Le Juliette Drouet de Gérard Pouchain par Bruno de Cessole

Inédit Souvenirs 1843 – 1854 de Juliette Drouet (collectés par Gérard Pouchain) par Bruno de CESSOLE (Valeurs actuelles, 15 au 21 juin 2007)

Parmi les classiques de la correspondance amoureuse, les lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo figurent en bonne place, tant par leur intensité que par leur quantité : pas moins de 20 000 ! Modeste, elle ne se faisait pas d’illusions sur ses qualités d’épistolière : « Il y a, écrivait-elle à son cher « Toto » entre mes lettres et celles de Madame de Sévigné le même rapport qu’entre mes dessins et les cartons de Raphaël. » Juliette se calomniait : elle ne « scribouillait » pas si mal que cela. A telle enseigne qu’Hugo lui demanda parfois de rédiger des souvenirs dont il pourrait avoir l’usage pour ses écrits. Voici ces « souvenirs » de Juliette, dont la première qualité est la spontanéité. Si les récits de voyage ne sont pas d’un intérêt palpitant, il n’en va pas de même pour ses souvenirs de la Révolution de 1848 et du coup d’Etat du 2 décembre. Juliette s’y révèle un témoin et un « reporter », sinon génial comme Hugo dans ses Choses vues, du moins remarquable par sa probité et son coup d’œil. Souvenirs 1843 – 1854 de Juliette Drouet, Des femmes – Antoinette Fouque, 322 pages, 13 euros

Le Lou Salomé de François Guéry par Robert Maggiori

Lou y es-tu de François Guéry par Robert Maggiori (Libération, jeudi 28 juin 2007)

Que pouvait-elle bien avoir ? Quels atouts, quel type de charme, quelle forme d’intelligence possédait-elle pour avoir pu ensorceler Rilke, foudroyer Nietzsche, passionner Freud ? Comment Louise von Salomé, «individu empirique, femme particulière», née à Saint-Pétersbourg d’une mère danoise et d’un général balte d’origine allemande, romancière, essayiste, psychanalyste, a-t-elle pu «vivre une vie à la Lou Salomé» , devenir une figure mythique qu’elle a tôt «identifiée comme devant être la sienne» et qu’elle «s’est efforcée avec constance et énergie d’incarner en toute circonstance» ? Guéry s’interroge sur le génie de Lou, le «génie de la vie» , si la vie est «ce à quoi aurait renoncé la pensée» . Ce génie, s’il tient aussi aux ruses, aux dérobades, aux affirmations d’indépendance de la femme libre, a à voir avec la génitalité, la gestation, la gésine, la fécondité ­ non celle d’un ventre, resté vierge, mais d’une «antre» se faisant «accueil des puissances qui continuent et relancent l’impulsion à être» . Lou Salomé, génie de la vie, Des femmes, 254 pages, 15 €.

Propos de Buzzy Jackson herself !!!

Propos de l’auteur, Buzzy Jackson, « Chanteuses de blues » – Traduit de l’américain par Luc Carissimo

 » L’histoire des chanteuses de blues américaines est une histoire de dur labeur et de malchance, de bonheur et de satisfaction sexuelle, de ce que l’on ressent quand on a fait de son mieux et qu’on est toujours toute seule à minuit et qu’il pleut. C’est une histoire qui parle des Afro-Américains échappant à l’esclavage avec l’espoir que leur avenir sera vraiment libre, et c’est l’histoire d’une Blanche qui entend cette musique et qui sait qu’elle lui parle, à elle aussi. C’est l’histoire d’une femme au grand cœur qui se sent mal dans sa peau et d’une « mauvaise femme » qui se sent bien, parce que, en fin de compte, aucune femme n’est entièrement bonne ou mauvaise. Par-dessus tout, l’histoire des chanteuses de blues est une question de feeling.  » Buzzy Jackson

« Res Nullius » par Véronique Dupont (le Journal des Maires des Yvelines)

Maires des Yvelines UMY
Le Journal des Maires – Juillet 2007, numéro 38

Véronique Dupont
Détente / roman

Dans notre dossier consacré à la santé publique (mai 2004), nous avions évoqué le combat de Pomme Jouffroy, chirurgien orthopédiste, pour la survie des services de chirurgie de l’hôpital dans lequel elle exerçait.

Si, trois ans plus tard, elle manie toujours le bistouri, elle n’en a pas pour autant lâché la plume et publie même cette année sa troisième oeuvre de fiction, Res Nullius, élégant chassé croisé entre deux histoires que rien, de prime abord, ne semble devoir réunir.

Les deux voix que l’on entend sont celles d’Arnaud, amoureux fou d’une femme qui pourrait être sa mère, et celle de Paul qui découvre aux côtés de Majnouna, sa fantasque arrière-grand-mère, un monde transformé par la pénurie de pétrole, un monde où, par exemple, le dopage des sportifs n’a plus lieu d’être : « la fin de la croissance a du bon, elle a mis un terme à tout ça, plus de télé, plus de déplacement dans le monde entier, les sportifs ont bien été obligés d’arrêter de se shooter, de toutes façons il n’y a plus de place pour ce genre de distraction, il faut vivre maintenant, on n’a plus le temps de courir ».

Plus le temps de courir, certes, mais le temps tout de même de « picorer la plage », à la recherche de morceaux de verre polis par le ressac, ces res nullius « qui n’appartiennent à personne, comme les poissons dans la mer et les étoiles dans le ciel ».

Res Nullius
Pomme Jouffroy
Editions Des femmes
17 E

« Histoire de la psychanalyse en France » lu par Elisabeth Roudinesco

Histoire de la psychanalyse.jpg

Elisabeth Roudinesco
Histoire de la psychanalyse en France
lu par l’auteur
et Michael Lonsdale

4 CD 37€

Les années Freud racontent l’histoire de l’introduction de la psychanalyse en France : la rencontre de Freud et de Charcot, la découverte de l’hystérie, la fondation à Vienne du premier Cercle freudien, l’essor international du mouvement et, en contrepoint, l’aventure des grands pionniers français.
Les années Lacan relatent l’évolution de la psychanalyse au sein de la culture française à partir de 1925, et l’émergence de la deuxième implantation du freudisme dans ce pays autour de la personnalité de Jacques Lacan.

Gimbutas dans Spelunca, n°107 par Philippe Drouin

gim.jpgLe langage de la déesse

Par Marija Gimbutas

Des femmes – Antoinette Fouque éditeur (Paris), 420 p., 5 tableaux, 491 figures, 11 cartes, 24 planches en couleurs.

Riche idée, qu’ont eue les éditions Des femmes – Antoinette Fouque, de traduire le travail majeur de Marija Gimbutas, paru en 1989 aux Etats-Unis.

Cette professeure d’archéologie européenne à l’Université de Californie, spécialiste de l’âge du Bronze en Europe orientale, a consacré ses recherches, depuis 1974, à la Grande déesse, une « sorte de figure cosmogonique, créatrice du monde, symbole de l’unité de la nature, patronne de la régénération vitale et de l’incessant renouveau », comme le résume si bien Jean Guilaine dans la préface de cette édition en français.

La Grande déesse est issue de la tradition paléolithique et l’auteure montre que son culte s’affermit durant tout le Néolithique et sur toute l’étendue du continent européen. Croisant des approches interdisciplinaires où se mêlent archéologie, mythologie comparée et ethnographie, elle fait émerger ce concept en questionnant la documentation foisonnante laissée par les préhistoriques.

La Grande déesse, selon Marija Gimbutas, s’identifie à la Nature, à un monde prospère de communautés agraires vivant en harmonie avec leur environnement, un monde paisible et heureux. Mais, au IVème et IIIème millénaires avant notre ère, des envahisseurs incultes, issus des steppes caucasiennes et asiatiques, pasteurs nomades et guerriers, instaurent un système social pyramidal où la domination masculine est de mise. Dès lors, le culte de la Déesse décline, trouve quelques refuges qui lui permettent de perdurer aux confins de la géorgaphie sociale. Les concepts en oeuvre ici sont étonnants : une rupture allant du matriarcat au patriarcat, à laquelle on tente de donner des bases archéologiques ; une transition d’un âge d’or néolithique vers les sociétés de violence et de compétition de la protohistoire ; un basculement de communautés égalitaires vers des sociétés inégalitaires. Au final, une thèse anthropologique à vocation universelle en butte à la critique, qu’elle vienne des archéologues, des anthropologues, ou des historiens. La force de la démonstration de l’auteure, c’est son fondement dans un corpus documentaire de grande ampleur (près de 1000 titres en bibliographie dont quelques 150 sont en français, près de 500 figures).

Ce corpus justifie l’hypothèse de la Déesse ; il la légitime. Comme si, de ce foisonnement documentaire, il fallait absolument tirer la substantifique moëlle pour en extraire une explication simple et convaincante du monde.

Mais si d’abord le monde n’était que complexité ? Marija Gimbutas, au-delà de ce parti pris, ouvre la voie à une archéologie symbolique (on songe à Mircea Eliade), où interfèrent l’archéologie, l’histoire des religions et la mythologie des traditions populaires.

Hypothèses et controverses : c’est ainsi qu’il faut lire, avec distance et tolérance, le message de l’auteure. Il en reste un formidable glossaire interprétatif de signes et motifs picturaux : chevrons et V, zigzag et M, méandre et oiseau aquatique, seins, yeux, bouche, filet, serpent, pour n’en citer que quelques-uns.

Et la caverne, pour notre plaisir, est présente partout.

En annexe, un glossaire de symboles, une typologie des déesses et des dieux, un résumé des fonctions et images de la Grande déesse, des chronologies, des cartes de tous lers sites mentionnés.

D’un point de vue sociologique, cet ouvrage tombe à point nommé dans une époque où le doute s’installe quant à la croissance, au développement, devant la métamorphose de la conscience humaine induite par les guerres, le réchauffement climatique, l’oppposition des intérêts tribaux, nationaux, ou religieux. En fait, il est la concrétisation de ce doute de l’humanité sur elle-même. Et en ce sens, il est d’une grande richesse. Pour Marija Gimbutas, les symboles, les images et les signes représentent la grammaire et la syntaxe d’un métalangage. Et ce métalangage révèle une conception, une organisation, une représentation du monde, en oeuvre entre le VIIème et le IVème millénaire avant notre ère.

La maquette est particulièrement réussie et la réalisation (cartonnage sous jaquette) irréprochable. Cependant, un index des noms (anthoponymique et toponymique) aurait facilité la consultation.

Philippe Drouin