Léna Lutaud dans Le Figaro a adoré le Journal intime de Piaf lu par Josiane Balasko (et écrit par Marianne Vourch)

Josiane Balasko redonne vie aux souvenirs d’Édith Piaf

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Avoir été choisie pour incarner la Môme fait infiniment plaisir à Josiane Balasko. LOIC VENANCE/AFP

La comédienne a enregistré Le Journal intime de la chanteuse, pour un podcast de Radio France. Une grande réussite.

Seule face au micro dans un studio de Radio France, Josiane Balasko est concentrée«J’aime bien imaginer que je suis tombée du nid le 19 décembre 1915. (…) Ma grand-mère, elle est marocaine. On l’appelle Aïcha. Elle travaillait dans un cirque où elle faisait un numéro de puces sauteuses! Ma mère, elle chante dans des cabarets. Il paraît qu’elle a une très belle voix. J’sais pas, j’la connais pas.»

D’emblée, Josiane Balasko se glisse dans le personnage d’Édith Piaf. Elle s’efface même. Elles n’ont pas la même voix mais leur gouaille de titi parisienne est identique. À quelques décennies d’intervalle, ces deux artistes populaires ont vécu dans les mêmes quartiers de Belleville et de Montmartre. «Édith Piaf me rappelle mon enfance dans les années 1950-1960. Dans le café de mes parents, ses chansons étaient souvent diffusées sur le juke-box. Josiane Balasko avait 13 ans quand Édith Piaf est décédée à 48 ans. L’habillage sonore de l’enfance de Piaf nous plonge dans les années 1915-1930. Quand résonne Nuits de Chine (1922), on imagine un film en noir et blanc.

Ne jamais rien lâcher

Avec 2 millions d’écoutes à la demande, le podcast «Le Journal intime de…» est l’un des grands succès de Radio France. D’Édith Piaf, les auditeurs retiendront qu’il ne faut jamais rien lâcher quand on a une passion mais qu’il faut beaucoup travailler. Après Rudolf Noureev raconté par Lambert Wilson, Maria Callas par Carole Bouquet ou encore Bach par Denis Podalydès, avoir été choisie pour incarner la Môme fait infiniment plaisir à Josiane Balasko.

C’est une jolie expérience pour ses 50 ans de carrière. Un défi artistique aussi, tant l’exercice sur la ligne de crête. «Sans bouger, sans décor, sans lumière, sans personne à qui donner la réplique, il faut rendre le texte vivant, explique l’actrice. Il faut alterner la lecture du texte et d’un coup s’incarner dans la personne sans faire d’imitation.»

Josiane Balasko a travaillé les textes chez elle et a réécouté les chansons comme Non, je ne regrette rien. Pas question de chanter les airs de la Môme pour autant. «Je suis actrice et réalisatrice, pas une chanteuse même si j’ai chanté dans Tratala, film des frères Larrieu sorti en 2021. Les chansons de Piaf, je vais les scander, les fredonner.» Ses sept épisodes de dix minutes chacun seront diffusés sur francemusique.fr et sur l’appli Radio France dès le 10 avril avec la sortie d’un livre en complément (*).

Il faut alterner la lecture du texte et d’un coup s’incarner dans la personne sans faire d’imitation

Josiane Balasko

Destinés à perpétuer la mémoire de grands artistes, «le journal intime de…» a eu un succès immédiat. «Spécialiste des concert pour le jeune public où je reliais leurs cours d’Histoire à celle des Arts pour qu’ils aient un panorama complet», la productrice Marianne Vourch a d’abord écrit Le journal intime de Mozart à la demande d’un éditeur. «Je rédigeais en l’entendant, d’où l’idée du podcast», se souvient-elle. À la radio, la production si élaborée est conçue par un quatuor. Jean Brémont se charge des archives. Marianne Vourch produit et écrit le texte. Après avoir enregistré la voix nue du comédien, la réalisatrice Sophie Pichon fait le montage en ajoutant les bruitages et la musique. «Je fais sortir les reliefs, je crée un rythme pour susciter des émotions. Je tricote puis le preneur de son Valentin Azan colorie mon tableau.» Et d’ajouter: «Chaque série est chronologique puisqu’il s’agit d’un journal intime mais ils ne vont pas systématiquement de la naissance à la mort. Celui sur Piaf s’arrête à sa rencontre avec Théo Sarapo.»
La réalisatrice a une coquetterie: elle glisse un gimmick sonore qui revient dans chaque épisode. À chaque fois que Chopin tombe malade, le générique de La Quatrième dimension revient et se déforme de plus en plus. Pour Rudoph Noureev, ce sont des chants traditionnels associés aux frottements de pointes sur un parquet de danse. Les prochains journaux intimes seront ceux de Leonard Bernstein, Charlie Chaplin et de Marilyn Monroe. Reste à trouver les voix associées.

Sept épisodes (dix minutes chacun) sur francemusique.fr et sur l’appli Radio France dès le 10 avril. À lire Le Journal d’Édith Piaf, de Marianne Vourch, 84 pages, 24 €, Éditions Villanelle.

Le docteur en Sciences politiques Alain Sueur apprécie Francis Coulon

Francis Coulon, Sortir de la société en crise

Un livre de philosophie ? Ou un livre d’économie ? Les deux en synthèse, soit un livre « d’économie politique », comme on en faisait avant la mode de l’économétrie et de la mathématisation rationaliste du monde. On sait les errements du tout mathématisable, des délires de la raison rationaliste, les cygnes noirs jamais envisagés, les queues de distribution négligées, le racornissement de l’être humain dans les cadres préformatés des modèles. On sait que cela a conduit à la crise des subprimes en 2008, à l’effondrement de l’hôpital sous le quantitatif, à l’écart croissant entre les élites formatées maths qui « croient » en leur vérité calculable et le peuple qui demande des relations humaines. Francis Coulon, qui a beaucoup vécu, retourne aux sources.

L’une des voies européennes est libérale, pragmatique, utilitariste ; c’est celle des pays anglo-saxons et des pays du nord européen. Ceux qui réussissent le mieux à s’adapter au monde dans l’histoire. L’autre voie européenne est autoritaire, dogmatique, idéologique ; c’est celle des pays latins et orthodoxes, dont la France. Les pays trop rigides et bureaucratiques qui s’adaptent le moins bien au monde tel qu’il va.

Pour mieux faire, et régler « la crise » qui ne cesse de tourmenter la France et les Français depuis un demi-siècle (la fin du septennat Giscard), il faut réévaluer la philosophie utilitariste. En 5 parties et 21 chapitres, l’auteur étaie sa démonstration, d’une plume alerte et sans jargon, facile à lire – et passionnante en ce qu’elle brasse des dizaines de philosophes, de littérateurs et d’économistes, depuis Aristote jusqu’à Gaspard Koenig.

Qu’est que l’utilitarisme ?

C’est tenir compte des conséquences de ses actions plutôt que de ses intentions, résume Jeremy Bentham, l’un des pères. « Michel Foucault vint à mon secours en déclarant : Bentham est plus important pour notre société que Kant et Hegel » p.12. Cette façon de voir est proche de celle d’Aristote dans son Éthique à Nicomaque. « J’avoue avoir une grande admiration pour Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Ils m’apparaissent comme modernes, ouverts et profondément humanistes. Ils vont contribuer au progrès de leur pays, en favoriser la libéralisation et faire reconnaître les droits de nombreuses minorités. Les deux philosophes ont un point commun : ce sont de grands intellectuels, capables de produire un énorme travail de réflexion et de conceptualisation dans des domaines aussi divers que la philosophie, la politique, l’économie, le droit » p.39.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit la sagesse populaire ; le paradis consiste à plutôt considérer leurs effets. Stuart Mill ajoute à cette définition la liberté individuelle et la justice. Les actions sont « morales » si les actions assurent le plus grand bonheur au plus grand nombre – et non pas si elles obéissent sans discuter aux lois, règles et « déontologie » (en grec, discours sur ce qu’il FAUT faire), la « science de la morale » selon Jeremy Bentham, dont il fait le titre de l’un de ses livres. Les cultivés reconnaîtront la célèbre distinction de Max Weber entre éthique de conviction (dogmatique et morale) et éthique de responsabilité (pragmatique et utilitariste). Les deux évidemment se complètent, les règles admises étant des rails pour leur adaptation en fonction des circonstances (p.67). D’où la liberté… régulée.

C’est inverser le tropisme catholique, romain et français d’édicter les commandements avant de vérifier si les actions y obéissent, ou de faire toujours d’autres lois sans vérifier leur application. A l’inverse, il est plus utile de considérer la balance des avantages et des inconvénients de toute décision, car chacune est particulière : le mensonge n’est pas moral – mais peut-on mentir au Nazi pour protéger le Juif qui se cache chez vous ?

L’auteur prend toujours des exemples concrets et actuels, pour sa démonstration, y compris dans les films. Un récent exemple est celui du vaccin contre le Covid : fallait-il vacciner massivement avant d’avoir tout le recul nécessaire pour mesurer l’ensemble des effets secondaires possibles (et sauver ainsi la majorité de la population) ou attendre « selon les règles » que toutes les procédures aient été évaluées ? J’ajoute (ce n’est pas dans le livre, qui évite toute polémique) que c’est la propagande russe, jalouse de la réussite occidentale en matière de vaccins bien meilleurs que le sien, qui a tenté de faire croire au complot absurde des nanoparticules inoculées pour rendre docile (et il y a des cons pour le gober !) Faut-il préférer la manière russe des élections truquées, de l’emprisonnement des opposants, du poison, du goulag et de la balle dans la tête pour rendre docile ?

Une utilité n’est pas un expédient, pas plus que le bonheur n’est le plaisir. Affiner la pensée par la différence de sens des mots permet de mieux raisonner. La souveraineté de l’individu, grande conquête des Lumières, est en faveur de la liberté en premier ; l’égalité ne peut être que de moyens, pas de résultats. Contrairement à Kant et aux moralistes bibliques, il faut préférer l’expérience aux principes. Ce qui marche doit être encouragé, pas ce qui obéit à l’idéologie. John Stuart Mill « La justice est que chaque personne obtienne (en bien ou en mal) ce qu’elle mérite. » La loi raisonnable est celle qui assure le respect de la liberté de chacun, dans le respect de celle des autres. Pas plus, pas moins.

On ferait bien d’en tenir compte avec les « agriculteurs » : jusqu’à quel scandale de santé faut-il autoriser les pesticides ? L’accaparement de l’eau, bien commun ? Mais aussi avec « les syndicats » en France. « On peut opposer l’approche des centrales syndicales nationales, politisées, démagogiques, qui adoptent devant les médias une posture souvent négative – et le réalisme, la recherche de l’utilité, des syndicalistes de terrain au sein de l’entreprise. La contradiction la plus manifeste étant celle de la CGT qui, au niveau central, défend une position critique, anticapitaliste, et qui, au niveau local, accepte de signer 50% des accords d’entreprise » p.62. L’auteur, qui a travaillé chez Danone plusieurs années, prend l’exemple de son patron Antoine Riboud et de son fameux « discours de Marseille » en 1972 (les années Pompidou!) où il a prôné pour son entreprise un projet économique ET qui prend en compte l’humain. Son fils Frank élargira cet humanisme des salariés (formation, participation, intéressement, dialogue social) aux clients et aux collectivités locales, prenant en compte dans ses objectifs économiques une responsabilité humaine, environnementale et citoyenne. J’avais donné ce même exemple il y a une douzaine d’année à mes étudiants en école de commerce.

L’ancien roi du Bhoutan a voulu, en bon bouddhiste, mesurer le bonheur de son peuple. Le Produit national brut ne suffit pas car l’argent et les biens ne font pas à eux seuls le bonheur. Il a donc imaginé ajouter d’autres critères, que l’ONU a repris dans l’indice de Bonheur intérieur brut (World Happiness Report). Les résultats montrent que les fondamentaux économiques sont évidemment importants (le revenu par tête), mais que la liberté de faire des choix, l’espérance de vie à la naissance, la politique sociale, la générosité, la perception de la corruption, le sont aussi. En tête de liste apparaissent les pays du nord de l’Europe : Norvège (numéro 1), Danemark, Islande, Finlande, Suède, en queue les pays africains puis communistes (Cuba, Vietnam, Corée du nord en bon dernier) – La France n’est que 31: en cause, les tracasseries réglementaires et administratives sans nombre et les prélèvements obligatoires élevés qui brident l’initiative.

Francis Coulon milite donc pour un libéralisme régulé à la danoise : le maximum de libertés dans le cadre défini par la société. Daron Acemoglu, économiste turco-américain né en 1967, étudie pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres et observe une corrélation entre institutions et développement économique. Selon l’économiste français Philippe Aghion, qui préface l’ouvrage en français, « Les pays prospères disposent d’institutions inclusives permettant à la population de limiter l’exercice du pouvoir politique, et à chacun d’exercer des activités économiques conformément à son choix et ses talents – tout particulièrement si celles-ci sont innovatrices et entraînent la destruction créatrice des industries obsolètes. En d’autres termes, les structures démocratiques permettent le développement économique alors que le despotisme confisque la croissance au profit d’une élite, à travers une économie extractive » p.182. Les exemples opposés de la Russie et des États-Unis est flagrant. Dans l’histoire, les deux Corées ou les deux Allemagnes ont montré l’écart qui se creuse de façon abyssale entre un régime de libertés et un régime despotique pour un même peuple dans une même géographie.

Il reste que « la gauche » en France, tout imbibée de marxisme depuis ses jeunes années, ne « croit » pas au système capitaliste, et même deux fois moins que les Chinois, pourtant en régime toujours communiste ! (p.203). L’idéologie de la redistribution les aveugle, un égalitarisme de principe ne conduit pas à l’optimum du bonheur pour le plus grand nombre mais crée des assistés permanents et une économie inefficace. Plutôt que de renforcer son industrie pour exporter, la France a choisi « d’aider » les canards boiteux et les filières en déclin (les aciéries, le textile) et elle a développé la dépense publique (la plus élevée de l’OCDE) par l’impôt et la dette, qui handicapent l’investissement. Le rapport qualité/coût de l’État-providence à la française est négatif par rapport aux pays anglo-saxons plus souples et surtout aux pays d’Europe du nord sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux (comme « nos » socialistes n’ont jamais réussi à être). Les tableaux de comparaison pages 206 et 207 sont éclairants ! La croissance française sur vingt ans (depuis 2000) est plus faible, le chômage plus fort, le déficit public plus élevé, la compétitivité nettement inférieure, la liberté personnelle et économique plus discutable (34e pour la France, 8e pour la Danemark), le Bonheur intérieur brut minable, le rang Pisa affaibli et l’indice de Gini des inégalités pas franchement meilleur.

« Je trouve qu’en France il y a trop d’État, trop d’impôts, trop de normes, trop de bureaucratie, ce qui a comme conséquence de brider le marché et génère moins de croissance, plus de chômage et même à une insatisfaction générale. Une répartition équitable doit être l’objectif mais il ne faut pas passer ‘de l’autre côté du cheval’ et décourager l’initiative et l’innovation, les principaux leviers de la croissance. Il faut tirer vers le haut l’ensemble de la population : plutôt que ‘toujours plus’ d’assistance, il faut être sélectif et, chaque fois que c’est possible, dynamiser les moins favorisés par la formation, l’incitation et la sacralisation de la valeur travail » p.210. La flexisécurité danoise est un très bon exemple : liberté de licencier vite, mais formation obligatoire et suivi attentif des chômeurs.

L’auteur fournit pages 225-259 (soit plus de 10 % du livre) dix cas concrets d’application de l’utilitarisme (partie 5). Il évalue aussi les présidents de la Ve République sur le meilleur compromis entre efficacité, liberté et équité. Georges Pompidou en ressort vainqueur, mais aidé par son époque pré-crise. Chirac reste le pire, n’ayant aucune volonté d’une quelconque réforme, forcément impopulaire. Sarkozy a été brouillon, Hollande n’a pas assumé et Macron a été peu efficace au début, avant de comprendre que l’autoritarisme payait. Mais la réforme des retraites reste un échec et sera à remettre sur le métier, l’organisation de l’État en millefeuille n’a même pas été abordée.

Un très bon livre d’actualité qui offre une profondeur historique des idées et apporte à toute critique une solution pragmatique possible. Très intéressant.

Préface de Christian de Boissieu professeur émérite à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), vice-président du Cercle des Économistes.

Francis Coulon, Sortir de la société en crise – La philosophie utilitariste au service du bien commun, VA éditions 2023, 281 pages, 20,00

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La danse révolutionnaire de Noureev réinventée en son journal intime écrit par Marianne Vourch (dans Le Contemporain)

La danse révolutionnaire de Noureev réinventée en son journal intime

■ Rudolf Noureev (© Francette Levieux)
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culturel 

Dans l’univers captivant du podcast “Le journal intime de Rudolf Noureev”, Marianne Vourch redonne souffle à la vie tumultueuse et passionnante du célèbre danseur. À travers huit épisodes envoûtants, on découvre comment la danse révolutionnaire de Noureev s’insère toujours dans l’actualité, inspirant artistes et amateurs de ballet du monde entier. Ce journal intime tombe à point nommé alors que l’année 2024 célèbre les trente ans de la disparition de cette étoile de la danse.

I. Marianne Vourch : La conteuse des âmes célèbres

Depuis plusieurs années, Marianne Vourch captive les auditeurs et les lecteurs avec ses journaux intimes uniques, publiés aux éditions Villanelle et adaptés en podcast. À travers ses écrits, elle révèle les pensées intimes et les émotions profondes de grandes personnalités telles que Rudolf Noureev, mais aussi Edith Piaf, Maria Callas, et bien d’autres. Avec une sensibilité artistique et une compréhension aiguisée des âmes humaines, Marianne Vourch nous transporte dans les univers fascinants de ces icônes, offrant un regard intime sur leur vie et leur héritage. Grâce à ses récits captivants, elle nous permet de découvrir les hommes et femmes derrière la légende, révélant leur humanité et leur vulnérabilité avec une profonde empathie.

II. La révolution commence

Le journal intime de Rudolf Noureev écrit par Marianne Vourch nous fait traverser les univers familiers du danseur du lac Baïkal, de sa naissance « je suis en train de naître. Je suis malckik kotorii ridilsaï v poezdele garçon qui est né dans un train », en passant par son enfance ; ses images sont tout à la fois dures et laissent poindre la sensibilité naissante du futur danseur : « tout le monde souffre de privations mais je crois que nous sommes les plus pauvres du village … », « la musique est comme une amie qui me conduit vers le bonheur. Je chante et je danse avec elle […] le gopak, la lezguinka et beaucoup d’autres pas folkloriques ».

L’enfance de Noureev est très bien décrite dans ce journal intime, jusqu’à l’analyse psychologique avec l’absence du père dans les premières années puis sa présence au sortir de la guerre contrariant de manière machiste et violemment homophobe le plaisir de danser de son fils : « au yeux de mon père la danse n’est pas un métier d’hommes […] quand mon père me voit partir pour aller danser il me frappe. Il dit qu’il ne veut pas de garçon efféminé ». Dès les premiers pas de Noureev sur scène, son art révolutionnaire bouleverse le monde de la danse. Comme l’évoque l’écrivain Joseph Conrad, « il était un être à part, un artiste qui transcendait les frontières physiques et culturelles, un véritable révolutionnaire de la scène ». Sa passion ardente pour la danse et son désir insatiable de liberté captivent les spectateurs et inspirent les générations futures de danseurs.

III. Le tourbillon de la vie


Entre triomphes sur scène et luttes personnelles, la vie de Noureev est un tourbillon d’émotions et de défis. Le journal intime de Marianne Vourch relate le premier voyage de Noureev à Paris dans des descriptions saisissantes d’émotion, sont décrits son ressenti et ses craintes sur la réception de sa danse en France : « Nous allons d’abord danser à Paris deux semaines au Palais Garnier […] Comment le Public français va-t-il nous recevoir ? Paris est pour nous la capitale du monde » ; puis est décrit Paris, vu par Noureev. De merveilleuses description qui font tant d’honneur à la France, à sa musique, à sa danse et à son histoire : « je veux tout voir de Paris, […] je découvre l’Arc de triomphe, l’avenue des champs Élysées […] Je décide de me rendre à la salle Pleyel pour écouter Yehudi Menuhin […] 19 mai 1961, Musée du Louvre. Je m’y rends chaque matin à la première heure. Je veux être seul pour contempler l’immense tableau du Radeau de la Méduse. Je l’ai découvert dans un livre à Leningrad, maintenant, je le vois en vrai ! »
Dans son regard d’artiste sensible, poétique comme en témoigne ces descriptions, mais aussi dramatique comme l’écrivain F. Scott Fitzgerald le décrit si poétiquement : « Sa vie était comme une danse endiablée, où chaque pas était un défi, chaque mouvement une révélation. » À travers ses hauts et ses bas, Noureev incarne l’esprit indomptable de l’artiste en quête de perfection.IV. Actualité de la guerre en l’Ukraine : la Russie menaçante et intolérante !

C’est déjà de la « dictature russe » dont il est question dans la vie de Noureev, et qu’on retrouve ici et là, déjà décrite dans son journal intime : « le KGB me surveille ». Ou encore là, avant de voyager avec son ballet : « il ne veulent pas que nous partions à l’ouest […] Je sens bien que mon cas de déserteur politique rend les négociations difficiles ».

Il n’est pas fait référence très ouvertement dans le journal intime de Marianne Vourch à l’homosexualité de Rudolf Noureev, mais de ces allusions nombreuses au KGB qui le pourchassera toute sa vie ; ces petites allusions à un pays de contraintes, d’autorités abusives sont bien présentes dans toute la vie de Rudolf Noureev et nous ramènent à cette actualité anxiogène sur les menaces de guerre qui pèsent entre la France et la Russie actuelle de Poutine qui ne cache pas dans sa politique son mépris pour la question LGBT.

Noureev est d’ailleurs de manière posthume au cœur d’une censure soviétique récente. La politique homophobe, toujours plus dure, de l’État russe dirigé par Vladimir Poutine, frappe tous azimuts. Accusé de « propagande LGBT », le ballet de Kirill Serebrennikov retraçant la vie du célèbre Rudolf Noureev a été interdit le 19 avril 2023 au théâtre Bolchoï de Moscou en raison de l’homosexualité du danseur disparu il y a trente ans.

V. Le cri de liberté

La danse de Noureev transcende les frontières politiques et culturelles, devenant un symbole de liberté et d’expression.Le journal intime de Marianne Vourch ne fait pas l’impasse de la douleurs et du cri que représente un tel parcours : « J’ai 25 ans, j’ai tout pour être heureux. Je danse avec le Royal Ballet, la presse dit que je suis le Beatles de la danse ! … je voyage sans cesse d’un pays à l’autre et partout l’on m’acclame ! Aux yeux de la presse, je suis un dandy romantique […] Un mélange de brutalité et de tendresse […] J’ai de l’argent et des maisons. Des vêtements et tous les objets que je désire. Mais je pleure en silence. J’ai besoin de parler de ma mère, de mon pays. »

Comme l’a écrit l’écrivain George Orwell, « dans ses mouvements gracieux, on entend le cri de liberté étouffé par l’oppression, la révolte silencieuse contre les contraintes du monde. » Son art courageux défie les conventions et inspire ceux qui rêvent de repousser les limites.

Pour Lambert Wilson, Noureev est une opportunité. En prêtant sa voix pour conter la vie de Noureev, Lambert Wilson rend hommage à l’héritage inestimable de ce grand artiste. Comme il l’a déclaré lors d’un entretien, « interpréter le rôle de Noureev est un privilège et un défi immense. Sa passion pour la danse et sa force de caractère sont une source d’inspiration pour tous ceux qui croient en la puissance de l’art. »
En huit épisodes Lambert Wilson plonge l’auditeur de ce podcast d’exception avec le charisme dans la voix qu’on lui connaît dans les instants les plus intimes de la vie de Rudolf Noureev d’une manière très poignante. Les mots de Lambert Wilson qui introduisent ce journal intime ne font que confirmer cette présence fusionnelle entre le conteur et ce héros de la danse : « il y eut au XXᵉ siècle Sarah Bernhardt, Gérard Philippe, Nijinsky et puis il y eut Rudolf Noureev. Je ne l’ai jamais vu danser sur scène, mais son envol reste cependant gravé à jamais dans mon imaginaire »VI. La signature de Noureev : des techniques de danse inimitables

Rudolf Noureev a laissé derrière lui un héritage artistique incomparable, comprenant des techniques de danse qui lui sont propres et qui continuent d’inspirer les danseurs du monde entier. Des pas audacieux aux sauts aériens, en passant par une maîtrise magistrale de l’expression corporelle, Noureev a créé un style singulier qui défie les conventions et repousse les limites du possible sur scène. Des professeurs de renom comme Mikhail Baryshnikov et Martha Graham reconnaissent l’unicité de son approche, louant sa virtuosité technique et son interprétation passionnée. En enseignant ses techniques novatrices, ces maîtres transmettent l’héritage vivant de Noureev à la prochaine génération de danseurs, assurant que son influence perdure à travers les âges.

À travers le podcast Le journal intime de Rudolf Noureev de Marianne Vourch, on est littéralement en immersion dans l’univers fascinant d’un des plus grands danseurs du XXe siècle. Ce podcast nous fait voyager dans le monde entier, de la Russie à la France, en passant par l’Angleterre et les États Unis, avec des descriptions mémorables de Jackie Kennedy saluant son talent. L’héritage laissé par Noureev continue d’inspirer et de captiver, rappelant à chacun la force transformative de l’art et la persévérance face à l’adversité.

Le Contemporain fait la part belle à Hélène Rumer en chroniquant « Mortelle petite annonce »

« Mortelle petite annonce » : Un drame familial miroir d’un fait divers qui continue d’intriguer

■ Hélène Rumer
 
Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culturel

I. Mortelle petite annonce : Un drame familial miroir d’un fait divers qui continue d’intriguer

Dans un monde où l’inimaginable se terre derrière les façades les plus lisses, où les tensions familiales peuvent mener à des dénouements tragiques, le roman d’Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, offre un voyage dans l’irrationnel des affects. En s’inspirant des tragédies familiales réelles telles que l’affaire Dupont de Ligonnès, l’auteur tisse un récit complexe où les apparences se révèlent souvent trompeuses. Des crimes « passionnent » pour ce qu’ils disent des mouvements de notre société, d’autres prennent une tournure politique quand des élus soufflent sur les braises. Ce n’est pas le cas de l’affaire de la tuerie de Nantes, mais elle hante pourtant au-delà de toutes. On écrit des romans de fiction comme Mortelle petite annonce pour continuer dans l’inconcevable. Quels sont les ressorts de cette fascination inouïe ? À travers une intrigue riche en rebondissements et des personnages nuancés, Hélène Rumer explore les thèmes universels et tragiques de la sphère familiale invitant le lecteur à une méditation sur l’impensable, explorant des liens troublants avec des affaires réelles et d’autres œuvres littéraires marquantes, offrant ainsi un récit aussi captivant qu’effrayant.

II. Le brossage d’une famille sous tension

Dans le roman sombre et captivant d’Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, la vie de la famille Jarnac se déroule dans l’ombre des secrets et des tensions. Tout commence par une petite annonce pour une baby-sitter, mais se transforme rapidement en un récit macabre rappelant l’affaire Dupont de Ligonnès. La ressemblance avec cette tragédie crée un lien saisissant entre la fiction et la réalité. Il y a aussi cette singularité de la vie après la mort ou plutôt de la survivance de l’âme, l’auteur utilisant cette ressource à la main des protagonistes pour décrire par eux-mêmes la scène post-mortem.

III. Des parallèles troublants avec l’affaire Dupont de Ligonnès

Comme dans l’affaire Dupont de Ligonnès, le roman dépeint une famille en apparence ordinaire, vivant dans une banlieue cossue, mais cachant de sombres secrets. Les personnages principaux, Pierre et Marie-Ange, ressemblent au couple Dupont de Ligonnès, vivant sous pression constante, alimentée par des problèmes financiers, des relations étriquées et des traumatismes non résolus.

L’analyse psychiatrique de l’affaire Dupont de Ligonnès, menée par des experts renommés comme Daniel Zagury, offre un éclairage fascinant sur les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans les cas de crimes familiaux. Le roman d’Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, évoque des thèmes similaires. Pour approfondir cette comparaison, nous pourrions invoquer les travaux d’experts en psychiatrie renommés tels que Richard K. Murray et Ronald Blackburn, dont les ouvrages sur les crimes familiaux mettent en lumière les schémas comportementaux et les motivations sous-jacentes. En intégrant les perspectives de ces experts, le roman d’Hélène Rumer acquiert une profondeur psychologique supplémentaire tel un leitmotiv pour dire plus jamais ça!

IV. Le mystère de “Nicolas” : Une clé pour comprendre la tragédie

Tout comme le mystère entourant Xavier Dupont de Ligonnès et ses motivations, le personnage énigmatique de “Nicolas” dans le roman représente une pièce cruciale du puzzle. Son départ précipité de la maison et son absence laissent planer une aura d’étrangeté et de mystère, révélant des failles profondes dans la structure familiale. Ce personnage donne au lecteur dans ce crime abominable entre féminicide et infanticide une tribune qui fait travailler l’imaginaire en projetant ses fantasmes ou ses désirs à vouloir être le premier soit à lever les secrets planants, soit à annoncer un scoop.

Ce qui fascine et horrifie le lecteur du récit d’Hélène Rumer au milieu de tous les erzatz nés du fait divers d’origine, c’est la possibilité – hypothèse – monstrueuse qu’un père, bien sous tous rapports selon ses proches et intimes, puisse exécuter froidement ses enfants et sa femme et même leur tendre des pièges avant de les tuer .

V. La violence conjugale au cœur du drame

Le roman explore également le thème déchirant des violences conjugales, tout comme l’affaire Dupont de Ligonnès a mis en lumière les dynamiques toxiques au sein de la famille. La violence émotionnelle et physique exercée par Pierre aggravée par l’alcoolisme sur Marie-Ange reflète la réalité brutale de nombreuses relations conjugales marquées par la domination et la soumission.

VI. Mortelle petite annonce : un plaidoyer en faveur de la notion d’emprise d’un point de vue légal

Dans le roman poignant d’Hélène Rumer, les personnages sont pris dans les rets d’une emprise aussi insidieuse que destructrice. Il en va de même concernant le débat autour de l’inscription de l’emprise dans la loi qui révèle la complexité des relations humaines et des mécanismes de domination psychologique. Dans le récit d’Hélène Rumer, les protagonistes subissent progressivement une altération de leur libre arbitre et de leur dignité, piégés dans un engrenage de violence verbale et physique. De même, les victimes de violences conjugales se trouvent emprisonnées dans une spirale de peur et de manipulation, où la violence psychologique prépare souvent le terrain à la violence physique. Cette analogie souligne l’importance de la reconnaissance légale de l’emprise comme une forme de violence à part entière, tout en mettant en lumière les défis juridiques et sociétaux qui accompagnent une telle démarche. Comme les personnages de ce roman luttent pour retrouver leur liberté et leur identité, les victimes de violences conjugales aspirent à une reconnaissance de leur souffrance et à une protection renforcée par la loi.

VII. Une réflexion sur les non-dits et les conséquences funestes qui en découlent

À travers le récit captivant de Laurie, la baby-sitter, le roman met en lumière les conséquences dévastatrices des non-dits et des secrets familiaux. Les silences qui entourent le départ de “Nicolas” et les tensions non résolues finissent par atteindre un point de rupture fatal, conduisant à une tragédie inimaginable.

VIII. La thématique des tragédie familiales en littérature : un genre bien connu

Dans le domaine de la littérature, plusieurs écrivains renommés ont également exploré les thèmes des tensions familiales, des secrets inavoués et des crimes domestiques. Parmi eux, des auteurs tels que Gillian Flynn, avec son best-seller Les Apparences, plongent les lecteurs dans des récits sombres où les apparences sont trompeuses et où les drames familiaux cachent des vérités dérangeantes. De même, le roman La Fille du train de Paula Hawkins explore les intrications complexes des relations familiales et les conséquences dévastatrices de la manipulation et de la violence domestique. Ces ouvrages captivants offrent des perspectives variées sur les dynamiques familiales dysfonctionnelles et les tragédies qui peuvent en découler, élargissant ainsi le tableau des récits similaires à celui proposé par le roman d’Hélène Rumer.

X. Un récit qui capitalise la question du droit des femmes

Dans une ère où la sensibilisation aux questions de sexisme et de droits des femmes est devenue cruciale, le roman d’Hélène Rumer se positionne habilement pour capitaliser sur ces sujets brûlants. En surfant sur la vague de l’engagement féministe, le service de presse entourant le livre exploite intrinsèquement et astucieusement la Journée des droits de la Femme et les revendications pour l’égalité des genres en organisant notamment dès conférences multi-auteures sur ces thèmes. En mettant en scène une héroïne Marie-Ange confrontée à l’emprise et à la violence conjugale d’un mari alcoolique , le roman attire l’attention sur des problématiques sociétales urgentes. Cependant, derrière cette façade d’engagement social, se cache parfois une stratégie commerciale visant à tirer profit de la tendance actuelle à la dénonciation des injustices faites aux femmes. Cette mise en avant opportuniste qu’on ne retrouve nullement dans le roman d’Hélène Rumer peut susciter des interrogations sur la sincérité de l’approche et le véritable impact sur le combat pour l’égalité des droits .

XI. Un roman captivant, d’une réalité et d’une actualité prégnante

Mortelle petite annonce d’Hélène Rumer ne se contente pas de captiver les lecteurs avec son suspense haletant ; il offre également une réflexion profonde sur les dysfonctionnements familiaux et les drames humains qui peuvent découler du poids des secrets et des non-dits. Dans un écho troublant à l’affaire Dupont de Ligonnès, ce roman nous rappelle que derrière les façades en apparence parfaites, se cachent parfois les réalités les plus sombres.

« Ce roman policier pose la question cruciale de notre temps : que voulons-nous devenir ? » sur Alexandre Arditti

Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg

Témoin d’époque, l’auteur frappe un grand coup. Le confinement Covid l’a fait réfléchir sur la société comme elle va dans un premier roman, La conversation, sur les réseaux sociaux qui prennent de plus en plus de place, sur la technique qui étend son emprise sur l’humain. Les responsables ? Les patrons des GAFAM (Google, Apple, Amazon et Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ces multinationales technologiques et de réseau.

Dès la page 13, Mark Elliot Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook et désormais propriétaire aussi d’Instagram, de WhatsApp, Messenger et Threads, est exécuté d’une balle dans la tête. Facebook, nommé au départ Facemash, autrement dit « fesses-book » qui permettait de noter les appréciations sur les étudiants et étudiantes les plus sexy à la fac, est devenu un réseau social mondial et rentable renommé Meta Platforms. Zuckerberg n’en possède que 13 % des parts mais en contrôle 60 %, le reste étant coté en bourse et partiellement aux mains d’investisseurs institutionnels.

Il envisage de développer la blockchain pour la monnaie, l’épargne et les paiements, les lunettes connectées qui filment à votre insu, le Metavers qui est un univers parallèle, et l’IA pour capter et faire fructifier les données des utilisateurs. Autrement dit, Mark Elliot Zuckerberg est « le » prédateur du futur, le Big Brother d’Orwell dans 1984. Le fait qu’il soit juif, capitaliste et américain n’est pas mentionné par l’auteur, bien que cela participe du « Complot » mondial dont les défiants sont habituellement férus.

A la page 18, d’autres crimes sont évoqués sur les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et même de l’ex-président Trump, de même que sur Merkel, Sandrine Rousseau (après tortures, l’auteur se venge-t-il symboliquement ?), et divers attentats contre d’anciens dirigeants comme Sarkozy ou Hollande. Au total, près d’une centaine.

Le meurtrier de Zuckerberg est arrêté assez vite à Paris, dans le palace où il se prélasse, son forfait accompli. Le commissaire Gerbier, usé et fatigué après des décennies de crimes et d’enquêtes dans une société qui pourrit par la tête, est chargé comme meilleur professionnel du 36, de l’interroger. Il a en face de lui un homme de son âge, qui avoue appartenir à un réseau terroriste pour éradiquer l’emprise technologique sur les humains : Table rase.

Il y a peu d’action mais beaucoup de conversation. La soirée puis la nuit passent à deviser afin de savoir pourquoi on a tué, et qui est impliqué. Le pourquoi devient limpide : c’est une critique en règle de l’ultra-modernité : les réseaux qui abêtissent, la moraline du woke qui censure et inhibe, l’IA qui formate peu à peu et réduit l’intelligence humaine. La société hyperconnectée est nocive : il est bon d‘être réactionnaire envers elle !

Premier argument du terroriste : le complot serait général, pour mieux dominer les populations, intellos compris (souvent très moutonniers) : « Vous savez, la meilleure façon de contrôler la pensée d’une population est simplement qu’elle n’en ait pas. Noyer sa réflexion et son attention dans un flot continu d’informations stupides – ou commerciales , ce qui revient à peu près au même – est un excellent moyen d’y parvenir. Limiter l’esprit humain est aujourd’hui devenu un véritable programme politique. Plus le peuple sera ignorant et occupé à des futilités, plus il sera facilement contrôlable » p.53. Sauf que l’on pourrait objecter que les États-Unis ou la France ne sont ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran et que le « contrôle social total » reste un fantasme de défiant complotiste. Nul n’est obligé de suivre les errements des réseaux, des chaînes d’info et de la violence radicale.

Second argument : c’est le capitalisme qui est en cause : « Une société dont l’économie ne survit qu’en générant des besoins artificiels, avec pour objectif d’écouler des produits dont la plupart sont inutiles voire nocifs pour la population comme pour la planète, ne me paraît pas digne de survie à long terme » p.57. Mais quel est le « long terme » ? Pour Michel Onfray comme pour quelques autres, le « capitalisme » est né dès le néolithique ou même dès la première société humaine qui produit et stocke pour échanger… D’autre par, le « capitalisme » est un outil économique, une technique d’efficacité diablement efficace : même la Chine « communiste » s’y est convertie avec la réussite qu’on lui connaît, au contraire de l’archaïque mentalité russe, dont l’économie et la prospérité stagnent.

Troisième argument, anthropologique, vers le Soushomme, l’abêtissement général dans le futile, le tendance et l’autocensure pour ne pas offenser : « Passer d’un mode de vie résolument ancré dans le réel à des relations essentiellement virtuelles et souvent, ne nous voilons pas la face, purement mercantiles, est forcément contre-nature. Les réseaux sociaux incarnent ainsi la caricature la plus vide de sens de notre époque. (…) La mise en scène de toutes choses relève aujourd’hui d’un phénomène de cirque, servi par la consommation instantanée et ininterrompue d’informations sans aucun intérêt. A ce stade, ce n’est plus un appauvrissement, c’est une désertification intellectuelle et une raréfaction glaçante des relations sociales… » p.77. Nietzsche appelait à la volonté pour aller vers une sur-humanité ; la technologie, comme Heidegger le disait, ramène plutôt l’humain vers la sous-humanité de bête à l’étable qui regarde passer les trains.

Quatrième argument, l’effritement des relations sociales sous les coups de la victimisation, du buzz et du woke et la remise en cause de la démocratie sous les coups de force des gueulants : « Désormais, pour exister, au moins médiatiquement parlant, il faut absolument revendiquer quelque chose, protester. S’en prendre à quelqu’un, faire valoir ses traumatismes, bref être une victime, peu importe de qui ou de quoi. Dis-moi ce que tu revendiques, je te dirai qui tu es ! (…) Mon propos est de dénoncer une atmosphère délétère qui déteint sur tous les pans de la société, et entrave sérieusement la liberté d’expression en suscitant des phénomènes d’autocensure particulièrement inquiétants. Un travers en grande partie dû à l’amplification médiatique du moindre fait divers et de la moindre déclaration sortie de son contexte par les chaînes d’information continue, et bien sûr par les réseaux sociaux. (…) Les fondamentaux démocratiques de la société sont désormais pris en otage par quelques tristes sires qui les dévoient de manière éhontée pour leur usage personnel, et surtout pour se faire de la publicité à moindre frais » 103. On pense à la Springora et à la Kathya de Brinon – entre autres. Mais doit-on les croire sans esprit critique ? Leur force médiatique tient surtout à la lâcheté de ceux qui sont complaisants avec leurs fantasmes et leurs approximations.

Habilement, sous forme d’un interrogatoire policier, l’auteur reprend les critiques les plus usuelles sur les méfaits de la technique et le mauvais usage des outils, comme sur l’abandon de ceux qui sont chargés de transmettre : les parents, les profs, l’administration, les intellos, les journalistes, la justice, les politiques. Ils ne sauvegardent pas l’humanité en laissant advenir par inertie « un transhumanisme sauvage » p.142.

En cause l’éducation et la famille, dont l’auteur ne parle guère. Je pense pour ma part que l’habitude viendra d’user mieux de ces choses, qui sont aujourd’hui beaucoup des gadgets à la mode dont on peut se passer (ainsi Facebook ou Instagram), ou qui font peur aux ignorants qui ne savent pas s’en servir. Je l’ai vécu avec le téléphone mobile : l’anarchie et l’impolitesse des débuts a laissé place à des usages plus soucieux des autres. Quant aux réseaux, les cons resteront toujours les cons, quels que soient les outils de communication, et il faut soit les dézinguer à boulets rouges s’ils vous attaquent, soit les ignorer superbement. Le chien aboie, la caravane passe.

Ce roman policier un peu bavard, aux dialogues, parfois réduits à un échange de courtes interjections comme au ping-pong, pose la question cruciale de notre temps : que voulons-nous devenir ? Il se lit bien et n’échappe pas à un double coup de théâtre final fort satisfaisant. Clin d’œil, l’auteur est lui-même sur Facebook.

Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg, 2024, éditions La route de la soie, 146 pages, €17,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Saisons de culture vous invite à l’odyssée culinaire de Yezza Mehira

La cuisine des âmes nues, nouvelles et recettes

Par Yves – Alexandre Julien

Une odyssée culinaire à la rencontre de 13 femmes entre sociologie et féminisme 

C’est un voyage sensoriel unique que nous fait vivre Yezza Mehira à travers les pages de son ouvrage intitulé « La cuisine des âmes nues ». Ce livre captivant invite le lecteur à un périple culinaire inoubliable, où chaque recette est une porte ouverte vers une nouvelle culture, une nouvelle histoire. Inspiré par les rencontres de l’auteur avec des inconnus , ce livre est bien plus qu’un simple recueil de recettes, c’est une véritable renaissance gastronomique.

Les fondations de la rencontre 

Dans « La cuisine des âmes nues », chaque plat est le fruit d’une rencontre, d’un échange entre l’auteur et des personnes rencontrées au hasard de ses pérégrinations. Cette approche rappelle le travail novateur du chef René Redzepi, célèbre pour ses expéditions culinaires à la recherche d’ingrédients inattendus. Tout comme Redzepi, qui a parcouru les régions les plus reculées à la recherche de nouvelles saveurs, l’auteur de ce livre nous offre une expérience culinaire authentique, où l’essence même de la rencontre se retrouve dans chaque bouchée. Cette approche évoque également les voyages culinaires du romancier Anthony Capella, dans son livre “La cuisine des péchés ”. Il écrit : “Dans chaque plat se cache une histoire, dans chaque saveur se dissimule un voyage. C’est en partageant la table avec des étrangers que l’on découvre le véritable sens de la cuisine.”

Battre les œufs et ouvrir son esprit …

Dans la cuisine, tout comme dans la vie, il y a des conseils qui vont au-delà de la simple préparation des aliments. Prenez par exemple le conseil de l’auteur  de battre les œufs fort pour obtenir une omelette bien baveuse. Cela peut sembler anodin, mais cela révèle en réalité une leçon profonde sur l’importance de l’engagement et de l’énergie que l’on met dans nos actions. Comme le souligne le philosophe Alan Watts : “Lorsque nous faisons quelque chose, faisons-le avec tout notre être, avec toute notre énergie. C’est là que réside le secret de la vie pleine et enrichissante.” Battre les œufs avec force, c’est embrasser pleinement le processus culinaire, c’est se donner entièrement à la tâche, sans retenue ni hésitation. De la même manière, dans notre vie quotidienne, nous devrions aborder chaque expérience avec cette même intensité, cette même détermination à savourer chaque moment et à en tirer le meilleur parti. En battant les œufs avec vigueur, nous nous ouvrons à de nouvelles possibilités, à de nouvelles perspectives sur le monde qui nous entoure. Et qui sait, peut-être que cette simple action dans la cuisine nous permettra de découvrir des horizons insoupçonnés dans notre propre existence.

L’art de la fusion 

Chaque recette de « La cuisine des âmes nues » est un témoignage de la capacité de la cuisine à transcender les frontières géographiques et culturelles. L’auteur maîtrise l’art délicat de la fusion, mêlant des ingrédients et des techniques culinaires provenant de différents horizons. Cette approche rappelle le travail visionnaire du chef Nobu Matsuhisa, qui a révolutionné la cuisine japonaise en intégrant des influences sud-américaines. De la même manière, l’auteur nous offre des plats qui défient les conventions et éveillent nos papilles à de nouvelles sensations, tout en honorant la diversité des cultures rencontrées. Dans son roman “Comme de l’eau pour le chocolat”, Laura Esquivel explore également les thèmes de la fusion culinaire et de la transcendance à travers la cuisine. Elle écrit : “Dans chaque plat, je verse un peu de mon âme, un peu de mon histoire. Et dans chaque bouchée, je goûte le monde.”

Le voyage comme une école de cuisine 

À travers les pages de « La cuisine des âmes nues », le lecteur découvre que voyager est bien plus qu’une simple exploration géographique, c’est aussi une école de cuisine à ciel ouvert. En s’immergeant dans de nouvelles cultures, l’auteur apprend de nouvelles techniques, découvre de nouveaux ingrédients et perfectionne son art culinaire. Cette démarche rappelle le parcours du chef Anthony Bourdain, qui a fait de ses voyages une source d’inspiration pour sa cuisine. Comme Bourdain, l’auteur de ce livre nous montre que la véritable essence de la gastronomie réside dans la découverte et le partage, et que chaque voyage est une opportunité d’enrichir notre savoir culinaire. Dans son livre “Carnet de voyage culinaire ”, Michael Booth écrit : “Chaque cuisine est un chapitre de l’histoire, chaque recette est un poème. Voyager à travers les saveurs du monde, c’est découvrir l’essence même de la vie.”

La magie du chiffre 13 : mythologie en cuisine  

Dans la mythologie grecque, le chiffre 13 est chargé de significations profondes et souvent contradictoires. D’une part, il est associé à la déesse Héra, protectrice du mariage et de la famille, car elle est la treizième divinité à avoir été invitée au mariage de Thétis et de Pélée. D’autre part, il est également lié au dieu Hadès, seigneur des Enfers et représentant de la mort et de la fin des cycles. Ainsi, le chiffre 13 incarne à la fois la fertilité et la création, mais aussi la transformation et le renouveau.

Dans le contexte de la cuisine, le chiffre 13 prend une signification particulière. Il symbolise l’abondance, la plénitude et la richesse des saveurs. Dans “La cuisine des âmes nues », la présence de 13 femmes, chacune apportant sa propre contribution culinaire, évoque cette idée d’abondance et de diversité. Comme les 13 divinités de l’Olympe, ces femmes incarnent différentes facettes de la gastronomie, chacune offrant un éventail unique de saveurs et de traditions.

De plus, le chiffre 13 est souvent considéré comme un nombre de chance dans de nombreuses cultures à travers le monde. Dans la cuisine, il peut être interprété comme un présage de bonheur et de prospérité. Chaque recette de “La cuisine des âmes nues » est une offrande à la fortune, un rituel culinaire destiné à apporter joie et satisfaction à ceux et à celles  qui les dégusteront.

Ainsi, à travers la symbolique du chiffre 13 en cuisine, nous sommes invités à reconnaître la richesse et la complexité de l’expérience gastronomique. Chaque plat, chaque ingrédient, chaque geste culinaire est chargé de sens et de significations, nous reliant ainsi aux mystères de la mythologie et à la magie de la création culinaire.

Le féminisme culinaire : révolution dans les casseroles 

Dans “La cuisine des âmes nues » l’exploration culinaire va au-delà de la simple préparation de repas ; elle incarne également une forme de rébellion contre les normes traditionnelles de genre. Cette approche résonne avec les idées féministes qui ont longtemps cherché à réclamer une place légitime pour les femmes dans la sphère culinaire. Comme le souligne l’écrivaine et activiste culinaire Charlotte Druckman : “La cuisine a longtemps été considérée comme un domaine réservé aux femmes, mais cela ne signifie pas que leur travail y a été reconnu ou valorisé de manière égale.” De la même manière, dans son livre “Cuisiner : Un récit d’amour et de rébellion ”, l’auteure et critique culinaire Kim Severson explore les liens entre la cuisine et le féminisme, affirmant que “cuisiner peut être un acte de rébellion, une façon de revendiquer sa place dans un monde dominé par les hommes.” Ainsi, « La cuisine des âmes nues » représente non seulement une célébration de la diversité culinaire, mais aussi une affirmation du pouvoir des femmes dans le domaine de la gastronomie, où leurs voix et leurs talents sont enfin reconnus et célébrés.

Sociologie du goût 

“La cuisine des âmes nues ” nous invite à réfléchir à la sociologie du goût, à la manière dont nos préférences culinaires sont influencées par notre environnement social et culturel. En mettant en lumière les traditions culinaires de différentes communautés à travers le monde, l’auteur nous montre que le goût est bien plus qu’une simple sensation gustative, c’est aussi un reflet de notre identité et de notre histoire. Cette approche rappelle les travaux du chef Massimo Bottura, dont les voyages à travers l’Italie ont inspiré sa cuisine avant-gardiste, mettant en valeur les traditions tout en les réinventant pour les générations futures. De la même manière, “La cuisine des âmes nues” nous offre une nouvelle perspective sur le lien entre alimentation et culture, nous invitant à explorer ces liens à travers le prisme de la cuisine. Dans son roman “My life in France”, Julia Child écrit : “La cuisine est bien plus qu’une simple nourriture pour le corps, c’est une nourriture pour l’âme. Chaque plat raconte une histoire, chaque recette évoque un souvenir. C’est à travers la cuisine que nous nous connectons les uns aux autres, que nous partageons nos joies et nos peines, nos rêves et nos désirs.”

Dans un monde où le temps semble filer à toute vitesse, où les moments de pause et de contemplation se font rares, “La cuisine des âmes nues ” offre un refuge, un havre de paix où chaque recette est une invitation à ralentir, à savourer, à réfléchir. À travers ces pages empreintes de voyages, de rencontres et de saveurs, ce livre nous rappelle que la cuisine est bien plus qu’une simple nécessité quotidienne ; c’est un art, un langage universel qui transcende les frontières, les différences, les mythologies .

En découvrant les histoires de ces 13 femmes à travers leurs recettes, nous plongeons dans un univers riche en couleurs, en textures et en arômes, où chaque plat est le récit d’une vie , où chaque bouchée est chargée d’émotions. De la fusion audacieuse des ingrédients à la délicatesse des gestes culinaires, chaque page de ce livre est une ode à la créativité, à la générosité et à l’amour.

Alors que nous refermons ce livre, nous sommes invités à nous poser des questions, à réfléchir sur nos propres voyages, sur nos propres rencontres. Quelles saveurs avons-nous encore à découvrir ? Quelles histoires avons-nous encore à partager ? Et surtout, comment pouvons-nous utiliser la cuisine comme un moyen de créer des liens, de briser les barrières et de célébrer la diversité ?

À travers “La cuisine des âmes nues”, nous sommes transportés dans un monde où les frontières entre les cultures s’effacent, où les différences deviennent des atouts, où la cuisine devient un pont entre les peuples. Que ce livre soit le début d’une aventure culinaire sans fin, où chaque plat est une promesse de découverte et d’émerveillement. À table, et que le festin commence !

Editions de la Zitourme