Revoir l’émission de John Karp du 30 mai 2022
Mois : mai 2022
« Des phrases ciselées avec l’amour du travail bien fait » (Didier Guillot)
Didier Guillot, J’ai appris à rêver…
Chacun a lu dans son enfance L’île au trésor de Robert-Louis Stevenson, ou en a vu l’un des films. Les randonneurs ont sans doute lu Voyage avec un âne dans les Cévennes, du même auteur. Il fait régulièrement des émules, et Didier Guillot est parti sur ses chemins. Oh, il parle peu de Stevenson, juste au détour d’une phrase, l’écrivain écossais est juste une marque, un itinéraire proposé, pas même un guide de vie sauvage ou simplement naturelle.
L’auteur, la cinquantaine, ouvrier devenu juriste à force de cours du soir pour s’en sortir, sortir de soi et de ses brisures d’enfance, a voulu prendre un bol d’air, faire une pause, retrouver une nostalgie : celle de son grand frère Daniel, mort à 23 ans volontairement parce qu’inadapté à l’existence, probablement bipolaire. Didier nous raconte, au fil du chemin, le bonheur d’être grand frère, le seul bonheur du sien. Lui, le petit, se sentait aimé, admiré, protégé, élevé. Dans de belles pages il dit avec pudeur ces moments que la marche lui remémore, la promenade dans les chemins avec l’aîné, la pêche à la rivière, les jeux d’eau, les insectes sur la peau, et toujours ce sentiment d’être là parce qu’un autre qui vous aime est à côté. Il lui a appris à rêver puis, à 13 ans, l’a laissé.
Pour le reste, quelques anecdotes sur les bobos des cuisses et des pieds, la soif et la fatigue, les gîtes et les bistros, les vieux de rencontre ou l’Anglais alcoolo, l’ex-routarde pieds nus qui accumule les plats de terroir par bonheur de donner à manger, la randonneuse qui se targue de ne voyager qu’avec deux slips, le jeune homme généreux de sa bouteille d’eau mais qui canne dans les montées. Un zeste d’humour, beaucoup d’empathie pour les arbres, les roches, la forêt.
Des phrases ciselées avec l’amour du travail bien fait, les mots ajustés en marqueterie, peu d’épanchements et de lyrisme mais les sauts et gambades d’un esprit au fil d’un chemin. Juste un pas de côté.
Didier Guillot, J’ai appris à rêver… sur les pas de Stevenson, 2021, éditions La Trace, 173 pages, €16.00
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com
Entretien de François de Coincy pour Entreprendre
François de Coincy : « Emmanuel Macron fait partie des gens qui croient que l’argent règle tout »
Dans un essai, Sept idées libérales pour redresser notre économie, éditions L’Harmattan, 2022, militant pour une « vraie » économie libérale pour la France, l’auteur et économiste expose un certain nombre d’idées originales et iconoclastes faciles à mettre en œuvre.
Marc Alpozzo : On dit de Macron qu’il est un « libéral », à mon avis à tort. Dans une tribune du FigaroVox, vous affirmez justement que « sa fascination pour la dette trahit qu’il n’a jamais été libéral »[1]. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs ?
François de Coincy : La liberté c’est le souci de l’indépendance et cela vaut particulièrement en matière économique. Au niveau du pays, à chaque accroissement de dette, nous dépendons un peu plus de nos créanciers et le choix des possibles diminuent.
Emmanuel Macron fait partie des gens qui croient que l’argent règle tout et peu lui importe la manière dont on s’en procure.
Autant l’endettement est utile lorsqu’il finance des projets dont les retombées futures permettront d’en rembourser les échéances, autant il devient un corset insupportable lorsqu’il permet le déficit public.
Autant l’impôt qui paie les dépenses publiques est un processus clair entre l’Etat et les citoyens, autant l’endettement est un palliatif antidémocratique permettant de faire des dépenses sans conséquences apparentes pour les citoyens.
Emmanuel Macron n’a effectivement rien d’un libéral : Il dirige en disant « ne vous inquiétez pas je m’occupe de tout » et c’est ce qu’il fait : à crédit. Cela expliquerait sa fascination apparente pour l’argent magique qui lui évite tous les désagréments de la cruelle réalité, celle qui l’obligerait à demander aux citoyens de fournir des efforts.
M. A. : Votre essai s’intitule Sept idées libérales pour redresser notre économie (L’Harmattan, 2021). Ce serait bien trop long de les reprendre toutes ici, mais quelle serait l’idée phare qui nous sortirait de la crise économique actuelle, selon vous ?
F. C. : La crise économique n’est pas actuelle, elle est permanente depuis des dizaines d’années et malheureusement je ne pense pas qu’une seule mesure puisse nous sortir de la crise en dehors de la mise en œuvre du principe libéral de responsabilité individuelle.
La mesure phare des idées que je propose me semble être le système monétaire libre pour deux raisons :
D’une part c’est la dérive de l’argent gratuit de la BCE qui permet le laxisme budgétaire qui nous amène devant un mur de dettes.
D’autre part, c’est le système monétaire dirigé actuel qui génère les crises financières qui déstabilisent l’économie. L’inflation constatée aujourd’hui n’est que le résultat des montagnes de liquidités émises par la Banque Centrale.
Il y a une double erreur dans la mission confiée à la BCE
D’une part on lui donne le soin de réguler l’inflation : Dans l’inflation il y a deux éléments, la dépréciation monétaire et l’augmentation propre des prix. Si la dépréciation monétaire était inexistante, il ne resterait que l’augmentation propre du prix des produits contre laquelle cela n’a aucun sens d’essayer de lutter : On voit mal comment la Banque Centrale pourrait lutter contre une augmentation des prix du pétrole décidés par les pays exportateurs. Quant à la dépréciation propre de la valeur de la monnaie, elle résulte en général des manipulations effectuées par la Banque Centrale elle-même en pesant sur la masse monétaire ou le taux d’intérêt.
D’autre part on lui demande de favoriser la croissance. C’est également une mission impossible, le système monétaire n’est qu’un système comptable d’écritures de dettes et de créances et seule l’économie réelle peut avoir un impact sur la croissance.
Ce ne devrait plus être la banque centrale qui détermine arbitrairement les taux d’intérêt ni les masses monétaires, mais elle devrait créer et réguler un marché libre des dettes et créances dont ressortirait les taux d’intérêt.
La seule mission de la BCE devrait être de garantir l’intégrité du système monétaire. Si cette idée était adoptée, cela éviterait les crises financières, certains enrichissements sans causes du système financier privé, mais surtout les déficits excessifs des Etats.
Ainsi notre pays ne pourrait résoudre ses problèmes qu’en agissant sur l’économie réelle c’est-à-dire tout simplement par le travail.
M. A. : Vos idées pour un programme plus libéral sont simples mais aussi iconoclastes. Par exemple, pour l’Éducation nationale, dont les résultats PISA sont assez inquiétants, vous préconisez de « confier l’Éducation nationale aux régions ». Vous déterrez le face-à face jacobins-girondins, qui relève d’une vieille histoire française. Pourtant, vous reconnaissez-vous-même que ce qui va mal à l’école, ce n’est pas la centralisation de l’école, mais bien l’idéologie socialiste du « bac pour tous ». Comment cette « vraie décentralisation » comme vous l’appelez, permettra-t-elle de relever le niveau ?
F. C. : L’Éducation Nationale est dans la situation de l’entreprise monopolistique qui devient de moins en moins performante au fil du temps parce rien ne vient la remettre en cause. On n’y peut contester une décision, on n’y peut prendre d’initiatives, tout vient d’en haut, d’une Direction elle-même ligotée par ses propres agents.
Si chaque Région prend en charge toute la politique de l’Education sur son territoire, ses élus auront aura à cœur d’avoir les meilleurs résultats par rapport aux autres. La concurrence jouera non en termes monétaires mais en termes de réputation. Les régions pourront avoir des approches différentes au niveau des programmes, des qualités professorales ou des organisations mais elles auront toujours à l’esprit qu’elles seront comparées aux autres. Avec une telle émulation, il y aura une dynamique pour promouvoir les meilleurs professeurs et les meilleures méthodes d’enseignement. Les idéologies seront abandonnées car les parents et les élèves privilégieront l’efficacité en demandant aux établissements moins performants d’adopter les méthodes des meilleurs.
C’est à partir de cette diversité d’initiatives différentes que pourra se développer l’excellence à partir d’une ou deux régions puis communiquées aux autres. Je ne prône aucun système d’éducation, je propose la liberté qui permet aux meilleurs systèmes d’enseignement d’émerger et de supplanter progressivement les autres.
M. A. : Vous abordez la réforme des retraites, qui sera le gros dossier du nouveau quinquennat de Macron, et qui augure déjà de nombreux désordres sociaux. Que pensez-vous de la retraite à 65 ans, et que préconisez-vous plutôt ?
F. C. : On fait une fixation sur l’âge de départ en retraite qui ne devrait pas être l’objet du débat, mais un paramètre laissé à l’appréciation de chacun. Pour cela il faudrait clarifier le sujet entre ce qui relève de la responsabilité individuelle, les cotisations de retraite, et ce qui relève de la solidarité collective, l’impôt finançant le minimum vieillesse.
L’équilibre du système de cotisation retraite par répartition ne doit pas être calculée sur une année, mais sur longue période de telle sorte que les déficits ou excédents d’une année ne soit qu’une dette ou créance du système qui doit s’éteindre naturellement. Il est évidement absurde de faire la répartition en fonction du solde annuel et non en fonction des sommes cotisées dans le passé. Il faut qu’en moyenne lorsqu’on prend sa retraite, le montant des pensions à recevoir compte tenu de l’espérance de vie, soit égal aux cotisations payées dans les années précédentes. Ce n’est aujourd’hui pas le cas : les cotisations payées sont inférieures aux retraites à percevoir.
Une fois ce principe posé, c’est à chacun de déterminer librement quand il veut prendre sa retraite, une fois qu’il a atteint au moins le minimum vieillesse. Les métiers générant une usure physique ou intellectuelle prématurée doivent faire l’objet d’une sur-cotisation à la charge des entreprises.
Il y a par ailleurs une solidarité nationale envers ceux qui n’ont pu se constituer une retraite suffisante qui ne relève pas des cotisations retraites et qui doit être assurée par l’impôt
Il y a donc une clarification à faire sur ce qui relève des cotisations afin de laisser à chacun la responsabilité des modalités de sa retraite et ce qui relève de la solidarité qui doit être définie par la représentation nationale.
M. A. : En réalité le libéralisme économique dans votre livre ressemble plutôt à un libéralisme mâtiné d’interventionnisme de l’État, n’est-ce pas ? À la fois une libéralisation du marché monétaire, une régionalisation de l’Éducation nationale, et une régulation plus étatiste qu’idéologique, voire apocalyptique de l’écologie. Alors pourquoi pensez-vous que le libéralisme fasse tant peur à la France ?
F. C. : L’intervention publique est essentielle pour mettre en œuvre les règles qui permettent ou favorisent la liberté, notamment économique, mais l’Etat doit s’en tenir à cette mission et laisser les acteurs opérer librement. A titre exceptionnel, il intervient évidemment en cas de défaillance du système.
Le libéralisme est mal compris des Français qui l’assimilent à tort au laisser-faire. Beaucoup de « libéraux » eux-mêmes n’ont pas compris que la liberté n’est pas un état naturel et que c’est au contraire une création humaine qui nécessite des règles.
La démagogie démocratique pousse les candidats au Pouvoir à offrir à leurs électeurs une assistance de plus en plus grande. On a atteint des sommets lors des dernières élections lorsque le Président Macron a multiplié les chèques électoraux payés par la dette, obligeant ses concurrents à faire de la surenchère.
Après tous ces cadeaux populistes, la raison libérale qui demande à chacun de prendre en main son destin est évidemment inaudible.
La question se posera lorsqu’arrivera la fin de l’argent magique : Emmanuel Macron pourra-t-il prolonger sa martingale monétaire durant cinq ans ou devra-t-il manger son chapeau comme quand, il y a quarante ans, François Mitterrand dut abandonner les mirages socialistes ?
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Philosophe, essayiste
Auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres
François de Coincy, Sept idées libérales pour redresser notre économie, éditions L’Harmattan, 2022.
François de Coincy, né en 1945 (75 ans) : 2020 – auteur d’un livre d’économie : « Mozart s’est-il contenté de naître ? » ; 1977 – 2018 PDG de la Compagnie de Chemins de Fer Départementaux. Redressement de la société et transformation en holding solide et diversifié ; 1976 – 2000 Création et développement d’un groupe immobilier en association avec un ami ; 1970 – 1976 Groupe Hachette (diverses fonctions gestion finance) ; 1970 Diplomé ESC.
[1] « La fascination d’Emmanuel Macron pour la dette trahit le fait qu’il n’a jamais été un libéral» : (Publié le 30/11/2020 à 21:18, mis à jour le 01/12/2020 à 14:30) : https://www.lefigaro.fr/vox/economie/la-fascination-d-emmanuel-macron-pour-la-dette-trahit-le-fait-qu-il-n-a-jamais-ete-un-liberal-20201130?fbclid=IwAR0gcmKw1sJ5FVqCXqYHtjS8cKqDpKSArrFT6T1NYEdQgA-HC9Pl6GX5LT0
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Grand entretien Christian Mégrelis et Marc Alpozzo pour Entreprendre
argumentaire du premier livre de Didier Guillot, écrivain marcheur
Dîner-débat sur Me Too avec Gérald Wittock et Paul-François Paoli le 3 juin 2022
Vendredi 3 juin 2022 à 20h : Soirée Me Too avec Gérald Wittock et Paul-François Paoli, au restaurant le Petit Saint Benoit, 4 rue Saint-Benoit, 75 006 Paris (inscription obligatoire par sms 06 84 36 31 85)
Argumentaire Anne Mansouret candidate aux législatives
Tribune des philosophes Emmanuel Jaffelin et Marc Alpozzo « Le wokisme et la cancel culture veulent-ils la mort de notre civilisation ? »
Le wokisme et la cancel culture veulent-ils la mort de notre civilisation ?
Par Marc Alpozzo et Emmanuel Jaffelin, Philosophes et essayistes
Tribune. Non seulement le wokisme, ce mouvement venu des campus américains, ne nous déçoit jamais, mais il devient de plus en plus agressif depuis quelques années, dans notre vieux monde, où on y a vu naître les arts, la littérature et la philosophie. Parti désormais à l’assaut de notre patrimoine culturel, le wokisme a déjà fait des dégâts, obligeant les éditeurs d’Agatha Christie par exemple, en France, à rebaptiser en 2020, son Dix petits nègres, par ce titre sans fondement :Ils étaient dix, et qui a fait dire à l’historien Jean-Yves Mollier, préconisant de contextualiser les œuvres plutôt que de les corriger (dans un numéro de Télérama datant du 24 septembre 2020) : « C’est prendre les gens pour des imbéciles ».
Si jusqu’à présent, on regardait les Américains avec une distance amusée, jouant ainsi aux canceleurs de service, voici que cette vague d’annulation de notre culture est au cœur du débat public. Cette « nouvelle gauche religieuse américaine » comme l’appelle Mathieu Bock-Côté dans un brillant essai sur le sujet[1] n’a donc pas fini de faire parler d’elle, déboulonnant les statuts, annulant des titres de nos classiques, imposant un nouvel ordre mondial qui se veut éclairé par la Révélation diversitaire.
Le Nègre de Narcisse, jugé offensant
Et voilà que, ces jours derniers, suite à la polémique autour du titre de l’œuvre de Joseph Conrad, Le Nègre de Narcisse, estimé « offensant », le titre de ce récit maritime a été changé, rapporte Le Figaro (jeudi 12 mai 2002). Ce roman de Joseph Conrad s’est fait connaître dans les librairies et bibliothèques sous le titre Le Nègre de Narcisse, qui est la traduction littérale de son édition originale The Nigger of the Narcissus publiée en 1897. Désormais, il paraîtra en français dans une version modifiée et sous un nouveau nom : Les Enfants de la mer, reprenant fidèlement le titre de l’édition américaine. Ce sont les éditions Autrement qui ont choisi de le rebaptiser ce roman, en raison du mot nègre , jugé potentiellement « offensant » pour les lecteurs.
Le mot nègre aux États-Unis a été remplacé dans le langage courant par le mot « the N word », jugé moins blessant. Chez nous, c’est tout simplement à la tronçonneuse que l’on s’attaque à ce vieux mot, qui est à la fois un substantif (au féminin « négresse »), utilisé pour désignant les Noirs d’Afrique ou afro-descendants, plus particulièrement quand ils sont réduits en esclavage. Également un adjectif, il était utilisé au XXe siècle pour désigner l’ensemble des populations et cultures d’Afrique subsaharienne. Certes, avec le temps,le substantif a pris une connotation péjorative et raciste, influencé qu’il fut par par l’anglais, langue dans laquelle la connotation péjorative est beaucoup plus forte. De plus, ce mot est indissociable de l’histoire de l’esclavage, servant de radical pour les mots relatifs au commerce des captifs africains (traite négrière, navire négrier, etc.), et il rappelle les heures sombres de notre histoire. Mais n’oublions pas toutefois, que ce terme a été transformé aussi, par le mouvement littéraire de la négritude, fondé notamment par les intellectuels Césaire et Senghor, afin de s’approprier cette meurtrissure infligée par l’histoire, mais sans toutefois en effacer la charge douloureuse, ce qui permettait de passer d’une connotation péjorative à une appellation positive.
Un peu d’histoire et d’étymologie
Dérivé du latin niger, « noir » en tant que couleur, le dictionnaire de Geoffroy nous dit qu’il apparaît en ancien français au XVIe siècle, negre et nigre (noir) pour désigner la couleur noire. Le terme sera ensuite repris à partir de 1529 au mot espagnol negro, « noir », pour désigner les personnes de couleur noire. Selon Myriam Cottias, directrice du Centre international de recherches sur les esclavages et post-esclavages, le mot trouve son origine dans un lieu géographique précis : la région située autour du fleuve Niger, la Négritie, là où les Portugais développent l’esclavage avec l’appui du royaume du Kongo. Durant la traite atlantique, cette origine géographique sera indissociablement liée à un statut : la servitude, les marins portugais appelant negros »[2] les Africains qu’ils capturent sur les côtes pour en faire des esclaves aux Amériques.
En faisant un peu d’histoire et d’étymologie, on comprend alors mieux l’origine de ce mot, et cela permet évidemment de nuancer des titres anciens, qui, bien entendu, n’apparaîtraient pas aujourd’hui si le roman en question était publié au XXIe siècle : à la fois parce que ces titres seraient anachroniques, mais surtout offensants.
Cette censure morale rétroactive est donc suspecte et dérangeante. Jusqu’où ira-t-elle ? N’oublions pas par exemple, le Negro Spiritual, ce type de musique sacrée et vocale que créèrent les esclaves noirs des États-Unis au XIXe siècle et qui est à l’origine du Gospel. Supprimer « Negro » reviendrait donc à retirer l’origine géniale d’un type musical ! Et pensons que dans la langue française, le mot « nègre » est assumé, voire aimé et revendiqué par les artistes et écrivains d’origine africaine. C’est le cas de Dany Laferrière qui a écrit un roman magnifique et subtile qui s’intitule Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1995), titre qui joue sur une image sexuelle des Africains et raconte les exploits sexuels d’un Haïtien émigré au Canada. Ce livre vaut Les dix petits nègres mais avec plus de coïts que de crimes[3] !
« Racisme systémique »
Mais le mouvement Woke ne compte pas faire de pédagogie. Entendant juste déconstruire le vieux continent de son supposé « racisme systémique », les « wokes » parlent « d’intersectionnalité », de « cancel culture » et « d’appropriation culturelle », ainsi que d’« adelphité »[4], ou « whitewahsing »[5]. Mouvement né aux États-Unis, il s’articule autour d’un ensemble de termes spécifiques, empruntés à l’anglais, ainsi que des concepts sociologiques remontant parfois à la Grèce Antique. Ainsi ce mouvement met en place des enjeux idéologiques, dont le but premier est de déconstruire l’histoire et la culture occidentale, dite « trop blanche ».
L’idéologie woke ayant pris d’assaut du dictionnaire Le Robert, avec le pronom « iel » (voir la chronique de Marc Alpozzo dans ces pages), le cinéma, notamment la culture pour la jeunesse (tels les nouveaux films de Walt Disney qui sont « wokes » en Occident, mais certainement pas en Chine ou dans les pays d’Arabie saoudite), les manuels scolaires, le langage courant, qui autorise ou n’autorise plus certains mots, voire certaines idées, on voit également aux États-Unis, des parents désormais s’insurger contre la présence, dans les bibliothèques scolaires, d’ouvrages qu’ils jugent sulfureux. C’est devenu un débat ouvert là-bas, puisque ces parents veulent leur suppression pure et simple, dont plusieurs classiques de la littérature américaine, commeL’Attrape-cœurs, de J. D. Salinger, Les Raisins de la colère et Des souris et des hommes, de Steinbeck, ou des œuvres plus récentes, comme Beloved, de Toni Morrison[6]. Or, si le camp libéral crie à la censure morale, force est de constater que ce mouvement d’annulation sans appel progresse et traverse désormais l’Atlantique.
Déconstruire
Si donc, le mot « woke », issu de l’anglais, signifie proprement « éveillé », ce terme est surtout utilisé comme une formule aux États-Unis dans les communautés afro-américaines tout au long du XXe siècle, tel « Being woke » , pour signifier qu’ils sont « éveillés » aux injustices sociales pesant sur leur communauté. Devenu un mouvement populaire et politique, le « wokisme », est repris par « Black Live Matter » dans un sens plus élargi, puisque désormais « être woke » englobe tout ce qui est relatif aux injustices et oppressions, dont le combat est porté en étendard par ses adeptes, en appelant aux « dominés » à « s’éveiller », donc à se libérer en combattant les « dominants » usant de leurs privilèges sur eux. Outre, la grande paranoïa victimaire de cette idéologie, « être woke » est une formule qui appelle à s’attaquer à tous les symboles marqueurs de cette domination, – puisque c’est bien connu, si la domination blanche existe encore, c’est parce que leur culture demeure prédominante dans nos sociétés !
Pour cela il faut donc tout déconstruire. D’où le « déconstructivisme », néologisme forgé par Jacques Derrida, Le philosophe de la dé-construction. Souvent employé par les « wokes », afin d’intimer l’ordre aux personnes dites « privilégiées » de se dé-construire, autrement dit de chercher à se dé-faire de leurs privilèges et d’un ensemble d’habitudes que la société leur a accordées. C’est ainsi que le « wokisme» entend aussi se dé-barrasser des « stéréotypes de genre », dont le mot « nègre ». Leur arme : la cancel culture, que l’on peut traduire en français par la « culture de l’effacement », et qui préconise tout simplement « d’effacer » ou de « boycotter » dans l’espace public les statues, les œuvres littéraires et artistiques ou les personnalités jugées « racistes, sexistes ou homophobes »[7].
« Racialisation des rapports sociaux »
Si donc désormais, la « racialisation des rapports sociaux devient l’horizon indépassable du progrès démocratique », tel que l’écrit Mathieu Bock-Côté dans l’essai cité, mal nous en prendrait de nous élever contre la culture diversitaire. En effet, ne pas reconnaître le privilège blanc, ou contester le militantisme échevelé de cette nouvelle gauche « woke » et diversitaire nous condamnerait aussitôt. Ce mouvement ne tolère aucune opposition. Son objectif : nous éveiller tous et nous éclairer. Pour cela : faire de la « race » une catégorie sociologique et politique majeure. Et si vous résistez, le paradoxe sera que vous serez accusé de « racisme », de « xénophobie », de « machisme », etc.
Un constat néanmoins s’impose : si le mouvement idéologique et annulateur prend de l’ampleur, notamment le racisme anti-noir aux États-Unis et aussi en Europe de l’Ouest, rien ne change pour autant. Hormis de montrer une haine farouche pour notre culture et notre histoire, ce mouvement, souvent issu d’une gauche caviar remplie de petits bourgeois blancs qui souhaitent autant dé-construire leur culture que celle de leurs parents, – c’est-à-dire un mouvement petit bourgeois qui montre que le meurtre du père n’est pas un concept en psychanalyse qu’il faudrait ranger au placard. Ils font même du « racisme structurel » et de la « diversité » un étendard de leur supériorité, qu’ils comptent bien confirmer en l’infirmant, se disant ainsi prêts à envisager leur « privilège blanc » à la fois pour mieux le combattre, mais surtout pour mieux le dissimuler afin de le conserver et de le renforcer.
Mieux que de construire, l’idéologie du woke envisage de détruire, au nom des idéaux de la gauche diversitaire. Personne, néanmoins, ne propose quoi que ce soit de mieux, sinon l’annulation pure et simple de 2000 ans d’histoire et une civilisation que l’on voue aux gémonies sans bien savoir pourquoi. L’histoire nous a pourtant montré à travers les purges staliniennes et la grande révolution culturelle prolétarienne de Mao, que ces mouvements émancipateurs, en réalité, émancipent peu ! Quant aux dégâts qu’ils entraînent, ils s’avèrent infiniment plus négatifs et nuisibles que les bénéfices qu’on en tirera à terme !
Donc, plus que de se réjouir de ces pseudo-avancées culturelles et morales, il s’agirait de faire un vrai travail de compréhension de notre histoire, ainsi qu’un travail de recontextualisation, ce qui constituerait un vrai progrès moral et philosophique. Il paraît pourtant, que les militants, abreuvés d’idéologie, n’en veulent visiblement pas… et on se demande jusqu’où on laissera faire ces grands travaux d’annulation de notre socle socio-culturel, jusqu’où ça nous mènera, et quel en seront les dégâts irréversibles à la fin…
Achevons ce propos sur une citation de Dany Laferrière dont le livre avait été critiqué et censuré aux États-Unis par ceux mêmes qui militent encore pour l’interdiction d’user de ce mot : « le mot « nègre » est un mot qui vient d’Haïti. Pour ma part, c’est un mot qui veut dire « homme » simplement. On peut dire : « Ce blanc est un bon nègre. » Le mot n’a aucune subversion. Quand on vient d’Haïti, on a le droit d’employer ce terme et personne d’autre ne peut. C’est un terme qui est sorti de la fournaise de l’esclavage et il a été conquis […] L’histoire, c’est que, pour la première fois dans l’histoire humaine, des nègres se sont libérés et ont fondé une nation[8]. »
(Conclusion provisoire) : Après le trotskisme, à la mode chez les bobos au siècle précédent, succède le wokisme : l’enjeu glisse ainsi du politico-économique au socio-culturel. Leur mouvement « messianique » a moins pour visée de construire que de dé-construire, c’est-à-dire de détisser tout le fil d’une civilisation plurimillénaire, par haine et hostilité, sur les dé-combres de leur « conscience raciale » et d’une « histoire des Blancs » que l’on fantasme d’un côté et que l’on veut dé-construire de l’autre. En rêvant de dé-blanchir l’homme occidental, en demandant réparation, on cherche plus à racialiser les rapports humains afin de prendre le pouvoir plutôt que de transformer la civilisation occidentale en un monde à taille humaine et fait pour tous. Le racialisme anti-blancs est surtout un Tribunal révolutionnaire de notre époque de dé-cadence et de dé-perdition, et notre civilisation pourrait ne pas en réchapper…
Marc Alpozzo
Philosophe, essayiste
Auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres
Emmanuel Jaffelin
Philosophe, essayiste
Auteur de Célébrations du bonheur, Michel Lafon
[1] Mathieu Bock-Côté, La révolution racialiste et autres virus idéologiques, Les presses de la cité, Paris, 2020.
[2] Source : Wikipédia.
[3] Il n’y a d’ailleurs aucun crime dans ce roman qui est plus policé que policier !
[4] Ce mot est l’apanage d’un féminisme dit « intersectionnel » (qui englobe toutes les discriminations faites aux femmes).
[5] Veut dire se grimer le visage en noir, que ce soit pour jouer un personnage noir au théâtre, au cinéma, ou en guise de déguisement, quand on est blanc. C’est une pratique dénoncée par les « wokes » sous l’anglicisme « black face », soit « visage noir ».
[6] Voir à ce propos un très bon papier dans Le Figaro d’Adrien Jaulmes du 14 avril 2022 : Conservateurs contre wokes : la bataille des bibliothèques scolaires américaines .
[7] Tout récemment, le maire socialiste de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol a proposé de remplacer la statue de Napoléon qui trône sur la place de l’Hôtel-de-ville par une effigie de Gisèle Halimi
[8] Cf. Émission de Radio-France du 8 octobre 2020 : Peut-on encore utiliser le mot « nègre « en littérature ? », avec Dany Laferrière par Yann Lagarde.