N’en fais pas une affaire personnelle, mais brise tout de même l’omerta
La Licorne qui lit – 07.09.2020
Livre – N’en fais pas une affaire personnelle – Paula Marchioni Eyrolles – Rentrée littéraire 2020
ROMAN FRANCOPHONE – Non, ne mentez pas. Comme moi, vous avez un jour craqué pour cette nouvelle crème antirides hors-de-prix, séduite par la promesse de jeunesse éternelle, symbolisée par cette gamine de 24 ans et demi qui doit certainement se nourrir exclusivement de graines, de seitan et d’eau au concombre. Quel talent ces publicitaires. Quelle imagination. Quelle créativité. Mais surtout, combien d’heures passées à trouver la phrase choc, l’image qui claque, la lumière idéale, le tout juste assez sans en faire trop. Combien de propals, de briefs et de debriefs, d’aller-retour…. N’en fais pas une affaire personnelle nous plonge dans l’univers impitoyable de la publicité. Et c’est Bobette, quinquagénaire en fin de carrière, qui nous raconte ce monde.
Bobette, surnom qu’elle s’est elle-même donnée en raison de son côté bobo, est nommée à la tête de la Bulle, cellule de Chababada, agence de pub. La Bulle, qui n’est pas loin de sombrer, a pour unique client une grande marque de cosmétique, la NCC, qui ressemble étrangement à celle pour qui vous le valez bien. Bobette, au bénéfice d’une expérience de plusieurs années dans le secteur, entame ce nouveau défi professionnel plutôt confiante. C’est sans compter sur SuperPower, cadre sup qui gère les relations entre la NCC et l’agence.Subtil mélange entre Cruella et Benito Mussolini, SuperPower va faire vivre un véritable enfer à Bobette et son équipe de chatons, manière dont elle appelle affectueusement ses équipes. Jamais contente, carrément méchante, SuperPower. Rythme insoutenable, demandes irréalisables, messages contradictoires, toujours plus de glowy mais pas trop, « allez on retravaille cette noix de coco » …
Entre dépressions, burnouts et démissions, Bobette tente de maintenir le cap et d’avertir sa hiérarchie des comportements toxiques et autoritaires de SuperPower. Rien n’y fait. Bobette, elle aussi n’est pas loin de craquer. Heureusement, elle a Nounours, son compagnon ; puis, sa coach, Coralie, son Psychiatre préféré, et sa passion pour l’écriture, autant de garde-fous qui lui permettent de garder la tête hors de l’eau. Tous comme le souvenir de son papa adoré récemment décédé, qui avait le don de lui remettre les pieds sur terre.L’auteur ne s’en cache pas : N’en fais pas une affaire personnelle est un roman largement inspiré de son vécu, qui réussit à dénoncer, avec humour et tendresse, les incohérences et la violence d’un système qui broie les volontés, détruit les espoirs et annihile l’enthousiasme. Car au fond, le lecteur n’est pas dupe. Il connaît les conditions de travail imposées dans les domaines de la communication et de la pub. Et pas que d’ailleurs. Tous les milieux professionnels peuvent être les victimes de modes de management pervers, qui ont pour seul but de dénigrer et soumettre.
Toutefois, avec ce roman, Paula Marchioni ose briser l’omerta. Alors bien sûr, il y a ceux qui maltraitent et qui harcèlent ; mais il y a aussi ceux qui acceptent de se faire maltraiter et se faire harceler. Il y a ceux qui ont le pouvoir et les leviers financiers et il y a ceux qui n’ont d’autre choix que de trimer, peu importe les insultes et les maltraitances. Reflet d’un monde qui tend à placer le profit avant le bien-être, qui tend à sacrifier l’humain au nom de la rentabilité, la Bulle est le symbole de notre société ultra-consumériste, embrumée par des odeurs chimiques, des sons artificiels et des images photoshopées.
Paula Marchioni, en toute bonne publicitaire, vend très bien son histoire. Ecriture précise et cynique, elle tape pile dans le mille. C’est drôle, c’est efficace et, sous cette couche de paillettes dorées, on s’attache à Bobette, qui malgré toutes ses bonnes intentions et sa détermination à sauver le navire, n’arrive pas à dire franchement merde à cette vie qui l’use et continuera à l’user…
Le roman oscille entre descriptions très réalistes de situations que nous avons tous vécues et caricatures, comme en témoignent les noms des personnages et des campagnes publicitaires. Comme si grossir le trait aidait à réduire un peu la force des coups assénés. Pas si sûr…
Paula Marchioni – N’en fais pas une affaire personnelle – Eyrolles – 9782212573251 – 16 €
https://www.actualitte.com/article/livres/n-en-fais-pas-une-affaire-personnelle-mais-brise-tout-de-meme-l-omerta/102574
Travail : comment recevoir de la reconnaissance professionnelle ?






Ecrit au présent par une autrice qui l’a vécu, ce roman « vrai » un brin arrangé pour les besoins de la clause drastique de non-concurrence après séparation, donne le ton du management dans les sociétés multinationales. Notamment les françaises qui imitent servilement le modèle américain sans bénéficier du même écosystème de liberté d’entreprise. Au lieu de faciliter l’innovation et l’efficacité par le meilleur, le management de la peur conduit les egos surdimensionnés à révéler leur perversité narcissique pour manipuler à leur profit (et non à celui de la firme) inférieurs et sous-traitants.
Rien d’étonnant à ce que se perde le sens du travail, que la saine émulation devienne harcèlement et que l’effort devienne paranoïa égoïste. Ladite Super Power, qui représente NCC auprès de l’agence de pub, presse le citron – qui se laisse faire. Elle manifeste sa toute-puissance par des demandes impossibles et contradictoires, des changements de cap in extremis, des hésitations sans fin, une inflation de l’absurde… Le lecteur se dira avec bon sens :
Le récit romancé de Paula Marchioni, tiré de son expérience professionnelle de pub dans l’agroalimentaire, la cosmétique ou le service, reste à ras du présent, se développe en histoire – ô combien classique – de la Brune qui remplace la Rousse, éjectée à la demande de la Cliente pour reprendre une équipe épuisée et désorientée de « chatons » tout juste pubards (entre 20 et 30 ans) et tenter d’avancer dans le flou. Avec humour et un recul salutaire, la narratrice sait s’entourer : Petit Papa décédé qui lui parle au-delà, Nounours son mari chéri (qui se fera virer lui aussi), Psychiatre préféré qui l’aide à se connaître, la Coach qui la motive, Retors la Belle son avocate, « la » médecin du travail, l’atelier d’écriture. Il ne faut en effet pas se laisser bouffer, ni par le boulot qui boulotte la personne, ni par les exigences paranoïaques des clients exigeants (au moindre coût) qui ne veulent pas reconnaître le travail de qualité. Il faut résister : les pervers narcissiques en sont tout étonnés (j’en parle d’expérience). Bobette réussira à livrer ses contrats et certains seront plébiscités ; elle sera remise en concurrence par pur plaisir pervers de rabaisser les talents de l’équipe mais, pour une fois, son patron ne se laissera pas faire malgré les conséquences ; son agence perdra son gros client et elle sera virée mais non sans avoir pu recaser ses « chatons » sans dommage.
