
Avec Miniatures et pointes sèches, publié aux éditions La Trace, Nathalie de Baudry d’Asson signe une entrée en littérature qui a la force de l’évidence. C’est un cri du cœur.Connue pour son parcours dans le monde de l’édition – elle a dirigé plusieurs grandes maisons et fondé Le Lien Public – elle se place cette fois du côté de l’écriture. Le résultat n’a rien d’un exercice de style ou d’un passe-temps d’initiée : c’est un véritable livre d’écrivain, au souffle singulier, qui s’impose d’emblée par la densité et la précision de sa prose.
Diversité des vies
Ce recueil se présente comme une série de récits courts, fragments narratifs à la première ou troisième personne, lettre,dialogue, etc., chacun centré sur un destin féminin. L’autrice choisit la forme brève pour dire l’essentiel : une vie entière peut tenir dans quelques paragraphes, une douleur ou une joie se condenser en une image. Cette économie de moyens n’appauvrit pas le propos ; au contraire, elle donne à chaque portrait une intensité saisissante. Les femmes que l’on rencontre au fil des pages viennent d’horizons divers : certaines sont entrées dans l’Histoire, comme Noor, résistante arrêtée puis exécutée par les nazis, d’autres appartiennent à la foule des anonymes, comme Louise, une femme transgenre, ou même à une femme quittée ou une autre encore qui admire une cantatrice. Chacune devient pourtant une figure de vérité et d’humanité. La diversité des vies évoquées compose une mosaïque qui met en valeur la pluralité de la condition féminine : héroïnes tragiques, mères courage, artistes inspirées ou simples fausses amatrices d’art contemporain, toutes sont convoquées dans une fresque qui échappe à toute hiérarchie. Ce chœur de voix rappelle que l’expérience féminine ne se réduit pas à une seule figure mais s’épanouit dans une multitude de formes.
Un féminisme poétique
En effet, cette pluralité évoquée conduit tout à chacun à parler des femmes et non de la femme… Plutôt qu’un manifeste ou un traité, Nathalie de Baudry d’Asson propose une écriture poétique, tendue, ciselée comme une pointe sèche. Le féminisme qui traverse ces pages n’est pas frontal, il ne s’impose pas par slogans, mais par la prosodie du langage. Le lecteur n’est pas sommé d’adhérer : il est enjoint à se laisser aller à la petite musique de l’autrice. Une phrase brève, une image juste suffisent à suggérer l’injustice subie ou l’aplombmanifesté. Cette discrétion confère aux textes une puissance paradoxale : en laissant une part d’implicite, ils obligent le lecteur à entrer dans l’espace laissé vacant, à se confronter lui-même aux vies dont le pouvoir évocateur résonnent chez l’Autre. C’est une forme de féminisme littéraire, qui ne cherche pas à démontrer mais à émouvoir, et qui par-là atteint une portée universelle. Dans cette sobriété se cache une exigence esthétique : chaque mot est choisi avec soin, chaque phrase s’impose par sa justesse, comme si l’écriture elle-même devenait un acte de résistance.
Un écrivain sensible aux à-coups du monde
Ce livre ne se contente pas d’aligner des portraits féminins ; il révèle une manière singulière d’habiter le monde. Derrière la sobriété apparente, on sent une profonde sensibilité aux secousses de l’histoire et aux fracas du quotidien. Les existences racontées ne sont pas isolées dans une bulle : elles résonnent avec les grandes tragédies du XXᵉ siècle, avec les injustices sociales, avec les tensions de notre époque. La plume de Nathalie de Baudry d’Asson, fine et attentive, se fait réceptacle des à-coups du monde. C’est peut-être là que se loge l’originalité de ce premier livre : dans la capacité à conjuguer la miniature et l’universel, à transformer une destinée particulière en miroir d’une expérience collective. On y retrouve l’œil exercé de l’éditrice, formée à reconnaître ce qui compte dans un texte, mais aussi la voix intime d’une femme qui observe et ressent avec acuité la beauté comme la violence du réel. À travers ces miniatures, l’autrice construit une œuvre à la fois discrète et essentielle. Elle ne cherche pas le spectaculaire, elle refuse l’emphase, mais elle atteint par la rigueur de son style et l’acuité de son regard une intensité rare. On sort de la lecture avec le sentiment d’avoir approché, par fragments, une vérité sur la condition féminine : vérité multiple, fragmentée, mais profondément incarnée. C’est là toute la réussite de ce livre : en choisissant l’humilité de la forme brève, il parvient à dire ce que de longs récits peinent parfois à transmettre.
En définitive, Miniatures et pointes sèches s’impose comme une œuvre de mémoire et de transmission, mais aussi comme une promesse littéraire. Le regard que Nathalie de Baudry d’Asson porte sur ces femmes n’est jamais figé : il est tendu vers le lecteur, qui devient à son tour dépositaire de ces fragments d’existence.