Un Beau « Prince de Galles » sur Le Nouveau Cénacle, par Julien Leclercq
Raphaël Passerin publie Prince de Galles aux éditions Valeurs d’Avenir, un premier roman entraînant au cours duquel les voyages, le monde de l’édition et la quête de soi sont entremêlés.
Nous achetons des livres et les lisons, sans nous soucier de la langue originelle, c’est-à-dire la matière brute dans laquelle l’œuvre a été confectionnée. Le succès croissant de la littérature étrangère a tendance à nous faire oublier que ces romans ont été composés dans un autre langage, avec d’autres codes qu’il a fallu adapter aux nôtres. Nous faisons même fi d’un précieux intermédiaire sans qui la circulation des livres serait impossible, à savoir le traducteur.
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L’histoire de Samuel Papernick, traducteur de romans sentimentaux qu’il réécrit pour en faire des succès littéraires, est en cela notable. Avec légèreté, Raphaël Passerin nous décrit la trajectoire de cet orphelin amoureux des langues étrangères qui, après une chute dans un escalier, est frappé d’amnésie.
En se réveillant, Papernick ne sait plus l’anglais et doit donc se réinventer. Se traduire une nouvelle personne. S’assumer en devenant un autre. N’est-ce pas le fondement de toute entreprise littéraire ?
Traduction des livres, traduction de soi
L’auteur nous le confirme au cours du roman : « Alors Samuel reprend espoir. Au fond, traduire était une forme de lâcheté, une façon de vivre en sociétaire des lettres par procuration en faisant le cabot planqué derrière les mots des autres ».
On devine l’ombre de Jorge Luis Borges derrière ces mots. L’argentin était non seulement un génie de la littérature, mais aussi un immense traducteur. Il estimait qu’une œuvre était toujours à réécrire. En cela, l’oeuvre du traducteur est un rouage essentiel de la littérature, parce qu’elle permet toujours de recomposer un texte. Il l’affirme sans ambages : « L’idée de texte définitif relève de la religion ou de la fatigue ».
Raphaël Passerin semble connaître parfaitement la problématique, et distille son hypothèse tout au long d’un récit enlevé et plein d’humour. Pour son personnage, ne plus pouvoir traduire revient à se trahir. La paranomase italienne « Traduttore, traditore » souligne d’ailleurs le lien étymologique entre la traduction et la trahison : lorsque Perpenick se trouve impuissant au niveau de la re-création, il perd son essence. L’auteur suggère en creux que la langue qui nous est la plus étrangère, c’est notre être. Notre essence. Finalement, Prince de Galles pourrait être un hommage à Marcel Proust, qui déclarait : «Le seul vrai livre, un grand écrivain n’a pas à l’inventer (…) mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur.»