oui, il y a une guerre à mener. Mais pas contre un organisme privé d’intention, que celui qu’on appelle le président et ses complices n’ont de cesse d’anthropomorphiser. Comme si le virus pouvait avoir une face humaine et un passeport. Car énoncer qu’il n’a pas de passeport c’est justement le considérer comme un être humain, en le présupposant par la négative qu’il pourrait en avoir un, et donc responsable de ce qu’il fait. Toutes ces manœuvres sont faites à dessein. Pour une raison simple et hideuse  : détourner l’attention. Alors comme ça l’idée m’est venue que le confinement sert également à détourner l’attention. Il sert à masquer qu’en vérité l’état ne fait rien. D’ailleurs, où sont les masques, les tests, les machine respiratoires, le personnel hospitalier en plus grand nombre  ? Pourquoi avait-il d’abord refusé que les cliniques privées viennent prêter main forte  ? Pourquoi refuser une molécule qui soigne bien  ? Parce que le médecin qui la préconise a les cheveux trop longs  ? Ne serait-ce pas plutôt parce qu’elle est peu coûteuse et qu’elle ne fait pas le jeu des laboratoires pharmaceutiques et de leurs complices  ?

Si un martien venait sur terre, il dirait  : tiens, ils ont trouvé un moyen radical pour se débarrasser des pauvres et des vieux. C’est un peu cruel, mais du moins c’est radical.

La personne meurt sans qu’un proche lui tienne la main. Elle est déjà rejetée du monde des humains. L’un des traits qui caractérise l’humain, c’est qu’il peut être justement inhumain, dans le sens perfide et cruel. Là, sont inhumains les états et tous leurs complices qui font que se produisent ces monstruosités. Et les médecins, les infirmiers, les infirmières, tout le personnel pleurent. Un jour viendra, et malheureusement il est très proche, où l’univers sera fait de non-humains. La cruauté et la perfidie seront intégrées par tout le monde. Les autres, les humains, seront tous morts.

7 avril 2020 – 22ème jour de «  confinement  » où s’abat la mort inédite

Opération Coronavirus, la contribution de Oula Kelbocha

Propos d’un chat confiné

Je m’appelle Oula Kelbocha … et je suis un chat sacré de Birmanie de vingt et un mois.

En fait, mon vrai nom est Odin du Clos de Soliman. Mais Maman, en me voyant dans une exposition féline, s’est écriée « Ouhla … Quel beau chat ! »… et le nom m’est resté. Parfois, quand je l’entends, j’ai mal aux chevilles, mais je me suis habitué à l’admiration de Maman pour mon poil soyeux, ma frimousse de petit tigre blanc mes yeux bleu-foncé et ma queue en panache que même Henri IV m’aurait enviée.

Il paraît que je suis confiné depuis bientôt trois semaines. En fait j’ai toujours été confiné, car Maman m’interdit de sortir dans le jardin et de me balader dans les buissons ou autour de la piscine.

Maman a trop peur de me perdre. Ce qui a failli arriver récemment, depuis que ma Princesse, la belle Opium, ne veut plus que je l’honore. Elle était pourtant contente en janvier quand je lui faisais l’amour au moins dix fois par jour, quand elle feulait « viens mon bel amour ! » en langage chat… Mais brutalement, fin janvier, elle m’a rejeté.  Difficile de cumuler les soucis du chat en rut et de l’amant délaissé ! Alors j’ai commencé à manger de moins en moins… puis plus du tout. Maman s’en est émue et m’a fait torturer par une foule de vétérinaires. Malgré les comprimés immangeables qu’ils m’administraient, j’ai continué à déprimer. Mes petits bourrelets ont disparu, on sentait juste mes os. De 4,5 kg je suis descendu à 3,7 kg en un mois.

Et finalement ils ont trouvé et m’ont soigné. Opium ne veut toujours pas de moi, mais elle est maintenant très occupée avec nos enfants, qui viennent d’être délivrés d’un confinement dans son ventre. Elle était devenue si grosse que Maman disait qu’elle ressemblait à un poisson lune…

Opium est la mère de mes dix enfants, dont neuf vivants, car nous avons malheureusement perdu notre petite Plume à 7 jours, l’été dernier, trop faible pour survivre. Maman vient de raconter dans son livre « Tous les chats de ma vie »  notre histoire et celle des chats qui nous ont précédés.

Quand elle écrivait son livre, à Paris en février, elle restait souvent à la maison. Mais, depuis que nous sommes arrivés à Antibes début mars, je ne comprends plus Maman. D’habitude, elle disparaît une bonne partie de la journée, nous laissant nous chamailler, faire nos griffes sur les matelas et les tapis et voler des friandises en son absence. Mais quelques jours après son arrivée ici, son comportement a totalement changé. Elle est tout le temps sur notre dos. Elle ne quitte la maison qu’à peine une fois par semaine de préférence, de préférence tard le soir ou tôt le matin. Malgré la température presque estivale, elle sort avec un épais cache-nez blanc, de grosses lunettes noires et un bonnet de ski qui lui cache les cheveux et le reste du visage. Et, en arrivant à la maison, elle enlève ses chaussures. Avant-hier soir,  notre père adoptif est sorti pour aider Maman à décharger la voiture et est rentré sans se déchausser. Moi j’aime la bonne odeur de ses semelles et me suis vautré par terre… Maman était furieuse : elle m’a lavé !!! Et elle a mis sur le sol un produit qui pue le propre…

Je me demande si maman n’est pas en train de devenir folle. Et mon papa aussi. Hier, ils ont fait dix fois le tour du jardin dans le sens des aiguilles d’une montre, puis dix fois dans l’autre sens. Comme je fais le soir dans la maison en miaulant pour appeler ma chérie !

Tous les soirs à peu près à l’heure où je me réveille de ma sieste, ils allument un écran du salon où toujours le même type, que Maman surnomme « Bille de clown », prend un air de croque-mort pour débiter des chiffres. Il parle de milliers de morts, montre des lits d’hôpital, des gens avec des cache-nez comme ceux de maman…

Et ils regardent aussi un autre type, qui semble un grand chef. Il y a quelques jours, il avait une belle barbe noire, mais, de jour en jour, un côté de sa barbe commence à ressembler aux poils de nos congénères sacrés de Birmanie. Va-t-il muter ? Il ne sera en tous cas pas primé en exposition s’il y participe…

Je ne comprends pas non plus pourquoi Maman ne quitte quasiment plus la maison ou le jardin et ne rencontre plus personne. D’habitude, nous sommes souvent envahis pas une bande d’humains bruyants et agités qui cherchent tous à nous caresser, me forçant à trouver ma tranquillité sous le lit ou dans un placard. Or, depuis quelque temps, plus personne ne vient.

En revanche, Maman est suspendue une grande partie de la journée à un petit appareil noir auquel elle parle (alors qu’il n’y a personne dedans). Ce truc a un miaulement bizarre, aigu, il paraît que c’est une sonnerie.  Et quand elle lui parle, elle me gronde si je miaule !

Maman dit à son appareil noir plusieurs fois par jour « oui ça va, nous sommes confinés à Antibes ». Je suis jaloux de ce truc noir, car à moi elle ne parle guère que pour me gronder : « laisse Opium tranquille », « ne fais pas tes griffes sur les tapis »… Du coup, j’ai compris que pour attirer l’attention de Maman, je devais multiplier les bêtises et je ne manque pas de m’y employer !

La sédentarité de Maman a quand même un bon côté pour nous. Jamais je n’ai vu à la maison autant de réserves de pâtée et de croquettes. J’ai même trouvé où elle range le stock important de friandises et je me suis enfilé en douce ce matin quelques délicieuses bouchées au canard.

Elle a aussi un stock important de notre jouet préféré, le papier toilette, qu’elle a hélas mis sous clé. Il paraît que c’est très difficile d’en trouver en ce moment. Pourquoi nos humains n’utilisent-ils pas notre litière ? Maman vient d’ailleurs d’en stocker des kilos dans le garage… est-ce pour cela ?

Ma princesse, qui est une rebelle, a essayé de s’enfuir. Elle m’a dit qu’elle voulait que nos bébés soient des chatons libres … Moi, j’aime trop Maman et mes croquettes pour aller bien loin. Heureusement, Maman a vite récupéré ma princesse avant qu’elle ne franchisse le portail et lui a installé un nid douillet dans un grand tiroir, qu’elle partage avec nos bébés. J’ai proposé de me confiner avec eux mais ma princesse est une vraie mère juive et ne veut pas encore que j’approche les petits.

Heureusement je sais qu’un jour les oisillons quittent le nid, comme l’ont fait nos bébés précédents et que je retrouverai un jour ma jolie princesse pour moi seul. Mais, horreur…. Maman dit qu’elle veut me retirer les bijoux de famille dès que j’atteindrai de nouveau 4kg.

Alors je surveille attentivement mon poids sur la balance bébé qu’elle a louée et je n’oublie jamais de faire mon marathon quotidien dans la maison.

En regardant dehors, je rêve de la vie du chat des voisins qui n’est pas confiné et vient me narguer à la fenêtre. Maman dit que c’est un « chat de gouttière » mais je ne l’ai jamais vu sur le toit.

Je crois que le confinement rend Maman bizarre. Elle parle du virus de la bière, qui serait très dangereux, y compris pour les chats. Mais moi je ne bois pas de bière… 

Je suis quand même très inquiet car, si Maman mourait, qui achèterait mes croquettes et ma pâtée ?

 Nouvelle « Mon coronavirus au quotidien » par Michèle Makki

 MON CORONAVIRUS AU QUOTIDIEN par Michèle Makki

 Le chien fait des gaz. C’est un bouledogue français. Il s’appelle Caïpi, abréviation de Caïpirinha, le très bu cocktail. Cette race-là fait des gaz.

– Il faut le sortir, je dis.

Qui s’y colle ? Mon mari ou moi ?

Le chien c’est ma sauvegarde, mon passeport, mon visa pour une vie à risques. Je mets un masque, des gants, je deviens une aventurière et je m’engouffre dans l’ascenseur. En sortant de l’immeuble, je manque de m’étaler sur les marches du perron, car j’y vois à peine, les yeux coincés entre le capuchon de ma veste et le bord du masque, pendant que le chien tire sur la laisse.

– Bonjour !

Un Sans- Masque m’aborde, saluant et postillonnant, encore un peu et il me ferait la bise !

Cet individu-là n’a pas absorbé les consignes de distance sociale et se comporte anormalement, c’est -à- dire normalement pour une époque révolue.

Je m’enfuis comme Polanski au festival de Cannes et je m’en vais chanter l’Ave Maria dans la forêt. Pour les promenades hygiéniques du chien et de moi-même- il fait ses besoins, je respire l’air- j’ai choisi un bout de forêt qui survit entre deux immeubles, parcouru par un ruisseau qui n’en sait rien du coronavirus et continue sa vie coulante et murmurante. On fait le tour de la forêt qui sent le caca car tous les propriétaires de chien vont là, puis on rentre en évitant les voisins.

J’enlève mon équipement de pestiférée sur le balcon, je me désinfecte, je me vaporise de senteurs variées, je me lave les mains, je les passe au gel, au gel, au gel…

– Au prix où on l’a payé, tu devrais l’économiser, grogne mon mari.

S’il savait à quel prix j’ai payé les gants !

On s’assied devant la télévision pour le téléjournal, le chien à nos pieds, la fenêtre ouverte pour évacuer les mauvaises odeurs récurrentes provenant de Caïpi.

On se prépare pour le coup de massue, les nouvelles, qui nous écrasent d’une pesanteur visible. Le destin enfile les morts comme des perles dans le ruban des jours :  aujourd’hui tant de morts, bien plus qu’hier et bien moins que demain, nous sommes tous condamnés au confinement, à la solitude, même le pape dit la messe tout seul.  « Admirez la spiritualité du dépouillement », dit un intervenant.

L’Iphone de mon mari retentit : Il retentit tout le temps, la sonnerie est au maximum.

C’est Josette, ou Martine, ou Amélie, qui, en ces temps éprouvés, cherchent du réconfort auprès d’un ancien copain. Prétexte : donner des nouvelles du virus, qui comme le furet est passé par ici et repassera par là, mesdames. Envoyer des texto à un gars qu’elles n’ont pas vu depuis trente ans, quelle misère ! Est-ce qu’au moins elles se sont changées de pull depuis la guerre du Golfe ? Faire les fonds de tiroir existentiels même en période de peste, j’évite, préférant me défénestrer plutôt que de ramener à l’existence tous les vieux bouts de carambar de ma vie, poisseux, collants, recouverts de poussière, qui se collent à des post-it, à des feuilles de papier tachées, et à des reliquats de calepins hors- d’usage. Les souvenirs c’est une autre espèce de virus…

– Tu n’as pas le coronajaloux ? dit mon futur ex-mari, car comme tout le monde le sait, un mariage peut ne pas durer toute une vie, même si on n’est pas  Brad Pitt, Angelina Jolie ou le prince Charles…
Je hausse les épaules de dédain. Que va-t-il chercher ? Il m’attribue des pensées médiocres alors que je me repais uniquement d’idéal.

 Je m’absorbe, vexée, dans le documentaire qui passe à la télévision, tourné avant la pandémie, censé donner du courage aux téléspectateurs ou, plus modestement, censé leur changer les idées. Il y est question de femmes qui accomplissent des exploits en solitaire. En vrac, l’une a traversé le désert à moto, l’autre a vécu au fond d’une grotte souterraine pendant trois mois, la troisième, qui est chamane, jeûne deux jours sur trois et apprend aux gens à marcher pieds nus. Voyant cela, je me dis que je ne serai jamais célèbre et que je ne serai jamais invitée à une émission tv. Le seul risque que je prends, c’est de sortir le chien en période de pandémie.

– C’est mon tour ! dit mon mari.

Il prend la panoplie du survivaliste moins le fusil et s’en va, Caïpi sur les talons.

Point final.

Aussitôt qu’il est sorti, je m’installe devant mon ordinateur et j’écris à Jean- Jacques.

Un quart d’heure plus tard, j’ai sa réponse :

 » Qu’est-ce qui te prend ? Tu baisses ! C’est quoi cet article ? Je ne peux pas le donner à l’impression ! Je t’ai demandé du sérieux, du simple à comprendre, tu dois plaire à nos lecteurs… C’est quoi ce style pour Parisiens ? Notre lectorat est composé de régionaux.  Tu n’écris pas pour Paris- Match ! »

Jean- Jacques, c’est le rédacteur en chef de notre feuille de chou locale. Le télétravail avec lui, ça fait longtemps que ça dure. Est-ce qu’il cherche à me virer ? Il faut s’attendre à tout.  « Le journal traditionnel, c’est foutu ! » Clame-t-il à qui veut l’entendre. En attendant cette catastrophe annoncée, il m’a demandé d’écrire un papier sur le thème :  » Mon coronavirus au quotidien. » Apparemment, mon texte ne le séduit pas.

  » J’attends un nouvel article dans une heure, sinon on fera sans toi », précise-t-il en caractères Arial gras.

Bon, je vais lui résumer les infos, advienne que pourra.

J’éternue une fois, deux fois, trois fois dans mon bras replié. J’ai mal à la tête. Pourvu que je ne sois pas malade !

FIN

Michèle Makki

Genève, 3 avril 2020

Le docteur Jacques Fiorentino est interviewé sur le Covid 19 par Medisite

Coronavirus : peut-il se transmettre par les billets de banque ?

Opération Coronavirus, la nouvelle de Gérard Muller : un voyage avec retour

Un voyage avec retour par Gérard Muller

Un halo. Un halo au fond de mes pupilles. Un halo qui grossit peu à peu, pour devenir moins flou. Je commence à discerner un tube, puis un autre tube, puis une machine électronique, et enfin une chambre blanche, sans aucun tableau sur les murs, nue comme une toile de Malevitch.

Un bruit. Un bruit régulier, comme une respiration de quelqu’un qui s’efforcerait à de larges inspirations. Je réalise alors que ce souffle vient de mes propres poumons. Mais je ne sens aucun mouvement d’air. Alors je porte ma main droite à ma bouche. Celle-ci est obstruée par quelque chose. Du plastique. Un masque ! Un masque prolongé par un tube. Un masque qui couvre mon orifice buccal et mon nez. Je respire dans cet appareil.

Alors mes neurones commencent à se connecter via mes synapses. Un travail de fond se réalise pour en relier des millions. Pour essayer de comprendre où je suis et ce que je fais là. Ma mémoire est sollicitée, comme un puits au fond duquel un récipient serait envoyé à maintes reprises. À force d’être interpellée, à force de ramener à chaque fois un peu d’information, un peu de ce liquide vital, un dessin prend forme. Lentement, mais avec de plus en plus de précision : je me trouve dans une chambre d’hôpital.

Cela me revient. J’ai été testé positif au corona virus. Cette saloperie. D’abord de la fièvre, des courbatures, un essoufflement qui accompagne le moindre mouvement. Et puis la toux, une toux sèche qui déchire les poumons. Le lendemain matin, d’horribles douleurs dans la poitrine. 40 °C. Tout va alors très vite : le SAMU, l’ambulance, l’hôpital où des soignants déguisés en cosmonautes m’accueillent, s’affairent autour de moi. Ils me branchent à de l’oxygène. Augmentent la pression et le débit toutes les heures. Prennent mon pouls. La quantité d’oxygène dans mon sang diminue comme le niveau d’eau dans un oued après la pluie. Soudain, c’est la panique. Six personnes autour de moi. Elles me soulèvent, me retournent, me perfusent, me parlent, mais je n’entends plus rien. Ma tête se vide. Et puis plus rien. Plus aucun souvenir. Ma vie s’est arrêtée là.

Où suis-je maintenant ? Aucune agitation dans les couloirs. Aucun bruit, sinon celui de ma respiration et du cliquetis envoyé par la machine à côté de moi toutes les cinq secondes. À travers la fenêtre, des nuages et le soleil qui joue avec les ombres. Dans le ciel, aucun avion. Seuls quelques oiseaux de passage.

Je commence à avoir faim. Et soif, mais je n’ose pas bouger, étant relié à trois perfusions. Sous les draps, un corps étranger. Je les soulève pour découvrir une sonde connectée à mon sexe. Au bout de mon index, une sorte de pince accolée à la machine. J’observe les cadrans lumineux. 78. Certainement la fréquence de mon pouls. 94. Le taux d’oxygène dans mon sang. À moins que ce soit l’inverse.

J’entame alors un bilan de ma santé corporelle. Plus de douleurs thoraciques. Apparemment plus de fièvre. Plus de gêne respiratoire. Un calme souverain dans mon esprit. Serais-je guéri ? Serais-je revenu de cet enfer ? Sauf si je suis drogué ! Ou déjà au paradis ! Non, il n’y a pas de perfusions au paradis !

La porte de la chambre s’ouvre. Une infirmière me sourit, malgré le masque qui recouvre son nez et sa bouche. Déguisée de pied en cape, elle observe les cadrans, vérifie le niveau des poches, soulève mon drap pour examiner ma sonde, avant de m’adresser la parole.

Je ne comprends absolument pas ce qu’elle me dit. Dans quelle langue me parle-t-elle ? S’il s’agit d’une langue ! Comme je plisse mon front pour lui signifier que ses propos ne sont pas décodés par mon cerveau, elle réitère ses propos. Toujours aussi impénétrables.

Ce n’est pas de l’anglais, j’aurais alors compris. De l’allemand ou une langue de cet acabit. Oui, cela doit être de l’allemand. Maintenant, j’en suis presque sûr. Je hausse légèrement les épaules pour lui signifier que je ne parle pas son dialecte. Elle semble me comprendre, et me fait signe qu’elle va revenir. Elle jette un dernier coup d’œil sur les appareils, pose la main sur mon front, et semble rassurée avant de quitter la chambre.

Où suis-je ? En Alsace, où les gens parlent encore un dialecte à base d’allemand ? Non, une infirmière parlerait le français. Alors en Allemagne ! Qu’est-ce que je fais dans ce pays, alors que j’ai été hospitalisé dans la banlieue parisienne ! La France aurait-elle été envahie une nouvelle fois ? Ai-je été le jeu d’une faille spatio-temporelle dont l’univers a le secret ? Ai-je été télétransporté à l’occasion d’une fluctuation quantique ?

Ces réflexions tournent en boucle dans mon cerveau, alors que la porte s’ouvre à nouveau. Mon infirmière réapparaît, toujours aussi souriante et masquée, en compagnie d’une autre femme plus âgée, mais autant harnachée.  Elle se dirige tout de suite vers moi pour m’annoncer :

— Comment allez-vous Monsieur Delponte ?

Il me faut quelques secondes pour comprendre qu’elle m’a parlé en français et qu’il s’agit bien de mon nom.

— Je me sens bien. Reposé, un peu fatigué mais serein, m’entends-je dire dans le plastique qui recouvre ma bouche.

Ma voix se perd dans l’oxygène, et je suis sûr que mon interlocutrice n’a rien entendu.

— Monsieur Delponte, j’ai le plaisir de vous apprendre que vous êtes guéri. Totalement guéri et que vous allez pouvoir rentrer chez vous dès demain matin.

 

Je lui fais signe que je souhaiterais lui poser quelques questions, mais que j’en suis empêché par le masque qui couvre mon visage. Elle se tourne vers l’infirmière qui, d’autorité, ôte l’objet en question. Une sensation de fraîcheur m’enveloppe instantanément, comme si je sortais pour la première fois dehors à la fin de l’hiver.

— Nous allons pouvoir vous entendre maintenant, m’annonce-t-elle.

D’une voix qui sort d’outre-tombe, tant elle est caverneuse et métallique, je me lance :

— Pourriez-vous me dire ce que je fais ici, en Allemagne ? Car je suis bien en Allemagne, non ?

Un rictus de satisfaction traverse le tissu qui abrite ses lèvres.

— Vous vous trouvez effectivement en Allemagne. À Heidelberg, plus précisément. Vous y avez été transféré en hélicoptère, il y a maintenant trois semaines, car votre hôpital était plein. Ceci s’est effectué dans le cadre d’échanges entre nos deux pays.

Un chiffre attire tout de suite mon attention.

— Trois semaines ! Mais qu’ai-je fait durant ces trois semaines ?

— Vous avez été plongé dans le coma et vous avez été sous respirateur artificiel. Mais vous vous en êtes sorti tout seul, et nous sommes très fiers de vous, car vous êtes le premier dans cette clinique à réaliser cet exploit !

 

Ses paroles cheminent lentement dans mes cortex cérébraux, avant que je ne saisisse toute leur portée. Trois semaines de coma artificiel ! Trois semaines de trou noir ! Comme si une divinité avait effacé pour toujours trois semaines de ma vie !

— Aurais-je des séquelles ?

— Vraisemblablement non. Regardez comment vous réagissez tout à fait normalement.

L’entière dimension de ce qu’elle vient de m’annoncer m’apparaît alors complètement.

— Je… Je remercie toute l’équipe qui a réalisé ce… miracle… Je ne sais pas comment vous remercier… Je…

Une larme profite de cet instant pour couler sur ma joue, ce qui entraîne par mimétisme un sourire ému sur le visage des deux femmes qui me font face.

— Nous n’avons fait que notre métier, Monsieur Delponte. Nous n’avons fait que notre devoir.

— Tout de même, je… murmuré-je alors que ma voix se perd dans un sanglot.

 

Comme nous prolongeons cet échange émotionnel, un homme entre dans la pièce, transportant une housse de vêtement. L’interprète se retourne vers moi pour m’annoncer :

— Voilà votre costume pour demain. Comme vous avez maigri de quinze kilos, nous vous en avons fait un sur-mesure.

— Un costume, mais pourquoi faire ? Ne m’avez-vous pas dit que je pourrai sortir demain ?

— Tout à fait. Mais avant cela, il y aura une petite fête.

Comme mes yeux semblent vouloir sortir de leurs orbites, elle m’annonce :

— Comme vous êtes le premier Français à sortir des soins intensifs en Allemagne, Madame Merkel et Monsieur Macron viendront demain nous visiter pour fêter l’événement. Événement dont vous serez la vedette, bien-sûr ! Événement qui symbolise l’amitié de nos deux peuples et leur collaboration dans ces moments difficiles.

 

L’énormité de ses paroles m’interpelle au point que je me demande s’il ne s’agit pas d’une farce. À la vue du sérieux qui s’empare des trois visages qui m’observent, je dois me rendre à l’évidence. Un doute s’immisce alors dans mes limbes :

— Mais comment vais-je rentrer en France ?

Un sourire de connivence accompagne sa réponse :

— Dans l’avion présidentiel, évidemment !

 

 

Pandemic 2 « Culte de la mort » par Frederika Abbate

PANDEMIC 2
Printemps : Culte de la mort

Dire que c’est le printemps… Le temps du renouveau, de la reverdie et surtout du retour du soleil pour faire enfin de nouveau le stock de bien-être et de vitamines. Mais on ne peut pas prendre le soleil cette année, à moins d’habiter dans une maison avec jardin privatif ou d’avoir fui les métropoles, loin des gueux qui peuvent attraper la peste, dans sa résidence secondaire avec ou sans piscine mais du moins avec jardin. C’est tout de même idiot ces familles qui s’entassent dans des appartements minuscules, qui ne peuvent même pas sortir les enfants qui, en outre, traînent toute la journée à la maison puisque, figurez-vous, il n’y a pas école. Il faut occuper les enfants. Il faut travailler tout de même, par le si glorifié télétravail et dont il faudrait par ailleurs grandement se méfier, avec des enfants en bas âge qui réclament des jeux et des soins. Dire que c’est le printemps et qu’on ne peut pas en profiter. Dire que des gens ne le verront jamais plus, parce qu’ils sont morts prématurément, bêtement. La mort, c’est toujours bête. Cela fait mal de partir. Cela fait mal à ceux qui voient les gens aimés partir. Mais mourir faute de soins appropriés, faute de masques, faute de lits d’hôpital, faute de respirateurs, c’est comment  ? Je n’ai pas encore trouvé de mots pour le dire. En revanche, il y en a un qui me vient spontanément à la bouche quand je pense à ceux qui ont laissé faire cela. Criminel.

Cette année le printemps a pris une tournure autre. Ce n’est pas le soleil, ce ne sont pas les fleurs qui poussent, les robes fleuries qui nous attirent aux devantures des magasins, les rencontres à l’extérieur entre amis. Ce n’est pas la sensation si agréable de sentir l’air sur sa peau (même s’il est pollué à mort), ce n’est pas l’exposition tant attendue aux rayons solaires bénéfiques. Non, cette année, le printemps c’est  : Les gens qui se battent dans les supermarchés. Les petits mots à des homosexuels, à des infirmiers pour leur dire qu’ils doivent dégager. Les chiens passés à l’eau de Javel, comme si les animaux n’étaient pas des êtres vivants. Les femmes de ménage qui ne peuvent pas travailler et qui auront quoi? Les coursiers qui vont partout, exposés à la maladie, bien obligés de gagner leur croûte. Eux qui ont permis à celui qu’on appelle le président de faire baisser la courbe du chômage et de s’en vanter. Tant pis pour les coursiers s’ils n’ont aucun droit, tant pis pour eux s’ils sont les nouveaux esclaves qui vont livrer ces messieurs-dames. Et puis, n’est-ce pas, il faut bien se faire livrer puisqu’on n’a pas le droit de sortir.

Nous sommes tous en résidence surveillée. Je crois que c’est comme ça que ça s’appelle, quand on est coupables, quand on est persona non grata. On n’est pas mis en prison. Mais on ne sort pas de chez soi. Alors, je me demande. De quoi sommes-nous coupables pour être mis en résidence surveillée  ? Coupables d’être d’éventuels porteurs d’un virus (qui, soit dit entre parenthèses a été causé par la cupidité et la bêtise des humains). Coupables de ne pas avoir eu de masques pour s’en protéger. Coupables de ne pas avoir été avertis à temps (ce n’est qu’une petite grippe qu’on nous disait, pas de quoi en faire un plat). Coupables de ne pas se faire tester, grâce à quoi seules certaines personnes seraient prises en charge et écartées et pas des populations entières. Coupables d’être dans un pays qui n’a plus d’industries, qui est tributaire d’autres pays pour fabriquer des choses essentielles, coupables d’être dans un pays qui a recours à l’étranger pour 80 pour cent des substances de base pour fabriquer les médicaments. Cela fait froid dans le dos, cela. Dire qu’on pourrait nous faire crever en nous privant de ces substances de base. Les médicaments ne pourraient pas être fabriqués.

Il n’y a plus aucun respect pour la vie. Cette année, le printemps, ce n’est pas la reverdie. C’est le culte de la mort.

Ce qui me fait froid dans le dos aussi c’est le meurtre de la pensée. Imbus d’idéologie, tenant à paraître soi-disant larges d’esprit, mais ne faisant en vérité qu’obéir aux mots d’ordre lancés par le pouvoir qui, comme sur un coup de baguette magique, se transforment en belles idées que beaucoup de gens s’empressent de défendre, ces bien-pensants n’argumentent pas quand ils ne sont pas d’accord avec d’autres. Ils leur lancent des qualificatifs injurieux, des anathèmes préfabriqués. Je pourrais en donner la liste tant ce sont toujours les mêmes qui reviennent dans des ritournelles rancies qui, dans le fond,  ne veulent rien dire. Ou bien,  mieux encore, ils interdisent la parole à ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est ignominieux. Au milieu de tout ça, heureusement il y a aussi des gens merveilleux, qui aident les autres, qui s’entraident.

Dire que quand on n’a pas de nouvelles de quelqu’un, on se demande s’il n’est pas mourant ou mort. Ceci est une transformation radicale dans tous nos rapports essentiels. Et je dédie ce texte à tous ceux qui ne reverront jamais le printemps.

2 avril 2020 -17ème jour de «confinement» à cause de la rapacité et de la bêtise des humains.

Opération Balustrade coronavirus : Cours de philo-yoga gratuits avec la Gymnosophe

Durant le confinement,
Anne Bouillon propose des cours de gymnosophie (philo-yoga) gratuits que vous pouvez suivre à 18h sur sa page facebook en direct ici : https://www.facebook.com/lagymnosophe/

Les retombées presse la concernant : https://guilaine-depis.com/category/actu-la-gymnosophe-anne-bouillon/

Pour l’interviewer, merci de contacter guilaine_depis@yahoo.com 06 84 36 31 85

Son site officiel : https://lagymnosophe.com

Son texte pour Balustrade Coronavirus : Un inattendu retrait du monde

par Anne Bouillon, gymnosophe. https://lagymnosophe.com

Une expérience inédite, à laquelle nous ne pouvions sans doute pas être préparés, nous est donnée à vivre depuis le 16 mars 2020. La pandémie a certes quelque chose de millénariste, nous pensions que les avancées de la médecine, de la science et de l’hygiène (si seulement…) nous écartaient pour de bon de cela. On a bien pu imaginer une guerre civile dans notre pays divisé, une guerre mondiale ridiculisant la précédente en terme de cruauté, mais, à la revanche de l’aimable animal qu’est le pangolin, nous n’aurions pas songé, si bien que dans un livre de Science fiction, cela nous aurait semblé trop invraisemblable. Mais ce n’est pas ce point que je vais développer.

Pourquoi le confinement – je ne parle pas de la maladie et de la souffrance – pourquoi le fait de rester chez soi et d’éviter tout contact avec autrui, pourquoi la réduction du monde social au minimum (sauf pour les caissiers, policiers, employés funéraires et personnels soignants – soutenons-les autant que possible) semble-t-il autant angoisser nos contemporains, outre son aspect financier et matériel (quand il n’est pas que pure spéculation) ?

Si l’on est en bonne santé (souhaitons-le, nous n’oublions jamais de nous souhaiter la Santé au Jour de l’An ou quand nous trinquons pendant nos bien aimés apéritifs, rituels que l’on peut regretter actuellement, j’en conviens), qu’y a-t-il de si grave là-dedans ? Notons que les plaintes des gens en pleine forme sont légions, quand les malades, eux, restent fort dignes pendant leur épreuve. A méditer.

Pourquoi la plupart d’entre nous, confinés, ne se réjouit-elle pas que cette injonction à sortir sous peine d’être une loque, un rebut de la société, une merde, dit plus simplement, cette injonction à s’extérioriser, à être « actif », soit abolie et que rester chez soi soit devenu la marque de l’héroïsme ? Outre les apéritifs joyeux, que perdons-nous vraiment sur le plan mystique et spirituel ? (Le vin reste une chose de l’esprit, in vino veritas, ainsi que la compagnie aimable des véritables amis que nous retrouverons bientôt pour tout se raconter et en rire, en attendant, nous pouvons enfin prendre le temps de prendre de leur nouvelle et de les appeler).

Pour les Anciens, l’expérience du désert, de la solitude, était l’initiation préalable à toute élévation spirituelle. Le stoïcien nous enseigne de dépendre le moins possible des autres, Socrate se retire du monde social pour pouvoir atteindre la contemplation des Idées, Jésus part dans le désert quarante jours (c’est le sens du Carême), on trouve aussi cette expérience initiatique nécessaire de la solitude et du retrait du monde dans le Bouddhisme et l’Hindouisme, Nietzsche disait que tout philosophe avait été ermite avant d’être philosophe, le yoga est une pratique solitaire même s’il a une visée collective, et même Sartre, à qui on peut pas donner tort cette fois, définit les autres comme un enfer dans Huis Clos. Insociable sociabilité kantienne : nous ne supportons pas vraiment les autres mais n’arrivons pas à nous passer d’eux.

Ce retrait du monde social qui nous est imposé est en vérité une chance inouïe et inespérée, l’occasion de nous retrouver, voire de nous chercher nous-mêmes pour la première fois, de plonger en soi et de suivre le chemin de nos âmes parfois perdues dans l’agitation perpétuelle, la course effrénée dans vers le néant. Dans cet anéantissement provisoire d’une partie de notre « moi social », il nous est offert la possibilité de nous élever métaphysiquement, spirituellement, de réapprendre à contempler. Cet aspect positif de ce malheur qui arrive à l’humanité n’est pas des moindres. La Terre ne cesse pas de nous demander de ralentir : est-ce au fond Gaïa, la déesse Terre, élémentaire et primordiale qui, à sa manière, sauve l’ensemble de ces créatures, y compris une partie de l’humanité, en nous obligeant à ralentir ? Écoutez le chant des oiseaux, pensez aux dauphins dans les rues de Venise, aux écureuils bientôt à vos fenêtres, aux canards sur le périphérique parisien, observez le silence, la quiétude, retrouvez alors la joie et la sérénité, la sagesse et la grande santé. La santé des hommes n’est que le reflet de la santé de la Terre, disait Héraclite. Alors il est vraiment urgent de s’arrêter.

En tant que docteur en philosophie et professeur de yoga, contrainte comme grand nombre de personne à cesser mon activité professionnelle ordinaire, j’ai décidé de donner tous les jours de 18h à 19h20 un cours en live afin de faire découvrir la philosophie et le yoga, où vous pourrez puiser des clefs pour dépasser vos peurs et retrouver la liberté : la liberté n’est pas dehors, elle est intérieure, elle est en vous.

Informations ici : https://lagymnosophe.com

 

Véronique BERTRAND sensible au combat de Kathya de Brinon dans « PARENTS »

Confinement et violences sur les enfants : une chanson de SOS violenfance sensibilise le grand public

En cette période d’épidémie de coronavirus, si ce dernier ne représente qu’un très léger danger pour les enfants, en revanche, le confinement dans les familles est un vrai risque pour certains.

Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité homme-femme et de la lutte contre les discriminations a annoncé, il y a quelques jours, que les femmes battues pourraient se rendre dans des points d’accueil éphémères situés dans les centres commerciaux, pendant le confinement. Mais que fait-on pour les enfants maltraités ? Ceux qui se retrouvent, en ce moment, 24 heures sur 24 dans leur famille, avec des parents maltraitants, qui humilient leurs enfants, qui abusent d’eux…

Des proches dans 80 % des cas

Il faut absolument protéger, en ce moment, les enfants. Dans 80 % des cas, ils sont maltraités par leurs proches : père, mère, autres membres de la famille, amis… Or, les enfants abusés sexuellement deviennent souvent des parents abuseurs. L’enfant victime refuse de voir ses parents comme ils sont, car cela mettrait son équilibre psychique en péril.

Inceste et coronavirus : une chanson pour alerter

Kathya de Brinon, présidente de S.O.S. Violenfance, souhaite attirer l’attention du grand public sur ce calvaire que vivent certains enfants en cette période de confinement. Elle-même, enfant, à 9 ans a été violée et prostituée par son grand-père. Pour que l’on n’oublie pas les enfants maltraités en cette période de confinement, elle alerte le grand public avec  une chanson dont les paroles et la musique sont de Denise Lengrand. Elle est à écouter sur Youtube.  En voici quelques paroles : « Certains se souviennent des pas qui s’approchaient dans le couloir… Trahir la confiance d’un enfant, le violer c’est lamentable, souiller tout son corps suppliant… Les pères, grands-pères, oncles et cousins, prédateurs vivants menacent enfants et bambins… Toutes ces vies que vous gâchez.
Alors, en cette période de confinement, écoutons les bruits qui nous entourent, les pleurs d’enfants qui nous semblent anormaux et agissons ! Comme le dit Kathya de Brinon « La pédocriminalité n’est pas une maladie contagieuse, pas de virus mortel ! Qu’a-t-on fait pour ces enfants ? Rien, ou si peu. En tout cas, aucune opération d’envergure mondiale comme celle que l’on vit aujourd’hui pour combattre le coronavirus. Et des millions de jeunes vies ont été massacrées, lorsqu’elles ne se sont pas terminées prématurément par le suicide. »

Comment signaler une maltraitance à enfant

Pour rappel, si vous êtes témoin, ou si vous suspectez des violences sur un enfant, contactez d’urgence :

    ▪    Le 119 par téléphone, ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7
    ▪    le site du 119 : https://www.allo119.gouv.fr
    ▪    le 17 en cas d’urgence
    ▪    vous pouvez aussi vous rendre dans une pharmacie, où votre signalement sera enregistré et transmis à la police.

Opération Coronavirus, la nouvelle de Christian de Moliner sur Jasmine Catou

Jasmine Catou et le Covid 19

Je m’étire voluptueusement sur notre canapé, en m’efforçant de reproduire au mieux une posture présentée dans l’émission de télévision, le chat, son maître et le yoga. Je me sens bien, détendue. Je savoure pleinement l’instant présent et le rayon de soleil qui réchauffe mon ventre. Ah ! Maman s’approche de moi en souriant. Ma récréation est terminée, je crois ; elle me saisit et m’affuble d’un drôle de masque, un cône blanc, avant de me porter jusqu’à ma cage de transport. Je savais que je devais sortir ce matin, mais ce déguisement ridicule me surprend et m’exaspère. Ma mère m’a avertie hier que nous étions attendues aujourd’hui dans un studio d’une radio parisienne pour présenter Les enquêtes de Jasmine Catou, le livre dont je suis l’héroïne. Heureusement, les auditeurs ne me verront pas si on excepte ceux qui suivent l’émission sur Internet. Ceux-là se moqueront de moi. L’animateur estime que ses invités se livreront d’autant mieux en présence d’un animal et, malgré mes réticences à quitter le havre de notre appartement, je pensais jusque-là qu’il avait raison. Mais si cet accoutrement est obligatoire pour accéder au studio, je refuse de m’y rendre ! Foi de Jasmine Catou ! 

Je m’agite derrière les barreaux et j’essaye de retirer le masque avec mes pattes, si bien que Maman doit me sortir quelques instants pour me caresser et m’apaiser.

– Je sais, mon cœur : tu es gênée par ce bout de papier, mais il n’est là que pour te protéger du virus.

Maman, voyons ! Je suis une chatte, pas une humaine. Je ne risque absolument pas d’attraper ou de transmettre la maladie. Tu n’as pas pris au sérieux ce reportage que nous avons vu à la télévision sur ce chien de Hong Kong testé faiblement positif au Coronavirus, j’espère ! Je tourne la tête pour lui signifier que je trouve son idée grotesque.

– Pardon, ma chérie, mais Augustin l’animateur a imposé le port du masque à tous ses invités y compris aux deux animaux présents.

Parce qu’en plus, je ne serais pas la seule créature à quatre pattes à participer à cette émission ! Je devrais partager la vedette ? Maman s’est bien gardée de m’en informer de cette cohabitation qui change tout.

Elle me remet dans la cage et s’apprête à son tour. J’ai envie de m’esclaffer en la voyant ainsi harnachée, avec ce papier blanc qui couvre sa bouche, avant de me renfrogner. Je dois moi-même prêter à rire.

Nous partons pour le studio de Radio Tour Eiffel. D’après ce qu’a expliqué Agathe à son amie Armelle par l’intermédiaire du téléphone – elles n’ont plus droit de se rencontrer depuis lundi dernier– Augustin, l’animateur, se gargarise d’être entré en résistance contre la quarantaine ; il essaye de maintenir une grille de programmes proche de la normale. Maman a beaucoup hésité à accepter son invitation du fait des risques encourus, mais elle a choisi d’y aller par conscience professionnelle. Elle estime de son devoir de promouvoir son auteur qui a su mettre en musique mes exploits. C’est aussi sa contribution au maintien du moral des confinés puisque la lecture est l’une des dernières activités permises aux humains avec la télévision, la radio et Internet. J’espère que, pour la récompenser de s’être déplacée, nous gagnerons la sympathie d’un large public.

Nous grimpons à l’arrière du taxi qui nous attendait au bas de chez nous. Je suis d’abord amusée par le spectacle d’Agathe ouvrant la portière de la Mercédès avec la manche de son manteau, avant de me reprocher mon ironie : la situation est suffisamment grave pour qu’on prenne le maximum de précautions. Je dois arrêter d’être sarcastique ; tout n’est pas prétexte à moqueries. 

Paris est vide. Alors que d’ordinaire les rues sont encombrées, que des travaux ralentissent la circulation, nous ne mettons que quelques minutes pour gagner le studio d’enregistrement qui se trouve place du Trocadéro. Après avoir payé à l’aide de sa carte bleue, être sortie du taxi et m’avoir posée avec ma cage sur le sol, ma mère s’est lavé les mains avec un liquide contenu dans un petit flacon. Je n’aime pas l’odeur de ce produit que je trouve trop forte. Je sais : je suis bien grincheuse aujourd’hui et tout m’est prétexte à râler. Ce masque stupide est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Déjà que participer à cette émission ne m’emballait pas même si j’apprécie que les feux des projecteurs soient braqués sur moi. Vous savez comme je suis casanière : je n’aime que notre petit appartement. Allez détends toi Jasmine Catou ! C’est la rançon de la gloire. Cent mille personnes vont entendre parler de toi et de tes exploits. Il faut les convaincre d’acheter notre livre.

Maman appuie sur le clavier extérieur et sur la clinche par l’entremise de son manteau. Une dame est en train de nettoyer le hall, Maman la contourne en se plaquant contre le mur, pour mettre le maximum de distance entre cette employée et elle. En d’autres circonstances, je trouverais ses contorsions amusantes, mais ce matin je dois m’efforcer de garder mon sérieux. Que c’est difficile !

Radio Tour Eiffel est située au rez-de chaussée. La porte du studio est entre-ouverte sans doute pour éviter qu’on ne la touche. Maman la pousse de l’épaule avant de la refermer à demi avec le pied. Les humains sont passés en quelques jours d’un extrême à l’autre : la semaine dernière ils se pressaient dans les parcs si j’en crois les images des reportages télévisés. Désormais ils voient partout des virus grimaçants qui cherchent à sauter sur eux et à les mordre : un vrai film d’horreur, comme celui avec des zombies que Maman a regardé le mois dernier. Enfin je ne suis qu’une chatte, je ne comprends pas tous les tenants et aboutissants de cette situation complexe !

Un homme assis autour d’une table salue Maman de la main et nous convie à prendre place sur un siège placé à un mètre de distance de lui. Il doit s’agir d’Augustin. Un autre invité est déjà arrivé. 

– Docteur Yves de Pérec, vétérinaire exerçant à Neuilly Agathe Boulay et la célèbre Jasmine Catou, nous présente l’animateur.

Je me rengorge. Voilà un homme qui sait parler aux félins !

– Votre livre est amusant, commente le médecin pour animaux, excessif bien sûr, mais nous en reparlerons à l’antenne.

Que voulez-vous sous-entendre docteur avec ce mot « excessif » ? Le poulain de Maman qui rapporte mes aventures n’exagère nullement contrairement à ce que vous semblez insinuer. Hum ! Mon interview ne sera pas une partie de plaisir : j’aurai un contradicteur qui cherchera à me dénigrer. Heureusement, Maman a du répondant.

Un homme tenant en laisse un westie affublé d’un masque aussi comique que le mien, nous rejoint. Voilà sans doute le troisième humain invité. Il s’installe à la dernière place libre. L’animateur fait les présentations :

– Griffouille et Bernard Perroche, professeur de philosophie au lycée Louis le Grand de Paris et auteur de dialogue entre Socrate et mon chien, nous apprend-il.

L’enseignant a un bouc grisonnant hirsute et est mal peigné. Ses verres de lunettes sont sales. Quant à son animal ! En principe il devrait être blanc, puisque c’est la couleur de cette race canine. Mais son poil est emmêlé, et il est roux en de nombreux endroits. Et je ne parle pas de sa barbe : une horreur. Même s’il se disent philosophes tous les deux, ils n’ont pas la classe de notre ami Michel Becker toujours tiré à quatre épingles. Ils me font penser à Diogène, le clochard qui vivait dans un tonneau et qui a répondu à Alexandre le Grand « Ôte toi de mon soleil », alors que le roi lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui. Je tiens cette anecdote de Michel, il l’a racontée à Maman. Je ne manque jamais une occasion de me cultiver en écoutant les convives qui viennent se régaler chez Agathe ou les reportages à la télévision. Miaou, je ne suis pas une chatte ignorante des rues.

Je soupire en regardant les nouveaux venus. M. Perroche et son animal aurait dû faire un effort, aller chez le coiffeur et chez le tondeur. Ils seront filmés et seront vus par les auditeurs qui suivent l’émission sur internet. L’image qu’ils donnent est désastreuse et rejaillit négativement sur Maman et moi alors que, nous, nous faisons attention à notre apparence.

– Nous commençons dans cinq minutes, prévient Augustin.

– Puis-je permettre à Jasmine de quitter sa cage ? demande ma mère. La pauvre va faire de la claustrophobie.

– D’accord si elle reste près de vous.

– Bien sûr. Mon cœur tu ne t’éloigneras pas de moi ? Promis ? Ne va surtout pas réclamer des caresses.

Maman, j’ai compris la situation. Compte sur moi pour rester sage comme une image. 

Ma maîtresse me pose sur le pupitre ; je me redresse et repère la caméra ; je m’entraîne à faire un sourire enjôleur, enfin à ma manière de chatte. Comme je vous l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, j’aime paraître à mon avantage.

– Je vous remercie d’être venus, reprend Augustin. Je trouve important pour la qualité de nos émissions qu’elles soient enregistrées en direct. Nous perdrions de la spontanéité en utilisant le téléphone pour recueillir l’avis des intervenants.

– J’espère, réplique ma mère avec une pointe d’inquiétude dans la voix que cette rencontre n’aura aucune répercussion fâcheuse pour l’un d’entre nous.

– Nous avons pris toutes les précautions, enfin je l’espère.

– Montaigne a quitté son poste de maire de Bordeaux, pérore l’enseignant, juste avant que n’éclate une épidémie de peste. Il ne se cache pas dans ses essais avoir fui la contagion et cette attitude lui a beaucoup été reproché par ses commentateurs. Nous serons donc plus courageux que lui.

Quel prétentieux ! Faire la leçon à Michel de Montaigne ! Si je savais parler, je le lui clouerais le bec.

– L’émission commence, prévient Augustin.

Il entame un décompte avant d’ouvrir le débat en professionnel de la radio. 

– Bienvenue sur l’antenne de Radio tour Eiffel pour notre débat, l’animal et la littérature

Il poursuit en gratifiant chacun d’entre nous de quelques mots aimables ; même Griffouille est présentée comme une chienne lettrée, alors que pour ma part je l’aurais qualifiée de sac à puces.

– Monsieur Perroche, dans votre livre, votre compagnon à quatre pattes tient des propos philosophiques de haute tenue et répond au grand Socrate. Bien entendu, c’est vous qui vous exprimez à la place de votre animal.

Le professeur de philosophie n’a pas le temps de répondre, le vétérinaire intervient et lui coupe la parole :

– L’exercice d’antropo-morphisme réalisé par cet auteur est intéressant tout en atteignant rapidement ses limites ; il prétend présenter le point de vue d’un chien qui réagirait sur des problèmes et des questions essentiels en usant à la sagesse inhérente à son espèce, mais son exposé reste terriblement humain. La logique employée est nullement canine, elle appartient en fait au monde des hommes.

L’enseignant contre-attaque au quart de tour et défend son œuvre. Il emploie des mots abscons, fait appel de grands principes, mais je ne dois être qu’une chatte stupide, je ne comprends rien à ses arguments.

La discussion devient confuse, le vétérinaire et le professeur parlent en même temps, s’empêchent mutuellement de s’exprimer. Il ne manquerait plus que Griffouille ne se mette à aboyer pour que le chaos soit à son maximum. Augustin essaye de reprendre le contrôle de son émission et se tourne vers Maman.

– Et vous Agathe, vous nous présentez des énigmes qui seraient résolues par votre chatte. Évidemment, il ne s’agit que d’une fiction parodique.

– Pas du tout, mon auteur n’a pas écrit une œuvre d’imagination : il a rapporté des histoires réelles.

Le vétérinaire éclate d’un rire sonore.

– Votre chatte ne sait pas parler. Donc ces nouvelles ne sont qu’interprétation et affabulation de la part d’un écrivain à la plume trop prolixe.

Il dresse la liste des prétendues invraisemblances et exagérations qu’il a relevées. Il met en pièces Les enquêtes de Jasmine Catou et Maman peine à me défendre. Comment lui venir à l’aide et faire taire ce praticien trop acerbe ?

J’ai bien une idée qui me trotte dans la tête, mais de quelle façon puis la faire comprendre à mon entourage ? Je rencontre toujours le même problème. Je m’en remets à la télépathie, qui à quelques reprises dans le passé a fonctionné. Je songe très fort à ma solution et me concentre pour toucher l’esprit de ma mère. Hélas le lien ne s’établit pas aujourd’hui ; Agathe ne propose pas le test que j’essaye de lui suggérer. Essayons autre chose. Je traverse la table et vais me planter face au vétérinaire, droite sur mes pattes.

– Pour nos auditeurs, je précise que Jasmine vient de se placer juste devant Yves, s’amuse Augustin. Docteur, vous lancerait-elle un défi ?

– Votre remarque n’a aucun sens. Elle est incapable de comprendre que j’émets des doutes sur ses capacités de détective, car elle est une chatte qui ne décrypte pas le langage humain. Aussi, ne vous lancez pas dans des explications anthropomorphiques, ne vous imaginez surtout pas qu’elle vient protester. Elle s’est approchée de moi uniquement parce que je suis celui qui parle le plus dans ce studio.

Vous vous trompez du tout au tout ! Comment vous le faire comprendre ? Et si je secouais la tête ?

– Yves, j’ai l’impression qu’elle vous dit « non » en hochant sa gueule de gauche à droite, remarque hilare l’animateur.

– N’importe quoi, rétorque M. de Pérec.

– Peut-être attend-elle que vous lui proposiez une énigme à résoudre ? s’esclaffe Augustin. 

Tout à fait ! N’est-ce pas là le meilleur moyen de faire taire ce vétérinaire si catégorique ?

– Votre émission sombre dans le grotesque, proteste M. de Pérec. Un chat détective, quelle absurdité ! Vous nagez en plein délire à l’Ionesco.

– Vous connaissez le but que nous poursuivons, réplique amusé l’animateur, nous mettons en présence des personnalités dont l’approche est totalement différente et nous suscitons ainsi des débats. Jouez le jeu !

– Vous devenez un émule en pire de M. Hanouna.

– Je me dévoue, intervient ironique M. Perroche. Je vais poser une devinette à notre Sherlock Holmes félin : qu’est-ce qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux le midi et sur trois le soir.

Pff c’est facile. Notre ami Michel Becker nous a déjà expliqué lors d’un déjeuner chez Maman le fin mot de cette charade philosophique posée par un drôle d’animal à un roi antique. Je traverse la table et me dirige vers l’enseignant avant de poser ma patte sur sa main.

– Voudrait-elle signifier que la réponse est l’Homme ? s’étonne Augustin.

– Je m’interroge en effet, confirme M. Perroche.

Le vétérinaire hausse les épaules :

– Arrêtez de délirer et cessez de prêter des sentiments humains à cette chatte pourtant banale.

– Elle n’avait pas d’autre moyen de donner la solution de cette devinette, s’insurge Maman. Elle ne sait ni parler ni écrire. 

– Vous seriez-vous tous les trois concertés pour me jouer un tour ? s’interroge caustique le médecin. Avez-vous dressé Jasmine pour qu’elle fasse semblant de résoudre des énigmes ?

Eh ! Je ne suis pas une chatte savante ou un animal de cirque.

– Si vous émettez ces doutes, c’est que vous êtes troublé, rétorque ma mère. Pour emporter votre conviction, donnez-lui à votre tour un mystère à résoudre et elle le fera à sa manière.

– Certainement pas. Je suis un scientifique sérieux et respectable. Je refuse de participer à cette farce.

– Agathe a raison, se gausse Augustin. Un chercheur fait des expériences pour découvrir la vérité, non ? Nous vous suggérons donc d’en effectuer une.

– J’ai lu Les enquêtes de Jasmine Catou, fort amusant du moment qu’on les considère comme une œuvre d’imagination. Cet animal aurait démasqué un assassin, découvert le lieu où se cachait un chien. Je n’ai aucune enquête policière de ce type à lui proposer.

– Dommage, regrette l’animateur.

– J’ai une idée, raille M. de Pérec. Je viens tout juste de perdre mon téléphone. Votre magicienne féline a-t-elle le pouvoir de le retrouver ?

– Oh ! Vous placez la barre fort haute, constate Augustin.

– Jasmine Catou est-elle géniale ou pas ?

– À l’impossible nul n’est tenu !

– En fait je plaisantais. Je n’attends absolument pas qu’elle me restitue mon smartphone. Je ne suis pas envoûté comme vous par cette chatte et ne lui prête pas des pouvoirs extra-sensoriels.

– Avez-vous seulement égaré votre portable ? interroge le philosophe.

Sa voix est empreinte d’hostilité. Sans doute reproche-t-il au vétérinaire d’avoir dénigré les qualités philosophiques de sa chienne.

– Je ne l’ai plus et j’ignore ce qu’il est devenu.

– Quel est le dernier endroit où vous vous souvenez l’avoir eu en votre possession ? demande ma mère.

– Dans un taxi.

– Vous l’avez probablement oublié dans ce véhicule.

– Non j’ai joint la compagnie qui m’a dirigé vers le chauffeur. Il a fouillé sa voiture en vain.

– Un des clients qui vous a suivi l’a peut-être pris, avance le maître de Griffouille.

– Il l’a gardé pour lui alors. Il ne l’a pas donné au conducteur

– De quelle façon est verrouillé votre smartphone ? 

– Par l’empreinte de mon pouce et la reconnaissance faciale. Je suis prudent : j’ai doublé les sauvegardes

– Ces codes seront vraiment difficiles à casser. Si un passager du taxi l’a gardé, il n’en aura pas l’usage, remarque Augustin. Il va s’en débarrasser.

– En effet. Sans doute mon smartphone va-t-il finir dans une poubelle ou dans la Seine.

– Avez-vous malgré tout tenté de faire votre numéro depuis un autre appareil ? Si vous n’avez pas encore essayé, je vous prête mon portable, propose le papa de Griffouille.

– Je vous remercie, mais cela ne servirait à rien. J’avais fermé mon téléphone après avoir raccroché vu je me rendais dans ce studio et que je ne voulais en aucun cas que nous soyons dérangés par un appel intempestif

– Comment avez-vous joint le conducteur, si après le taxi, vous nous avez immédiatement rejoint, interroge soupçonneux M. Perroche.

C’est la deuxième fois que le philosophe exprime des doutes. Cette histoire de téléphone disparu serait-elle une fake-new comme disent les humains, une fausse énigme posée par ce vétérinaire pour me ridiculiser ?

– Je suis passé chez ma mère avant de venir ici, elle m’a prêté son téléphone. Elle a quatre-vingt-dix ans ; avec le covid 19, elle ne sort de plus de chez elle. Je lui ai apporté ses courses de la semaine. Arrivé à son domicile, je me suis aperçu que je n’avais plus mon appareil.

– Avez-vous fouillé chez elle ? s’enquiert Agathe.

– Bien sûr, j’ai regardé si je ne l’avais pas fait tomber dans son entrée, dans le hall de son immeuble ou sur le trottoir devant chez elle. Mais je n’ai rien trouvé.

– Vous avez téléphoné lorsque vous étiez dans le taxi ?

– Tout à fait : à ma mère pour la prévenir que j’arrivais.

– J’en tire la seule conclusion possible :  vous avez oublié votre smartphone dans le VTC, conclut Augustin. Vous n’avez pas vraiment donné une énigme à résoudre à la chatte d’Agathe. Sa solution était évidente depuis le début.

– J’ai fait semblant de jouer votre jeu. C’était une plaisanterie, bien sûr.

– Nous allons alors clore cette parenthèse, avance l’animateur.

Sur une défaite de Jasmine Catou ? Certainement pas. Je saute à terre et frôle Griffouille qui se met à japper. Désolé, mon frère je prends au plus court. Arrivé près de Maman, je pose sur mon postérieur sur le sol et bat l’air avec mes pattes avant, tout en frottant mon museau et mon masque contre le manteau d’Agathe. Hélas Griffouille m’a suivie en grognant et je dois sauter sur la table pour mettre de la distance entre lui et moi, même s’il ne peut me mordre avec son masque. Quel chien stupide !

– Attention à vos animaux, reprenez-les en mains ordonne Augustin.

Maman fait mine de me saisir, sans doute pour me remettre dans sa cage, mais je me réfugie au centre du pupitre.

– Jasmine aurait-t-elle voulu nous faire passer un message ? s’amuse l’animateur.

– Encore une fois : arrêtez de l’humaniser, proteste le vétérinaire.  Elle n’est qu’un animal.

Maman, Augustin : réfléchissez que diable ! Je ne peux plus vous donner d’autres indices : je suis au centre de la table et il vaut mieux que je ne bouge pas.

L’enseignant accroche sa laisse au collier de Griffouille et l’oblige à s’éloigner. En principe avec le confinement, les humains doivent se tenir à un mètre l’un de l’autre. Je culpabilise d’avoir, par ma maladresse exposé Agathe à la contagion.

– Si ma chatte essayait de nous expliquer quelque chose, marmonne Maman, c’est en rapport avec mon manteau.

Oui, tu es sur la bonne voie !

– Madame Boulay, je suis découragé de toujours me répéter : votre minette est dépourvue d’intelligence.

Eh ! Ne m’insultez pas docteur ! 

– Je connais ma chatte, reprend Maman malgré les injonctions du vétérinaire. Elle avait une idée derrière la tête en touchant mon vêtement, mais laquelle ?

Enfin Maman, c’est évident pourtant ! Augustin fronce les sourcils :

– Docteur, comment vous êtes-vous aperçu que vous n’aviez plus votre smartphone

– Il ne pesait plus contre ma jambe. Je le place toujours dans la poche droite de mon pantalon.

– Avez-vous vérifié si votre téléphone n’était pas dans votre loden ? C’est peut-être ce que Jasmine voulait nous suggérer.

– Inutile. À chaque fois, je replace mon appareil dans mon jean.

– Regardez rapidement dans votre parka et changeons de sujet. Nous en avons fait le tour et nos auditeurs vont s’impatienter, tranche Augustin.

Le vétérinaire s’exécute maussade. Il explore de la main dans sa poche droite. Apparemment elle est remplie de d’objets divers qu’il a du mal à identifier, car sa paume reste au même endroit.

– Videz le contenu sur la table, vous verrez mieux grince le philosophe.

– Je ne préfère pas, se défend Yves de Pérec.

Soudain de la stupéfaction se reflète sur son visage.

– Ce n’est pas possible, grommelle-t-il.

Il en sort son smartphone.

– Il n’a aucune raison d’être là. Je ne comprends pas.

– Avez-vous fait autre chose pendant que vous teniez le téléphone, interroge le professeur de philosophie.

– Non, enfin si le chauffeur de taxi, m’a indiqué le prix à payer. J’étais arrivé à destination.

– Voilà l’explication. Vous avez été dérangé dans vos habitudes.

Son ton est ironique. Le chien pousse un petit cri plaintif. Approuve-t-il son maître ? Serait-il moins idiot qu’il en a l’air ? C’est vrai qu’avec sa barbe sale, je l’ai peut-être mal jugé. Je partage les doutes de Griffouille et de son papa : cette histoire de téléphone égaré était-elle véridique ? Ne s’agit-il pas d’une fausse énigme ?

– Le test est concluant, constate l’animateur. Nos auditeurs ont vécu un grand moment de radio : une enquête en direct de notre chatte détective, la grande Jasmine Catou.

– Tout est dans l’interprétation des faits et gestes du félin de madame Boulay, bougonne Yves de Pérec. Je reste sur ma position. Je ne crois pas qu’elle ait découvert quoi que ce soit.

Mauvais joueur va !

– Au public de juger ! tranche Augustin. Monsieur Perroche, pensez-vous que Socrate aurait aimé débattre de philosophie avec Griffouille ?

Quelle question naïve ! Comment auraient-ils pu échanger ? Le philosophe antique aurait été incapable d’interpréter les aboiements de Griffouille même s’il est aussi intelligent que moi. Le vétérinaire aurait eu raison de souligner que le présentateur confond allégrement humains et animaux. Mais il se tient coi pourtant, il est devenu prudent. Jasmine Catou tu as encore triomphé !

 

Christian de Moliner

 

Opération Coronavirus : la nouvelle d’Alain Schmoll

LA CORONOTENTATION D’UN VAGUE VACCIN

— Il va falloir que je te laisse, Werner, parce qu’on m’appelle sur le chantier. Vois-tu, même si ce que nous avions fait ensemble, chez Jonquart, était passionnant, mon activité ici me procure un sentiment de plénitude comme je n’ai jamais éprouvé. Et encore une fois, merci beaucoup pour ta générosité. Je t’embrasse.

— Tu es une femme exceptionnelle, Toni, répondis-je. Je t’admire vraiment. A bientôt.

J’étais sincère. Toni m’appelait depuis Patna, la capitale du Bihar, un état situé dans le nord-est de l’Inde. Après m’avoir cédé la présidence du groupe agro alimentaire qui porte mon nom, elle avait pris la direction d’une ONG indienne et entrepris de construire un hôpital de campagne, afin d’y traiter des malades du Covid-19. Dans une contrée aussi pauvre que le Bihar, le virus se déployait à une vitesse affolante.

Ses remerciements redoublés m’avaient mis mal à l’aise. Certes, la somme que j’avais fait virer sur le compte de son ONG était considérable, même si Axel Tischgart m’avait assuré qu’elle serait déduite de notre résultat fiscal. Je me sentais troublé parce que, pour des raisons beaucoup moins nobles, j’avais accordé des subventions, dont le total était presque équivalent, à des centres de recherches et de laboratoires de Cuba. Des dépenses pour lesquelles je n’avais pu faire autrement que de dévoiler mes intentions à Axel et de lui faire profiter, à lui et à sa famille, du même traitement que pour la mienne.

Il faut dire que j’avais été bien inspiré, le mois dernier, de téléphoner à Camilo, à La Havane. Nous avions été très copains, une quinzaine d’années plus tôt, lorsque nous combattions côte à côte pour la révolution mondiale voulue par Fidel Castro. Les temps avaient changé. Fidel avait disparu, mais son esprit planait encore sur la mémoire des jeunes guérilleros de l’époque.

Dans la République de Cuba, Camilo occupait depuis six ans le poste de vice-ministre de la Santé Publique et l’on sait bien que dans les démocraties vraiment populaires, les vice-ministres ont souvent plus de pouvoir que leurs ministres.

— Hola, Romain ! Comment vas-tu, vieux compañero ? avait-il lancé au téléphone, lorsque nous fûmes connectés.

— Camilo, ça me fait drôlement plaisir d’entendre ta voix, avais-je répondu. Mais il faut d’abord que je te fasse un aveu, mon vrai nom est Werner, pas Romain…

— Ha ha ! Parce que tu crois que moi je m’appelle réellement Camilo ? répliqua-t-il en partant d’un gros rire.

Nous échangeâmes quelques souvenirs. Je m’enquis de son mode de vie, était-il marié, avait-il des enfants ? Il me demanda si j’étais toujours avec Julia.

— Sacré veinard, me balança-t-il lorsque j’eus acquiescé. Maintenant, dis-moi, camarade, j’imagine que tu ne m’appelles pas juste pour prendre des nouvelles de ma famille ou de la revolución. Que puis-je pour toi ?

Je répondis que selon des indiscrétions qui m’étaient parvenues, des chercheurs cubains auraient réussi à isoler une molécule, inhibant, dans certaines conditions, les protéines les plus agressives du coronavirus nommé Covid-19, et que ces protéines se transformaient alors en agents anticorps. J’en avais déduit que cette molécule pourrait être le principe actif du vaccin que le monde attendait désespérément.

— Je vois que tu es bien informé, camarade, dit-il sèchement après un silence.

Je respectai à mon tour un silence, avant de reprendre la parole d’un ton mièvre.

— Ils ont beaucoup de chance, ceux qui parviennent à mettreleur famille à l’abri.

À nouveau, un silence pesant, que je me gardai bien de rompre. Je l’entendis grommeler, puis il reprit.

— Je me souviens du jour où tu m’as sauvé la vie, camarade. Et donc je vais te faire passer en Europe de quoi vacciner une vingtaine de personnes. Mais tu n’ignores pas que notre pays manque cruellement de moyens. Et comme moi aussi je suis bien informé, je sais que tu es devenu un homme très riche. Alors je vais t’adresser une liste de comptes bancaires d’instituts qui me sont rattachés, avec les sommes que tu vas leur transférer.

J’eus un choc lorsque je fis le total des montants qu’ilm’indiqua, mais je m’exécutai sans discuter.

Deux semaines plus tard, il me rappela pour s’assurer que le précieux élixir me soit bien parvenu.

— Tu sais, me dit-il, à part toi, il n’y a qu’une seule autre personne, hors de Cuba, à avoir reçu de quoi faire vacciner sa famille.

— Sans indiscrétion, qui est-ce ?

— Le président américain. Pourquoi crois-tu qu’il se soit mis à serrer les mains de tout le monde ?