Le 35ème Marché de la poésie s’ouvre aujourd’hui. L’invité d’honneur, une fois n’est pas coutume, n’est pas un pays étranger, mais la poésie elle-même en ses États généraux.
Le Marché de la poésie qui s’ouvre aujourd’hui place Saint-Sulpice accueille un invité inhabituel, les États généraux de la poésie. Une initiative que ses organisateurs ont eux-mêmes contribué à créer, et qui regroupe des poètes, des acteurs du monde de la poésie, organisateurs de manifestations, responsables de structures, critiques, universitaires ou chercheurs. Née du constat du péril dans lequel se trouvaient des manifestations pourtant reconnues, elle s’est donné pour objectif de rassembler le plus largement tous ceux que le manque de visibilité de la poésie inquiète, et qui veulent agir pour faire accéder le plus large public possible à sa diversité et à sa vitalité. Yves Boudier, un de ses initiateurs, nous en parle.
Pourquoi des États généraux de la poésie ?
Yves Boudier : On évoque la tradition historique des États généraux, qui sont réunis en période de crise, voire de péril. Si l’analogie historique a ses limites, nous nous trouvons confrontés à un paradoxe : les pratiques autour du poème sont très vivantes, très diverses, et leur visibilité n’est pas à la hauteur de cette. Que ce soit en matière d’édition, de librairie, de présence en bibliothèque ou de lectures dans l’espace public, il y a une contradiction entre la richesse de ce qui se fait en poésie et la pauvreté de ce qui se voit. Commencer une réflexion, faire une sorte d’état des lieux et des pratiques, non seulement dans le milieu parisien autour du Marché de la poésie, mais partout en France et dans l’espace francophone, telle va être notre première étape. Pour cela, nous allons rassembler des acteurs institutionnels, des poètes, des personnes qui réfléchissent à ces questions.
Comment formuleriez-vous ces premières interrogations ?
Yves Boudier : Pourquoi cette contradiction entre vitalité et visibilité des pratiques ? D’où vient le supposé désintérêt du public ?
Est-ce vraiment une contradiction ? La visibilité, en tout cas massive, n’est pas une condition indispensable à la pratique de la poésie, qui peut être intime, voire secrète.
Yves Boudier : Bien entendu, il y a des poètes, comme Jacques Dupin pour qui « la poésie, si elle existe n’a nul besoin de sortir de son labyrinthe souterrain » et cela fait partie des rapports du poème à l’intime, mais la poésie suppose aussi d’atteindre des lecteurs. Cela suppose des gestes qui touchent à la diffusion, à l’édition, qui rendent accessible le poème.
Cela ne tient-il pas à la poésie elle-même, qui est parfois considérée comme difficile ?
Yves Boudier : Moins on parle de poésie, moins on la voit, moins on la lit, plus on entretient des idées fausses sur la poésie. L’expérience le montre. Je suis intervenu très récemment devant des bibliothécaires sur l’intérêt de venir au Marché de la poésie, et je me rendais compte que plus leurs connaissances de la poésie se construisaient et s’affinaient, plus les conceptions surannées et superficielles de la poésie reculaient. Certaines pratiques de la poésie, il est vrai, nécessitent des connaissances, une éducation. C’est aussi le cas de la musique, de l’art contemporains. On ne peut pas s’indigner de voir quelqu’un désorienté par un poète sonore ou une performance, alors que la poésie à laquelle il a été habitué est le poème rimé en alexandrin, ou le slam. On vit une époque compliquée, parce qu’on ne peut condamner ces formes d’expression en les mettant au compte du capitalisme culturel, parce qu’elles sont vécues comme émancipatrices. Et, là est le paradoxe, ce sont des formes qui sont valorisées par la société marchandes, parce qu’elles sont plus faciles à faire circuler.
Il y a une poésie hors du livre, le slam et la chanson, avec prix Nobel à la clef éventuellement, il y a une poésie proche des arts plastiques, et une poésie écrite, toujours éditée, publiée sur Internet, très vivace. Cette visibilité accrue, ce serait quoi ?
Yves Boudier : Certainement plus d’attention des médias, une autre approche de l’enseignement, et tout ce que je disais sur l’édition, les bibliothèques, les lectures et performances. Quand on y regarde de près, quelques grandes manifestations réussies sont l’arbre qui cache non la forêt, mais le désert. Très peu de gens ont l’occasion de rencontrer la poésie qui se crée aujourd’hui.
Concrètement, comment se déroulent ces États généraux ?
Yves Boudier : Il n’y a pas de convocation, de serment du Jeu de Paume. La première manifestation s’est tenue le 16 mai à Lyon. Les États généraux sont cette année les invités du Marché de la poésie. Le cours normal des invitations reprendra en 2018 avec le Québec. Cette année est donc l’année zéro des États généraux, celle d’un état des lieux. L’an prochain, nous continuerons en ciblant une thématique qui se dégagera de ces rencontres. Dans différents lieux en province, à Lyon, Villeneuve sur Lot, Nancy, Avignon se sont tenues des manifestations où sont appelés des poètes et des acteurs du monde de la poésie, qui, par l’exemple, donnent à voir ce qui se passe, et débattent des questions qui leur semblent importantes. Les cinq jours du Marché se tiendront neuf tables rondes, et une soirée de clôture de cette période, le 30 juin à la Sorbonne, fera la synthèse de ce qui aura émergé et donnera les perspectives pour l’année suivante.
Pas de programme, de listes de revendications ?
Yves Boudier : Rien n’est préétabli, les rencontres seront souveraines en la matière. Mais nous n’excluons pas de produire, pour continuer sur notre lancée, une série d’exigences. Parce que, ne l’oublions pas, tout cela était parti l’an dernier sur le constat d’un état d’urgence pour la poésie.
Place Saint-Sulpice, jusqu’au dimanche 11 juin. Informations détaillées http://www.marche-poesie.com/