72 bougies aujourd’hui !!
Catégorie : Ancien Blog Éditions Des femmes
Vernissage Exposition « Les traces bleues du souvenir », jeudi 2 octobre, 18 h 30
Espace des Femmes, 35 rue Jacob, 75006 Paris
Dès 18 h 30
En présence de Milvia Maglione et d’Antoinette Fouque, venez nombreux !!
Télérama annonce Empreintes ! (01.10.08)
T. 20 h 35 France 5 Documentaire
Empreintes
Antoinette Fouque
Documentaire de Julie Bertucelli (France, 2008). 55 mn. Inédit.
« Il faut y aller. » Antoinette Fouque répètera cette phrase plusieurs fois au cours d’un document qui embrasse le destin exceptionnel d’une femme et l’évolution d’un mouvement social, politique et intellectuel. A 70 ans, droite dans son fauteuil, la parole aussi vive que le regard, Antoinette Fouque raconte quarante ans de combats : le MLF (Mouvement de libération de la femme) créé en octobre 1968, la fondation des Editions des femmes, la députation européenne, une lutte internationale pour les libertés individuelles.
Née en 1936 d’un père communiste, marin et berger, et d’une mère italienne, analphabète au tempérament indépendant, Antoinette a, de naissance, le sens de la justice sociale. Psychanalyste, elle suit les séminaires de Lacan, à la fois admorative et en colère contre cet homme qui unit « intelligence et misogynie ». En s’activant pour la légalisation de l’avortement, contre les violences conjugales et l’excision, en luttant pour que le viol soit reconnu comme un crime, elle ne revendique pas seulement l’égalité des sexes, mais se concentre sur leurs différences.
Ce document est à montrer aux jeunes générations pour leur rappeler que le combat pour la démocratie n’est jamais gagné.
Christine Ferniot
Rediffusion : 12/10 à 9 h 35
Le Parisien souhaite un bon anniversaire au MLF ! (01.10.08)
VIVRE MIEUX
40 ANS DU MLF
« GLOBALEMENT, LES FEMMES S’EN SORTENT BIEN »
Antoinette Fouque, cofondatrice du Mouvement de libération des femmes en 1968
Saint-Raphaël (Var), le 26 septembre. Antoinette Fouque, cofondatrice du MLF, estime qu’il faudrait aujourd’hui « un Grenelle des femmes, pour tout mettre à plat et traiter toutes les violences qui tombent sur elles : domestiques, économiques… » (LP/ANAIS BROCHIERO)
Il y a quarante ans, le 1er octobre 1968, quinze femmes de 17 à 33 ans se retrouvaient dans un petit studio de la rue de Vaugirard à Paris. Un studio vide, prêté par Marguerite Duras, où, assises à même la moquette et renvoyant fermement les garçons qui passaient le nez par la porte, ces intellectuelles et artistes ont décidé du lancement du Mouvement de libération des femmes. Une deuxième révolution, aprèsles pavés très masculins de mai, à laquelle les Françaises soivent aujourd’hui la plupart de leurs droits. A leur tête, discrète et passionnée, une prof de lettres à l’accent chantant, Antoinette Fouque. La cofondatrice du MLF a toujours refusé de réclamer, contrairement à son amie Monique Wittig, une égalité qui anéantirait la féminité. Refusé le mépris, la caricature, les clichés. Depuis sa maison face à la mer, où la maladie l’a clouée dans un fauteuil roulant au milieu des livres et des rêves encore pleins la tête, Antoinette Fouque fête aujourd’hui ses 72 ans. A quelques jours de la parution de « Génération MLF », un livre de témoignages de 616 pages publié aux Editions Des femmes, elle revient pour nous sur ces quarante années de conquêtes à la fois inouïes et inachevées.
Saint-Raphaël (Var) de notre envoyée spéciale
Quand vous avez lancé le MLF il y a tout juste quarante ans vous pensiez faire la révolution en un jour ?
Oh non, on a tout de suite su que ce serait la plus longue des révolutions ! Le MLF, c’est la partie qui émerge de l’iceberg, les combats médiatiques. Pour la majorité des femmes, c’était, c’est encore, violences, injustices, invisibilité… Mais on a fait plus en quarante ans qu’en quatre mille ans, et on peut être fières. En 1968, c’était terrifiant ! Pour tous ces gens qui renouvelaient la pensée, les femmes n’existaient pas. Nos seuls droits, c’étaient le droit de vote et la contraception. Tout ce qu’il a fallu combler au niveau juridique… A l’époque, je n’avais même pas de compte en banque à mon nom !
Ce sont donc quarante ans de victoires ?
Je considère qu’on a gagné. Les femmes d’aujourd’hui font des enfants désirés sans renoncer à leur désir d’exister dans le siècle, ni à leur indépendance économique. « S’acheter une paire de bas quand on veut », comme disait ma mère. Si on a voulu la parité politique, c’est aussi pouvoir entrer avec une poussette dans le métro. Il faut être 30% dans une assemblée pour commencer à être entendu ! D’énormes progrès ont été faits mais il faut rester vigilant pour faire appliquer les lois, et se battre pour les étendre. Je suis pour donner à toutes les femmes d’Europe les droits les plus élevés de chaque pays.
« Il est temps de donner un second souffle au féminisme »
Parmi ce qui n’a pas beaucoup évolué, il y a les violences conjugales…
Lors de notre première réunion en 1968, une des filles nous avait avoué que sa mère se faisait frapper par son père. Et, ça continue. Mais entretemps, on a fait connaître ces violences et maintenant, il y a des lois. C’est quand les droits sont acquis que les luttes commencent ! Il faudrait vraiment un Grenelle des femmes, pour tout mettre à plat et traiter toutes les violences qui tombent sur elles : domestiques, économiques…
Vous observez des régressions ?
C’est sûr que Sarah Palin, aux Etats-Unis, c’est le retour de la Mère Fouettard. C’est grave ! Et Halle Berry battue par son compagnon… Mais quand je vois Mélissa Theuriau qui se marie avec Jamel, Laurence Ferrari ou d’autres, il me semble que les femmes d’aujourd’hui gardent quand même l’essentiel des acquis récents. Elles vivent leurs contradictions sur un mode bénéficiaire. Globalement, elles s’en sortent bien.
Vous êtes amère quand le MLF est moqué par les hommes, renié par les trentenaires, ignoré par les plus jeunes ?
J’en ai tant attendu… On a été traitées comme les femmes sur les barricades de la Commune : on disait qu’elles retrouvaient visage humain une fois mortes ! On a été considérées comme des hystériques. Non, ce n’est pas bien de discréditer ce mouvement. Quand on voit tout ce qui reste à faire, c’est presque criminel. Moi, je n’ai jamais voulu que le mot « féminisme » recouvre le mot « femme ». Je pense que toutes les femmes ont vocation à exister en tant que femmes, mais toutes n’ont pas vocation à mener des combats féministes !
Vous êtes optimiste pour l’avenir ?
La seule chose qui reste de 68, c’est le mouvement des femmes. Cet anniversaire, c’est une opportunité : il est temps de lui donner un second souffle, sur les anciennes questions comme sur celles qui surgissent. On a conquis, pas trop détruit, c’est imparfait… Mais je suis persuadée que la masse des femmes ne s’est pas encore exprimée. J’attends tout des générations qui viennent. »
Propos recueillis par Florence Deguen
GENERATION MLF (sortie le 16 octobre 2008)
EVENEMENT : CONFERENCE DE PRESSE D’ANTOINETTE FOUQUE MARDI 7 OCTOBRE A 18 H 30 A L’ESPACE DES FEMMES, 35 RUE JACOB, 75006 PARIS. Pour vous inscrire, appelez-moi au 06.84.36.31.85.
Nous nous sommes rejointes
chaque-une plurielle autant que mille,
cela fait combien à l’ infini ?
Antoinette Fouque, Hendaye 1975.
Le MLF a quarante ans. Ce mouvement original qui a su articuler le désir de révolution aux nécessités des réformes a imprégné l’ensemble de la société et transformé la vie des femmes et des hommes. « Notre corps nous appartient », disions-nous aux commencements. Et puis, il y a eu la loi autorisant puis remboursant l’IVG, l’abolition de la toute-puissance paternelle, les lois sur le viol et sur les violences, les lois sur l’égalité
professionnelle et sur la parité… Mais ces grandes victoires démocratiques que le MLF a initiées ne lui sont pas attribuées et il reste dans l’opinion ignoré, décrié, ou défiguré.
Nous nous revendiquons ici de ce mouvement qui a constitué l’événement le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle et qui a engendré une mutation de notre civilisation. Des femmes qui l’ont créé en 1968 témoignent ici avec d’autres qui les ont rejointes au cours des mois et des années suivantes, pour un engagement plus ou moins long, continu ou discontinu ; oeuvre ouverte aux témoignages à venir.
Dès les premiers temps du Mouvement, dans l’oralité des premières années, puis dans les écrits, nous qui étions en train de faire l’histoire et qui n’acceptions pas le clivage sujet/objet, nous sommes interrogées sur comment l’écrire et la transmettre.
Génération MLF a été élaboré sur un temps long, au rythme des réunions, rencontres, séminaires, universités d’été proposés, animés, dirigés par Antoinette Fouque.
Quelques dates jalonnent ce chemin de maturation :
1978, rencontre à Saint-Rémy de Provence ;
1982, université d’été à Apt ;
1983, exposition Quinze ans de MLF à Paris ;
1989 et 1990, États-Généraux des femmes à la Sorbonne;
1992, université d’été à La Garde- Freinet ;
1992, thèse de doctorat d’Antoinette Fouque à Paris 8 : Une expérience du mouvement des femmes – 1968-1991 : De la libération
à la démocratisation ;
1993-1994, séminaires d’Antoinette Fouque dans le cadre du Département « Droit, économie, sociologie de la décision médicale », dirigé par André Demichel, où chacune a travaillé son itinéraire ; soutenance de quinze DEA sous la co-direction de Francine Demichel et d’Antoinette Fouque; 1994, conférences de l’Institut d’Etudes et de Recherches en Sciences des Femmes ou féminologie sur l’origénération mlf 1968-2008
Éditions Des femmes-Antoinette Fouque
Sortie en avant-première le 7 octobre
et en librairie le 16 octobre 2008
gine du vivant, du MLF, de l’écriture ; puis, en 1995, sur femmes et démocratie, parité,
homosexualité féminine, et en 1996, sur violences sexuelles, démographie, économie
politique ; 2004, livre-mémoire : Depuis 30 ans des femmes éditent… ; 2005-2006,
séminaires collectifs à Paris 8 sur l’histoire du MLF ; 2006, colloque à la Sorbonne
Femmes de mouvements, hier et aujourd’hui, pour demain ; 2006-2007, séminaires
réguliers de l’Institut en féminologie.
Aller au réel, à la recherche d’un savoir subjectif, pratique et savant, en laissant la place
au savoir inconscient ; ne jamais perdre le sujet pour que la subjectivité vienne altérer,
informer, enrichir la science historique ; approfondir ce qui, femme, résiste en chacune à
l’identité dérivée, phallocentrée, imposée… telle a été la pratique Psychanalyse et politique,
telle est notre ambition. Chacune selon sa singularité, et ensemble. Et nous avons été
confirmées dans notre démarche par le fait que la vérité historique de Shoah, le film
de Claude Lanzmann, sorti en 1985, composé uniquement de témoignages, n’est pas
contestée aujourd’hui. Les corps, les coeurs, sont des lieux de mémoire. Ce faisant,
nous avons retrouvé notre jeunesse, nos plus belles années. Des années d’affirmation,
pas de guerre, des années de création plus que de critique ; car la libération, c’est l’affirmation
de l’identité.
Les souvenirs ont été confrontés entre eux, confortés par une chronologie réalisée à
partir de multiples sources, dans le désir partagé d’arriver à une vérité historique, en
prenant le risque de nous tromper. Nous avons mentionné les actions marquantes de
celles qui, au Mouvement, se sont revendiquées de la tradition féministe.
Les femmes qui témoignent ici sont vivantes. Elles peuvent être consultées. Les témoignages
apparaissent l’année où, pour chacune, la rencontre s’est produite. Les documents
d’archives, nous les publions. Nous nous sommes situées moins du côté de ne
rien oublier que de celui de rectifier des erreurs, des omissions.
Témoins donc, nous avons aussi cherché à nous situer au plus près d’un travail d’historiennes
du temps présent, au service des historiens à qui nous espérons éviter des
erreurs, inconscientes ou délibérées. Notre souhait est de préparer les années à venir,
de susciter de nouveaux travaux pour que Mai 68 et le MLF ne soient pas « liquidés »,
c’est-à-dire vidés de leur contenu, annexés, trahis.
Dans les manifestations, nous portons toujours des banderoles MLF, à côté de celles
de l’Alliance des femmes, pour rappeler que c’est de ce mouvement que viennent les
libertés nouvelles.
Septembre 2008
Macha Méril entre dans la Bibliothèque des Voix !
SEPTEMBRE 2008
LIVRE AUDIO
Un jour, je suis morte
Macha Méril
Lu par l’auteure
ISBN : 3328140021073
Extrait – 1 CD – 18 €
Office 11/09/2008
« Un jour, je suis morte. J’ai eu du mal à m’en remettre. Je ne m’en remets pas, en vérité. »
Le roman Macha Méril commence par cette révélation inattendue. Sous le masque de la comédienne, femme épanouie, « apparente, rigolante, fornicante », se cache une blessure profonde. Rendue stérile par un avortement bâclé dans sa jeunesse, sa tentative de maternité se soldera par une fausse couche. Errant entre passé et avenir, l’actrice nous livre son ressenti, sans pathos mais avec émotion et courage. Le récit dévoile cette part d’ombre qui la hante, cette sensation douloureuse et obsédante de perte. Une vie passée entre être et non-être, un être-à-demi… puisque pour Macha Méril le destin d’une femme, son accomplissement et sa seule vérité est d’être mère. Sacralisant l’enfantement, qu’elle ne connaîtra jamais, elle évoque cette épreuve.
La confession d’une femme qui met une incroyable énergie à défendre une cause qui transcende l’individu : « Alors tous les enfants de la Terre seront mes enfants, j’aurais gagné sur ma mort prématurée. » Un écrit intense et pudique, subjectif et sincère.
Macha Méril est née en 1940 à Rabat au Maroc. Très vite repérée par le cinéma, son premier rôle important arrive en 1960 avec La Main chaude de Gérard Oury. Elle tourne ensuite dans Une femme mariée de Godard, qui la fait connaître dans le monde entier. De nombreux cinéastes européens la sollicitent, Buñuel, Pialat, Dario Argento, Claude Lelouch… En 2005, elle reçoit le Prix « Reconnaissance des cinéphiles ». Se dédiant aussi à l’écriture, elle a publié avec succès plusieurs roman, dont Biographie d’un sexe ordinaire (Albin Michel, 2003) ou Les Mots des hommes (Albin Michel, 2005).
Macha Méril a lu des extraits de son texte au Marathon des Mots de Toulouse, le 13 juin 2008.
Superbe article sur « Les Obscures » par Marc Alpozzo (Magazine des Livres, octobre-novembre 2008)
LES VIES ABIMEES
Les premières lignes du nouveau roman de Chantal Chawaf donnent le ton à l’œuvre : « Attachées aux bulles lumineuses, nous flottons sur les reflets, nous rêvons de remonter le temps mis par la lumière, d’arriver au point d’où nous vient la vie. » Il s’agit ici de saluer la vie, l’énergie en nous, la « douceurs d’être nés » ; de revenir aux corps en bonne santé, combattre la névrose moderne. Tout l’objet de ce roman.
Voici l’histoire de deux femmes. L’une, Lise, la narratrice, dont la filiation falsifiée, la jeunesse volée, n’apprend que tardivement que sa place fut usurpée par une autre. L’autre, Yashar, la fille naturelle de cet homme étranger que Lise épousa, s’y abandonnant comme une enfant, laissée derrière par son père qui s’en va un matin, sans jeter un œil à cette adolescente de dix-sept ans.
Lise et Yashar. Femme chavirée et fille indomptable. Leur rencontre, sous forme de choc, sera la source jaillissante d’une existence de vagabondes, arrachées à leur sort, dont la vie est soudain mise entre parenthèses par une société qui refoule les êtres authentiques. Fugue de deux rebelles, qui refusent la castration d’une société malade, cloisonnée, « deux femmes en mal d’avenir… » Entre plaisirs et dérives, manques et pollution urbaine, quartiers-ghettos, émeutes châtrées et enfermements psychiatriques pour les corps qui ne parviennent pas à assimiler le dressage social, le roman de Chantal Chawaf veut nous conter le cri de guerre et d’amour de deux femmes qui n’aspirent qu’à une seule chose : retrouver leur liberté. Retrouver la vraie vie…
Pas seulement sociétale, le récit de Chawaf mêle la crise métaphysique et religieuse que notre histoire porte depuis son berceau : le Caucase. Ni plaidoyer ni apologie d’un passé révolu auquel nous ne reviendrons jamais, cette fiction a toutefois pour ambition de retrouver les traces d’une origine de notre civilisation falsifiée, une société d’amazones, jadis, affranchies, guerrières, tronquée par les hommes qui, au cours de l’histoire, imposèrent leur vision du monde, de la femme, de la sexualité et de l’amour. Roman sans pathos, qui observe que les grands récits mentent aux femmes, depuis, sacrifiées, minimisées, asservies, réduites, comme dans les banlieues, à êtres de fidèles servantes en adoration de tout ce qui est masculin.
L’Odyssée dépressive de ces deux êtres en mal de devenir ressemblent de près à une échappée belle, une course contre l’angoisse, la folie, la solitude, le climat anxiogène que le système social installe entre les individus, cloisonnant les femmes, les retirant des hommes, les jetant dans une misère affective et personnelle insoutenable. Cette profonde solitude en forme d’isolement parfaitement inhumain, symbolisée par la banlieue, – récurrente dans l’œuvre de l’auteure -, est celle de cette partie de la ville abandonnée, enclavée, livrée à la barbarie machiste de jeunes gens souvent désœuvrés, souvent ignorants, trop souvent victimes d’un ghetto aveugle et sourd, d’un patriarcat dogmatique et ravageur. Chantal Chawaf, de sa verve d’écrivaine, nous accroche d’abord par son style, celui que l’on lui connaît bien, de livre en livre, Retable, Crépusculaires, Le manteau noir, Infra-monde, autant de romans qui ont su imposer un style maîtrisé, nous racontant des histoires d’amour, de folie et de mort, de solitude, de banlieues incandescentes.
De ces accidenté(e)s, habité(e)s par le silence d’un mystère lointain, de ces corps traumatisés, de notre époque obscure, Chantal Chawaf sait tirer le fil rouge, incandescent, qui relit l’homme à son humanité, celle-là même que la société post-moderne broie par la violence, le dressage, l’individualisme larvé. Se refusant de céder aux familiarités de notre époque « people et paillettes », et de ses « romans-réalités » dont la grande platitude est l’une des failles à regretter, l’auteure puise toutefois dans ce qu’elle a minutieusement observé, fouille dans sa mémoire personnelle, s’inspire de sa propre vie bousculée, de son enfance douloureuse, nous offrant ainsi une fiction réaliste qui n’accepte aucun compromis avec les « dictats » de la bien-pensance. Et voilà l’une des premières grandes qualités qu’il faut retenir de son dernier roman, intitulé Les obscures : exit la langue de bois ! Exit les modes littéraires ! Et en ce sens, nous pouvons sans conteste saluer cette nouveauté sortie tout droit de la vénérable maison d’édition Des femmes.
En détective contemporain, Chantal Chawaf fouille, creuse, observe et scrute les dysfonctionnements de notre époque, ce supposé « Eldorado » moderne, du bien-être et de la liberté, de l’épanouissement individuel et de l’égalitarisme pour tous, enclavant les corps, vendant l’amour aux enchères, fanatisant les masses de plus en plus léthargiques. Chantal Chawaf emploie certes un ton grave pour décrire un monde en proie à de profondes contradictions, célébrant les libertés individuelles, mais cloisonnant les femmes et les hommes, permettant aux femmes de s’éduquer et d’occuper des postes à responsabilités dans la société civile, mais les contenant dans un véritable état infantile devant leurs maris ; Chantal Chawaf n’accepte aucun compromis d’écriture lorsqu’elle décrit une société bouleversée qui demeure froide à la souffrance affective, une société délétère qui vend du bonheur pour masquer son vide spirituel. Et pourtant ! Ne nous y trompons pas ! Son livre demeure profondément optimiste. C’est un roman qui observe et constate. Les obscures, ce sont ces femmes que l’on vilipende, cachées, réduites à des « faire-valoirs » légitimes, des objets matrimoniaux, des corps géniteurs, prises en otages par la religion et la société patriarcale qui agrègent ou excluent aveuglément et sans recours. Les obscures ce sont ces banlieues où la violence et la barbarie ont envahi les cités dortoirs, abandonnées, exclues, méprisées. Ces « banlieues intérieures ». Chantal Chawaf se livre à un éloge de la vie. Elle sait capter en nous ce souffle d’existence, celui qui nous ramène à notre période pré-natale, celui du fœtus, le moment où la vie est la plus intense, la plus pure. Elle nous montre une France en crise, déchirée par ses contradictions internes, et les communautarismes montants, déspiritualisée, où la voie de l’Esprit et la quête de la chair sont tombées en désuétudes, dans un vide ontologique devenu, à force d’indifférence à son propos, pathétiquement obscène.
La densité de ce roman d’environ deux cents pages, le regard critique courageux qu’il porte sur une société patriarcale qui hisse la phallus au firmament, valorisant la force, la domination, l’argent, le succès, font de cette nouvelle fiction un grand moment de libre-pensée, de vrai esprit critique contre la fronde actuelle, véritable dictature de la « pensée unique » qui réduit toute chose, tout être vivant à un pur et simple objet de consommation immédiate. Plus qu’un roman, Les obscures, est un hymne à la vie, à l’amour, et à la fraternité.
Marc Alpozzo
Chantal Chawaf, Les obscures, roman, Editions des Femmes, 2008, 198 pages, 18 euros.
Maglione par Claudine Roméo (1980)
Les tissus, bijoux et petits « mobiliers » de Milvia Maglione étaient directement le répertoire des songes ; les tentures déploient, en volets successifs, le rêve, dont les gouffres, les déchirures, les béances et les abîmes, auraient été remplis, avec le courage de l’affirmation.
Remplis, d’abord, en faisant le plein d’atmosphère et de ciel, un plein solide et cristallin, provoquant échos de clochettes et tintements de carillons, visualisé, à travers tout le travail de Milvia, par ce bleu royal qu’elle utilise. Je qualifierai ce bleu, de couleur profonde et chaude.
Ce bleu souvent dominant n’est pas un simple élément formel, avec toutes les autres couleurs qui miroitent à côté de lui, un certain ocre par exemple. Il est la qualité même d’un monde féérique et mythique, mais complètement habité par le réel.
Tout le temps, on est renvoyé à un ciel étoilé où mille choses scintillent, mais choses du quotidien. Travail quotidien et millénaire des femmes, outils utilisés pour les vêtements, tentures, voilures, draps, déguisements, nappes : ce qui habille et représente la vie ordinaire. Réalité aussi de l’enfance, des objets manipulés, fétichisés, usés : formes précises et brillantes.
Peintre, Milvia ? Oui, mais la toile est un grand drap de lit qu’elle rebrode, d’une part de broderies « classiques », en les reprenant avec amour sur des petites pièces, exercices appris dans l’enfance. Utilisant d’autre part les matériaux divers de la couture, habituellement cachés : boutons, agrafes, pressions, crochets, et ses instruments : ciseaux, dés à coudre, rapprochés des minuscules objets d’enfants : dînettes, figurines, vignettes et amulettes, tout ce qu’elle appelle elle-même les « fonds de tiroirs ».
Une dimension ludique et sacrée s’ouvre, hommage et réhabilitation du travail des femmes, bien sûr, mais aussi force poétique fondamentale et populaire, rappelée à la surface, réhabitée, repensée et mise en couleurs et en formes pour accéder à un rang d’universalité. Cette histoire ordinaire et courante, mais traversée de grands mythes, de contes et d’obsessions, est évoquée par la répétition millénaire des nuits et des jours que suggèrent les draps-cieux enluminés.
De même, les bijoux témoignent d’une histoire grande et ordinaire, en mêlant les objets « utilitaires », aux frivoles fioritures, volutes, serpentins, rubans de papiers, tous reflets et éclats de la vie.
Les mobiliers de poupées, recouverts de bleu ou de pointillés multicolores et constellés de nuages, évoquent le passage du temps sur les maisons et les villes, et créent un habitat familier pour Alice au Pays des Merveilles, qui est présente partout ici.
Claudine Roméo, Novembre 1980
Maglione par Maryvonne Georget (1985)
Le Dualisme de Milvia Maglione
L’oeuvre de Milvia Maglione comporte deux faces. A l’image du cosmos, elle est rythmée par l’alternance du jour et de la nuit, du quotidien et du rêve :
– diurne, l’univers baroque et rutilant des textiles et des objets que l’on peut interpréter comme un recensement ethnographique d’une culture populaire et féminine, en voie de disparition, ou comme un hommage poétique et militant au labeur obscur des femmes.
– nocturne, l’espace des toiles et des sérigraphies. Ici on pénètre dans les profondeurs glacées du rêve et de l’inconscient. C’est un monde sous-marin et utérin, un théâtre d’ombres. Les objets ne sont plus « miettes du quotidien » comme les textiles et les sculptures-objets, mais simulacres, symbôles et même signes. Ils se meuvent dans l’apesanteur, ils ont perdu leur lourdeur, leur densité accoutumée et semblent flotter devant un mur végétal comme des poissons dans un aquarium.
Milvia Maglione manie avec autant d’aisance le signe et l’objet. Dans les toiles et les sérigraphies une écriture très minimaliste qui emprunte au vocabulaire de la peinture contemporaine, se substitue à l’univers très concret de « la pie voleuse ». Le plus souvent, sur un fond végétal réaliste, exécuté au pochoir et retravaillé au pinceau, se superposent quelques lignes symboliques, blancs comme des fantômes, peints en relief, des pictogrammes qui peuvent devenir des signes, des lettres de l’alphabet. Ainsi C est à la fois croissant de lune et la lettre C initiale du mot « coudre » symbôle du travail féminin par excellence. Milvia, avec habileté, joue sur la polysémie de l’image, elle invente un langage très codé où se rencontrent des signes cosmiques, la lune, le nuage, l’arc en ciel, et des signes d’un espace intérieur, silhouettes le plus souvent d’enfants seuls ou avec leur mère. Comme « Alice » (« De l’autre côté du miroir »), ces personnages ont franchi le miroir de la réalité et sont en route pour un voyage initiatique, mais un mur quasi infranchissable les sépare de l’infini de la mer ou du ciel. Dans la toile « Uscita in premiere » de 1966, Alice s’est brisée avant d’atteindre le sommet de la prairie. L’oeuvre de Maglione est-elle une version moderne du mythe de la caverne de Platon, de la réalité, nous ne percevons que les ombres ? Ne sont-elles pas alors ce qu’il y a de plus réel ?
Mais Milvia peut « mettre de la mayonnaise à la place du jaune » (interview de Maglione « Je passe de mon atelier à ma cuisine » – Des femmes en mouvement – Paris N°7 1978) et cet aspect de son oeuvre n’est pas moins original. Il n’y a pas un temps pour vivre, un temps pour créer séparé par une frontière, mais des passages continuels de l’un à l’autre. C’est à une « transfiguration », une métamorphose du quotidien à laquelle on assiste. Chaque objet ouvre sa porte de rêve et Milvia retrouve ce temps d’enfance, de découverte, d’errance ou les détournements d’objets se font naturellement.
Cette oeuvre pose aussi le problème fondamental du passage de l’artisanat à l’art. Elle souligne le rôle obscur de la femme dans la création. Ne lui reproche t-on pas d’avoir laissé peu de traces dans l’histoire ? Seulement des « ouvrages de dames », des travaux anonymes comme les bâtisseurs de cathédrales, l’oeuvre de Milvia est un hymne à toutes ces femmes qui ont dû humblement se contenter de la part de rêve, de création que le quotidien pouvait leur apporter. Elle ne conte pas les exploits de Guillaume le Conquérant, comme la reine Mathilde, dans la tapisserie de Bayeux mais « l’Amour » ou le départ silencieux d’Adélaïde, sa grand-mère. « La rue Rambuteau » est sa conquête de l’Angleterre. Dessins, objets, broderie, écheveaux colorés cohabitent sur ces textiles et racontent dans un langage pictogrammique la Grande Saga des Femmes.
La femme est reine, reine-mère et le plus vieux culte de l’humanité, celui de la déesse de la fécondité, se trouve renouvelé par tous ces rites que Milvia recrée. Originaire des Pouilles, en Italie, ses textiles participent aux rites processionnels, simulacres des tentures et bannières de la fête de la Vierge. C’est bien toujours le culte de la femme qui y est célébré.
Les sculptures-objets de Milvia Maglione se réfèrent très directement à l’art populaire. Les bazards des plages sont toujours remplis de ces objets englués de coquillages, à l’image des rochers que les berniques et les moules tapissent. Sur des meubles pour un royaume de Lilliput, Milvia accumule les petits objets du quotidien : fruits, légumes, ustensiles de cuisine… et les recouvre d’une couche d’un bleu méditerranéen uniforme, qui les métamorphose. Par la magie de la couleur ils acquièrent un autre statut, celui d’objets archéologiques, sur lesquels un lent travail d’enlisement, de sédimentation marine se serait effectué. Seuls quelques souvenirs plus vivaces, quelques objets colorés différemment émergent de cette uniformité bleue, image de l’embue de la mémoire. C’est de l’archéologie du coeur dont il s’agit.
L’univers de Milvia Maglione est cosmique et mythique et se situe quelque part entre « coeur et nuage » comme le rappelle la très belle sculpture en pâte de verre, de technique millénaire. L’artiste est italienne et Venise, patrie des souffleurs de verre, fut pendant longtemps la porte de l’Orient. C’est toute cette magie qui affleure dans l’oeuvre de Milvia Maglione, à la fois la chaleur et la transe extatique des cultes méditerranéens et le charme poétique et nocturne des Contes des Mille et une nuits.
Maryvonne Georget
Royan, Mai 1985
Maglione par Aline Dallier (1998)
Version originale de l’article en anglais, in Contemporary Women Artistes, St. James Press, Detroit, U.S.A., 1999
Milvia Maglione : peintre et décoratrice inspirée
Milvia Maglione est une artiste bien connue en France et en Italie, depuis les années 1970 environ. Elle se distingue néanmoins assez nettement de l’ensemble de la production dite « d’avant-garde » de ces vingt dernières années dans la mesure où on ne peut la classer ni comme un peintre figuratif, ni comme un peintre abstrait, ni comme une artiste conceptuelle.
Milvia Maglione est une artiste peintre, graphiste et décoratrice, qui se sert de sa main, de son pinceau, de ses ciseaux, de ses aiguilles et autres outils traditionnels pour peindre des paysages imaginaires aussi bien que des portraits stylisés ; mais elle peut aussi broder de grandes tentures souples, assembler des bijoux où sont juxtaposés des pierres précieuses et de simples cailloux, en un mot transfigurer des objets du quotidien en objets fabuleux.
En ces temps d’art transgressif, souvent violent, l’artiste présente une autre singularité car sa finalité esthétique ne vise ni la provocation, ni la déconstruction de l’oeuvre d’art. Son but n’est pas de déranger ni même de « questionner » le spectateur mais plutôt de le consoler des petites et grandes misères de la vie, en lui offrant de beaux objets chargés de tendresse ou d’humour souriant.
Je prendrai comme exemple ses tasses à thé avec soucoupes (Le Thé d’Alice, de 1972), en laine bi-colore crochetée à la main, qui sont un double clin d’oeil à Lewis Carroll et à Meret Oppenheim dont on connaît la fameuse tasse en fourrure, plus sauvage mais moins ludique que celle de Milvia Maglione. En effet, ce que nous propose l’artiste avec ce type d’objets, c’est de prendre la vie comme un jeu – un jeu aussi bien léger que dangereux. Dans ce même esprit, j’évoquerai une oeuvre plus récente, souvent exposée à Paris et à l’étranger à la fin des années 1980 : il s’agit d’une vraie malle de voyage en bois, (cf. le Coffre mystérieux datant de 1987) recouverte d’innombrables objets fétiches miniaturisés qui font partie du vocabulaire habituel de l’artiste : poissons, coquillages, papillons,étoiles, quartiers de lune, nuages, arcs en ciel, feuilles, fleurs, et aussi cuillers, fourchettes, couteaux, petites casserolles qui nous ramènent à une poétique du domestique que nous aurions tort de sous-estimer.
A ce propos, j’aimerais souligner que Milvia Maglione, dans sa vie et dans son oeuvre, a constamment tenté de valoriser une « culture féminine » qui ne reposerait pas seulement sur l’expérience de la relégation des femmes dans la sphère domestique mais qui, au contraire, s’affranchirait de l’enfermement par la créativité à partir du domestique (cf. La Leçon de broderie, 1976).
Quant au principe d’accumulation qui régit l’oeuvre de l’artiste, j’y vois une marque de sa filiation avec les Dadaïstes et post-Dadaïstes, bien que ces derniers travaillent généralement dans un esprit sacrificateur et expiatoire inspiré par un folklore urbain en pleine mutation, tandis que Milvia Maglione s’appuie sur un art populaire encore traditionnel comme celui du sud de l’Italie, dont elle exalte la théâtralité, l’opulence et la sensualité.
En dehors de son goût pour les arts traditionnels et populaires, dont elle est d’ailleurs une collectionneuse avisée, Milvia Maglione n’a cessé de défendre la cause du beau métier d’artiste-artisan qu’elle pratique elle-même avec fierté. C’est ainsi qu’elle a illustré de nombreux livres, créé des prototypes d’assiettes pour la Compagnie des porcelaines de Sèvres, des vases et autres réceptacles pour une célèbre cristallerie française. Elle a également décoré la vitrine de la boutique Hermès à New York, ce qui permet de la comparer à de grands artistes-designers italiens comme Bruno Munari et Enzo Mari qui n’ont pas hésité à faire suivre leurs recherches artistiques proprement dites par des applications au design de haut niveau.
Il n’y a pas si longtemps, la plupart des artistes, et plus encore des artistes femmes, devaient se défendre de pratiquer l’artisanat ou la décoration parallèlement à la peinture ou à la sculpture, sous peine d’être déconsidérés en tant qu’artistes. Dans les années 1920-1930, Sonia Delaunay eut, entre autres mérites celui d’ouvrir la voie pour une meilleure articulation entre arts et arts appliqués. Il revient à Milvia Maglione d’avoir développé cette voie avec délicatesse et imagination.
Aline Dallier
Paris, 1998