Quand sa rédactrice en chef, à l’heure de partir en vacances, demande à Charlotte, jeune journaliste stagiaire, frais émoulue de Sciences Po, d’interviewer, au coeur de l’été, l’ancien président de la République récent prix Nobel de la Paix, Victor Esménard, celle-ci va y voir forcément une chance, une aubaine, une occasion à ne pas manquer. La rencontre se passe au Plaza Athénée, commence dans la galerie, se prolonge à table. Le politicien rusé, censé détester les journalistes, use de séduction, pratique l’art de la conversation avec un sens aiguisé du monologue, use de l’aphorisme, de la citation, sans en abuser, médit de l’époque, glisse d’utiles conseils d’écriture (toute la page 80 sur le thème de « si vous vouez écrire, écrivez écrivez… »), se gausse de ses contemporains, vante les vertus du vin et du cognac, de la bonne chère aussi, évoque la douceur de vivre et se défie de l’avenir. Bref, donne, sans y prendre garde, des leçons de sagesses. Charlotte, elle, encaisse, réplique, ruse, et se trouve piégée en bout de course. On ne vous dira pas comment. Cette conversation, premier roman d’Alexandre Arditti, est un brillant exercice de style qui échappe aux lieux communs, à la redite, à la banalité. Et se suit avec un constant plaisir. Gilles Pudlowski
Actualités (NON EXHAUSTIF)
Interview de Denis Marquet sur « Dernières nouvelles de Babylone » (Aluna Editions)
RSVP 13 novembre Soirée Yoga, méditation et cocktail dînatoire avec Anne-Cécile Hartemann
Balustrade Santé Bien-être Psycho
Vous invite à
une Rencontre exceptionnelle Corps & Esprit
avec Anne-Cécile HARTEMANN, thérapeute en relation d’aide, enseignante de Hatha yoga et animatrice de cercles philosophiques
Expérience unique de yoga
et méditation offertes
Précédant un cocktail dînatoire
Samedi 13 novembre 2021
à l’Hôtel La Louisiane60 rue de Seine Paris 6°
De 18h à 21h30
Réservation obligatoire par sms 06 84 36 31 85
Programme de la soirée :
18h Atelier de yoga avec Anne-Cécile HARTEMANN ; 19h Présentation de « Métamorphose », le livre de l’invitée ;
20h Dédicace, échanges avec la salle, cocktail dînatoire
Contact presse : guilaine_depis@yahoo.com
INNOOO pour un monde sans (hégémonie du) GAFAM
Dossier dans Le Journal du Geek
Et si la panne Facebook avait continué ?
Pendant quelques heures, la panne de Facebook a paralysé une partie du monde. Mais comment le monde aurait réagi si l’incident s’était éternisé ?
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Le 4 octobre dernier, le monde numérique s’est trouvé paralysé pendant près de six heures. Frappés par une panne sans précédent du groupe Facebook, les plus gros réseaux sociaux de la planète ont cessé de fonctionner, obligeant les internautes à changer leurs manières de communiquer, de se divertir et de s’informer. Mais que se serait-il passé si la panne du géant du web avait duré six jours, six mois ou six ans ?
Six heures : communiquer
En seulement quelques heures, ce sont plusieurs centaines de millions d’internautes qui ont dû modifier leurs habitudes. Privés de Facebook Messenger et WhatsApp, il a bien fallu trouver un moyen de communiquer, ne serait-ce que pour commenter le blackout mondial du géant technologique ou organiser cette soirée entre collègues prévue de longue date.
Alors que les applications Signal et Telegram ont vu débarquer plusieurs millions de nouveaux utilisateurs sur leurs plateformes, c’est Twitter qui s’est imposé comme le grand gagnant de la panne, s’étonnant lui-même de cette soudaine popularité. En quelques heures, le réseau social à l’oiseau bleu était devenu le point névralgique d’une situation jusqu’alors inédite, puisque même le groupe Facebook avait choisi d’y assurer sa communication.
Privés de nos biais traditionnels, la priorité a logiquement été de contourner la situation, en téléchargeant de nouveaux outils, ou en optant pour certaines fonctionnalités oubliées. Ainsi, les appels et les SMS aussi, ont eu droit à leur moment de gloire. Délaissés par le grand public depuis l’arrivée des plateformes web – une situation qui pourrait bientôt changer avec l’arrivée du protocole RCS – les moyens de communication “classiques” se sont finalement imposés comme les plus fiables en temps de panne.
Six jours : se divertir
Une fois le capharnaüm des premières heures passées, la panne Facebook a soulevé une autre problématique, celle de notre dépendance aux réseaux sociaux. Car en l’absence d’Instagram et consorts, c’est un important “temps de cerveau humain disponible” qui se retrouve inutilisé, rappelle Khalil Mouna, directeur général et co-fondateur de l’application Gleeph : “On parle d’une moyenne de deux heures par jour sur les réseaux sociaux pour les 15-34 ans, c’est énorme. Et avec la panne, ce temps on ne savait pas quoi en faire”. Privés de vidéos de chats, de tutos express et de citations inspirantes, notre intérêt a – difficilement – dû s’accrocher à quelque chose d’autre.
Si la panne Facebook avait duré plusieurs jours, c’est sans doute cette dépendance de temps d’esprit qui aurait pris le pas sur notre besoin de communiquer, plus facilement résoluble. “Les réseaux sociaux sont basés sur un système de récompense immédiate, c’est une mécanique de drogue à court terme”, explique Khalil Mouna. “C’est pour ça qu’on a besoin de combler immédiatement ce vide, en fléchant vers quelque chose d’autre”. Un des multiples “effets nocifs et délétères” des GAFAM, analyse Luc Rubiello, président de l’association INNOOO (INNOvation Ouverte par Ordinateur, qui milite pour un Internet français sans publicité et sans GAFAM), et qui “au cas par cas, explique la dépendance aux outils de Facebook”.
En nous obligeant à nous divertir autrement, la panne Facebook aura aussi permis à certains réseaux sociaux alternatifs de tirer leur épingle du jeu. Au lieu de scroller indéfiniment le long de l’algorithme d’Instagram, les internautes se sont tournés vers d’autres plateformes, comme Netflix, Spotify ou encore Gleeph, un réseau social dédié à la lecture. “On a enregistré un pic d’activité historique jamais atteint depuis trois ans” se félicite le co-fondateur de la plateforme. Ça prouve que même si les applications comme la nôtre n’ont pas la même rétribution immédiate sur le cerveau, c’est un bon espoir sur le long terme”.
Six mois : repenser les réseaux sociaux
Et si arrêter de scroller indéfiniment – cette manie qui inquiète tant Tim Cook, le PDG d’Apple – nous permettait de nous rapprocher du réel ? En s’éloignant temporairement de l’algorithme Facebook, force est de constater que l’addiction des premiers jours, d’abord dictée par le besoin de communiquer, puis celui de divertir notre cerveau, s’estompe peu à peu. Sans doute de quoi expliquer le succès de la tendance digital detox, qui depuis déjà plusieurs années, nous invite à nous éloigner volontairement des écrans.
Dans le cas hautement improbable où l’entreprise de Mark Zuckerberg serait contrainte à l’arrêt pendant plusieurs mois, il y a fort à parier que nos habitudes changeraient drastiquement. Plutôt que de considérer les réseaux sociaux comme une finalité, les plateformes restantes pourraient plutôt s’imposer comme un moyen d’accéder à un divertissement “plus qualitatif, et avec davantage de sens”, estime Khalil Mouna : “Quand on lit un livre, quand on regarde un film, qu’on écoute de la musique, ou n’importe quoi d’autre, on enrichit ses connaissances à travers des souvenirs qui restent. Avec les réseaux sociaux de Facebook, on se sent vide, il ne ressort rien”. Dans tous les cas, il faudrait s’attendre à une baisse drastique de notre temps passé sur les réseaux sociaux.
Peut-on imaginer un monde sans GAFAM ?
Évidemment, il y a très peu de chance qu’une panne de l’ampleur de celle connue par Facebook ne s’éternise. Comptant parmi l’une des plus grosses entreprises au monde, le géant américain n’aurait sans doute aucun mal à minimiser la portée d’un tel incident, synonyme de pertes financières conséquentes pour lui. Ces dernières semaines nous ont pourtant prouvé qu’aussi puissant soit-il, c’est tout l’écosystème de Facebook qui pouvait être mis à l’arrêt pour une simple erreur humaine.
Même si elle n’aura duré que quelques heures, cette panne généralisée de Facebook s’impose finalement comme “un très bon test” à grande échelle, analyse Khalil Mouna : “Ça prouve qu’on peut concrètement s’en passer. Par contre, il faut être réaliste, tant que les GAFAM existent, ce sont eux qui gagneront. C’est une question de poids. Quand on est une entreprise à la valorisation boursière de centaines de milliards d’euros, on est bien trop puissant”.
Si la disparition des GAFAM paraît peu probable, c’est en jouant sur leur propre terrain que des plateformes plus modestes pourraient tirer leur épingle du jeu. Tandis que certaines plateformes misent désormais sur un contenu plus qualitatif, en France, le réseau INNOOO aspire à retrouver un Internet indépendant et sécurisé, loin de l’hégémonie des GAFAM.
Rappelons que certains pays ont déjà fait le choix de se passer du groupe Facebook, à l’image de la Chine et la Russie. Moins radicale, l’Europe aspire aujourd’hui à réguler la présence et le pouvoir des GAFAM sur son territoire. Un projet compliqué, à l’heure où Facebook possède une valorisation boursière de 442 milliards d’euros, soit plus que le PIB de la Norvège, de l’Irlande ou du Danemark. Difficile dans ces conditions de faire pencher la balance en faveur de l’utilisateur.
Sur France 24, Ali Laïdi consacre « L’entretien de l’intelligence économique » à John Karp
Interview d’Hélène Waysbord dans Ouest France
Interview d’Hélène Waysbord dans Ouest France
Anne Eveillard a adoré l’expo Daho à la Louisiane
À la recherche d’un temps perdu
Aujourd’hui, l’hôtel existe toujours. Il a eu le bon goût de rester dans son jus. Et jusqu’au 14 novembre 2021, la chambre numéro 10, la cage d’escalier et le couloir du premier étage accueillent une série de portraits de Daho vu par le photographe et auteur-compositeur Nicolas Comment. Le duo a déambulé dans cet Hôtel des infidèles, comme l’appelle Daho dans une chanson éponyme. Ensemble, ils sont partis à la recherche d’un temps perdu, d’heures révolues, de souvenirs enfouis. Une complicité qui débouche sur un travail de qualité, sensible, sincère. Daho replonge dans son passé et Comment l’accompagne dans ce voyage au bout de nuits sans interdits. « Le cœur renversé / Nus, démasqués / Le souffle court / Nous étions douze / En mal d’amour / Et refusions / De nous livrer », chante Daho dans Hôtel des infidèles.
Sans trucage, ni montage, sans manie, ni manière
Si La Louisiane expose, l’hôtel ne se la joue pas galerie d’art pour autant. Il reste fidèle à lui-même. C’est-à-dire une halte pour habitués, curieux et autres voyageurs entre deux errances. D’ailleurs, les photos de Comment se regardent en croisant des clients, une femme de chambre ou le réceptionniste. Tout le monde se salue, on se parle même, de tout, de rien, peu importe… Les rescapés du Saint-Germain d’hier connaissent bien cet esprit de village : ils l’ont connu, vu, vécu. Il réapparait aujourd’hui dans cette poche de résistance de la rue de Seine, sans trucage, ni montage, sans manie, ni manière. Il ne manque plus que « la » Sagan en espadrilles, des bus à plateformes, quelques playboys à la terrasse du Flore et la résurrection de Deligny, pour se croire à nouveau dans le Saint-Germain des Tricheurs de Marcel Carné.
Exposition « Hôtel des infidèles – Nicolas Comment & Etienne Daho » : jusqu’au 14 novembre 2021 à l’Hôtel La Louisiane : 60 rue de Seine, Paris 6e.
Catalogue de l’expo : 37 photographies couleurs de Nicolas Comment et un texte d’Etienne Daho. Format : 23,5 x 32 cm. 52 pages, broché. 29 euros. En vente à La Louisiane.
Hélène Cixous dans L’Humanité
« Une reconquête poétique. » C’est ainsi que les organisateurs du Marché de la poésie, Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons, présentent cette « 38e bis » édition. Reconquête en effet si l’on songe que cette manifestation, qui a lieu traditionnellement au moment du solstice d’été, se tient après trois annulations. Le travail acharné de ces inlassables artisans a permis que se tienne, enfin, ce rendez-vous attendu par les poètes, les lecteurs et les éditeurs. Le programme fait une large part aux langues de France – corse, catalan, breton, alsacien –, de l’étranger – Slovénie, Allemagne, Irak, Catalogne –, en particulier du Luxembourg que l’on retrouvera en juin. On fêtera des 40e et 50e anniversaires d’édition (Cheyne, Unes, Écrits des forges), et on rendra hommage à de grands absents, dont Bernard Noël et Henri Deluy. Enfin, le Marché, qui ne se cantonne pas à la place Saint-Sulpice, propose cette année une très copieuse « périphérie », en 35 lieux, de Nantes à Nice et de Melun à Berlin. Jusqu’au 24 octobre. Entrée libre selon les mesures sanitaires en vigueur. Infos : www.marche-poesie.com A. N.
Article du 30 octobre 2021
L’autrice publie trois années de son Séminaire (de novembre 2001 à mai 2004), ainsi que Ruines bien rangées, où elle se fait l’archéologue d’une mémoire blessée. Écrire et penser sont sa raison d’être, dans le sens d’un partage incessant à partir de l’art essentiel qui ouvre une scène aux écrivains pour dire les états de la société. Entretien.
On doit à Hélène Cixous quelque quarante œuvres de fiction, une vingtaine d’essais théoriques, des pièces de théâtre, dont huit mises en scène par Ariane Mnouchkine. Gallimard publie une part de son Séminaire, qui s’ouvre au lendemain de l’attentat du World Trade Center le 11 septembre 2001 et qui s’arrête un peu avant la mort de Jacques Derrida en octobre 2004. Le projet vise à en publier progressivement l’intégralité. En même temps, même éditeur, c’est la sortie de Ruines bien rangées, réflexion suraiguë sur la mémoire et l’oubli. Hélène Cixous nous en parle.
Dans l’introduction du Séminaire, toujours en cours, il est dit qu’il s’étend sur cinquante ans…
HÉLÈNE CIXOUS Cinquante ans en égalent cinq ou cinq cents ! La continuité est humaine. Je ne parle pas que de mon travail mais aussi du public : chercheurs, auditeurs libres. Les plus jeunes ont 18 ans, les plus âgés 90 et plus. Parmi mes chances, il y a l’existence de deux îles où survivre aux violences de l’Histoire : le Théâtre du Soleil et mon Séminaire. J’ai pris la liberté qui m’a été accordée de ne pas dissocier la littérature, pour moi art suprême, art de penser, d’avec des événements politiques. Je n’ai jamais adhéré à un parti. J’ai satisfait ma pulsion citoyenne avec la grande scène de la littérature et de sa réflexion permanente sur l’état de la société. Le séminaire dure cinq heures, chaque fois. On a le temps de traverser les textes minutieusement. Je suis née en Algérie, dans un pays colonialiste, raciste, antisémite. Très vite, j’ai senti qu’il n’y avait de lieu nulle part, sauf en littérature, avec les livres, la parole, les contes. Mon père est mort très tôt. Ma mère, étrangère arrivée d’Allemagne, ne connaissait pas l’enseignement en français. Je me suis faufilée à tâtons. Lors de mes études supérieures, j’ai saisi que la littérature pouvait être traitée par toutes sortes d’outils savants ayant trait à la langue. Des armes ou, mieux, des télescopes, pour approcher de manière de plus en plus articulée et passionnée cet immense corps vivant. J’ai voulu le partager avec un public. L’âme de ce que je fais, c’est apprendre à lire, non pas des livres, mais le monde, les êtres humains…
Votre Séminaire a été associé au Collège international de philosophie, fondé en 1983. Cela a-t-il eu quelque incidence sur son contenu ?
HÉLÈNE CIXOUS Non. Par contre, étant à l’origine de la fondation de Paris-VIII, j’ai vécu le transfert, l’exil de Paris-VIII vers Saint-Denis, dans des conditions catastrophiques. J’ai alors eu un problème matériel pour le public que j’avais « dans le bois », quand l’université de Vincennes était vraiment à Vincennes. On allait dans ce bois féerique, où il y a aussi le Théâtre du Soleil. Saint-Denis, c’était une autre affaire. Lorsque j’ai été abritée par le Collège philosophique, en plein cœur de Paris, les conditions de rencontre ont changé. C’était plus hospitalier.
Vous étiez partie prenante, en 1969, dans la création de l’université expérimentale de Vincennes…
HÉLÈNE CIXOUS En 1967, on était déjà en 1968. Nous avons continué. C’était un moment révolutionnaire, non comme la Révolution française, mais une révolution à l’intérieur du monde de la pensée. Un âge d’or, un moment de rejet d’instances répressives, je parle de l’Académie classique figurée par la Sorbonne. J’y ai été professeure. Je sais ce que c’est ! On a ouvert un espace de liberté de pensée, véritable celle-là, active, moderne. Un moment jubilatoire à quoi ont participé toutes les grandes forces intellectuelles françaises. Il y a des restes comme en 1974, quand je me suis précipitée pour créer le premier doctorat qui traitait des conditions des femmes, « Une poétique de la différence sexuelle ». Cela s’est développé sous forme d’études de genres.
En 1974, création du doctorat d’études féminines, suivie de celle du centre d’études féminines à l’université de Vincennes, délivrant des formations que vous avez dirigées jusque dans les années 2000…
HÉLÈNE CIXOUS C’était pluridisciplinaire. Se rassemblaient et se rencontraient là, littérature principalement, philosophie, psychanalyse, sociologie, histoire, avec un tronc commun et des spécialités, afin que cela puisse exister institutionnellement. Sinon, cela aurait été balayé. Il y avait, par exemple, des gens en doctorat de littérature française et en doctorat d’études féminines. Cela a été supprimé maintes fois. On n’aurait pas tenu sans le public, la demande, l’amitié. La dernière fois, Mitterrand était au pouvoir, enfin au non-pouvoir. On était en 1995. Il inaugurait les 20 ans de la bibliothèque universitaire de Paris-VIII. Il y avait une grande manifestation pour dire qu’une fois de plus, nous avions été supprimés. Il s’est approché. Je lui ai dit : « Faites quelque chose. Une fois de plus, on est anéantis. » Il m’a dit : « Je suis barré de tous les côtés. »
Vous ne préméditez pas le Séminaire par écrit…
HÉLÈNE CIXOUS Avant chaque Séminaire je travaille une semaine comme si j’allais passer un concours. Je réunis des documents. Je n’écris pas. Je n’ai jamais pu. Parler, c’est être au présent face à un public. C’est théâtral. J’écris de manière poétique, très condensée. Impossible d’utiliser l’écriture pour le séminaire. Il faut une respiration. Quelque chose de l’ordre de la promenade. Il faut pouvoir communiquer tout de suite. C’est une autre langue ! J’en parlais avec Derrida, car nous étions absolument opposés. Il ne faisait pas un séminaire de cinq heures. Il lisait son texte à son public. C’était son œuvre. D’où mon rapport ambivalent avec la publication du séminaire. Pour moi, ce n’est pas de l’écriture. C’est une autre langue, mienne mais autre.
Le travail de restitution de votre parole n’a sans doute pas été facile avant la mise en jeu des enregistrements, lesquels n’ont été conservés qu’à partir de 1999.
Hélène Cixous Il faut rendre hommage à une personne disparue : Marguerite Sandré. Elle a été notre doyenne jusqu’à ses 90 ans. Dès les débuts du Séminaire, elle s’est mise à décrypter. Elle enregistrait. Elle décryptait. Elle est devenue une sorte de mémoire vivante.
L’amitié avec Jacques Derrida, entre autres personnalités rayonnantes, a été importante dans votre itinéraire.
HÉLÈNE CIXOUS Cela a été pour nous une chance extraordinaire d’avoir, durant toute une vie de travail et de création, le témoin absolu. Quelqu’un en qui on a absolument confiance. L’accompagnement et le regard de l’autre donnent une force inouïe. Dès mon premier texte, vers 1963-1964, nous nous sommes trouvés. C’était d’une certaine manière un homme, j’étais d’une certaine manière une femme, je dis cela car ce n’est pas si simple : lui était capable de féminité et moi de masculinité, et d’autres choses aussi, mais chacun avait son territoire, son monde, son lieu d’invention. Il m’a souvent demandé : « Tu crois qu’on se serait entendus comme ça si nous avions été tous les deux philosophes, par exemple ? » Je disais oui, mais non… Il y aurait eu rivalité. Là, nous avons été en paix.
Pionnière dans les études féminines et de genres, que pensez-vous des nouveaux aspects de ces problèmes à l’aune d’aujourd’hui ?
HÉLÈNE CIXOUS Ces combats sont toujours actuels. J’ai été initiée au thème du féminicide par le MLF et Antoinette Fouque. Aujourd’hui, on a l’air de découvrir le mot, et même la chose. Ce terme, nous l’utilisions dans les années soixante-dix. On recommence à zéro, ou presque. Il y a eu des progrès, on se dit qu’on est arrivés quelque part, et puis c’est fini, oublié. Dans les années 1970 et 1980, je pensais : « Dire qu’il va falloir que je redise la même chose toute ma vie. Quel ennui ! Je ne veux plus être une femme ! » Quand je regarde les énoncés, je me dis que c’est moins bien tourné que la manière dont c’était dit magnifiquement il y a cent ans.
Que pensez-vous de l’état du monde, à l’ère de la pandémie et de l’entropie politique quasi générale ?
HÉLÈNE CIXOUS Chaque fois qu’il y a eu la peste, les gens se posaient les mêmes questions, en particulier celle de l’Autre. Il y a ceux qui ne mettent pas de masque parce qu’il n’y a pas d’Autre pour eux. Certains n’arrivent même pas à penser cet Autre. Tout un état de l’humanité est ainsi mis au jour. Les paroles gouvernementales dans tous les pays sont de simple urgence pragmatique. Pas intelligentes. Les gens devraient arriver à vivre ce moment non pas seulement sanitairement mais aussi moralement, philosophiquement, etc. Ce n’est pas le cas. Dans les sphères qui nous gouvernent, il faudrait des gens capables de le penser.
Il y a aussi le fait que les sociétés sont composées de pans entiers de gardiens, de servantes et de servants du bien commun : le monde médical, le monde enseignant, lequel est toujours oublié. Terrifiant ! On est en train de saigner à blanc une nation en maltraitant et en éliminant les enseignants, eux, les dévoués, pas inféodés du capitalisme. Ils ont des salaires de misère. Sans parler de la recherche, bousillée en France. L’épidémie met tout cela en lumière. L’immense corps enseignant, l’immense corps médical, on les entraperçoit en ce moment, mais ça ne va pas durer.
Parallèlement à la sortie du Séminaire, Gallimard publie Ruines bien rangées, qui constituent, entre autres, une évocation de votre passé familial, en même temps qu’une réflexion suraiguë sur le vernis que pose l’Histoire sur l’épouvante…
HÉLÈNE CIXOUS Mon propos est de permettre au lecteur un parcours dans l’immense mémoire de l’Europe. L’antisémitisme est une manifestation parmi d’autres. La ville d’Osnabrück s’apparente à une sorte de laboratoire de cette Histoire européenne. Il y a un emblème sur place : un monument d’à peine un peu plus d’un mètre de haut sur un mètre de large, qui donne son titre à l’ouvrage. Que signifie cette cage pleine de moellons ? Il s’agit des ossements de la synagogue, partie en flammes en 1938, pendant la Nuit de cristal. Ma famille était présente. Il en est resté des ossements, ramassés et mis en cage comme des poules en batterie. C’est bien nettoyé. N’est-ce pas aussi une image de notre rapport à la mémoire et aux violences ? Tant mieux si ces ossements ont été gardés. En même temps, ce rangement dit bien quelque chose sur les arrangements qui ont suivi… Osnabrück, ça n’est pas que l’histoire de l’antisémitisme et du nazisme. Il y a eu là d’autres corps jetés sur des brasiers. Cela a débuté avec les sorcières. Pour se rendre au lycée, ma mère prenait la ruelle des Sorcières, qui mène à la Hase, rivière dans laquelle on les jetait. Celles qui ne se noyaient pas étaient brûlées. Sur ces épisodes, la ville possède des archives sur des centaines d’années. La ruelle n’a jamais été débaptisée… Ma cage est une métaphore de ce qui a pu se passer dans Osnabrück, ville resplendissante et prospère, ville de paix, aujourd’hui très engagée, qui milite pour l’entretien de la mémoire, pour l’accueil.
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Le Marché de la Poésie Place Saint Sulpice
La Gazette Gourmande
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Du 20 au 24 octobre
Place Saint-Sulpice
75006 Paris