Actualités (NON EXHAUSTIF)

L’entrepreneur Guillaume Millo dans L’Hebdo Bourse Plus

La vie de l’immobilier

Propos recueillis de Yannick URRIEN

Quelques conseils pour bien réhabiliter son bien immobilier.

Guillaume Millo : « Il ne faut plus avoir une vision à court terme, mais il faut développer une vision au-delà de sa propre existence. »

Guillaume Millo est issu de l’École Supérieure des Ingénieurs des travaux de la construction de Caen, dont il est sorti major de l’option Bâtiment en 2002. Tour à tour ingénieur, chef de projet (Cari Méditerranée), il est devenu directeur de grands projets (Fayat Bâtiment – Provence) puis directeur d’agence (Fayat Bâtiment – Var) et expert en réhabilitations exceptionnelles (président de Infinity-M). Il est le fondateur de Rehearth. Guillaume Millo vient de publier un livre intitulé « Réhabiliter son bien immobilier comme un pharaon contemporain », qui s’adresse aux investisseurs institutionnels, aux promoteurs privés, aux bailleurs ou fonds d’investissement dans l’immobilier, mais aussi à toute personne qui souhaite se lancer dans une réhabilitation.

L’Hebdo-Bourseplus : La problématique de la réhabilitation d’un bien immobilier va se poser de plus en plus, notamment en raison des contraintes inhérentes à la loi Climat. Vous estimez que tous les investisseurs doivent avoir la culture d’un maître d’ouvrage et que ce n’est finalement pas si compliqué…

Guillaume Millo : Exactement. N’importe qui peut revêtir l’habit ou la fonction de maître d’ouvrage, encore faut-il avoir une vue d’ensemble et une connaissance du processus pour savoir les différentes étapes dans le choix des partenaires. C’est ce qui, généralement, freine le maître d’ouvrage qui n’a pas l’expérience des opérations de construction. Actuellement, notamment avec la loi Climat, la réhabilitation devient nécessaire. Il faut savoir que le béton et l’acier sont responsables de 10 % des gaz à effet de serre et l’on s’aperçoit très rapidement que réhabiliter un bâtiment permet de récupérer une structure existante. Donc, on consomme moins de ressources que si l’on construisait du neuf. Il y a surtout la notion de transmission d’une valeur patrimoniale : on prend le cadeau de nos anciens, on participe à sa modernisation et l’on transmet aux générations futures un bien réhabilité.

Pourtant, on parle beaucoup de l’explosion du coût des matières premières…

J’ai fait cet exercice avec une entreprise de travaux et l’on s’est aperçu qu’entre 2019 et 2022, le coût de construction a augmenté de 20 %. La nouvelle réglementation énergétique contribue aussi à augmenter le coût des constructions, parce que nous avons des matériaux plus écologiques et plus vertueux. On a beaucoup d’énergies renouvelables et cela contribue également à augmenter le coût des constructions.

Quels sont les pièges dans lesquels les propriétaires tombent plus souvent ?

C’est souvent le fait de donner les clés de l’opération directement à un architecte. Cela n’enlève en rien les compétences de l’architecte mais, par méconnaissance du processus, on laisse l’architecte tout faire, alors qu’il va avoir une vision un peu décalée du bâtiment par rapport aux besoins réels du maître d’ouvrage. L’architecte ne va pas se placer dans l’utilisation quotidienne du bâtiment. Il est nécessaire de développer une vision humaine, une vision d’éternité, il est nécessaire de retrouver l’esprit des anciens bâtisseurs. Il ne faut plus avoir une vision à court terme, mais il faut développer une vision au-delà de sa propre existence et sortir de cette idée de marchand de biens. Donc, il y a une vision du bien qui est propre au maître d’ouvrage. Ensuite, il faut partager cette vision avec l’architecte qui va produire un travail de création par rapport à ce besoin qui est émis par un maître d’ouvrage. La première étape n’est pas de trouver un architecte, mais de développer une vision et de partager ce besoin avec l’architecte qui va développer le travail de création.

La multiplication des lois et des textes réglementaires peut-elle effrayer les investisseurs ?

On est dans un monde qui se complexifie. C’est vrai, on risque de réserver le marché de l’investissement immobilier à une élite. C’est pour cela que j’ai voulu vulgariser le processus de réhabilitation en créant une méthode de pilotage, car ce n’est pas très compliqué. C’est accessible à tous et il suffit de piloter des gens qui ont une compétence technique. Ce sont les architectes qui sont sous la contrainte des réglementations pour concevoir des projets qui soient conformes aux réglementations et aux évolutions futures.

Concrètement, comment procéder ?

D’abord, il faut avoir une vision et se dire pourquoi on veut réhabiliter : est-ce pour une simple opération de marchand de biens ? Est-ce pour louer le bien ? Est-ce pour y vivre ? Est-ce pour transmettre le bien aux générations suivantes ? Il faut avoir un diagnostic précis du bien. Pour cela, on fait appel à des bureaux spécialisés pour avoir une photographie de l’état du bien. Ensuite, on développe une faisabilité, notamment sur le coût des travaux et leur durée. Puis on rédige un cahier des charges qui permet de désigner un architecte qui sera en charge de concevoir le bien. Avant de faire la demande d’autorisation de construire, on vérifie avec les artisans que le coût soit compatible avec le budget, pour évacuer très vite le problème financier. Enfin, on fait toutes les déclarations préalables. Mais, ce qui est le plus important, c’est la vision que l’on veut avoir de son bien.

Que pensez-vous de ces sociétés qui prennent en charge tous les travaux moyennant une commission ?

Dans ces métiers, il faut faire une différence entre l’assistance déléguée à maîtrise d’ouvrage et l’assistance à maître d’ouvrage, qui n’est pas déléguée, mais qui sert de conseil. L’assistant va accompagner l’investisseur dans tout le processus, mais l’investisseur a toujours la dernière décision. L’assistant sert simplement à aiguiller l’investisseur dans tout le processus, parce qu’il a une bonne connaissance du métier, pour éviter de tomber dans certains pièges. Je préfère cette deuxième méthode, parce que j’aime bien que le maître d’ouvrage reste propriétaire de son projet et qu’il endosse cette responsabilité. Se faire accompagner par un assistant maître d’ouvrage, cela a vraiment un sens.

Guillaume Millo interviewé par Yannick Urrien

Guillaume Millo : « Il ne faut plus avoir une vision à court terme, mais il faut développer une vision au-delà de sa propre existence. »

L’invité de Yannick Urrien du jeudi 19 mai 2022

Réécouter l’émission 

Guillaume Millo est issu de l’École Supérieure des Ingénieurs des travaux de la construction de Caen, dont il est sorti major de l’option Bâtiment en 2002. Tour à tour ingénieur, chef de projet (Cari Méditerranée), il est devenu directeur de grands projets (Fayat Bâtiment – Provence) puis directeur d’agence (Fayat Bâtiment – Var) et expert en réhabilitations exceptionnelles (président de Infinity-M). Il est le fondateur de Rehearth. Guillaume Millo vient de publier un livre intitulé « Réhabiliter son bien immobilier comme un pharaon contemporain », qui s’adresse aux investisseurs institutionnels, aux promoteurs privés, aux bailleurs ou fonds d’investissement dans l’immobilier, mais aussi à toute personne qui souhaite se lancer dans une réhabilitation.

Emission télé sur le bonheur avec Emmanuel Jaffelin

François de Coincy : contre le chômage de masse, le produit social

François de Coincy : contre le chômage de masse, le produit social

Critique approfondie de l’excellent « Dee Dee Paradize » de Roberto Garcia Saez

Roberto Garcia Saez, Dee Dee Paradize

Le roman qui fait suite à Un éléphant dans une chaussette, chroniqué sur ce blog. Il est plus simple et plus déjanté, se terminant abruptement.

Nous avons laissé Patrick Romero amer, viré de l’ONU où il dirigeait un programme de lutte contre le SIDA et autres tuberculose en Afrique. Accusé sans preuves de s’être mis dans la poche des commissions occultes du fournisseur de médicaments par un flic anglais aigri et borné, il avait tout simplement mis fin à sa mission, permettant au bordel du Machin de ronronner à l’aise dans sa bureaucratie « transparente » mais inefficace. Ce coup de gueule d’un spécialiste en stratégie de santé était bienvenu et bien amené.

La suite est plus facile à lire, plus plaisante, mais moins efficace. L’auteur, comme gêné par son héros, tend à le diluer avant de le finir.

Romero s’est établi en Thaïlande, où il a acheté un appartement à Bangkok, la ville de tous les vices et de tous les plaisirs, avec son femme Isabella. Laquelle s’ennuie de jouer à rester jeune et branchée fêtarde alors que l’âge vient et l’envie d’enfants. Les deux ont bien parrainé un petit Sophea des rues, gamin cambodgien débrouillard et joyeux dans la misère, devenu adulte désormais. Mais Romero n’a jamais eu la vocation de père, bien trop occupé à ses plaisirs égoïstes et flamboyants. Il se voit en grand frère du gamin majeur, comme le Noir Bonaventure le fut pour lui lors de sa jeunesse en Afrique. Il s’affiche avec lui, loue ses services pour aller visiter un village de la frontière où des Chinois déforestent avec l’aval du gouvernement et où un programme de lutte contre le SIDA est en place avec l’association qu’il conseille.

Car il est revenu dans une direction de l’ONU avec un titre ronflant au profil sans objet, permettant à ceux qui l’ont embauché d’avoir un organisateur efficace pour dépenser l’argent facile de l’aide humanitaire. Une étude en double aveugle est entreprise par un labo américain afin de tester un gel intime pour les femmes, censé protéger à près de 80 % de la contamination par le VIH. Curieusement, dans ce village de la frontière où les ouvriers chinois baissent à couilles rabattues, la prévalence augmente au lieu de s’équilibrer entre les lots de placebo et les lots de soin. Y aurait-il une faille ?

Romero rend compte, ce qui le fait haïr de tout le monde, position qu’il adore. Se poser en justicier victime semble être sa tasse de thé. Le flic aigri Harrisson s’empresse de revenir à la charge et d’insinuer que le « pourri » pourrait bien faire du chantage afin d’obtenir encore plus de commissions occultes afin de nourrir son train de vie dispendieux. Sauf qu’on est en Thaïlande, où les prix des plaisirs ne sont pas ceux de Londres. Harrisson s’obstine, en bon puritain borné qui soupçonne le Mal en toute bonne œuvre. Ce qui l’empêche de s’occuper de lui (il sombre dans l’alcool), de sa femme (qui lui est devenue indifférente), de son fils de 14 ans (avec un père absent et une mère rigide, vite devenu pédé), de sa fille de 15 ans (qui veut faire de l’humanitaire en opposition frontale à papa).

Sa névrose rencontre les manigances d’un « révérend » d’une secte de « chrétiens talibans » – évidemment américains du sud – qui veut prouver au monde scientifiquement que tous les produits de soin et de prévention ne sont que des incitations à baiser, donc à « faire le Mal », à l’encontre des commandements de Dieu (qui ne dit rien). Pour cela il magouille les lots avec ses médecins infiltrés ; il veut fausser l’étude. Dommage que l’auteur passe rapidement sur la façon dont il sera contré, cela aurait développé le côté policier de ce roman un peu fade.

A l’inverse, l’auteur se fait une joie d’en rajouter côté baise tous azimuts entre garçons, entre filles, garçon et fille, dominateur et dominant, amis et prostitués. Agrémenté de doses de whisky à assommer un éléphant et de piquouzes diverses à assécher tout désir. Isabella finira par quitter la Thaïlande pour œuvrer en Afrique, quitter Patrick pour se faire monter par un Noir, quitter la vie de plaisirs pour se faire engrosser. Quant à Patrick, bien ravagé par tout ce qu’il consomme et entreprend, il finit mal. Et son Dee Dee bien pire.

Comme quoi le bonheur n’est jamais dans l’excès, qu’il soit de plaisirs ou de vertu.

Roberto Garcia Saez, Dee Dee Paradize, 2021, éditions Atramenta (Finlande), 229 pages, €22.00 e-book Kindle €9.99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Un beau portrait de Didier Guillot dans la Charente Libre

Rouillac : Didier Guillot, la marche, le goût des mots et les souvenirs d’enfance
Le Rouillacais Didier Guillot vient de sortir son premier livre « J’ai appris à rêver ». Un récit personnel et sensible qui ressuscite son frère le temps d’une marche sur les pas de Stevenson.
Par Céline Aucher (Charente Libre du 11 mars 2022)
Didier Guillot le dit en rigolant « Je suis sans doute le seul juriste ajusteur monteur de France ! ». L’ancien ouvrier de la DCN à Ruelle, devenu juriste à Rouillac, pourrait ajouter écrivain, lui qui vient de sortir son premier livre, J’ai appris à rêver (Sur les pas de Stevenson), aux Editions La Trace, objet d’une rencontre dédicace ce mardi 15 mars à la médiathèque de Rouillac. Le récit d’un « marcheur rouillé » à la recherche « du grand spectacle dans les plus brefs délais » qui s’engage sur le chemin de Stevenson, ce sentier de grande randonnée des Cévennes popularisé par l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson au XIXème siècle, que Didier Guillot a parcouru il y a une dizaine d’années.
Sans pathos
Le temps d’une marche de 180 km, seul, sac à dos, à respirer l’odeur de menthe sauvage, de fleurs de sureau en écoutant le bruit des alouettes. Une randonnée littéraire et musicale qui convoque Bashung, Bertrand Belin, Thoreau ou Pablo Neruda, pleine d’émotion et de sensibilité. Un prétexte à faire revivre son frère aîné, disparu trop tôt à 23 ans. La marche qui soulève « l’épaisse couche de poussière que le souvenir de son frère « pisteur pawnee », qui lui a « appris à rêver et sentir le parfum de la rivière » avant de mettre brutalement fin à ses jours.
« C’était le jour de mes 13 ans » se rappelle Didier Guillot. Pas la peine de guetter le pathos : il n’y en a pas dans le récit de ce fils d’ouvrier des usines Chaignaud à La Rochefoucauld. Pas le genre du bonhomme qui cultive la pudeur au point de se cacher derrière son bouquin au moment d’être photographié !
Peut-être parce que dans le monde d’où il vient, on est habitué à « serrer les dents et supporter les charges ». Celles que son frère, impulsif et rétif à l’autorité envoyait souvent balader à grands coups de poings, enchaînant les contrats sans lendemain. Un portrait en creux, par petites touches qui apparaissent ici et là entre le foisonnement de la nature et les rencontres du chemin.
La marche apporte son lot de douleurs et d’émerveillements, mais aussi des souvenirs d’enfance. Où l’eau de la fontaine rappelle « le goût de bois et de vase des eaux de la rivière frôlant les jardins ouvriers » du village de Marillac-Le-Franc, à côté de La Rochefoucauld, d’où est originaire Didier Guillot. La Tardoire où il allait pêcher avec son frère aîné si attentif et attentionné avec lui qu’il pouvait être violent avec d’autres. « On le qualifierait peut-être de bipolaire aujourd’hui », glisse l’écrivain, frappé par l’ambition littéraire au moment de prendre le TER pour le Puy en Velay. « J’avais emporté un carnet sans idée précise en tête, armé de mes figures tutélaires comme Brassens ».
Ce livre, il l’a longuement mûri. « Il était trois fois plus gros au début, je l’ai ramené à l’os », raconte Didier Guillot, titulaire d’un DEA de droit rural de la fac de Poitiers. Le premier de sa famille à faire des études. Sur le tard, tout en travaillant comme ajusteur monteur. « Je voulais me prouver à moi-même que je pouvais étudier le droit : avec la fac de La Couronne pas loin, c’est le plus simple pour moi », poursuit celui qui a passé l’équivalence du bac à 23 ans et quitté son statut d’ouvrier à 30 ans. « A l’école, je n’étais pas forcément studieux, mais je lisais énormément, des auteurs comme Henry de Monfreid, Jules Verne, Balzac… » Une invitation au voyage peut-être aussi hypnotique que la marche. « Celle qui permet de dérégler la pendule ». « La marche libère l’esprit et permet de repenser aux textes et visages qu’on n’a pas vus depuis longtemps ».

Découvrir l’écriture de Didier Guillot, écrivain (« J’ai appris à rêver (sur les pas de Stevenson) »)

Tout d’abord, le chant des oiseaux et le bruissement des insectes, la voix de Pierre Bellemare et les premiers livres, les trésors de l’enfance: L’enfant et la rivière d’Henri Bosco, Raboliot de Maurice Genevoix, Jules Verne et son univers fantastique, Henri de Montfreid et ses mers turquoises, Jack London et l’aventure lointaine, Marcel Pagnol et l’aventure à un jet de pierre. Des bruits, des odeurs, des couleurs pour me pousser hors de la maison.

Et surtout, mon frère, mon grand-frère, toujours à mes côtés, fabuleux compagnon d’aventure: Courir à travers les champs, fuir les taurillons énervés, explorer le lit d’une rivière asséchée, débusquer les vipères-aspics, pêcher l’anguille dans l’obscurité des nuits électriques de fin juillet.

Et cette odeur de menthe sauvage, de fleurs de sureau et de giroflée !

Mon frère, mon grand-frère, dans une mare de sang : Son teint blafard comme la mort, l’incompréhension, de vagues explications sur ses tourments, la douleur immense, le sentiment d’abandon puis, le silence.

A la campagne, un suicide, ce n’est pas convenable. Les gens biens ne s’abaissent pas à de telles pratiques. Je suis devenu le frère du suicidé. A 13 ans, il faut serrer les dents, ne plus en parler et surtout ne pas s’effondrer. Mon héros a disparu. Je dois me débrouiller seul. Après le désastre, les grandes vacances toutes proches m’offrent le moyen de courir après le vent.

A 13 ans, je suis un aventurier et je suis fort. Tous les jours je marche seul dans la forêt, les taillis, les prés, à travers champs, remonte les cours d’eau, escalade les rochers, grimpe aux arbres. La douleur s’estompe à mesure que j’avance, que les jambes s’alourdissent.

Le soir, je n’ai plus la force de penser, de lire. J’écourte les dîners. Trop de silence, au malheur de la famille, je préfère le mien.

La rentrée et le cours des choses. Le sourire est un peu plus figé mais la tristesse ne doit pas poisser mes vêtements. Surtout ne pas gêner les autres avec mes histoires. Alors, je fais comme si de rien était. Le coeur broyé et le visage impassible. Des mois à être dépossédé de mon corps mais le malheur ne tient pas sur les bons tempéraments alors, un beau matin, je décide de redevenir heureux. Le désarroi, les boyaux serrés, l’incompréhension, la colère, tout ce petit monde se retrouve enfermé dans un sac étanche au fonds du garage. Subsiste une petite bulle de mélancolie que je conserve précieusement.

Je soupçonne la musique d’avoir aidé à la manœuvre. D’abord celle qui fait aimer les filles. Un garçon mélancolique connaît toujours un franc succès. Ensuite, le rock de garage, le punk, toutes les douceurs du moment partagées avec les amis. Puis, comme un miracle, Thiéfaine et Manset que je conserve égoïstement sous ma chemise. Ils deviennent mes frères, ils courent à mes côtés, m’invitent dans des mondes lointains. Bashung, évidemment. Je marche à nouveau, léger.

Et les bouquins : Moriarty et Geoffrey Firmin. Kerouac et Malcom Lowry. Une véritable fusion ces deux bouquins. Beaudelaire découvert grâce à Léo Ferré : Les exhalaisons de sa charogne infâme. La poésie à l’état de décomposition. Je suis happée par ce monde merveilleux.

Beaucoup de livres lus depuis se sont consumés au contact de ce brasier.

Je continue la marche dans les bois, dans les prés, je lis avec frénésie et l’école m’ennuie. Mes jambes ont te1lement d’ailleurs à me faire découvrir. Je pense ne pas être fait pour ces quatre murs.

Mais le givre d’une matinée de septembre vous pousse sur un chemin débarrassé de plantes sauvages, usé du pas des ouvriers.

L’âge de travailler et l’usine ! Le grognement des machines et le chant de la lime mordant le métal. Le sentiment de désastre, de ne pas avoir fait ce qu’il fallait. Mais contre toute attente, pas de contremaîtres sadiques, mais des rires, beaucoup de rires, de ceux qui vous font oublier le goût du fiel. Des amis qui voient bien que je ne suis pas fait pour le travail manuel. Trop cérébral disent-ils ! Mais je m’accroche et fais de mon mieux. Je ne veux pas les décevoir. Ils m’aiment, je les aime. Ils sont de l’âge de mon frère.

Le peu d’argent gagné est dépensé en excès. Je n’ai le temps d’être sérieux. Je courre aux côtés de mes nouveaux compagnons. Ils sont fabuleux. Je courre tellement que seule la musique me suit. Plus de livres, pas le temps. Il faut vivre pour laisser le sac bien étanche au fonds du garage. Je ne m’accorde que le droit de vivre. Je suis bien. Je marche. Mon territoire s’agrandit. Je traverse l’Europe. Les murs de l’usine ne sont pas si hauts que çà !

Mais voilà, toujours ce fichu désir de singularité, de me confronter à un autre monde. Je me plonge à nouveau dans les livres mais ceux-ci ont le goût du labeur. L’usine et la fac de droit dans la même musette avec toujours l’idée de dépassement. Je travaille ma schizophrénie. Et me voilà projeté entre de nouveaux murs à la peinture bien propre à conseiller des gens sérieux que je ne connais pas. Moins de rires, de spontanéité, j’en regretterais presque le grognement des machines et le chant de la lime mordant le métal.

Enfin revenu aux heures calmes, la lecture reprend. Mes choix se radicalisent : Jim Harrisson et ses forêts du Michigan, Luis Sépulvéda et son amazonie, Walt Whitman et ses champs cotonniers d’ Alabama et Texas, Frison-Roche et sa lumière de l’arctique, Le Clezio et son chercheur d’or, Jean Hegland et son admirable roman« Dans la forêt». Pour ouvrir un livre, le minimum imposé à l’auteur est de m’offrir une cabane, un castor et un tourbillon d’air pur. Un lexique des grands espaces.

La musique : Toujours Thiéfaine, Manset, Higelin, Bashung et quelques éclairs déchirant la nuit comme Bertrand Belin.

A la lecture et à la musique, s’agrège une envie irrésistible d’écrire. En même temps que j’écoute les gens, ma main a 13 ans et griffonne des mots incompréhensibles. Il y est question de chemins, d’animaux terrifiants, de volcan, d’azur, de jolis mots bercés de musique, de bars enfumés, d’espace, de paysages grandioses, de nature, d’océans déchaînés, de tribus sauvages, de courses à travers les champs.

Les phrases s’organisent, prennent place sur de belles pages blanches. Les tiroirs se remplissent de ces écrits à la qualité inégale, débordent. Mais la poussière a un sale goût. Rousseau et Thoreau me soufflent que les mots sont bien plus beaux lorsqu’ils naissent en p1ein air alors, je reprends la marche, seul pour bien profiter de la présence des fantômes. Le chemin de Stevenson, les chemins Cathare, le chemin de Saint-Guilhem, le tour du Larzac puis, l’aventure en bande organisée. La Laponie avec des amis par – 35°C, l’obscurité, le plus beau ciel du monde, les aurores boréales et les cabanes de trappeur. Je marche et j’écris.

Cet ouvrage est né de toutes ces turbulences et de la nécessité de ralentir le cours des choses. Je n’ai rien trouvé de mieux que la marche, la musique et l’écriture pour enraciner ma présence sur la croûte terrestre, pour lui donner de l’épaisseur.

Ce soir, je vais m’asseoir au bord du ruisseau. A mes côtés prendra place mon frère, mon grand-frère. Pour me faire plaisir, il aura conservé sa longue mèche blonde lui mangeant le visage. Il aura pris un peu de poids, c’est normal à son âge. Il s’enquerra de ma santé comme il l’a toujours fait et je lui lirai ces quelques mots griffonnés sur un bout de papier.

Alors, je lui dirai : Dis, tu te souviens de cette odeur de menthe sauvage, de fleurs de sureau et de giroflée ?

Il aura les larmes aux yeux et m’embrassera.

Deux critiques de Didier Guillot

Critique de Eylyne Léraut :

Émouvant, initiatique, « J’ai appris à rêver» est un phénomène éditorial.

Un futur classique dès l’aube née.

« Sur les pas de Stevenson» essentialiste, fascinant, l’intime à fleur de peau, loin d’un récit voyageur, ici, c’est la marche qui honore la venue d’un théologal prêt à éclore.

Un homme, en l’occurrence Didier Guillot décide d’affronter 180 km à pied, s’éprouver et vaincre ses démons enfouis.

« Surtout ne pas mépriser la force du hasard car à trop vouloir maîtriser les évènements, on se prive de voyage.

« C’est seul que je partirai en cavale pour arpenter les replis de mon imaginaire.

« Je suis ce sédentaire contrarié avec des petits bouts d’ailleurs,

envahissant mon domicile.»

L’aurore en horizon, l’esprit vif et attentif, Didier Guillot, de monts en villages, de rencontres ou de solitude œuvre à sa renaissance. Le poids lourd d’un deuil, pierre dans son sac à dos, son frère décédé, le mouton noir, !’égaré, lorsque Didier n’avait que treize ans. Le périple est une prière. Les pensées, des fiançailles avec les souvenirs. Une chapelle qui dresse son armure d’ivoire, l’antre à portée de vue.

Il marche et retient dans ses mains l’image subliminale d’un frère allié, aimé à ra folie de son enfance mie de pain. Partir et affronter le regard bleu, l’invisible si émouvant encore.

Didier Guillot prend soin des hôtes de ses hasards.

« Plusieurs bières sont nécessaires pour que naisse une conversation fraternelle aux accents de vraie vie. »

« La terre digère lentement les vaincus. »

Poursuivre la marche, cailloux dans la chaussure, bientôt le lac et les eaux profondes, la pluie dévaste les horaires réguliers.

La nature écrin, Stevenson interpelle le glaneur des contre-jours. Pénétrer subrepticement un monde fantastique.

L’écriture si belle et confidente s’arrime aux cimes avides de lumière. Un sage déambule, l’électrochoc des intériorités, sons des cloches à flanc de montagne.

Écoutez :

« L’envie de solitude doit se résoudre à faire un peu de place aux autres. »

« Mon frère, dix ans plus âgé que moi, englué dans sa mauvaise

une nymphe après qui courir »

Retenir la page, bruissements d’herbe, perles de rosée sur un front pâle, le regard en visière, le plein du monde sur le cœur. Le périple est une chorale, une espérance, une vertu à soi¬ même. Quand bien même les larmes du marcheur, elles sont belles et accueillantes.

« Ce fils laissé en jachère est ici reconnu par les siens. Ici, archange messianique. Sa chapelle garnie d’estropiés cueillant dans l’air tremblant d’une nuit de mai, le brin de dignité que le jour leur refuse. »

Les mots s’envolent, myriades de beauté, voûte céleste. Ici, c’est le tremblant verbal qui est macrocosme. Didier Guillot ne met jamais le genou à terre. L’offrande au frère-roi est son émancipation en advenir.

« La peine d’un enfant n’est pas sérieuse. Les Indiens ont une mort plus belle que la nôtre. »

L’Escoutal et son nid d’aigle, la dernière pluie exutoire, l’orage s’approche. Qu’importe ! La résilience est un chemin de croix. Je confesse des torts partagés.

« J’ai appris à rêver » est un premier roman qui dépasse largement ses grands frères. Didier Guillot sait la marche intrinsèque d’une littérature de renom. D’aucuns trouveront dans ce récit la source où s’abreuver. La lumière qui perce au travers des collines. Vous avez la vie qui palpite, les nostalgies souveraines et les épreuves gagnantes. Ce livre est une merveille d’apaisement et de complétude. un havre où chaque de gré est l’épiphanie. « Les années ont usé la douleur. Aucune carte ne voit cette croisée de chemins du clocher du village. » Une rédemption, une ode au frère. magistral, salvateur, une réussite hors pair, un monument véritable et bouleversant. Publié par les majeures éditions La Trace.

Critique de JPL : 

Un parcours initiatique, avec en toile de fond une quête tragique, rythmée par le déroulement des paysages et des rencontres parfois cocasses qui nous ramène à une réalité très concrète… là est toute la modernité du récit.