Du Balzac dans la Bibliothèque des Voix ! (Par Fanny Ardant)

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Fanny Ardant lit
La Duchesse de Langeais
de Honoré de Balzac

Coffret 2 Cassettes – 25,50 €
Coffret 2 CD – 27 €


“ Le Français devina que, dans ce désert, sur ce rocher entouré par la mer, la religieuse s’était emparée de la musique pour y jeter le surplus de passion qui la dévorait. Était-ce un hommage fait à Dieu de son amour, était-ce le triomphe de l’amour sur Dieu ? Questions difficiles à décider. Mais, certes, le général ne put douter qu’il ne retrouvât en ce cœur mort au monde une passion tout aussi brûlante que l’était la sienne. ” H.B.

C’est en 1833 qu’Honoré de Balzac écrit La duchesse de Langeais. A la base de ce roman, le désir de se venger de la marquise de Castries dont il était amoureux et qui l’avait joué. Dans cette transmutation de la réalité en fiction, l’idée de vengeance se perd, et s’élève un chant qui porte l’amour au-delà des règles communes.
Texte de passion sur la passion, où aimer et être aimé-e se joue à contre-temps dans la cruauté du monde, La duchesse de Langeais donne à l’amour la grandeur du sublime.

Paroles d’Antoinette Fouque sur le site des Editions Des femmes (invention des livres audio)

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En 1980, j’ai eu envie de faire une « bibliothèque des voix ». A l’époque, il n’y en avait pas en France et très peu, non plus, ailleurs. Je voulais dédier ces premiers livres parlants à ma mère, fille d’émigrants, qui n’est jamais allée à l’école, et à ma fille qui se plaignait encore de ne pas arriver à lire, et à toutes celles qui entre interdit et inhibition ne trouvent ni le temps, ni la liberté de prendre un livre.

Je crois que par l’oreille on peut aller très loin… On n’a peut-être pas encore commencé à penser la voix. Une voix, c’est l’Orient du texte, son commencement. La lecture doit libérer, faire entendre la voix du texte -qui n’est pas la voix de l’auteur-, qui est sa voix matricielle, qui est dans lui comme dans les contes le génie est dans le flacon. Voix-génie, génitale, génitrice du texte. Elle y est encryptée dirait Derrida, prisonnière dirait Proust.
La « bibliothèque des voix » compte aujourd’hui plus de 100 titres. Sont ainsi regroupés les voix et les textes de Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Julien Gracq, Françoise Sagan, Marie Susini, Danielle Sallenave, Georges Duby, et Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Arielle Domsbale, Jean-Louis Trintignant, Nicole Garcia, Michel Piccoli, Marie-Christine Barrault, Anny Duperey, Daniel Mesguich, Fanny Ardent … prêtent leur voix à Madame de Lafayette, Diderot, Balzac, Colette, Proust, Freud ou Stefan Zweig…

« L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus » de Anne Seghers, lu par Ariane Ascaride

Au-fil-d-Ariane-Ascaride1_articlephoto.jpg3328140020823_1_v.jpg« L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus »
(nouvelle extraite du recueil « La Ruche », 1953)
Anna Seghers

Lu par Ariane Ascaride

Office 25/01/2007

En Allemagne, une classe de jeunes filles part en excursion. Sur le bateau qui les ramène à leur village en traversant le Rhin, une institutrice demande à l’une d’entre elles, Netty, de préparer pour un cours prochain le récit de cette excursion.

Netty est la narratrice, mais une narratrice un peu particulière puisque qu’elle a attendu longtemps avant de faire le devoir dont on l’avait chargée : c’est d’outre-tombe que le récit nous parvient, c’est une femme déjà morte qui nous raconte cette excursion qu’il lui est donné de revivre. Mais elle la revit en narratrice omnisciente qui connaît l’avenir réservé à chacun de ceux qui l’entourent ce jour-là.

Un triste avenir, car l’excursion a lieu quelques années avant la Première Guerre mondiale dans laquelle mourront certains des garçons rencontrés cet après-midi-là, garçons avec lesquels des jeunes filles ont déjà lié une relation amoureuse.

Et elle a lieu aussi avant la sombre période où tous devront choisir leur camp, sauf bien sûr ceux qui, parce qu’ils sont juifs, n’auront d’autre possibilité que fuir ou se cacher. L’amitié de deux jeunes filles, inséparables pendant l’excursion, n’y résistera pas : l’une, mariée à un nazi, refusera de protéger la seconde, persécutée en tant que juive. En aurait-elle fait autant si elle avait pu épouser le garçon tant aimé cet après-midi-là, s’il n’était pas mort en 1914 ?

L’omniscience de la narratrice colore son récit d’une teinte profondément nostalgique, presque mélancolique : la confrontation brutale entre le présent de l’excursion et l’avenir de ses participants fait apparaître cette journée comme une dernière parenthèse enchantée avant la noirceur des temps à venir. Et, pour la narratrice, la fin de l’enfance, cette enfance momentanément retrouvée puis de nouveau brusquement enfuie, coïncide avec la fin d’une période de bonheur serein et d’harmonie sans nuages.

Anna Seghers (1900-1983), romancière allemande, adhère en 1928 au parti communiste allemand, ce qui lui vaut d’être incarcérée en 1933 dans les prisons nazies. Elle parvient à s’enfuir en France, puis gagne le Mexique où elle est présidente du « Heine-Club » qui réunit des écrivains antifascistes de l’émigration. Elle revient en Allemagne en 1947 et devient très vite une personnalité officielle de la vie culturelle de la République démocratique allemande.

Orpiment par Véronique Vassiliou : article « Jaune soufre » CAHIER CRITIQUE DE POESIE (1er semestre 2006)

Catherine Weinzaepflen
Orpiment
Des Femmes
186 p., 17 E

Véronique Vassiliou
Jaune soufre

« et tout le tableau – c’était mon but – comme un précipité de la détermination de cette femme. »

Catherine Weinzaepflen, Orpiment

Artemisia est le titre d’un livre d’Anna Banti publié chez POL en 1989. Un film en a été tiré en 1997 par Agnès Merlet. Orpiment leur succède. Le motif en est le même, le traitement fondamentalement différent. Artemisia Gentileschi est née à Rome en 1593. Elle était femme et peintre, peut-être la première femme peintre de l’histoire de la peinture. Dans une écriture fluide, élégante et sensible, Catherine Weinzaepflen dessine une anamorphose. Sous les traits de cette femme peintre, un autoportrait affleure sur fond de peinture sociale. En effet, il s’agit aussi de toutes les femmes et de leurs difficultés d’être. Être a(i)mantes, mères et auteurs – de leur vie. Des « battantes » écrit Catherine Weinzaepflen. Ce roman n’est en aucun cas un pamphlet féministe rigide. Il me serait tombé des mains. Au contraire, il dresse intimement – grâce à un je narrateur – le portrait nuancé d’une femme sensuelle et délicate, combative et exigeante, douce et maternelle, contemplative et inventive de la tête aux pieds. Il exprime avec grâce des difficultés de conjugaison, des tensions – donc des liens – qui ne sont jamais des contradictions : être mère et travailler passionnément, être soi et être la compagne d’un homme, peindre et faire des listes de course, être fragile et devoir être forte, passer de la colère à la supplique.

Ce roman est avant tout une « composition ». Il est parsemé de lettres, de dialogues aux allures de poèmes. Il est ponctué de tableaux jamais décrits mais magnifiquement rendus par la narration de leur facture, versant couleurs, versant parti pris, du point de vue de l’artiste qui reprend ici sa grande dimension étymologique : créateur / auteur.

Un roman à lire d’urgence donc, apaisant et juste.

« Vivre l’Hisoire » de Simone Veil

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Simone Veil
Vivre l’Histoire
Entretiens avec Antoinette Fouque
1 Cassette – 16,50 €
1CD 18 €

 » La profession d’avocat que j’avais choisie venait du goût de défendre des idées que je pensais justes et dont je trouvais qu’elles n’étaient pas suffisamment entendues. Au fond, je crois que toute ma vie, je pars en guerre… Ce qui m’importe, c’est la personne humaine, c’est l’homme, c’est la femme, le respect de l’homme et de la femme, de leur liberté, de leur dignité et de leur bonheur ; je ne conçois pas de possibilité de bonheur sans respect de la personnalité. C’est une sorte de combat pour une certaine forme de vie. » Simone Veil

Dans ces entretiens réalisés en novembre 1985 avec Antoinette Fouque, Simone Veil parle de sa vie de femme politique.
Son enfance heureuse et libre, en dépit des difficultés économiques et de la sévère morale paternelle, auprès d’une mère aimée et admirée qui tout au long des années reste une grande figure lumineuse, son adolescence traversée par le Front populaire et tragiquement marquée par le nazisme, sa prise de conscience de sa judéité et du traitement des différences par les totalitarismes l’ont déterminée à s’engager activement dans la politique. Magistrat ou ministre, elle a toujours œuvré contre les abus de pouvoir pour l’instauration d’une loi, bonne en ce qu’elle respecte la dignité de la personne humaine et la liberté individuelle. Libérale, elle dit sa méfiance des idéologies, de l’embrigadement, du jeu politique qui sacrifie trop souvent l’authenticité à l’intrigue pour la prise de pouvoir ; elle dit son goût de la contestation et des joutes d’idées. Elle se montre un témoin attentif des grands bouleversements de notre époque, du mouvement de mai 68 comme des mouvements des femmes.
Une voix de femme se fait entendre qui interpelle le monde politique et témoigne, dans l’attention qu’elle porte aux autres, d’une vie simplement exemplaire..

Interview Thérèse Clerc (www.capcampus.com)

06.jpghttp://www.capcampus.com/mode/mode-et-marques/therese-clerc-une-femme-d-exception-a6186.htm

Thérèse Clerc : une femme d’exception !
Elle nous livre son regard sur la société , les jeunes et la mode du haut de ses bientôt 80 ans !

Capcampus

Madame Clerc, après avoir créée la Maison des femmes, vous ouvrirez bientôt la maison des Babayagas. D’où et depuis quand vous est venue cette volonté de vous engager pour les femmes ?

Thérèse Clerc

Cela remonte à un bon moment maintenant. Mai 68 fut un vrai déclic pour moi. C’est à ce moment que j’ai véritablement pris mon avenir en main. Je n’étais pas heureuse dans mon mariage, alors après 20 années de vie commune, j’ai décidé de m’en aller. Ce fut une véritable libération pour moi. J’ai réalisé combien les femmes étaient oppressées, discriminées, dans une société qui ne les laissait pas vivre libres et dont le seul but était de prendre le contrôle sur leur corps.
Dès cet instant, je me suis plongée dans la lecture d’œuvres féministes, ai assisté à des débats et à des groupes de paroles de femmes. Je n’aimais pas l’école, reflet d’une éducation faite pour les hommes, alors je me suis formée toute seule

Capcampus

En quoi consiste la maison des femmes, quels en sont les objectifs ?

Thérèse Clerc

Il s’agit d’une association d’aide aux femmes. Nous leur apportons un véritablement soutient moral et les aidons à s’insérer dans la société en leur apprenant les bases de la législation. Nombre d’entre elles sont issues de l’immigration et ne sont pas informées des démarches administratives les plus rudimentaires. Souvent il s’agit de femmes opprimées par leur mari et enfermées dans des croyances que l’on leur a imposées depuis des millénaires. Alors nous essayons tant bien que mal de leur ouvrir les yeux et de leur faire prendre conscience de leur place dans la société. Ce qui compte en priorité est qu’elles acquièrent la joie de leur corps.

Capcampus

Vous n’êtes donc pas en accord avec leurs croyances ?

Thérèse Clerc

Pour dire simple, je déteste toutes les religions patriarcales. Il s’agit une fois de plus d’un moyen mis en place par les hommes pour prendre le pouvoir sur la Femme, et pour la rabaisser. Mais il n’y a pas que la religion ! Le pouvoir électoral en fait de même, ainsi que le corps médical. Tout est bon pour nous contrôler. Pour moi, le couple est le tombeau de la femme et la famille son cimetière.

Capcampus

Quels types d’activités proposez-vous alors à ces femmes?

Thérèse Clerc

Il existe différents ateliers : des cours d’alphabétisation, de français, de droit, mais aussi des cours de théâtre, de sport, etc. Nous tenons tout particulièrement à permettre à ces femmes de mieux comprendre ce qui les entoure pour qu’elles puissent enfin se libérer. Ainsi, nous les emmenons chaque semaine visiter les institutions et administrations. Notre dernière sortie était à la poste où un employé à généreusement accepter de leur enseigner les bases pour ouvrir un compte, remplir un chèque, etc. Chaque visite est un émerveillement pour nous comme pour elles !

Capcampus

Et n’importe quelle femme peut adhérer à votre association ?

Thérèse Clerc

Bien sûr ! Au début les femmes venaient peu nombreuses, aux environs de 3 ou 4. Aujourd’hui notre association a un tel succès que nous sortons parfois à 25 !

Capcampus

Comment parvenez-vous à gérer votre vie de famille et votre vie privée ?

Thérèse Clerc

C’est vrai qu’entre les interviews, les associations et la création d’autres projets ça n’est pas évident. Je n’ai pas une minute de libre. J’ai 14 petits enfants et je ne les vois pas très souvent. Mais je sais qu’ils sont fiers de leur grand-mère. Récemment j’ai tourné un film sur la sexualité des vieux. Je décolle d’ailleurs la semaine prochaine pour Montréal où nous avons été sélectionné au festival. Alors que certains passent leurs journées devant leur poste de télé, de mon côté, j’ai à peine le temps de l’allumer.

Capcampus

Mais à bientôt 80 ans, comment faites-vous pour être toujours si dynamique ?

Thérèse Clerc

C’est l’espérance qui me maintient en forme. J’ai l’impression que chaque jour est un pas de plus pour parvenir à mon rêve. Certaines choses me révoltent, comme les lois qui ne sont pas appliquées, et je me bats chaque jour pour que cela évolue.

Capcampus

Que pensez-vous de la jeunesse d’aujourd’hui ?

Thérèse Clerc

Malheureusement je constate aujourd’hui un manque d’engagement certain chez les jeunes. Les intellectuels se font de plus en plus rares, les réflexions sont trop peu nombreuses ou mal orientées.

Capcampus

Et les manifestations contre le CPE. N’était-ce pas là une forme d’engagement de la part des jeunes ?

Thérèse Clerc

Je pense que le débat sur le CPE n’a pas été assez mûri. Les jeunes ne se posent pas les bonnes questions. J’ai le regret de constater qu’ils s’accrochent à de vieilles lunes alors qu’il est grand temps qu’en arrive une nouvelle. Mille interrogations restent encore en suspend quand elles daignent être soulevées d’ailleurs. C’est pour cette raison que je souhaiterais créer un café intergénérationnel, qui ouvrirait le débat entre jeunes et seniors sur le travail, le temps choisi, les 35 heures, l’identité, la citoyenneté, etc.

Capcampus

Et concernant les femmes plus particulièrement qu’en pensez-vous ?

Thérèse Clerc

Les femmes restent encore naïves face à leur environnement. Elles n’ont pas conscience d’être manipulées. C’est regrettable mais je ne perds pas espoir que cela change un jour.

Capcampus

Et du point de vue de la mode quel regard y portez-vous ?

Thérèse Clerc

C’est un sujet qui me passionne. J’ai longtemps travaillé dans le textile et je pense que cela manque d’innovations. Pour nous les vieilles, il n’y a que très peu de choix et il en va de même pour les femmes rondes. Je réfléchis actuellement à travaillé sur de nouvelles matières plus amples. Le stylisme est un art qui m’intéresse véritablement. D’ailleurs nous organisons régulièrement des défilés de mode avec les femmes de l’association. Chacune vient habiller dans sa tenue traditionnelle. Cela donne lieu à de magnifiques défilés de boubous et djelabas. Un régal pour les yeux !

Capcampus

Pour finir quel message souhaiteriez-vous délivrer à nos lectrices ?

Thérèse Clerc

Tout simplement : méfiez-vous des hommes. Sachez lire entre les lignes. La grammaire même est un signe de notre invisibilité. Combien de noms n’ont pas de féminins ? Souvent l’anonymat du langage est le reflet de l’effacement de la femme, et cela jusqu’aux comptes les plus populaires.

« Laissez-moi » de Marcelle Sauvageot, lu par Fanny Ardant

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Marcelle Sauvageot

2 CD 27 €

Dans un sanatorium, en exil hors de la vie, une jeune femme reçoit une lettre de l’homme qu’elle aime : « Je me marie… notre amitié demeure… ».

Lucide, sobre, précis, le livre est sa réponse. Avec un esprit et une sensibilité à vif, aiguisés par la maladie, les insomnies et la proximité de la mort, l’auteure analyse ce qu’a été leur histoire. Se dessine alors le portrait d’une femme sensible, sincère, volontaire et d’une rare exigence qui, au plus fort de la passion, aura su obstinément préserver « un petit coin qui ne vibre pas », qui regarde, analyse, mesure et juge.

« “Je me marie… Notre amitié demeure…”

Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis restée tout à fait immobile et la chambre a tourné autour de moi. Dans mon côté, là où j’ai mal, peut-être un peu plus bas, j’ai cru qu’on coupait la chair lentement avec un couteau très tranchant. La valeur de tout chose a été brusquement transformée. »

Marcelle Sauvageot

« Faire l’amour », lu par Jean-Philippe Toussaint lui-même

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Jean-Philippe Toussaint
Faire l’amour
lu par l’auteur


1 CD 18 €

« J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. Il me suffirait d’ouvrir le flacon, un flacon transparent qui avait contenu auparavant de l’eau oxygénée, de viser les yeux et de m’enfuir. Je me sentais curieusement apaisé depuis que je m’étais procuré ce flacon de liquide ambré et corrosif, qui pimentait mes heures et acérait mes pensées. Mais Marie se demandait, avec une inquiétude peut-être justifiée, si ce n’était pas dans mes yeux à moi, dans mon propre regard, que cet acide finirait. Ou dans sa gueule à elle, dans son visage en pleurs depuis tant de semaines. Non, je ne crois pas, lui disais-je avec un gentil sourire de dénégation. Non, je ne crois pas, Marie, et, de la main, sans la quitter des yeux, je caressais doucement la courbe évasée du flacon de verre dans la poche de ma veste ».
Jean-Philippe Toussaint

Ce roman paru en 2002 raconte l’histoire d’une rupture amoureuse. Une rupture dont on ignorera tout au long du roman le motif. Le narrateur accompagne sa femme à Tokyo. Ce voyage est peut-être le prétexte qu’ils se sont choisi pour consommer une rupture sans cesse rejouée, sans cesse différée, et qui les hante. Faire l’amour pour la dernière fois, avec toute la violence et l’amertume de sentir l’autre déjà un peu absent. Puis se séparer, et se retrouver pour parcourir Tokyo enneigé, dans une longue escapade faite de tendresse, de désir, de haine et d’agressivité.

Le récit commence par l’évocation d’un flacon d’acide chlorhydrique, arme que le narrateur transporte sur lui tout au long du voyage, et qui fait peser sur l’écriture une gravité, une violence sur le point d’éclater, à l’image des deux secousses sismiques qui ébranlent Tokyo pendant la nuit, et annoncent le grand tremblement de terre toujours redouté. À la fragilité d’un amour qui se termine répond la précarité d’un monde menacé, physiquement, de destruction.

Jean-Philippe Toussaint naît à Bruxelles en 1957. Il fait des études d’histoire et de science politiques. Considéré dès son premier roman, La Salle de bain (1985, Editions de Minuit), comme un auteur minimaliste, ses romans suivants confirment l’originalité et la singularité d’une écriture qui allie subtilement comique et gravité, délicatesse et trivialité.

3Ferdaous, une voix en enfer » de Naoual el Saadaoui

Ferdaous, une voix en enfer
Naoual el Saadaoui

Réédition

Office 23/11/2006

En Égypte, Ferdaous, détenue et condamnée à mort pour avoir tué un proxénète, reçoit dans sa cellule à la veille de sa mort une femme qui étudie la personnalité des détenues. « Ferdaous » signifie « paradis », mais c’est bien de l’« enfer » que vient la voix de celle qui se met à raconter sa vie, son éternelle fuite qui ne peut se résoudre que dans la mort. Une enfance dépourvue d’affection, dans une famille où le père est tout-puissant, puis un mariage forcé avec un homme vieux et répugnant qui la bat, poussent Ferdaous à la révolte. Elle s’échappe, mais la rue est le lieu de la prostitution, et les regards des hommes la ramènent bientôt chez son mari.
Mais ce mariage est-il autre chose qu’une forme de prostitution ? Elle a été donnée à son mari contre beaucoup d’argent, et ne doit sa subsistance qu’à son obéissance. Elle se donne à un homme qu’elle n’aime pas pour pouvoir manger. Alors autant pouvoir éviter les coups, et manger vraiment à sa faim. C’est ainsi que, malmenée par des hommes qui prétendent d’abord la protéger, mais ensuite la prostituent de force, Ferdaous choisit de le faire volontairement et à son compte, dans une société où, de toutes façons, les femmes sont mises au service des hommes sans rien y gagner. Quand un proxénète veut la forcer à travailler pour lui, elle se débat et le tue. Condamnée à être pendue, elle se réjouit de « ce voyage vers une destination ignorée de tous sur terre, y compris des rois, des émirs et des gouvernants ».
Dans ce roman publié pour la première fois en 1977, Naoual el Saadaoui décrit la société égyptienne à travers l’histoire d’une vie infernale, sans issue : les fréquentes répétitions, au cours du récit, de petites scènes, traduisent l’impasse dans laquelle se trouve l’héroïne, qui revit sans cesse les mêmes déceptions, se heurte sans cesse aux mêmes obstacles. Ainsi la prostitution apparaît-elle tragiquement comme la seule véritable liberté pour Ferdaous, dans une société où les femmes, soumises aux hommes, n’existent que pour accomplir leur volonté. Au seuil de la mort, elle entame un chant de liberté, puisqu’elle s’apprête à quitter l’enfer, et que, au plus près de la vérité, elle n’a plus peur de rien ni de personne.

Naoual el Saadaoui, médecin en Égypte, est connue dans le monde entier pour son engagement dans la lutte pour les droits et les libertés des femmes arabes. En 1982, elle a reçu en France le prix de l’amitié franco-arabe pour ses livres : La face cachée d’Eve et Ferdaous, une voix en enfer (aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque).

« Souvenirs 1843 – 1854 » INEDITS de Juliette Drouet, collectés par Gérard Pouchain

Souvenirs 1843-1854
Juliette Drouet
Édition établie par Gérard Pouchain.

Office 16/11/2006

Juliette Drouet, amante et inspiratrice de Victor Hugo, a vécu dans l’ombre du grand poète. Et pourtant, elle laisse derrière elle une quantité impressionnante d’écrits : des milliers de lettres, mais aussi de courts récits, témoignages de choses vues ou vécues. Ce sont ces textes, écrits entre 1843 et 1854, qui sont réunis ici pour la première fois dans leur intégralité.
On y trouve des portraits du poète, saisi dans son intimité : notamment, le récit très émouvant du voyage au cours duquel Victor Hugo apprend dans un journal la mort de sa fille Léopoldine.
Mais aussi des souvenirs plus personnels, comme ceux du couvent (« commande » de Victor Hugo qui, pour l’écriture des Misérables, avait demandé à Juliette de les mettre par écrit), et de l’exil à Bruxelles et à Jersey.
On découvre enfin des témoignages historiques passionnants : par exemple, le récit extrêmement frappant des journées insurrectionnelles de février 1848, et celui du coup d’État de décembre 1851.
Ce recueil a pour vocation de sortir Juliette Drouet de l’ombre : connue pour sa relation avec Victor Hugo, elle ne l’est pas suffisamment pour ses écrits qui révèlent un véritable talent littéraire. Une écriture à la fois délicate et expressive, à travers laquelle on devine une femme très sensible et d’une grande liberté d’esprit.
La sortie de ce recueil accompagnera une exposition consacrée à Juliette Drouet pour le bicentenaire de sa naissance, exposition qui se tiendra à partir de décembre 2006 à la Maison de Victor Hugo (place des Vosges à Paris) et dont le commissaire scientifique est Gérard Pouchain.

Juliette Drouet naît en 1806 dans une famille d’artisans. Très tôt orpheline, elle est élevée par son oncle (dont elle prend le nom) et fait sa scolarité dans un pensionnat religieux à Paris. Maîtresse du sculpteur James Pradier, avec lequel elle a une fille, elle commence sur son conseil une carrière de comédienne. Interprétant en 1833 un rôle dans Lucrèce Borgia, elle rencontre Victor Hugo, et abandonne alors sa carrière théâtrale pour se vouer à son amant, qu’elle accompagne dans son exil à Bruxelles, puis à Jersey et à Guernesey.