Participez aux événements organisés par Balustrade en avril 2023

Participez aux événements organisés par Balustrade en avril 2023 et venez à la rencontre de nos auteurs en dédicace :
Entrée libre et gratuite – Contact presse, inscriptions et renseignements : guilaine_depis@yahoo.com

Participez aux événements organisés par Balustrade en avril 2023 et venez à la rencontre de nos auteurs en dédicace :
Entrée libre et gratuite – Contact presse, inscriptions et renseignements : guilaine_depis@yahoo.com
Mercredi 19 avril à 18h30
Soirée de lancement du pop-roman de Gérald Wittock « 1m976 », en musique évidemment !
Puisque Gérald Wittock auteur-compositeur nous agrémentera la soirée littéraire de piano.
Hôtel La Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris, inscription par sms au 06 84 36 31 85 pour prévoir le cocktail offert à la fin
***
Mercredi 26 avril à 18h30
Débat sur le Temps physique et métaphysique entre Thierry Paul Millemann, docteur ès sciences et économiste, démontrant dans son livre « Ondes et énergies cérébrales dans la physique quantique » pourquoi nous sommes tous immortels et Jean-Marc Bastière, écrivain et journaliste (groupe Le Monde, Figaro), auteur de « Les sept secrets du temps ».
Hôtel La Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris, inscription par sms au 06 84 36 31 85 pour prévoir le cocktail offert à la fin
***
Ils dédicaceront leurs livres et rencontreront leurs lecteurs
Jeudi 27 avril dès 11h
Babette de Rozières signera « La face cachée de la politique en île de France » au stand 4 C 080 des éditions Orphie, Porte de Versailles et ce durant la Foire de Paris
***
Jeudi 27 avril dès 18h
Pierre Ménat, ancien conseiller Europe de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, ancien ambassadeur de France, signera « L’Union européenne et la guerre » à l’Espace L’Harmattan 21 bis rue des écoles 75 005 Paris
***
Vendredi 28 avril dès 20h, soirée philo Doper son esprit critique
La philosophe Normalienne et agrégée Marylin Maeso a accepté de dialoguer sur le thème de l' »esprit critique » avec Emmanuel-Juste Duits, philosophe enseignant et cofondateur du site Wikidébats, qui souhaite nous apprendre à le doper dans son nouveau livre.
La salle ouvre à 19h, le débat commence à 20h (jusqu’à tard dans la nuit) et chacun doit payer sa consommation d’alcools et d’amuse-bouches. L’endroit est magique : La Caverne de Yo, 65 rue Saint-André des Arts 75 006 Paris et vous ravira ! (attention, il faut impérativement s’inscrire car le nombre de places est très limité et il y a un code secret qui sera envoyé en guise de validation d’inscription pour pouvoir accéder à la Caverne de Platon (ou d’Ali Baba…)…) Merci à Yolaine Vignaud d’accueillir la soirée

 

Le premier « pop roman » de Gérald Wittock : « 1m976 », parution avril 2023 (autisme, musique, New-York)

La Balustrade de Guilaine Depis vous propose pour la période janvier / juin 2023 : 
Le premier « pop roman » : 1m976 de Gérald Wittock 
aux éditions The Melmac Cat
 
Parution avril 2023
 
Pour interviewer Gérald Wittock, merci de contacter guilaine_depis@yahoo.com / 06 84 36 31 85
 
* Visitez les seventies en ascenseur 
* Les pouvoirs surréalistes des chansons
L’histoire : Teddy Murrey est un jeune blanc immergé dans le Bronx des années 70. Enfermé dans un appartement sombre et vétuste, il est séquestré par sa mère et vit au cœur de ses psychoses. Lorsqu’elle disparaît, le 1/m9/76, il se retrouve livré à lui-même. Ses déplacements « musicaux » dans un ascenseur devenu fou se situent entre le réel et la peur.
 
Le « pop roman » est un nouveau courant littéraire né ailleurs(s), par lequel les auteurs marient la musique pop à leurs récits, et où la discographie tient lieu et place de bibliographie. L’insertion de QR codes rend la navigation vers les escales des vidéoclips plus intuitive. Ces temps morts, comme des publicités vivantes, ont leur importance dans le rythme et la compréhension de l’histoire. 
 
Le déclic : notre monde décèle de plus en plus tôt – et donc de plus en plus – d’enfants avec un QI « anormal » qu’on appelle « autistes » ou qu’on dit atteints du syndrome d’Asperger. (…) À travers le regard froid du jeune héros surdoué et asocial dans le New-York des années 70, on découvre les premiers revers consécutifs à la guerre du Viêt Nam, les grosses berlines malgré la crise pétrolière, la drogue, la téléréalité, le racisme et l’exploitation industrielle des animaux, la libération sexuelle et les sectes, la torture et la prostitution.
L’auteur : Gérald Wittock est un auteur-compositeur né à Rome en 1966. Il a énormément voyagé et vécu dans de nombreuses villes dont New-York. Diplômé HEC à Bruxelles, il crée sa maison d’édition et de production audiovisuelle et signe le disque d’or Make LuvDescendant direct de Lucien Bonaparte et fils du bibliophile et fondateur de la Wittockiana, le musée des Arts du Livre et de la Reliure, il en est l’administrateur
Grand lecteur de Murakami, aimant le fantastique, il avait auto-édité en 2021 quatre nouvelles réunies dans Le Diable est une Femme.

Grand entretien de Gérald Wittock et Sabine Prokhoris sur le Me Too

L’ère #MeToo, quelle société pour demain ?

De gauche à droite : Gérald Wittock, Sabine Prokhoris et Marc Alpozzo

Entretien avec Sabine Prokhoris et Gérald Wittock

Par Marc Alpozzo, philosophe et essayiste

Une nouvelle génération de féministes agite la société française aujourd’hui. Avec le phénomène de masse #MeToo qui nous est venu des États-Unis, et qui a inspiré chez nous #BalanceTonPorc, les relations hommes-femmes ont été remises en cause.

Si certains pensent que c’est une avancée positive de la société, et que cela représente un mouvement social encourageant la prise de parole des femmes, en matière de viol et d’agressions sexuelles, ce que l’on peut saluer en effet, il serait toutefois un peu facile, voire réducteur de ne pas voir aussi, dans ce nouveau phénomène, les chasses à l’homme qui ont eu lieu, notamment dans les milieux médiatiques et politiques, faisant de toute accusation sur les réseaux sociaux ou dans les médias une preuve absolue de la culpabilité de celui qui était dénoncé par la vindicte.

Or, si l’on analyse cette dérive, qui consacre le temps médiatique au détriment du temps judiciaire, et qui dépossède les tribunaux au profit des supposées victimes, qui se font vengeance sur les réseaux sociaux, nous ne faisons pas seulement face à un progrès en matière d’égalité hommes-femmes, mais nous plongeons dans une nouvelle société, où les procès staliniens remplacent progressivement les procès équitables, et où le hashtag suffit à faire condamner la personne visée. Or, que cherche cette nouvelle vague de néoféministes ? Cherche-t-elle des purges ? À fonder un homme nouveau, en gommant les différences sexuelles, les relations amoureuses, la virilité, en criminalisant le désir masculin ? Avec Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste, (Le mirage #MeToo, Le cherche-midi, 2022) et Gérald Wittok, musicien et romancier, (Le diable est une femme, Éditions Verrone, 2021) nous avons fait un tour de table, afin de réfléchir à cette nouvelle forme de judiciarisation des rapports sociaux.

L’accusation vaut preuve

Marc Alpozzo : Il est dans l’air du temps, de remettre en cause la prescription en matière de viol ou de pédophilie avérée. Ne trouvez-vous pas dangereux que l’on veuille remettre en cause un des piliers du droit, avec la présomption d’innocence, qui permette au moins la pacification de la société, car avoir la possibilité de porter plainte sans aucune date limite, n’est-ce pas justement renoncer à refermer les dossiers et panser les plaies ?

Gérald Wittock : Je pense que nul ne peut faire justice à soi-même, mais qu’aujourd’hui, on est en train d’aller droit dans cette voie-là. Une voie tragique pour les victimes qui s’exposent et se retrouvent livrées aux regards indiscrets et avides des spectateurs du web, ainsi que les présumés coupables, pris dans les filets du net. Le mouvement #MeToo ne met pas en cause ces présumés coupables, il les met directement à mort.

Les réseaux sociaux ne peuvent pas prendre la place du droit. C’est redonner vie à l’intifada, aux tribunaux populaires et populistes.

Sabine Prokhoris : « Présumé coupable », ça n’existe pas en droit – et heureusement ! En l’occurrence, ils ne sont même pas présumés coupables, mais d’emblée déclarés coupables. 

Marc Alpozzo : Sabine, la Cour de cassation a confirmé le 11 mai dernier, les décisions de la Cour d’appel à propos des plaintes en diffamation, respectivement d’Éric Brion contre Sandra Muller, et de Pierre Joxe, accusé sur Twitter, puis dans L’Express, d’une agression sexuelle commise sur la personne d’Alexandra Besson (dite Ariane Fornia). Or, dans une tribune parue dans la Revue des deux mondes[1], et à laquelle je renvoie le lecteur dans une note de bas de page, vous écrivez que « Les juges du droit ont décidé de délivrer à toutes les femmes de France un permis de diffamer en bonne et due forme : le droit de prononcer la mort sociale de qui aura été décrété “porc” par la “libération de la parole” des femmes ». Pour être plus clair, dans ces deux affaires, Sandra Muller et Alexandra Besson avaient été sévèrement sanctionnées en première instance. Elles avaient fait appel de leur condamnation, et la Cour d’appel leur avait donné raison à l’une et à l’autre, sur des motivations en plusieurs points contestables, dites-vous dans Le Mirage #MeToo[2]. Pierre Joxe, comme Éric Brion, s’étaient donc pourvus en cassation. Or, la décision de la Cour de cassation de confirmer la décision en appel, montre que les juges du droit ont octroyé un chèque en blanc à toutes les femmes, dans la position victimaire, de calomnier, de dénoncer, et de tuer socialement quiconque. Voilà ce que vous dites. #MeToo, ce sont des femmes certes violées, mais on y aussi trouve aujourd’hui, une telle porte ouverte à toutes formes de procès, que cela donne l’impression que n’importe quelle femme ayant envie de se venger de son amant, ou de son mari, ou de quiconque, peut créer son hachtag #BalanceTonPorc, et c’en est fini de la personne qu’elle vise.

Sabine Prokhoris : Cette confusion est effrayante en effet. Quant au « débat d’intérêt général », qui porte sur l’importance du féminisme, en effet indéniable, la Cour de cassation, dans les affaires Brion (#BalanceTonPorc) et Joxe (accusation d’agression sexuelle, exclusivement sur les réseaux sociaux et hors de tout dispositif judiciaire) l’a interprété dans les termes qui sont dictés par le mouvement #Metoo. (Je renvoie les lecteurs à mon article : « Diffamer, pour la bonne cause ») Autrement dit l’idée de continuum des V.S.S. (Violences Sexistes et Sexuelles), le patriarcat systémique, etc, ce qui est particulièrement discutable, au regard de l’histoire – et de l’importance – du féminisme.

Je dirais, pour résumer mes analyses, que #MeToo c’est : accusation vaut preuve + confusion à tous les étages + paranoïa sexuelle. Un cocktail plutôt empoisonné…

Gérald Wittock : Ce qui m’inquiète, c’est que de plus en plus, quand il y aura des prises de position de la Cour de cassation, elle devra trancher sur base du droit. Mais il faut d’abord se dire qu’il y a des juges, et s’ils ne trouvent pas la solution dans les textes de lois, ils vont regarder la jurisprudence. Et aujourd’hui, puisque #Metoo a cinq ans, la liste de la jurisprudence influencée par la médiatisation « orientée » des procès, est énorme. Un juge, en toute bonne foi, va devoir trancher par rapport à une jurisprudence parce qu’il y a un vide juridique. Pour moi, le premier point à condamner, c’est qu’aujourd’hui, la surmédiatisation qu’on fait de l’usage de #Metoo et de #BalanceTonPorc, est préjudiciable à l’humain. On se trouve au départ avec une victime, ou une victime présumée, mais au final, on se retrouve pour sûr avec deux victimes. Et en plus de cela, on n’a rien réparé. Si, aujourd’hui, vous regardez le nombre de viols, je veux parler du nombre de viols réels, qui sont traités dans les tribunaux, et qui vont entrainer une peine justifiée, il n’a pas augmenté en cinq ans. Les tribunaux sont inondés de fausses déclarations. Alors, bien sûr, la violence et l’inceste doivent être davantage et mieux combattus, mais ce qui me révolte, c’est principalement cette notion d’emprise. De quoi parle-t-on ? Je vais vous le dire : lorsque j’écrivais Le diable est une femme (Éditions Vérone, 2021), eh bien, j’étais précisément sous l’emprise de femmes. Par exemple, la beauté de la femme a représenté, représente et représentera, de tout temps, son pouvoir sur l’homme. J’ai écrit ce premier roman parce que précisément, j’étais dépendant de cette beauté. Et donc des femmes. Si demain, il y a une femme qui va coucher avec quelqu’un pour accélérer sa carrière, et qui ira ensuite porter plainte en dénonçant une forme d’emprise, on peut tout de même lui rétorquer qu’elle avait plus de dix-huit ans, qu’elle était en pleine possession de ses moyens, et qu’elle était donc maîtresse de ses décisions. Ce qu’elle a fait, résulte d’un choix. J’ai, pour ma part, choisi d’orienter ma vie par amour des femmes. Qui m’ont certes fait souffrir. Mais je ne vais pas maintenant me plaindre, car cela résultait d’un choix, le mien, et uniquement du mien. Je ne vais pas faire à ces femmes un procès de belle gueule.

Marc Alpozzo : Je crois que l’on est nombreux à pouvoir dire cela, Gérald, moi-même, je me sens sous l’emprise de mon épouse, et j’en suis ravi, et elle pourrait faire, j’en suis sûr, ce qu’elle veut de moi. Il me semble que ce n’est rien d’autre que la définition de l’amour. Quand nous tombons amoureux, nous tombons sous le charme d’une personne, et parler à ce moment d’emprise, c’est tout à fait pertinent, mais reprendre d’un point de vue judiciaire ce terme, c’est excessif, et même dangereux. Or, ce que j’entends dans vos propos, Gérald, c’est que vous nous parlez de ce que jadis, on appelait « l’homme à femmes ». C’était un homme valorisé par les hommes, mais précisément par les femmes. C’était un séducteur. Or, aujourd’hui, il semble que l’homme à femme, déchu de son piédestal, n’est plus rien d’autre, dans les yeux de ces nouvelles féministes qu’un prédateur sexuel, un être vulgaire et immoral, qu’il faut purger en urgence.

Sabine Prokhoris : L’usage paresseux et fallacieux de la notion d’emprise dans la vulgate #MeToo qui se répand dans les médias, et surtout dans l’institution judiciaire, de plus en plus perméable aux éléments de langage de cette idéologie, est aujourd’hui extrêmement préoccupant. (Je renvoie les lecteurs à mon article « Prenons garde aux sirènes »). C’est le joker absolu, comme l’a bien compris une avocate militante qui lors d’une audience a proclamé : « l’emprise, ça plie le dossier ». Donc plus besoin de preuves, plus besoin de qualifier les faits ; il suffit de crier à « l’emprise »

Cela dit, bien entendu que des relations d’emprise, très destructrices, cela existe. Mais ce n’est pas ce que la propagande des « victimologues » nous vend. L’emprise, ce n’est pas l’arme du « « prédateur » contre des « proies » prédestinées à l’être par leur place dans le « système de domination patricarcale ». C’est une relation complexe, qui implique deux pôles actifs quoique non-symétriques. C’est un rapport addictif à un certain type de lien illimité. Et comme on sait, se dégager d’une addiction, ce n’est pas une mince affaire. A fortiori si ce n’est pas une addiction à un produit, mais au lien à un autre. J’ai dans Le Mirage #MeToo consacré plusieurs pages détaillées à cette question.

Mais il n’y a pas seulement l’emprise, dans cet usage dévoyé de notions psys. Vous avez aussi l’amnésie traumatique, la sidération…

Or, il s’agit de concepts complexes. Ils ont bien sûr une pertinence clinique et théorique, et sont utiles pour décrire certaines situations. Mais tels qu’ils sont en mis en circulation par les activistes, ils sont simplifiés à outrance, vidés de leur sens théorique et clinique, pour être fourrés, comme on fourre des choux à la crème, avec une propagande issue des théories fausses et semi-délirantes de la spécialiste en « victimologie traumatique » Muriel Salmona (et d’autres) qui fait autorité désormais. Il faut savoir que cette psychiatre-militante délivre depuis des années des formations à l’école de la magistrature, ainsi qu’auprès d’étudiants en psychiatrie.

Marc Alpozzo : Dans notre précédent entretien[3], Sabine, vous parlez d’une jeune adolescente dans un lycée où vous êtes intervenue, qui a déclaré qu’un regard est un viol. Nous en sommes là aujourd’hui, et cela rappelle étrangement l’affaire Coquerel.

Gérald Wittock : C’est là que le bât blesse. Puisqu’avec #Metoo et #BalanceTonPorc, la machine est en route, et on ne peut plus faire marche arrière. Ce sont des familles brisées, des vies brisées, au nom de quoi, sinon de l’idéologie du « néopuritanisme ».

Sabine Prokhoris : Pour moi, ce n’est pas du puritanisme, il suffit de voir à quel point les accusatrices se délectent des détails sexuels les plus scabreux, les plus excitants, livrés au voyeurisme du public. C’est plutôt un mélange de détestation du sexe, et d’idéalisation très « midinette » de la vie sexuelle, sentimentale, amoureuse en général. On ne peut plus supporter que tout ne soit pas forcément en permanence le paradis dans l’amour. Ni les tourments de la passion, ni les conflits. Alors on revisite ce que l’on a vécu, que l’on peut éventuellement regretter – ce qui peut arriver à tout le monde –, mais en se dégageant après-coup de sa propre responsabilité, et ainsi en se reniant comme sujet de son propre  désir. C’est flagrant dans le livre de Vanessa Springora[4] : son état amoureux, qu’elle admet, n’aurait pas vraiment été le sien, il aurait été le fruit d’une machiavélique « emprise » visant à violer son « consentement » – puisque tel est le titre qu’elle a choisi de donner à son livre –, l’en dépossédant.

Je ne parle pas ici évidemment des viols qualifiés.

Marc Alpozzo : Alors que penser de ce haut magistrat qui nous dit qu’il faudrait faire partir la prescription de la levée de l’amnésie traumatique, vous vous dites que cela devient très grave, non ?

Sabine Prokhoris : Ce n’est juste pas sérieux. On vous dit que durant dix ans, vingt ans, trente ans, quarante ans telle agression serait tombée dans l’oubli, puis un beau jour ça réapparaîtrait. On serait alors « téléporté » (c’est le terme de M. M Salmona) dans le passé. Ce qui est une aberration, non seulement du point de vue de la clinique psychanalytique, que confirme l’expérience commune, mais au regard de tous les travaux scientifiques actuels sur la mémoire. La mémoire déforme, recompose. On n’est pas « téléporté » dans le passé, il y a des choses qui remontent, et elles sont en permanence refabriquées, colorées par toute notre expérience, et par notre présent. Non que les souvenirs soient faux, mais ils sont très fragiles. Ils ne sauraient en aucun cas valoir comme l’équivalent de preuves matérielles, a fortiori lorsqu’ils sont très anciens.

Par ailleurs, l’autre motif avancé pour supprimer la prescription en matière sexuelle est l’assimilation des crimes – voire des délits – sexuels à des crimes contre l’humanité (viol comme « génocide individuel » explique un vague psy, Adèle Haenel = Primo Levi, ose un universitaire tout aussi vague). Ce qui est juste inacceptable  – et a pour effet par ailleurs de reléguer les crimes de sang derrière les viols en termes de gravité.

Au passage, si ce discours sur l’amnésie traumatique était autre chose que des élucubrations militantes, comment se fait-il que les rescapés de camps de la mort se souviennent ce qu’ils ont enduré  ? Ce n’était pas assez traumatisant peut-être ?

Marc Alpozzo : Disons, que l’on assiste aujourd’hui à une forme de déconstruction du droit, qui ressemble de très près à une destruction du droit.

La libération de la parole

Gérald Wittock : Ce qui m’interpelle à notre époque, c’est que l’on parle sans cesse de la libération de la parole de la femme. Mais les hommes sont sommés de se taire. Et c’est aussi l’objet du roman Le diable est une femme : j’ai moi-même subi des violences, l’emprise, et pourquoi devrait-on m’empêcher de parler ? Personne n’a jamais empêché les femmes de parler. Ni n’a libéré leur parole. Cependant, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, l’écoute est différente. Et c’est évidemment très bien d’écouter les victimes. De leur donner la possibilité de s’exprimer. Il y a néanmoins écoute et écoute, si j’ose dire. Vous, les psychologues ou psychanalystes, vous posez en oreille attentive. Autre exemple, au commissariat, la personne qui va prendre note de votre déposition, se doit d’être une oreille attentive. Car c’est à la justice de faire ce travail. En revanche, les médias ne sont pas la bonne écoute, parce qu’il n’y a pas de filtre. Ils ont un haut-parleur derrière l’oreille. On obtient alors une victime qui demeure une victime, qui ne se sentira pas écoutée, et qui ne pourra plus faire marche-arrière. Et donc, dans ce grand tournoiement judiciaire, et surtout médiatique, l’on se retrouve avec deux victimes.

Marc Alpozzo : Précisément, parce que le temps médiatique n’est pas le même que le temps judiciaire. Dans les médias, tout doit aller très vite. On brûle les étapes. Et puis l’opinion médiatique n’est pas la raison judiciaire. Les médias se soumettent en permanence à l’idéologie dominante, et ce n’est pas dans son intérêt de temporiser.

Gérald Wittock : Ce qui me révolte en tant qu’être humain, c’est que l’on a voulu faire de la guerre des sexes, puisqu’on essaie d’effacer les différences entre les sexes. Prenez par exemple le livre intitulé Différents, le genre vu par un primatologue (publié aux Liens qui libèrent) de Frans de Wal, un primatologue ayant longtemps observé les grands singes, les chimpanzés et les bonobos. Que dit-il ? Que c’est évident qu’il y a deux sexes. Il y a le sexe féminin et le sexe masculin. Et on ne peut pas effacer cela. Or, aujourd’hui, on confond sexe et genre. Les jeunes ne savent plus faire la différence, faisant des amalgames et des confusions terribles. Pourtant, en observant ces civilisations primates, chez les bonobos ayant ou non des rapports bisexuels, il peut y avoir une femelle alpha, une femme dominante. Est-ce que cela ne doit pas nous interpeler ? Je me dis que dans notre schéma de civilisation, cela peut être aussi le cas. Pointer du doigt systématiquement l’homme, le transformer d’autorité et sans autre forme de procès, en un prédateur dominant, écrasant les femmes, cela me révolte, parce que c’est d’abord et surtout un procès d’intention que l’on nous fait.

Marc Alpozzo : C’est précisément une société qui se redessine à partir des réseaux sociaux. Les jeunes pensent être à l’an 1 de la révolution sexuelle et du féminisme, alors qu’ils n’ont presque aucune culture de l’histoire du féminisme depuis ses débuts, sauf peut-être ce que les enseignants leur ont dit à l’école, mais c’est maigre. Ils ne savent presque rien d’Olympe de Gouges, de Simone de Beauvoir, d’Antoinette Fouques, de Simone Veil. Et on assiste précisément aujourd’hui, à un endoctrinement par les réseaux sociaux. On le voit parce que les jeunes partagent tous les mêmes codes. Par exemple, la dysphorie de genre est devenue massive. On trouve de plus en plus de transitions, mais sans discernement. 

Sabine Prokhoris : Oui, les médias, à l’heure des réseaux sociaux, c’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Quant à la dite « libération de la parole », c’est un slogan. Tout se passe comme cette parole d’accusation qui se déverse à tort et à travers, soudain sacrée, ne pouvait pas véhiculer aussi bien le faux que le vrai. Ce qui est tout de même un problème.  Alors, quelle parole ? Adressée à qui ? Dans quel cadre ? Pour quoi faire ? En l’occurrence, c’est totalement hors cadre : c’est une « parole » enrégimentée, formatée, stéréotypée, qui s’adresse à une masse indéterminée, sous l’égide  du slogan : « Victimes, on vous croit ! ».

L’on constate aussi chaque jour que la supposée « parole libérée » ne supporte manifestement pas une parole libre, il suffit de voir récemment l’extrême violence des réactions des « féministes » au beau livre que vient de publier l’actrice Emmanuelle Seigner, épouse de Roman Polanski. (Je renvoie les lecteurs à mon artice sur le livre de Seigner).

D’autre part, on peut s’auto-persuader – surtout dans le climat actuel  – que l’on a été « victime ». Pour autant, cela n’est pas nécessairement factuellement vrai. Il suffit de voir à quel point un jaloux pathologique, par exemple, est convaincu (et convaincant). Sa souffrance, authentique, et sa sincérité bien réelle ne sont nullement une garantie de vérité. Et la libération pour lui, ce sera justement de parvenir à se décoller de l’adhésion infernale à sa propre conviction.

C’est bien pourquoi une parole qui allègue une agression ou un viol être véritablement accueillie, entendue, écoutée, mais aussi décryptée. De façons différentes, et avec des enjeux distincts, selon le cadre : psy, ou judiciaire.

Marc Alpozzo : Donc, si je vous résume, la libération de la parole, ce n’est pas la même chose qu’une parole libre.

Sabine Prokhoris :  C’est ça.

La transidentité

Marc Alpozzo : On retrouve cette envie de dire « Moi aussi » dans un autre phénomène de masse qui est la transidentité.

Sabine Prokhoris : Connaissez-vous ce petit livre remarquable du grand sociologue Erving Goffman L’arrangement entre les sexes ? Il écrit que l’on devrait « considérer le sexe, non pas comme une classe d’organismes, mais comme une propriété des organismes ». C’est très important. Vous êtes né garçon ou fille, par hasard. Et même s’il y a un certain nombre de déterminations liées à cette réalité matérielle, dans le champ de la réalité humaine, ce fait, comme l’a très bien montré Simone de Beauvoir (« on ne naît pas femme, on le devient ») se voit interprété, transformé par un certain nombre de réalités socio-culturelles.

Il faut également faut prendre en compte, dans ce que j’appelle le trajet de sexuation, la façon dont l’inconscient se rapporte à cette dimension matérielle, à la « la complication réaliste » pour reprendre ici la très juste expression de Robert Musil.

Cela signifie que la conviction d’être un homme ou une femme, ne dérive pas en droite ligne de la réalité matérielle (anatomo-physiologique), mais est également le fruit d’identifications inconscientes. Pour la plupart des gens, cette conviction coïncide avec la réalité matérielle. Mais pour quelques personnes, c’est en décalage. Chez les véritables trans, ce sont des choses qui arrivent très précocement, par des chemins très mystérieux et d’identifications, et non tout d’un coup à l’adolescence, comme une « révélation » qui n’est  plus souvent que l’expression du mal-être de cette période de la vie.

Dans les processus qu’ils mettent en œuvre, ces trajets de sexuation ne sont pas fondamentalement différents chez les trans et ceux qui ne le sont pas. Sauf que dans les cas, en réalité rares, de transsexuation, la conséquence pratique est beaucoup plus compliquée, à tout point de vue. Tout cela n’a rien à voir avec la propagande transactiviste actuelle, qui brouille considérablement cette question complexe, et est aussi naïve que la vision essentialiste et mécanique de la sexuation.

Gérald Wittock : Je prends un exemple, celui d’une personne que je connais, et dont je ne citerai pas le nom, parce qu’à l’inverse de #MeToo, nous ne citons pas de noms mais rapportons des cas. Cette personne était un homme, et elle a décidé de changer de sexe. C’était un homme marié. Il est devenu une femme, a changé de prénom, et par la suite, il est tombé amoureux d’une autre femme. Mais il a conservé le rôle de l’homme dans le couple. Cela reviendrait à penser qu’il n’y a pas d’âge pour la transsexuation ? Et que les attirances physiques et amoureuses peuvent varier avec le temps et au gré des rencontres ou des situations ?

Sabine Prokhoris : Vous savez, les rôles d’homme et de femme… C’est vraiment très relatif je crois. J’ajouterai, sur ce point, que la plupart, pour ne pas dire toutes les sociétés, ont interprété le fait matériel de la différence sexuée d’une manière qui a assujetti les femmes aux hommes. Ce que Rumbaud a appelé : « le long servage de la femme ». C’est un fait. Le féminisme, c’est précisément s’émanciper d’un tel destin d’assujettissement : avoir un utérus ne vous prédestine pas « naturellement » à faire la vaisselle , à rester cloîtrée à la cuisine et au ménage, à servir les hommes et à leur obéir. Voilà.

Après, pour revenir à la question trans, j’ai quelquefois reçu des jeunes gens, notamment issus de l’immigration, qui venaient me dire vouloir devenir une femme. En réalité, ils n’étaient pas du tout trans, mais homosexuels. Or c’était intolérable dans leur environnement familial, et souvent à leurs propres yeux. Il valait mieux devenir trans pour pouvoir aimer un homme. En Iran, d’ailleurs, la transsexualité est autorisée, et même encouragée dans certains cas, mais l’homosexualité passible de la peine de mort. C’est vous dire.

Le problème principal quant à toutes ces questions en ce moment vient de la confusion sur la question du « genre ». Aujourd’hui, il s’agit du gender, à l’américaine.

Au sens de Goffman ou de Beauvoir, le genre renvoie simplement à la façon dont les sociétés ont traité et interprété la réalité matérielle du sexe. Le genre au sens du gender, et c’est un schéma popularisé par Judith Butler, c’est le produit d’une mécanique de la domination portée par un « récit » (hétéropatriarcal occidental). Ainsi serait engendré « performativement » (c’est-à-dire exclusivement par la toute-puissance supposée du « récit ») le fait d’être garçon ou fille.

Cela donne alors des choses aussi délirantes que le lexique trans du Planning familial, dans lequel vous pouvez lire que le genre est une « classe sociale » (sic), qui « en Occident » (sic) « comporte deux catégories, les dominants (les hommes) et les dominées (les femmes) ». Et quelques lignes plus loin, ceci : « assignation de sexe à la naissance : les médecins décident à partir de normes de longueur du pénis ou du clitoris, si le nouveau-né est un garçon ou une fille ». (Les médecins étant bien sûr les représentants de l’ « hétéropatriarcat blanc occidental » ). Voilà un discours officiel, mais qui est à l’évidence un discours de type psychotique : un pur délire. Or, la propagande intersectionnelle actuelle (dont fait partie la section « trans ») est entièrement prise là-dedans. Déréalisation totale. Autrement dit, déni tant de la réalité matérielle que de la réalité psychique, sociale, historique.

« Dénonce tes potes »

Gérald Wittock : Annie Ernaux a reçu le prix Nobel de littérature, alors que dix ans plus tôt, par une sorte de cabale qu’elle a montée contre Richard Millet, elle l’a privé de sa vie d’éditeur et d’auteur. Si donc, on n’ouvre pas le débat, si l’on prive l’autre de la parole, parce qu’il ne partage pas votre point de vue, ou pire votre idéologie politique, et d’une certaine manière, on est en train de le faire avec #MeToo, on est occupé à construire une société totalitaire. Le journal Le Monde a voulu censurer une publicité que mon éditeur avait payée dans leurs pages, pour le roman Le Diable est une femme, avec comme bandeau, « roman hoministe de l’année ». Ça ne collait pas avec leur ligne éditoriale et l’image féministe qu’ils veulent se donner. Et sur France 2, alors que j’avais été convié pour le tournage de l’émission de la rentrée « Sur le fil », afin de donner la parole à un homme suite aux dérives du #MeToo, ils ont d’abord dit que c’était reporté, puis finalement annulé. Désormais, ils soutiennent que #MeToo n’intéresse plus personne, alors que partout, on célèbre ses cinq ans d’existence. Donc, ce qu’on fait là, en ce moment, cela ne convient pas à ces messieurs-dames, car l’on va à l’encontre de la propagande et des idées qu’ils veulent faire vivre dans la tête des gens. Alors certes, il y a eu Tarana Burke qui a créé, en 2007, une première campagne #MeToo avec de bonnes intentions, mais le format et le canal utilisés par la suite ont forcément donné lieu à des dérives. Dix ans plus tard, à la suite de la « libération de la parole » des actrices d’Hollywood, naît le hashtag #BeBrave, lancé le 5 octobre 2017 par Rose McGowan, et relayé en France, moins de 10 jours après, par la journaliste Sandra Muller et son très chic #BalanceTonPorc.

Même si la propagande #MeToo ne les présente pas comme des dérives, mais plutôt comme des progrès, ne soyons pas dupes. Il est si facile de coller à quelqu’un une étoile jaune sur la toile.

Marc Alpozzo : Et donc, à quoi assistons-nous au début du XXIè siècle, avec cette construction systématique, des sexes, des personnes, Sandrine Rousseau qui veut des hommes déconstruits, du patriarcat, est-ce qu’on peut comprendre cette grande folie humaine ? Que se passe-t-il ?

Gérald Wittock :  Je n’aimerais pas être un adolescent de seize ans aujourd’hui, qui n’a pas déjà eu de relation, tant c’est difficile d’en avoir une avec leur vie devenue virtuelle. Et puis quand ils parviennent à se lancer, on en voit qui se filment pour garantir que la relation a été consentie.  Le fils d’un ami m’a dit qu’aujourd’hui, à l’école, s’il n’est pas au moins bi, il est has been. Il est exclu, puisque les réseaux sociaux ne l’acceptent pas. Alors, qu’est-ce que cela va donner demain ? Par exemple, dans l’entreprise, où l’on a donné une arme dangereuse aux détracteurs, puisque n’importe qui peut déclencher une procédure. Même si le but est politique, parce qu’on veut votre place, ou par pure jalousie. Peu importe si la vérité éclate par la suite. Le mal est fait. Dès lors que vous êtes pointé du doigt sur les réseaux sociaux, vous êtes condamné. Dans tout ce qui est viral, moi, un homme ordinaire, j’entends « virus ». Alors bien sûr, quand on a créé l’Internet, on savait qu’il n’y avait pas de possibilité de contrôle sur les utilisateurs, sur les dérapages et le qu’en dira-t-on. N’importe qui peut vous coller le virus. Donc, je vais employer un mot fort, mais le hashtag #MeToo, c’est le sida du XXIème siècle.

Sabine Prokhoris : Un ami qui enseigne à la faculté de Rouen, m’a envoyé une photo d’un hashtag sur les murs : « Dénonce tes potes ». Ça fait froid dans le dos. C’est le goût du sang, la jouissance des exécutions publiques, celle de mettre à terre quiconque a été désigné comme « ennemi de genre », comme on a pu parler d’ennemi de classe. Il faut relire le saisissant roman d’Anatole France sur les logiques de la Terreur  : Les Dieux ont soif.

Marc Alpozzo : C’est déjà très inquiétant, ce que vous nous rapportez-là. Alors qu’est-ce qui se profile aujourd’hui ?

Sabine Prokhoris : On ne peut pas prévoir l’avenir. On peut seulement constater l’unanimisme ambiant autour de #MeToo, évident dans les célébrations à la soviétique des cinq ans de cette « grande révolution #MeToo ». Il suffit de voir comment  le journal Le Monde a traité cela, sans une once de recul critique. Les institutions, et la classe politique tout entière, de la gauche à la droite, sont imbibées – lâcheté ? irréflexion ? opportunisme à courte vue ? – par cette idéologie, en une fuite en avant, une surenchère au mieux-disant #MeToo, qui en méconnaît dangereusement les conséquences délétères pour la démocratie et dans la vie de quiconque.

En cela, on peut dire que #MeToo est ce que l’anthropologue Marcel Mauss appelait un « fait social total » : cela dire qu’il affecte toutes les dimensions de l’existence, aussi bien privée que publique et institutionnelle.

Alors que va-t-il se passer ? On verra, quand tout le monde se sera trouvé pris dans cette tourmente, accusé n’importe comment ou ayant vu un proche l’être. Quant aux relations sentimentales et amoureuses, nul ne peut prédire qu’il en adviendra… Mais l’horizon est assez sombre tout de même. Crépusculaire, comme le dit très bien l’avocate pénaliste suisse Yaël Hayat.

Marc Alpozzo : On peut donc dire, que ce sont les réseaux sociaux qui transforment notre société, et pas toujours dans le bon sens, mais c’est aussi les institutions et les grands médias, qui en sont la caisse de résonance, ainsi que l’école et l’université et les institutions judicaires, c’est ce que vous dites, si je vous résume bien.

Sabine Prokhoris : On voit effectivement une invasion de tous ces domaines par une idéologie totalement simpliste. Cela ne me rend pas très optimiste pour l’avenir, c’est vrai.

Gérald Wittock : Aujourd’hui, on est beaucoup plus loin que le 1984 de George Orwell. Il faut savoir qui est au-dessus des médias. Qui décide de tout ça ? Qui est notre Big Brother ? Il y a des éléments de langage qui sont diffusés dans la presse, et elle s’aligne sur ces éléments de langage. 

 Qu’en est-il des luttes féministes ?

Gérald Wittock : On cherche à établir l’égalité des sexes dans tous les domaines. Mais les sexes sont d’abord différents, et ensuite, cette parité que l’on recherche coûte que coûte, est avant tout humiliante pour les femmes. Si encore une fois, vous regardez le fondement de la parité dans les entreprises, personne n’en veut en réalité, parce que cela complique tout, et que cela oblige à s’entourer de gens qui n’ont sans doute pas tout à fait le profil pour le poste à pourvoir. Il y a sûrement un dialogue à chercher entre les sexes. Mais déjà, entre un autre homme et moi, celui-ci aura peut-être un autre taux de testostérone, et il y aura forcément des différences. Ce qui veut dire que la parité, c’est déjà du sexisme. 

Sabine Prokhoris : Je ne dirais certainement pas les choses en ces termes, que je trouve, pardon de le dire, assez confus (même si j’ai les plus grandes réserves sur l’idéologie en en réalité non pas tant forcément sexiste qu’essentialiste et différentialiste qui gouverne la revendication de la parité).

Les différences entre les sexes  – pas si importantes en réalité – ne sauraient justifier une quelconque inégalité dans la société. L’égalité des sexes reste pour moi le combat fondamental, et inachevé du féminsime. Mais l’enjeu du #MeToo-féminisme, ce n’est pas l’égalité, c’est le pouvoir – par l’arme vindicative de la « victimitude ».

Marc Alpozzo : On peut donc parler de démission du pouvoir, et il y a sûrement plus d’hommes qui véhiculent l’idéologie néo-féministe que de femmes. Si vous interrogez les femmes, elles sont dans la majorité défavorables à #MeToo. N’est-ce pas là, une sorte d’endoctrinement qui nous vient des années 80-90, parce qu’à l’époque, l’attitude masculine était bien différente d’aujourd’hui. 

Sabine Prokhoris : Ce qui se passe aujourd’hui ne s’inscrit nullement à mes yeux dans la continuité de l’histoire du féminisme. Il s’agit bien plutôt d’une rupture (revendiquée comme telle d’ailleurs par les activistes), d’une tabula rasa, pour la simple raison que le féminisme  passé est vu comme resté prisonnier du « patriarcat systémique ». La preuve de cette (prétendue) aliénation au (supposé) « patriarcat systémique » : Simone de Beauvoir termine le Deuxième sexe, par le mot honni de « fraternité » (entre les hommes et les femmes).

Ainsi #MeToo serait-il l’an 1 du féminisme. Ce qui est une absurdité, doublée d’un mensonge – parfois par simple ignorance, chez les jeunes générations j’ai pu le constater. Et une négation autant de la réalité historique que de la complexité des relations humaines, entre les sexes et entre les êtres humains en général.

Le retournement de la domination

Gérald Wittock : En fin de compte, qui domine qui ? Alice Coffin et son Génie Lesbien me font peur. Les préférences amoureuses ou sexuelles n’ont rien en commun avec le génie.

Sabine Prokhoris : De toute façon, Alice Coffin, c’est intégralement inepte, et d’une indigence intellectuelle absolue. Je n’ai rien à en dire de plus, si ce n’est qu’il est absurde de lui donner autant d’importance. Cette importance démesurée est symptomatique de l’état calamiteux du (pseudo) débat sur le féminisme aujourd’hui.

Gérald Wittock :  Ce qui me gêne, c’est qu’il n’y a plus de respect entre les sexes aujourd’hui. Et on ne trouve aucune compréhension de l’autre sexe chez Alice Coffin, je suis désolé. Je reprends mon exemple de Frans de Wal, que dit-il ? Lorsqu’on observe les primates, il y a effectivement face au mâle et à la femelle, des cas qui ne rentrent pas dans les cases, mais ils vivent dans la communauté et ils sont protégés de la même façon que tous leurs semblables. Et cette minorité-là ne fait pas la loi. Or, si je m’inquiète aujourd’hui, c’est qu’on veut ramener la norme aux lois de la minorité, que la société continue dans cette démence culturelle qui ressemble de très près à une sorte de suicide culturel. Je pense à la déconstruction et la culture de l’annulation (cancel culture). On va tuer Casanova, Don Juan, le séducteur, la séductrice. Et la vie. Car la vie, c’est un homme et une femme qui la donnent. 

Marc Alpozzo : On a bien avancé, et le lecteur sera juge, mais il y a de quoi désespérer de cette époque, où l’on n’est plus dans un vœu d’émancipation. Donc, pour finir, que penser de cette nouvelle vague de féministes, Alice Coffin, Sandrine Rousseau, Clémentine Autain, lesbiennes politiques, qui veulent remettre en cause la sexualité, le patriarcat, et qui n’aiment pas les hommes ?

Gérald Wittock : Si le but, c’est de remplacer la misogynie par la misandrie, c’est triste. Si les femmes ont fait tout ce chemin pour en arriver là, c’est en réalité un simple retournement. Et ce n’est pas ce que voulaient les féministes historiques. Je suis né de cette génération qui a connu les féministes. Et je suis moi-même un fervent féministe. Mais on m’a dit : « Tu dois te taire. Tu ne peux pas être féministe parce que tu es un homme. Tu as juste le droit d’être pro-féministe. Mais en aucun cas, tu ne pourras être féministe. » Je trouve cela scandaleux. Chacun dans sa case ? J’ai envie de dire que, si je suis né avec une cuillère d’argent dans la bouche, pourquoi ne pourrais-je pas avoir des idées sociales ? Car je serais de droite ? C’est d’autant plus curieux comme remarque, que la loi sur l’avortement (qui en réalité dépénalisait l’avortement, mais bon passons), ce n’était pas sous un gouvernement de gauche, mais bien de droite. Ce qui a tout changé, parce qu’à partir du moment où l’on donne l’autorisation au médecin d’avorter, on change la donne. La femme est protégée. Elle ne risque plus sa vie. Ni la prison. Alors, c’est un réel progrès, pour lequel s’est battue Simone Veil, une liberté enfin reconnue aux femmes. Mais on est encore loin du compte : ce n’est pas une liberté hoministe. Peut-être faudrait-il pour cela attendre un prochain gouvernement de droite ? Car lorsqu’un homme se fait faire un enfant dans le dos, il verra, tôt ou tard, éclore son attachement de père à cet enfant, même s’il n’a pas été voulu au départ. Et cela aura un impact sur toute sa vie. Donc, non seulement, vous vous êtes fait « violer », puisqu’on vous a leurré, mais en plus, il n’y a rien pour légiférer pareil cas aujourd’hui. N’oublions pas qu’il n’y a aucune loi protégeant le droit à la paternité qui devrait exister seulement si elle est consentie, comme si les droits des hommes ne comptaient pas. C’est tout le propos de mon prochain roman, 1m976, (Éditions Melmac, Collection Ailleurs(s)).

Donc, le féminisme, d’accord, mais que l’on respecte l’hominisme aussi. En fait, l’on doit penser à l’humain. Peu importe le sexe, peu importe le genre. Il faut respecter ce droit universel. Et la liberté, c’est un principe tellement simple : votre liberté s’arrête là où commence celle de l’autre, quel que soit votre sexe, votre genre, votre confession religieuse ou votre couleur de peau. Donc, ces femmes qui vous disent que seul le génie lesbien compte, et que si vous n’appartenez pas à la caste lesbienne, vous n’êtes pas un génie, sont scandaleuses. Et c’est aussi scandaleux que de dire : « Alice Coffin est une lesbienne et on va donc la lapider sur la place publique. » Enfin, qui accepterait des propos de ce type, au XXIème siècle, en France ? 

Sabine Prokhoris : Ce que je démontre déjà dans mon livre critique sur Judith Butler, Au bon plaisir des « docteurs graves » (PUF, 2017), c’est que ces théories ne s’intéressent pas à la question de l’émancipation. L’enjeu, dans leur logique circulaire quasi-complotiste, et  fortement paranoïaque, c’est le « retournement de la domination ». Ce qui biaise toute réflexion digne de ce nom sur la question des minorités et des discriminations.

Il faut à ce sujet  de toute urgence lire ou relire Stigmate d’Ervin Goffman. Il y montre que le stigmate ne saurait constituer une identité, c’est un regard sur une situation, dont il importe de parvenir à se décaler pour s’en émanciper. C’est tout le contraire que préconisent les « luttes des minorités » aujourd’hui : brandir son stigmate, comme une identité-étendard. Camper fièrement (chacun sa petite « pride » personnelle) dans sa prison, et au bout du compte lutte de tous contre tous. L’enfer assuré.  

Propos recueillis par Marc Alpozzo 

Pour aller plus loin :

« Diffamer pour la bonne cause », par Sabine Prokhoris

« MeToo : prenons garde aux sirènes » de Sabine Prkhoris

« Emmannuelle Seigner : aimer la vérité » de Sabine Prokhoris


[1] « Diffamer, pour la « bonne Cause » » par Sabine Prokhoris.

[2] Voir analyse des décisions de la Cour d’appel in Le Mirage #MeToo, Le Cherche midi, 2021, p. 309 sq.

[3] « Le neo-féminisme est-il un mouvement totalitaire ? », entretien avec Sabine Prokhoris, Entreprendre, 29 août, 2022.

[4] Vanessa Springora, Le consentement, Paris, Grasset, 2020. Dans ce récit, Vanessa Springora raconte comment elle s’est retrouvée sous l’emprise de l’écrivain Gabriel Matzneff, à l’âge de 13 ans, dans la deuxième moitié des années 80.

Kathya de Brinon reçoit Gérald Wittock et Roberto Garcia Saez dans son émission

Entretien avec Gérald Wittock : « Le féminisme a du bon pour autant qu’il respecte l’hominisme »

Entretien avec Gérald Wittock : « Le féminisme a du bon pour autant qu’il respecte l’hominisme »

Gérald Wittock est un auteur-compositeur. Né à Rome en 1966, il voyage depuis son plus jeune âge, ce qui lui permet de parler couramment six langues. En 1992, il crée sa maison d’édition et de production audiovisuelle. En 2005, il monte son propre label, NO2 Records. En 2011, il s’installe à Marseille et il se consacre à l’écriture, après avoir parcouru le monde. Je l’ai rencontré au Petit-Benoît, à la place habituelle de Marguerite Duras. On a discuté de son premier roman, Le Diable est une femme (Editions Vérone, 2022), ce qui nous a entraîné sur les pentes dures de l’idéologie néo-féministe actuelle, et de cette curieuse époque de revendications en tout genre et de diabolisation.

Entretien

Votre livre est un roman divisé en quatre nouvelles, et dont le titre est pour le moins cocasse, et surtout un brin provocateur, Le Diable est une femme. On imagine sans mal le clin d’œil à l’idéologie dominante et néoféministe, qui cherche systématiquement à discréditer le « mâle blanc dominant de cinquante ans » auquel on affuble tous les maux modernes. Pourquoi ce choix ?

Gérald Wittock : Je ne me retrouve pas dans cette société qui fait progressivement marche-arrière et qui anéantit les avancées importantes des idées progressistes et libertaires que nos parents ont défendues à coups de pierres en mai 68. Sans faire de la philosophie politique, que je laisse aux spécialistes du genre, bien plus érudits que moi, je me bats, avec comme arme le second degré et la légèreté de ma plume, contre l’autoritarisme de l’État et d’une Presse à sens unique, qui le sert en épousant et promouvant l’idéologie d’une minorité bienpensante, au mépris de la majorité silencieuse.

Le féminisme a du bon, pour autant qu’il respecte l’hominisme. Je rejoins Joseph Déjacque dans son pamphlet De l’Être-Humain mâle et femelle – Lettre à P.J. Proudhon publié en 1857 : « L’émancipation ou la non-émancipation de la femme, l’émancipation ou la non-émancipation de l’homme : qu’est-ce à dire ? Est-ce que – naturellement – il peut y avoir des droits pour l’un qui ne soient pas des droits pour l’autre ? Est-ce que l’être-humain n’est pas l’être-humain au pluriel comme au singulier, au féminin comme au masculin ? Est-ce que c’est en changer la nature que d’en scinder les sexes ? Et les gouttes de pluie qui tombent du nuage en sont-elles moins des gouttes de pluie, que ces gouttes traversent l’air en petit nombre ou en grand nombre, que leur forme ait telle dimension ou telle autre, telle configuration mâle ou telle configuration femelle ? ».

Je me sens néo-féministe, au sens strict du terme, mais pas pour ses dérives qui conduisent à la haine des hommes et desservent les femmes, puisque j’accepte les différences biologiques entre les sexes, et que je vénère leur complémentarité plutôt que de prôner une quelconque égalité ou supériorité d’un sexe sur l’autre. Je pourrais également me qualifier de néo-antiraciste, puisque je respecte les différences biologiques entre les races, et que j’épouse leurs richesses culturelles et sociales plutôt que d’imposer une illusoire et appauvrissante supériorité de couleur.

Mais je ne cherche nullement à discréditer qui que ce soit en général. Surtout pas le mâle blanc dominant de cinquante ans sur qui, effectivement, la société actuelle, hypocrite et bienpensante, n’hésite pas à tirer. Et pas à blanc, à boulets rouges, surtout quand il a été blessé. Les médias, et donc ceux qui les suivent et les font vivre, retrouvent un malin plaisir ancestral à le lapider sur la place publique. Pourquoi ne juge-t-on pas ces hommes, ou ces femmes, en respectant la présomption d’innocence, entre les quatre murs d’un Tribunal ? Pourquoi tant de publicité gratuite aux dépens des suspects, des coupables et, inévitablement, des victimes (qui parfois s’enrichissent de cette nouvelle et inespérée célébrité) ? Le bourreau, la Presse encouragée par ses lecteurs avides de cancans, ne devient-il pas criminel par la même occasion, en détruisant inutilement la vie d’un homme (ou d’une femme) et de sa famille, en les jetant ainsi en pâture ?

Fort heureusement, je ne traite que de certaines individualités, qui se sont comportées en véritable diablesses, et sur qui je me permets de cogner, en respectant leur anonymat, par lâcheté ou bienveillance, avec des mots bien choisis, qu’elles seront les seules à savoir qu’ils leur sont adressés.

Vous m’avez dit que vous veniez de l’univers de la musique, ce qui se retrouve bien dans la musicalité de votre style, ainsi que le métier de votre personnage principal. Votre roman commence par les 7 vies des chats, ce qui vous permet d’introduire les 7 villes que traversera votre narrateur, de Rome à Paris, en passant par Anvers, Marseille ou encore Londres. Peut-on dire que votre roman soit autobiographique ?

Quel roman n’est pas autobiographique ? En écrivant Le Diable est une Femme, j’ai voulu parler de l’Amour, en latin, l’Amor. Et quand on pense, qu’on écrit ou l’on dit « Je t’aime. », on se met d’abord et inévitablement en avant. Autant le premier Acte s’attarde sur le « Je », la vie d’un héros qui me ressemble étrangement et qui porte mon prénom et son diminutif, autant le deuxième Acte est son contraire, axé sur le « t » apostrophe, le « toi » qui m’habite et que j’abrite, ou plutôt, l’image reflétée à travers son miroir. Un antihéros qui ne me ressemble pas et qui ne partage ni ma vie, ni ma religion, ni mes préférences sexuelles. Et pourtant, nous sommes complémentaires et nous nous allierons dans une cellule de la prison des Baumettes, à Marseille. C’est le yin et le yang. La complémentarité que l’on retrouve dans toutes les différences et que l’on essaye de porter en soi. Dans le troisième Acte, je recherche la fusion du mot « aime ». Je m’amuse à inverser les sexes, les complémentarités, afin d’essayer de mieux les unir et de comprendre l’être humain. Au bout du compte (et du conte), la femme n’est pas meilleure que l’homme. Ils s’attirent l’un à l’autre et se repoussent comme des aimants, comme des amants, en fonction de leur polarité du moment. La femelle et le mâle cohabitent sur terre, comme le bien et le mal. Enfin arrive le quatrième et dernier Acte. Il symbolise la souffrance et le diable. Le point final. La mort. La boucle est bouclée. Je(Acte I) t’ (Acte II) aime (Acte III) . (Acte IV).

Vous nous racontez les affres de l’amour rencontrés par votre narrateur avec Eva, ce qui rappelle inévitablement la première femme de l’humanité, mais d’autres femmes défilent dans ce récit. Les femmes et les villes alternent au point de croire que ce texte est une ode au féminin, n’est-ce pas ? Peut-on dire, que vous partagez la thèse de Romain Gary qui préférait le féminin au féminisme ?

Vous me flattez en me renvoyant à ce grand homme et à ce grand écrivain, l’unique à avoir remporté à deux reprises le prix Goncourt. Et vous avez mis le doigt sur la plaie. La tentation de la pomme qu’on ne peut refuser. La quête de l’amour en parcourant les femmes et donc forcément les villes, les métiers, les rôles et les vies. Oui, je préfère le féminin au masculin, le féminin au féminisme, le féminin envers et contre tout. Et mon obstination m’aura servi. J’ai fini par retrouver la Femme, celle de mes rêves.

Chercher l’amour, c’est chercher la vie, ou plus précisément, donner un sens à sa vie. Que l’on doit dès la conception, et pendant les neuf mois qui ont précédé notre naissance, à la Femme. Nous sommes en elles avant même d’avoir commencé à respirer. Pas étonnant que l’on cherche constamment à retourner en elles. Et le coup d’envoi, notre venue au Monde, n’est-il pas précisément orchestré et sifflé par la femme ?

Puisque l’homme est incapable d’enfanter, en cherchant l’âme sœur, ne cherche-t-il pas à revivre sa naissance, non plus en spectateur, mais en acteur ?

Dans ce récit, j’ai posé quatre actes qui ont tous débouché sur une multitude de rencontres amoureuses ou chargées d’émotions fortes, pour arriver enfin à accoucher de ce premier roman. Un autodafé autobiographique ?

Les hommes croient avoir le phallus quand les femmes croient en manquer, alors que personne ne le possède et que tous le désirent.

Les histoires d’amour se succèdent dans votre roman, mais sont sans lendemains, les femmes le sont tout autant. Cette recherche de l’âme sœur, désespérante et aporétique sur la fin, laisse songeur. Qu’avez-vous voulu nous dire ? Que la femme n’est que le plaisir phallocrate de l’homme, à l’image de cette phrase si célèbre de Lacan, qui disait que « La femme n’existe pas », lorsqu’on la mal comprise, ou plutôt que LA femme n’existe pas, quand on la confond avec la jouissance phallique, lorsqu’on a bien compris Lacan, puisque cliniquement la jouissance féminine ne peut s’y réduire. Est-ce là encore une ode à la femme, la femme introuvable pour l’homme qui se laisse enfermer dans une quête de la jouissance masculine ?

Dans cette quête de l’âme sœur, l’on ne peut parler uniquement d’aporie, car cette contradiction insoluble en apparence, la recherche de l’Amor, se résout, si ce n’est pendant la vie, inéluctablement à travers la mort. Pour Gérald, dans La Vie ne dure que 7 Villes, la chasse désespérée finit à Marseille, au bout de 25 ans, puisqu’il y retrouve son âme sœur. Mohammed, dans Antipodes, l’a très vite rencontrée dans les bras de son meilleur ami, mais il ne s’en est rendu compte que trop tard. L’on pourrait penser que tomber amoureux d’un transsexuel est à l’opposé de l’ode à la femme, introuvable pour Mohammed qui se laisse enfermer dans sa quête de la jouissance masculine, et se réduit à devenir un criminel, assassin de l’amour impossible, maculant de sang les draps de son bienaimé, comme le linceul enveloppant le fils de Dieu que nous, ses frères, avons crucifié. Dans La Mutation, c’est grâce à l’assassinat également, celui du leader des hoministes, que l’impossible trio formé par César, Fanny et Marius, pourra finalement exister. Le couple, Marius et Fanny, poursuivront ainsi l’œuvre de leur César chéri. Et dans le dernier Acte, Le Diable est une Femme, c’est cette même faucheuse qui sépare les deux amants en herbe, Gabrielle et Michel. Alors on est en droit de se poser la question : qui de la vie, cette quête désespérante de l’âme sœur, ou de la mort, est la plus aporétique ?

Effectivement, je rejoins le Docteur Jacques Lacan quant à la primauté du phallus parmi les autres signifiants. Mais cela ne fait pas de moi une personne phallocentrée ni un antiféministe. « Les hommes croient avoir le phallus quand les femmes croient en manquer, alors que personne ne le possède et que tous le désirent. » Le phallus est donc le signifiant du manque. Il ne doit pas être confondu avec l’organe, le membre qui pend bêtement entre nos jambes, et ne jamais être réduit à sa plus simple expression, le pénis. LA femme n’existe pas si on la confond avec la jouissance phallique. La femme et ses multiples jouissances sont bien plus complexes que notre coït binaire, et les résoudre au simple plaisir phallocrate de l’homme qui se croit supérieur, ne nous mène nulle part, et nous éloigne assurément de notre quête éternelle.

Le diable est une femme, ou LA femme, si l’on essentialise la femme, et que l’on compare son essence à la domination supposée de l’homme. Que pensez-vous des combats modernes des courants néoféministes, portées aujourd’hui par Alice Coffin, qui dit vouloir supprimer les hommes, dans son livre Le génie lesbien, (Grasset, 2020), ou Pauline Harmange, qui prétend détester les hommes, dans un livre qui porte le même titre, Moi, je déteste les hommes, (Seuil, 2020.) Ne pensez-vous pas que nous revivons-là un retour de la guerre des sexes ?

Ah bon, parce que vous pensiez réellement qu’elle était finie, cette guerre des sexes ? Ce serait comme affirmer qu’il n’y a plus jamais eu de guerre après la seconde guerre Mondiale. Faut-il qu’un Poutine reprenne l’Ukraine pour que tout d’un coup, l’on prenne conscience des différentes visions géopolitiques des uns et des autres ? Et les guerres en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, elles comptent pour des prunes ? Loin des yeux, loin du cœur, c’est ça ? Alors oui, une Alice Coffin est là pour nous rappeler que le diable peut également prendre la forme d’une lesbienne. Réduire le génie des femmes à une orientation sexuelle, est un crime de guerre contre les sexes et devrait être jugé devant le tribunal de Lahaie. Qui d’autre que Brigitte pourrait donner son avis éclairé sur la question ?

Plus sérieusement, je comprends la haine et la révolte endurée pendant de longues années par les femmes ou les hommes qui n’ont pas pu vivre librement leur amour, leur sexualité, condamnés par une société qui n’était pas à sa place, soucieuse du qu’en dira-t-on, et qui s’infiltre avec son venin mortel dans la sphère privée de l’individu. L’amour consentant ne regarde que les personnes concernées. Qui sommes-nous pour oser les juger ? Mais réduire le génie à une attirance ou à une préférence sexuelle me semble tout aussi débile que condamner cette même préférence ou attirance sexuelle.

Faut-il, comme le pense Pauline Harmange, défendre la misandrie en réponse à la misogynie ? La sororité serait-elle la seule réponse appropriée aux fraternités ou autres mouvements franc-maçonniques strictement limités aux hommes ? Ne serait-ce pas répondre uniquement par les armes ? Œil pour œil, dent pour dent : les américains nous ont montré, à Nagasaki et Hiroshima, comment cela allait finir. Notre monde politique et les médias qui donnent raison à ces ultra-féministes, veulent-ils vraiment la guerre nucléaire, cette fission qui viendrait définitivement séparer les hommes et les femmes ?

Lorsqu’on lit votre roman, désenchanté à propos de l’amour entre les hommes et les femmes, femmes peut-être trop libérées et rebelles aujourd’hui pour être réduites à l’âme sœur d’un homme en recherche d’un amour phallique, et, lorsqu’on observe la société moderne et ses nouvelles lunes féministes et obsessions androphobes, ne croyez-vous pas que nous vivons un séparatisme nouveau, un séparatisme qui verra les hommes et les femmes vivre face à face, alors qu’hier encore, ils vivaient côte à côte ? Est-ce le message que livre votre roman ?

J’espère que non. L’amour phallique est ancestral. Il remonte à la nuit des temps. Pour les hommes, il représente nos mères qui nous ont portés avant même notre naissance, et cet irrésistible besoin de retourner en elles. Pour les femmes qui ont accouché, l’énorme vide laissé en elles, et le besoin incommensurable de le combler. Dos à dos, face à face, côte à côte… peu importe la position qu’ils adoptent : les femmes et les hommes sont heureusement condamnés à vivre ensemble. Il faut l’union des deux pour créer la vie. Alors, tant qu’il y aura un phallus, un manque, ils chercheront à s’unir. Et comme on dit si bien dans le plat pays d’où je viens : « L’Union fait la Force ! »

Propos recueillis par Marc Alpozzo

Gérald Wittock, Le Diable est une femme, Vérone éditions, février 2021, 421 pages, 25 euros

« le contrepied des thèses woke sur un ton léger » avec Gérald Wittock

Le Diable est une Femme, Gérald Wittock (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou 14.03.22 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRoman

Le Diable est une Femme, Gérald Wittock, Éditions Vérone, février 2022, 418 pages, 25 €

Le Diable est une Femme, Gérald Wittock (par Jean-Jacques Bretou)

S’appuyant sur force chiffres et statistiques, l’auteur se livre, dans sa préface, à une démonstration menant à conclure qu’un homme ordinaire ne peut vraiment connaître que sept villes dans sa vie, ce qui semble à peu près aussi vrai que dire qu’un chat a sept vies. Prenons cette proposition comme un axiome et acceptons-la pour vraie comme nous prenons pour exact les chiffres de l’OMS donnant comme âge moyen d’un être humain soixante-neuf ans et voyons voir où veut en venir Wittock.

La première partie de son livre, qui en comporte quatre, a tout du récit autobiographique si l’on accepte que de la naissance à l’âge de sept ans ses souvenirs lui ont été plutôt relatés et n’ont pas imprimé sa mémoire enfantine (comment pourrait-il se souvenir qu’il est né à 23 heures 50 et qu’il faisait 27°C avec un vent de force 7). Gérald est donc né à Rome le 27 septembre 1966 accueilli par le Ecco il Bèbè. Eccolo ! de sœur Bernadetta et émaille déjà son récit de nombreux jeux de mots et paroles de chanson. À presque six ans (il respecte ses statistiques), il déménage pour Bruxelles, nous sommes le dimanche 3 septembre 1972 et Gérald est devenu Gerry.

Il collectionne les « snots » (crottes de nez), à moins qu’il ne les mange, c’est un descendant de Napoléon, prénom de son frère, ce qui nous vaut l’irrésistible jeu de mot water, l’eau – Waterloo. À dix-sept ans, jeune mâle pubère, prêt à tout pour conquérir le monde, il est à Honolulu. Ensuite il vivra successivement à Paris, Londres, Marseille et finira sa vie à Manhattan (New York) en 2035 à 69 ans. Les statistiques sont bonnes, il a 69 ans et a vécu dans sept villes. Il a vécu une vie d’homme d’affaires et d’artiste : photographe, écrivain et surtout musicien et parolier. Il a cherché la femme de sa vie, « [Il] est enfin heureux. [Il] a pu tout accomplir dans [sa] vie ».

La deuxième partie du livre ou plutôt l’acte II, intitulé Antipode, a pour incipit : C’est l’histoire de Petru qui aime Mohammed qui aime Monica.

Mohammed vit dans les « quartiers », parmi les « dis-l’heure », il transgresse les genres en s’amourachant dans sa quête de l’éternel féminin Petru alias Monica, transsexuel.

Acte III, on refait l’histoire, « Mutation », le romancier inverse la place des hommes et des femmes et nous explique comment ainsi tourne le monde sans féminisme mais avec des « hoministes ». Une fable qui tourne mal (mâle) mais ça valait le coup d’essayer.

Acte IV, décidemment et à tout jamais « Le Diable est une Femme ».

En refermant ce livre, on peut penser qu’avec force citations du catalogue français de la chanson et de hasardeux jeux de mots, c’est-à-dire sur un ton léger, Gérard Wittock a voulu prendre le contrepied des thèses woke et nous démontrer que point n’est besoin de se définir par le genre puisque les dés sont pipés, définitivement le genre féminin est diabolique.

Jean-Jacques Bretou

Gérald Wittock né à Rome en 1966 est de par sa mère un des descendants en ligne directe de Lucien Bonaparte, et fils du défunt collectionneur et bibliophile, Michel Wittock, fondateur de la Wittockiana. Diplômé de l’ICHEC à Bruxelles, il démissionne de son poste de cadre dans une multinationale de transport maritime et crée dans les années 90 sa maison d’édition et de production audiovisuelle. Début des années 2000, il rejoint le grand groupe indépendant de l’industrie musicale, PIAS (Play It Again Sam), en prenant la Direction du label de House Music, NoiseTraxx, et du label de lounge, Follow Up. En 2005, il monte son propre label, NO2 Records. Il s’installe à Marseille en 2011, où il écrit 4 nouvelles : La Vie ne dure que 7 Villes Antipodes La Mutation ; et Le Diable est une Femme.