Entretien de l’écrivain Bernard Méaulle autour de Lanza del Vasto et de son roman « un si brûlant secret »

Bernard Méaulle : « La liberté d’être et d’aimer est un évangile destiné à montrer que la femme est aussi un homme »

Est-il possible d’écrire et de publier aujourd’hui, un roman qui se veut une ode au plaisir sensuel, une ode au plaisir de la liberté, à travers le personnage d’une femme libre, et qui ose ? C’est du moins le pari de Bernard Méaulle, ancien patron de presse, qui sort ces jours-ci son deuxième roman, Un si brûlant secret (La route de la soie, 2023). Il raconte l’histoire ébouriffante d’une croqueuse d’hommes qui marchande avec le ciel. Son parcours mystico-érotique, brisant les codes et tabous de la bien-pensance de notre époque, vaporise à haute dose un parfum de féminin qui met à terre les vapeurs toxiques du néoféminisme. Rencontre… 

Marc Alpozzo : Cher Bernard Méaulle, c’est avec un très grand plaisir que j’ai lu votre second roman, qui parait ces jours-ci, Un si brûlant secret (La route de la soie, 2023). Vous placez en exergue de votre récit, qu’il est en hommage au célèbre philosophe et poète italien, mais aussi sculpteur et musicien Lanza del Vasto (1901-1981). C’est très intéressant, car cet aristocrate transalpin fut aussi, mais surtout un disciple chrétien de Gandhi (il raconte d’ailleurs son voyage pour rencontrer le maître dans Le pèlerinage aux sources (1943), un livre absolument lumineux) qui l’appela Shantidas, c’est-à-dire Serviteur-de-paix. Pourquoi une telle entrée en matière pour un roman sur l’amour ?

Bernard Méaulle : J’ai lu Le Pèlerinage aux Sources quand j’avais 18 ans. J’avais un peu oublié ce livre. Et puis, il y a quelques années, quand une prise de conscience des problèmes de la planète s’est faite jour – en même temps qu’une augmentation de la violence s’est manifestée dans nos sociétés – je me suis souvenu de Lanza del Vasto. Son livre est revenu me parler. Il met l’essentiel en lumière. Philosophe, visionnaire, maître de sagesse, adepte de la non-violence et écologiste avant l’heure. Comme son modèle Gandhi, del Vasto éclaire notre réflexion sur le monde. Il est tombé dans l’oubli. J’ai choisi de coudre ce fil rouge dans mon roman pour tenter de réhabiliter ce prophète et lui dire merci. Son influence a été importante sur un grand nombre de ses contemporains, dont certains très célèbres (Camus, Brassens, Cocteau, l’abbé Pierre etc…), au milieu du XXème siècle. Mon souhait serait que le XX1ème siècle s’inspire de ses pensées pour chercher à construire un monde meilleur.

M. A. : L’amour dans toute vos pages, est totalement incandescent. C’est l’histoire d’une fillette espagnole, Maria, qui va connaître l’amour avec de nombreux hommes et une vie exceptionnelle. C’est donc l’histoire d’une grande amoureuse, qui semble être à contre-courant avec l’idéologie de notre époque, puisqu’elle aime profondément les hommes, et parfois des hommes qui lui font du mal. Elle va connaître l’argent et sa force corruptrice, grâce à son premier mari, puis elle va se convertir, parlant régulièrement à Dieu. L’amour d’une femme fatale, d’une beauté incontrôlable, la foi, la conversation intime avec le Divin. Vous semblez en rupture totale avec le nihilisme agressif de ce nouveau siècle égaré, n’est-ce pas ?

B. M. : La vie de mon héroïne chante l’amour de la vie. Dans son enfance, elle a été violentée dans le cadre de sa vie familiale. Sa force de caractère est une armure. Elle aurait pu être détruite. Mais son courage, comme celui de beaucoup de femmes, la conduit à choisir au lieu de subir.  Trop de petites filles, plus qu’on ne le croit, ont subi des violences sexuelles. L’éducation parentale et scolaire doit informer et mettre en garde contre ces comportements destructeurs et inadmissibles.

M. A. : Vous racontez donc le parcours d’une croqueuse d’hommes, ce qui n’est pas si flatteur pour une femme. On a toujours préféré les don Juan malgré le mal qu’ils ont fait, aux grandes amoureuses. Pourtant il y en a eu, et vous les réhabilitez dans votre roman grâce à votre personnage principal, Maria, qui se rebaptisera France, en hommage à son pays d’accueil, qu’elle considère comme le pays de la liberté. Votre roman raconte son itinéraire érotico-mystique, en mêlant les flashbacks, afin de montrer que toute sa vie est finalement dévolue à se venger d’une enfance misérable. Aussi, grâce à son mari américain, elle découvre Lanza del Vasto, qui va l’accompagner tout au long de sa vie. En vous lisant, on a l’impression que ce personnage en réalité, ne recherche qu’une seule chose : la sagesse, à travers le sens de l’existence, que Lanza del Vasto recherchera lui dans un pays de misère. C’est donc un peu l’itinéraire de l’amour que vous racontez, l’amour pour les hommes, l’amour pour l’existence, l’amour pour le divin, n’est-ce pas ?

B. M. : Ce livre est aussi une aventure qui propose une grande évasion ! Il parle des rencontres qui sont des billets de loterie. Il y a des îles au trésor (pas toujours hélas ! ) dans les rencontres. Elles changent la vie. Elles plantent des graines qui vont germer ou mourir. Pendant toute notre existence, elles jouent sur notre évolution, sur nos cerveaux. Elles introduisent des acquis qui sédimentent dans nos consciences et participent petit à petit à faire ce que nous sommes. Dire que France-Maria, le personnage principal du livre, est une femme fantasmée serait réducteur. Son credo, la liberté d’être et d’aimer, est un évangile destiné à montrer que la femme est aussi un homme. L’injustice est de considérer le don Juan comme un demi-dieu et une femme qui aime les hommes comme une nymphomane. Oui, la sagesse est une source d’équilibre. Et la religion de l’amour, de l’être aimé ou des autres, et en tout cas, le respect et la bienveillance, sont des qualités supérieures à beaucoup d’autres, notamment à la religion de l’argent qui domine et abîme tant les rapports humains…

M. A. : Votre héroïne est d’emblée une philosophe elle-même, au sens étymologique du terme, une amoureuse de la sagesse. Est-ce que vous cherchez à nous montrer que le sens de l’existence c’est de trouver en soi l’amour de la sagesse et la sagesse de l’amour, à travers l’érotisme, ce divin messager entre les dieux et les hommes, et la spiritualité, ce qui ferait de vous le romancier le plus anticonformiste dans ce conformisme moral moderne, qui désire monter les femmes contre les hommes, et couper les humains de Dieu. Ce si brûlant secret, est-ce le secret de l’amour ou de l’existence que l’on peut trouver dans la foi et en Dieu ?

B. M. : La sexualité et la spiritualité sont deux faces antagonistes et complémentaires de la silhouette humaine. Corps-Esprit : un attelage difficile à conduire sur la route d’une existence longue. Sans le sacré, il n’y a pas de sens. Le sacré est partout, à condition d’ouvrir les yeux : un sourire, les fleurs, les nuages, la musique, l’art, la littérature. Un tableau de Matisse est une bénédiction pour l’âme. La beauté sous toutes ses formes est un médicament avec lequel on se soigne quand on sait la regarder. Mon héroïne parle avec Dieu. C’est une méthode pour élever ses pensées vers les mystères qui nous dépassent. Le secret de l’épanouissement de la condition humaine est bien de rechercher dans des fusions corporelles et spirituelles (même dans un simple bavardage avec sa boulangère !) un partage, voire une communion. Seuls, nous somme amputés. L’autre n’est pas l’enfer comme le dit la phrase célèbre, mais un purgatoire dans lequel il faut essayer de trouver des coins de paradis. La sagesse est une terre cultivable. Elle n’est pas le brûlant secret décrit dans mon livre mais elle réchauffe le cœur et dispense ses rayons de soleil pour ceux qui la pratiquent ou la rencontrent. Au Soudan, les Noubas de Kau dont je parle dans un chapitre ont démontré une philosophie de vie qui puise dans une sagesse simple et profonde. Alors, Dieu ? L’évangile est le meilleur programme politique qui, appliqué, même sans savoir si Dieu existe, changerait la vie sur terre. Les principes de vie proposés par Lanza del Vasto définissent des chemins pour un monde plus humain. En attendant d’avoir la preuve de l’existence de Dieu, force est de constater que la création du bipède intelligent est l’œuvre du sexe. La rencontre de deux sexes fabrique un homme ou une femme. Comme le dit mon héroïne dans ce roman : « La vie : si facile à créer, si difficile à vivre et… à quitter ». Nous sommes le fruit d’une rencontre, celle d’un mâle et d’une femelle. Cette rencontre nous propulse dans une expérience incroyable – la vie – dans laquelle nous sommes condamnés in vivo à un apprentissage permanent. En ce sens, ce roman est original car il met en scène un mariage d’eau et de feu, le sexe et la spiritualité. Chercher à faire dire des choses profondes par une femme apparemment légère est un exercice d’équilibriste, peut-être casse-gueule, mais qui fut pour moi très excitant intellectuellement.  Mon éditrice a été happée par ce roman qui sort des sentiers battus : elle a aimé ce récit qui, selon ses propres mots, « renverse la table ». Elle m’a dit oui immédiatement après avoir lu le livre.

M. A. : Dans une précédente vie, vous avez été un grand patron de presse régionale en Normandie. C’est seulement en 2019, que vous publiez votre premier roman, Les Îles du désir (Jean Picollec, 2019). Pourquoi avoir écrit si tardivement ? Est-ce que vous attendiez sagement la retraite pour vous mettre à l’écriture, ou est-ce que vous avez senti cette vocation arriver progressivement, et que vous avez choisi à un moment où vous étiez plus libre, de vous lancer ?

B. M. : Quand j’avais 15 ans, un de mes rêves qui ne m’a jamais quitté était d’écrire un roman. Mes études et ma vie professionnelle très prenante pendant laquelle j’ai consacré beaucoup de temps à écrire dans des journaux ne m’ont pas permis de le faire. À la retraite, je me suis lancé. Et voilà une heureuse surprise : mon second roman a été sélectionné pour être soumis à un jury littéraire. J’ai en tête le scénario d’un troisième livre. Ce sera un roman policier.

Propos recueillis par Marc Alpozzo

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