TRANSVERSALITES
JUILLET / SEPTEMBRE 2009
LA PAUVRETE : UNE APPROCHE SOCIO-ECONOMIQUE – ENTRETIEN AVEC JEAN-LUC DUBOIS (Jean-Luc Dubois est Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et au Centre d’économie et d’Ethique pour l’Environnement et le Développement (C3ED) de l’Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines (UVSQ) Il est également enseignant au Master Economie solidaire et logique de marché de l’Institut Catholique de Paris.
Cet entretien a été conduit par Elena Lasida, directrice du Master Economie solidaire et logique de marché à l’Institut Catholique de Paris (ICP), avec l’appui de Kevin Minkieba Lompo, doctorant au C3ED.
La pauvreté apparaît avant tout comme un phénomène économique. Or, l’économie a beaucoup évolué dans la manière d’appréhender la pauvreté, notamment à partir des apports de Amartya Sen. Sous forme d’entretien, Jean-Luc Dubois nous présente de façon précise les principales traces et conséquences de cette évolution. (…)
Comment peut-on, sur la base de cette notion de « capabilité », identifier les différentes formes de pauvreté ?
Dans ce cadre, la pauvreté est considérée comme un manque, ou une privation, de « capabilité » à mener la vie souhaitée. A. Sen ne considère la « capabilité » que dans un sens générique, ne citant que quelques « capabilités élémentaires », comme le fait de se procurer de la nourriture, d’apprendre à lire ou d’être soigné. Martha Nussbaum, à l’inverse, propose une liste de dix « capabilités humaines fondamentales », qui s’ajusterait aux contextes socioculturels rencontrés. On est dans une vision de la pauvreté objective et absolue, qui traverse l’espace et le temps. La subjectivité ne s’exprime qu’au travers des priorités et interactions que l’on peut établir entre différentes « capabilités ».
Le fait de considérer la pauvreté comme une privation de « capabilité » a plusieurs conséquences. Tout d’abord, on doit tenir compte de l’accessibilité, ou du droit d’accès (« entitlement »), à l’ensemble des biens et services disponibles. Cette accessibilité est indispensable, car c’est elle qui permet aux personnes de constituer, par accumulation, les actifs dont elles ont besoin comme le capital physique, le capital humain résultant d’une fréquentation régulière de l’école, le capital social en tissant des liens, etc. Ensuite, il faut connaître les aspirations des personnes afin de pouvoir définir les priorités en termes de « capabilités » à renforcer ou à étendre. Ce sont ces aspirations qui vont orienter les décisions collectives et les mesures qui seront mises en oeuvre dans le cadre des politiques publiques. Enfin, se pose la question de la conversion des ressources en fonctionnements. C’est ainsi que l’on peut déterminer ce que les gens sont réellement capables de faire et d’être, en fonction de leurs aspirations et face aux opportunités disponibles. Or, cette conversion est à l’origine de l’inégalité de « capabilité » entre les personnes et soulève bien des questions de justice sociale.
Mais la définition des « capabilités » ne rejoint-elle pas l’idée des « conditions de vie » de la première approche ?
Il est vrai que lorsqu’on détaille la « capabilité » (au sens de A. Sen) en une liste de fonctionnements, ou mieux en une liste de « capabilités humaines fondamentales » (au sens de M. Nussbaum), on rejoint la vision des conditions de vie. Les fonctionnements expriment, de fait, l’accomplissement d’un certain nombre de conditions de vie en ce qui concerne la santé, l’éducation, le logement etc. Ils se rapprocheraient même plutôt des conditions d’existence vu l’ouverture multidimensionnelle qui les caractérise. (…)
Pour en savoir plus :
Nussbaum M., Femmes et développement humain : l’approche des capabilités, Paris, Des femmes, 2000 (réédition 2008)