Gary F. Bengier dans Wukali

Emile Cougut a lu « Un voyage sans entraves » de Gary F. Bengier pour WUKALI

Gary F. Bengier l’auteur du livre en rubrique non seulement sait de quoi il parle et est maître dans l’art de communiquer. Son livre Un voyage sans entraves qui connait un immense succès aux USA vient juste d’être traduit en français ainsi que dans huit autres langues dont le chinois. Un livre de science-fiction, voilà qui était inhabituel dans les colonnes de Wukali, et voilà qu’en moins de deux mois, je fais la récession de deux livres appartenant à ce genre littéraire. Je persiste et signe, je ne suis pas du tout spécialiste de la science-fiction, mes références sont plus « classiques », je suis incapable de comparer, d’évaluer par rapport à un autre écrivain, à un style, à des histoires proches. Donc, quand je prends un livre comme Un voyage sans entraves de Gary F. Bengier, j’ai peu, très peu de référents (un peu d’Asimov, quand même), ce qui fait, et ça tombe bien vu le fil conducteur de ce volume, je garde, à peu près intact, mon libre arbitre.

Ainsi nous sommes au XXII siècle, dans les États (tout court, mais nous comprenons sans mal qu’il s’agit des États Unis d’Amérique), après la guerre climatique qui a ravagé la terre. Pour reconstruire les dégâts de celle-ci, les humains ont employé des robots grâce à l’Intelligence Artificielle.

À cet égard, il en est résulté un changement total de la population : tout est devenu technologie (le trans-humanisme est partout), les robots font tout, surtout les métiers pénibles voire dangereux. Résultat, il n’y a plus ou très peu de travail, donc il est interdit, sous peine de prison de travailler plus de 12 heures par semaine. Parfait pour certains, mais la réalité du monde décrite par Gary F. Bengier est très loin d’être idyllique : les moyens de production ont été « nationalisés » et surtout une société hiérarchisée a été établie, chacun ayant une valeur de 1 (les meilleurs ayant tous les droits) à 100 (qui n’ont aucun droit).

De fait on est dans une société de castes mais avec un véritable système d’apartheid : si les « castes inférieures » n’ont pas de droit de vote, les mariages entre valeurs sont interdits, et j’en passe. Un système totalement inégalitaire où chacun est prié de rester à sa place et de profiter des droits que lui ouvre sa classe, sans en vouloir d’autres. Un monde où la vie (quelque soit sa classe) est totalement protégée et où l’effort (surtout physique) est quasiment inexistant grâce au travail des robots.

Joe, le héros, mathématicien et physicien de la classe 42, vient de prendre une année sabbatique et se trouve invité dans une petite une université pour réfléchir à son travail, à la finalité de son travail : l’intelligence artificielle (IA) a-t-elle des sentiments ? Vaste problème sur lequel je reviendrai.

C’est qu’en effet Joe travaille, consulte, boit beaucoup de whisky, abuse de psychotropes et progresse. Lors d’une manifestation contre les inégalités, il prête assistance à une jeune femme (de niveau 76) qui s’avère être la chef de file du mouvement. Celui-ci est durement réprimé, au nom de l’ordre par le terrible ministre de la sécurité publique et son adjoint. Bien sûr, ils vont tomber amoureux l’un de l’autre.

Concomitamment, Joe travaille avec un groupe pour essayer de débusquer un « ver » qui déprogramme des robots les incitant à se retourner contre les humains. C’est alors que Joe et la belle Evie vont être arrêtés, condamnés et bannis pour trois ans dans la zone interdite avec une probabilité de survie de 1% (cette société est évoluée, donc il n’y a plus de peine de mort). En outre ils se retrouvent tout deux dans un monde hostile et sans aucune technologie.

Après bien des épreuves, ils arrivent à apprendre à survivre et sont aidés par un couple qui réside dans cette zone. Nous sommes non dans Robinson Crusoé, mais bien plus dans L’île mystérieuse de Jules Verne. Ce retour à la vie « primitive », fait évoluer la pensée de Joe.

C’est alors qu’à leur peine achevée, ils reviennent « au monde » avec les trois enfants qu’ils ont eus. Retour triomphant, ils sont devenus le symbole de la liberté et de l’égalité. Après un dernier affrontement avec le terrible ministre, la société devient libre, mais le prix à payer pour Joe est très lourd.

Gary F. Bengier est écrivain, technologue et philosophe (voir en appendice*). Et tout cela se retrouve dans ce livre. Car au-delà de l’histoire, il y a avant tout des réflexions philosophiques autour d’un thème principal : science sans conscience n’est que ruine de l’âme.

Mais qu’est-ce que l’âme, surtout pour de l’intelligence artificielle ? Qu’est-ce que le libre arbitre ? Le libre arbitre est-il imaginable dans une société technologique où tout est prédéfini, où l’homme n’intervient pas ? Dans la nature, quand l’homme est seul avec son instinct de survie, quand il doit tuer pour manger, inventer pour cultiver, faire preuve d’empathie avec les autres, revenir à des tâches physiques que font les robots, être responsable de nouvelles vies, alors là, oui, à chaque instant, on doit faire des choix et donc faire jouer notre libre arbitre.

Et de fait, Gary F. Bengier aborde des sujets aussi divers que la présence (ou l’absence) de divinité ou de concept comme l’acrasie. Il pousse le lecteur à réfléchir à sa dépendance à la technologie, à toutes les technologies, même médicales et donc, à ce qui fait son humanité. Mais il aborde aussi des problèmes de sciences politiques comme la servitude volontaire, ce qui fait État, les libertés publiques, etc…

Alors, à partir du moment où on arrive à surmonter le jargon technologique et les instruments qui existent à l’époque du récit et non à celle du lecteur (aidé par un glossaire bien fourni à la fin du livre), on finit par être bercé par cette histoire qui est loin de n’être que de la science-fiction. 

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