Le livre monumental de Dominique Motte analysé par Gil Mihaély dans Causeur

De la démocratie en Suisse

Faut-il être Suisse pour avoir la démocratie directe ?

Dominique Motte nous dit tout de la votation des Suisses… et plus encore


On considère souvent – et moi le premier – que l’exercice direct de la souveraineté populaire est inapplicable concrètement dans une société moderne, pour des raisons variées comme la taille du corps des citoyens (des dizaines voire des centaines de millions !) la complexité ou la technicité des affaires publiques.

Les nouvelles technologies ont rouvert dernièrement le débat autour de la démocratie directe, sans pour autant apporter totalement une réponse quant à sa pertinence. En France, de la campagne électorale de 2007 (avec la « démocratie participative » chère à Ségolène Royal) aux gilets jaunes (et le « grand débat » de Macron), en passant par la VIe République voulue par LFI, les dispositifs participatifs n’ont pas encore apporté de réponses satisfaisantes aux objections et réticences que suscite la démocratie directe. La question reste donc entière : est-il souhaitable de donner aux citoyens, outre le droit de vote, un réel pouvoir entre deux élections nationales ?

Pas une bizarrerie pittoresque

Dans ce contexte, le cas de la Suisse devrait nous intéresser davantage, d’autant plus qu’il est clair que la démocratie représentative est en crise dans de nombreuses démocraties libérales – dont la France. Certes, on en parle de temps à autre, mais comme on le ferait d’une anecdote pittoresque, comme on peut parler de la naissance d’un panda dans un zoo ! C’est rarement l’occasion de faire une analyse détaillée de la démocratie suisse. Pour prendre l’exemple suisse plus au sérieux, De la Démocratie en Suisse de Dominique Motte est un vademecum à la fois utile et agréable.

On peut ainsi apprendre que depuis l’institution en 1848 du référendum constitutionnel obligatoire suivie en 1891 par celle de l’initiative populaire, les votations suisses sont les expressions les plus sérieuses à l’époque contemporaine de la démocratie directe. Mais on apprend également très vite que le régime suisse est en réalité une démocratie semi-directe, un mixte de démocratie représentative et directe dans lequel les citoyens participent aux prises de décision aux côtés du gouvernement et du Parlement bicaméral. Les institutions de la démocratie directe sont donc un des trois piliers du régime politique suisse, mélange unique auquel il faut ajouter le fédéralisme qui remonte lui aussi à 1848.

Au cœur de la Cité, un mystère

Aujourd’hui, la Suisse est une fédération de vingt-cinq cantons, dont le bicamérisme équilibré des chambres parlementaires est l’expression. Le Conseil des États (qui ressemble au Sénat des États-Unis) compte quarante-six sièges (deux sièges pour chacun des vingt cantons et un siège pour chacun des demi-cantons). Le canton de Zurich, avec 1 million d’habitants, a ainsi la même représentation que celui d’Uri et ses quelques 40 000 habitants.

Le Conseil national (qui ressemble à notre Assemblée nationale), dont les membres sont élus à la représentation proportionnelle au prorata du nombre d’habitants des circonscriptions cantonales, dispose du même pouvoir que le Conseil des États. Contrairement à la France, cette Chambre ne l’emporte pas sur la Chambre Haute.  

Ces deux chambres (ou Conseils) aux pouvoirs identiques forment l’Assemblée fédérale (AF) dont le fonctionnement est régi par le principe de la « concordance », qui est avec le fédéralisme la deuxième caractéristique originale du système suisse. Concrètement, la « démocratie de concordance » est fondée sur le principe selon lequel les décisions ne sont pas prises à la majorité mais par consensus aboutissant à un compromis. Au cœur de l’horloge, vous l’avez bien compris, il n’y pas de mécanisme secret mais tout simplement un mystère, un trou noir anthropologique qu’il est impossible à réduire à des textes constitutionnels. Nous sommes dans le domaine de « ça ne se fait pas » ou « on n’a jamais fait ça » plutôt que dans le juridique. La clé réside donc dans le fait étonnant que depuis plusieurs décennies aucun élu de l’Assemblée fédérale n’a été tenté de gagner en contournant les règles ou en bloquant la machine.  

Une formule magique

C’est ainsi que les sept membres du  gouvernement suisse (le Conseil fédéral, une émanation de l’AF), représentent les principaux partis politiques suisses en fonction de leur nombre d’élus au Conseil national. Les sept membres du gouvernement sont élus par l’Assemblée fédérale, réunissant les deux chambres, selon une clef de répartition « 2+2+2+1 » instaurée en 1959 et qu’on appelle la « formule magique ». La formule magique est la solution des Suisses au mystère qui est au cœur de leur système. Mais elle tellement magique qu’on ne peut pas la formuler…

Vous pouvez approfondir vos connaissances de l’horloge politique suisse en feuilletant De la  Démocratie Suisse de Dominique Motte avec ses multiples entrées détaillées. Mais cet ouvrage clair et facile à lire fait une contribution encore plus importante au débat sur la démocratie directe. Motte dépasse largement la conception juridique de la question et ses aspects constitutionnels. Certes, il est important de connaître les rouages de la mécanique politique suisse, mais il faut surtout savoir que les constitutions voyagent mal et les lois sont vides de sens hors contexte anthropologique et historique. Ainsi, on peut lire dans cet encyclopédie plein de choses sur le congé maternité, les droits de douanes, les langues, l’armée et les services secrets, les jeux d’argent et même les prénoms (pour couper court à la polémique, les plus populaires chez les nouveaux nés en 2019 sont, du côté des petits violeurs en puissance, Daniel, Peter et Thomas, et Maria, Anna et Sandra pour les futurs victimes).

Subtilement, le livre de Motte nous montre le chemin de la démocratie directe et il ressemble énormément à la manière de cultiver des gazons parfaits à l’anglaise : il faut y consacrer une heure. Tous les jours. Pendant quatre siècles. Demandons-nous désormais si, pour remédier aux multiples et gravissimes lacunes de notre démocratie représentative, nous allons enfin commencer à devenir suisses ?    

Dominique Motte, De la démocratie en SuisseLa Route de la Soie Editions, 2021

Grand entretien du philosophe Marc Alpozzo avec l’écrivain François Coupry pour Boojum

« Le réel n’est qu’une fiction, un récit raconté, une vérité déformée », entretien avec François Coupry

J’ai croisé François Coupry pour la première fois à la télévision. C’était dans l’émission hebdomadaire Apostrophes, célèbre dans les années 70 et 80. En recevant son essai L’Agonie de Gutenberg, paru chez Pierre-Guillaume de Roux en 2018, et qui sont ses vilaines pensées de 2013-2017, m’ont rappelé les belles heures passées en compagnie des romans de cet écrivain, que je lisais adolescent. À la réception de son recueil de contes intitulé Merveilles, publié également par Pierre-Guillaume de Roux, en 2018, j’ai contacté son attachée de presse qui a organisé un repas au Vagenende, boulevard St Germain. Une rencontre plus que fructueuse, puisque je reviens avec cet entretien.

Entretien

Vous êtes l’auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages. Je me souviens d’une émission chez Bernard Pivot, Apostrophes[1], vous étiez à la gauche de l’écrivain René Fallet qui venait présenter son célèbre roman La soupe aux choux (Denoël, 1980). Vous aviez écrit un roman fantaisiste et imaginatif, La Terre ne tourne pas autour du soleil (Gallimard, 1980). C’est un conte dans lequel vous inventez la réalité. Vous avez un mot très beau pour cela : « récréation », ce qui donnera j’imagine La Récréation du monde (Robert Laffont, 1985). Mais ce n’est pas très loin de votre recueil de contes, paru chez Pierre-Guillaume de Roux, Merveilles (2018), qui reprend des romans parus dans les années 80. Dans votre recueil, le dernier conte m’intéresse particulièrement, « La femme du futur ». La narratrice est une femme d’une grande beauté, qui vit dans un monde où les machines ont remplacé les hommes, qui désormais flânent dans leur existence, se préoccupent essentiellement de leur petit bonheur narcissique. C’est évidemment la société de demain, mais je devrais dire la société présente que vous dénoncez, celle dans laquelle l’I.A. (Intelligence Artificielle) va remplacer progressivement l’I.B. (Intelligence Biologique). Et même si une grande partie de nos contemporains l’ignorent encore, on sent bien que l’inquiétude s’installe néanmoins. On peut parler de grand remplacement par les I. A. Quelles sont les vraies menaces selon vous d’une société où l’homme ne travaillerait plus, remplacé par les robots, et dépouillé du travail et de l’utilité du monde de la production ?

Je suis assez gêné de donner une interprétation personnelle, de faire ma propre exégèse. J’écris des contes, des fables, des paraboles, dans une certaine mesure des abstractions dont chaque lecteur doit trouver sa propre interprétation, sa propre concrétisation.

De plus, ces contes sont des paradoxes. Dans La Femme du futur, bien sûr, un monde où tout est dirigé par des robots, où un argent artificiel coule à flots, un monde où personne ne travaille, ne se sent pas obligé, condamné, à produire stupidement des choses inutiles, provisoires, des objets périssables qui encombrent l’univers, le polluent, oui ce monde est merveilleux, un paradis. Je ne dénonce rien, au contraire, j’approuve, j’applaudis. Il faut être idiot pour y trouver une quelconque aliénation.

Et pourtant, paradoxe dans le paradoxe, cette Femme du futur revendique cette idiotie, elle déteste ce monde gratuit, innocent, irresponsable, trop heureux, et elle va détruire les trois-quarts de l’humanité. Peut-être parce qu’elle se fait passer pour belle, abuse le lecteur, est en réalité laide.

Cette fable est orientale, l’humanité va recommencer un nouveau cycle. La fin de l’animal humain, la vie qui se détraque, sont des thèmes centraux dans ce j’écris. On ne va pas continuer à ne rien comprendre au cosmos, il faut sans cesse le recréer, se donner des recréations, des récréations !

Visiblement vos contes parus dans Merveilles montrent qu’il faut lire le titre de manière inversée, puisque vous nous découvrez, avec justesse je pense, une époque monstrueuse pour l’homme, mais monstrueuse parce que beaucoup trop préoccupée par son bonheur. Un petit bonheur tiède et sans saveur. Un bonheur médiocre pour une communauté d’hommes devenus dans l’ensemble d’une médiocrité assumée. Si dans « La femme du futur », la narratrice est une femme inutile, puisque les I.A. l’ont remplacée dans toutes les tâches de la société, dans « Un jour de chance », le narrateur vit dans « une ville très heureuse », dans laquelle il ne fait rien. Cette inutilité qui signe son inexistence, il ne la supporte plus, et décide de tuer. Au commencement du récit, il se dit fou, et il le revendiquera en permanence, mais voilà, personne ne veut l’entendre ainsi, et même le système lui dénie cette folie qu’il essaye de faire reconnaître, allant jusqu’à lui trouver toutes les circonstances atténuantes possibles à son meurtre. Ce « conte amoral », comme vous le nommez, est un roman paru en 1982, et repris dans votre anthologie. Est-ce que vous n’aviez pas vu, presque avant tout le monde, cette tentation de l’innocence (dénoncée par Pascal Bruckner dans un essai du même nom en 1996) et qui nous pousse en France à systématiquement trouver des circonstances atténuantes aux gens qui enfreignent les lois. Il y a même dans la justice, une idéologie qui pousse les juges souvent à ne pas condamner les actes graves. Est-ce donc une société de l’irresponsabilité généralisée que vous dénoncez ?

Je donne à lire un monde totalement différent du nôtre, c’est parfois simplement son miroir inversé. On est dans le registre du merveilleux, un univers avec d’autres lois physiques, morales.

Jour de Chance, c’est le conte fondamental, le mythe fondateur de mes paraboles. Nabucco, le héros, représente le renversement absolu des valeurs, des réalités, des droits. L’innocence, l’irresponsabilité totale.

Il n’a pas d’identité administrative, historique, il n’a aucune patrie, il commet beaucoup de meurtres, mais il n’est pas accusé, il prend une avocate pour se faire condamner, sans succès. Il meurt, mais continue à vivre. Il n’a aucune circonstance atténuante. Il deviendra le chef de la police du pays. Il voudrait bien être coupable, chargé de honte, cet espoir lui est refusé. C’est un conte optimiste. Aucune dénonciation possible.

J’adhère à la radicalité de cette fable de l’innocence totale, et pourtant, animaux-humains, nous sommes obsédés par la culpabilité, qui nous donnerait du poids, de la morale, de l’humanisme. Difficile de se débarrasser du plaisir d’être coupable, et Nabucco n’échappe pas à ce désir, cette manie, cette folie, même dans ce renversement des valeurs et des Lois qu’il vit dans sa chair, dans sa tête.

Toujours chez le même éditeur, vous avez publié en 2018, vos vilaines pensées, que l’on peut trouver dans votre blog [2], parues sous le titre L’Agonie de Gutenberg. Vous jetez un œil à la fois triste et consternée sur notre époque, qui n’est pas la plus intelligente loin s’en faut. Votre alter ego, M. Piano, qui est professeur à l’Université, est très intéressant, car vous ne lui faites aucun cadeau, entre petites lâchetés, compromis, reniements, il est bien à l’image de notre société, engluée dans ses folies ordinaires et ses compromissions avec la vérité et la morale. S’il est également touchant, ce personnage, c’est peut-être parce qu’il nous ressemble. Devant la période effrayante du Covid, on a eu l’impression que les Français ont oscillé entre irrationalité et abnégation, lâchant sur un grand nombre de leurs valeurs, et surtout un grand nombre de leurs libertés individuelles, abandonnant leurs idéaux, et cessant de réfléchir pour se livrer à la folie et aux décisions de plus en plus arbitraires, parfois, du gouvernement. Un peu comme chez Kafka, nous avions l’impression d’être des innocents coupables d’un crime mystérieux dont nous ne savions rien. Dans certains romans vous avez flirté avec un onirisme irrationnel, qu’est-ce que cette période vous a inspiré, et qui pourrait être plus proche de l’imagination folle d’un auteur qui recrée le monde à l’image de ses caprices, que de la rationalité telle qu’on l’avait connue durant vingt siècles ?

La réalité n’existe pas, ce qui est une évidence difficile à soutenir dans un hôpital. Le réel n’est qu’une fiction, un récit raconté, une vérité déformée. On raconte justement pour donner du sens à la réalité, pour créer une histoire qui n’a aucun rapport avec la multiplicité éparse, fragmentaire, de ce que nous vivons. Nous ne sommes que dans la réalité du faux.

Pour revenir à Jour de chance, sans poids, sans existence, Nabucco est vide, une chambre d’échos. Il n’agit que poussé par les événements extérieurs, les informations, fausses donc : un tremblement de terre à Mexico le poussera à aller à droite à gauche, à marcher vite ou lentement, à rencontrer des choses et des gens, comme lui manipulés par les bruits du monde, les voix multiples du monde terrestre.

Ce sont ces voix multiples de l’univers que je tente de rendre, de dévoiler dans L’Agonie de Gutenberg, un journal écrit par tant de personnes différentes, une mosaïque de points de vue contradictoires qui s’élargissent aux animaux, aux objets terrestres, et jusqu’aux entités cosmiques, aux songes des êtres étrangers à nos pensées, nos croyances, nos expériences, nos vies quotidiennes. On donnera même la parole au coronavirus !

Dans cette cacophonie, où un personnage qui peut-être me ressemble, M. Piano, tente de définir, d’analyser, les nouvelles lois, paradoxales et transgressives, une autre Histoire se dessine, de siècles en siècles, ces voix ne sont pas uniquement celles du présent, mais aussi du passé, du futur.

Une nouvelle logique s’instaure, un nouveau regard, une autre philosophie : les humains, émiettés à l’image du cosmos, ne sont pas cohérents, ils n’ont aucune identité permanente, ils ne sont que des objets qui volent au vent, pas des sujets, il n’y a jamais de relations de cause à effet, et même les fictions qui devraient donner de factices cohérences, n’y parviennent plus, ne sont que dérisoires.

Cette cacophonie a sans doute l’orgueil d’être une symphonie, où les thèmes désaccordés tentent de produire un portait à la fois éclatée et global de notre début du vingt-et-unième siècle. A l’imitation, pardon encore pour l’orgueil, de Joyce, de Pound ou de Proust.

Vous avez créé, dans les années soixante-dix, avec Jean-Edern Hallier et François de Negroni, les Éditions Hallier, qui ont publié une trentaine de livres, avant d’être rachetées par les éditions Albin Michel. Parmi ces titres, votre pamphlet, L’anti-éditeur (1976), où vous y analysiez déjà la crise de l’édition, en proposant quelques solutions, qui parurent neuves à l’époque. En 2018, vous publiez un livre qui rassemble de courtes chroniques, qui sont autant de regards cyniques et désabusés jetés sur notre société, intitulé L’agonie de Gutenberg. Pourquoi ce titre ?

Ces réflexions, sans doutes tristes et désabusées, du point de vue de la pseudo-gloire des humanoïdes, ne pouvaient négliger une réflexion sur le mode de leur diffusion, l’évolution de leur production.

L’Agonie de Gutenberg a d’abord été publiée sur des réseaux, sociaux ou pas, numériques. La version papier vient après, signe de l’évolution de nos habitudes, signe de cette nouvelle histoire dont la cacophonie, ou la symphonie, est en train de s’inventer, de renverser les lieux communs.

Je me fais violence : je suis parmi ceux qui regrettent un ancien monde, peut-être un conservateur, ce qui me permet justement d’oser me croire l’apôtre, sinon le Messie, de tous ces renversements, et de voir notre temps.

Puisque tout est faux dans un récit, et puisque sans doute l’illusion industrielle doit rejeter un texte qui se déclare faux, imaginaire, au profit de l’illusion du récit qui se déclare vrai, vécu, sincère, et dans lequel un lecteur peut se reconnaitre, s’abrutir d’authenticité, s’identifier, revendiquons un artisanat de l’édition, comme les petites librairies, les imprimeurs du dix-huitième siècle. Et laissons aux ouvrages qui répètent des histoires anciennes, aux auteurs qui veulent raconter leurs vies sans savoir qu’ils sont dans la croyance en la cohérence ou la psychanalyse, le goût de n’être que commerciaux, usinés, sur-médiatisés, vite oubliés.

Oubliés, parce que plus personne ne croit aujourd’hui en la mondialisation : au contraire, ce monde fragmenté, tous ces points de vue divers, ces cultures différentes, accolées, juxtaposés, ces mosaïques d’opinions, de créations originales nous désignent un univers qui a compris son incohérence, son émiettement, sa relativité et la multiplication de ses identités régionales, contradictoires, autonomes, même dans le cosmos !

Votre livre est truculent. Vous commentez l’actualité, avec un regard ironique, une réflexion qui ne se refuse aucun point de vue paradoxal. Les lecteurs peuvent me croire. Impossible de tout rapporter ici, dans cet entretien, mais bon, deux choses importantes, significatives pour moi. Vous proposez des solutions pour régler certains grands problèmes de notre société française aujourd’hui, comme les attentats islamistes, en conseillant de ne plus parler de DAECH, ce qui le rendra à terme illégitime, au point que les terroristes eux-mêmes ne croiront plus en leur existence. Ce qui peut paraître irrationnel dans vos propos, ou provocateur, est pourtant logique pour peu que l’on y réfléchisse, car c’est bien parce que nous ne cessons de parler d’eux et de les craindre que nous les renforçons et renforçons leur pouvoir sur nous. Or, à la date du 13 novembre 2015 précisément, triste date des attentats de Paris et du Bataclan, vous posez la question de l’art de la dictature, en montrant, à la fin de votre chronique que, pour M. Piano, la difficulté « ce n’est pas tant de vivre en dictature, que de devenir soi-même un vrai dictateur ». Est-ce que vous ne dites pas, en filigrane, que la tentation du XXIe siècle est de produire une multitude de petits dictateurs de poche, petit dieu de leur cosmos personnel, et oppresseurs de tous les autres ? Ce qu’incarnent à mon avis, parfaitement les islamistes en France, du moins, dans les méthodes et les ambitions folles de leur cause mortifère.

Cher Marc, que voulez-vous que j’ajoute à votre belle exégèse, je ne vais pas interpréter une interprétation. Votre analyse est juste, un parfait compte-rendu, je ne suis qu’un re-créateur, au mieux un ré-créateur, vous êtes un bon lecteur, c’est vous qui comprenez, je ne suis que fatigué de ce monde qui n’est même plus actuel, se croit bêtement en progrès.

Mais précisons quand même la pirouette ironique de Piano sur les dictateurs. Dans la fantaisie et le goût du paradoxe du personnage, elle souligne cependant ce dont on vient de parler, le morcellement des états dans un proche ? triste ? glorieux ? avenir. Et elle désigne la transgression terrible de deux tabous politiques majeurs aujourd’hui : la revendication des divisions, au mépris du rassemblement, l’inégalité des êtres, humains ou animaux, et surtout les inégalités devants les Lois !

Propos recueillis par Marc Alpozzo

François Coupry, Merveilles, Pierre-Guillaume de Roux, 582 pages, novembre 2018, 23 eur

L’Agonie de Gutenberg, vilaines pensées, 2013-2017, Pierre-Guillaume de Roux, 272 pages, mars 2018, 23 eur

L’Agonie de Gutenberg, vilaines pensées, 2018-2021, FCD-Livres, 223 pages, 2021, 23 eur


[1] 14 mars 1980.

[2] https://lagoniedegutenberg.coupry.com/

Christian Mégrelis face à Louis Daufresne sur Radio Notre Dame

Le Grand Témoin 7h30

Réécouter l’émission ici : https://radionotredame.net/emissions/legrandtemoin/05-01-2022/#

Émission du 5 janvier 2022 : Christian MÉGRELIS, polytechnicien, HEC, chef d’entreprise, essayiste, seul économiste étranger figurant dans l’équipe resserrée chargée de piloter la transition de l’URSS vers l’économie de marché. Auteur de Le naufrage de l’Union soviétique (Transcontinentale d’éditions)

Radio Notre Dame 2021 © Laurence de Terline

On en parlait la veille de Noël, la fin de l’Union soviétique, survenue il y a 30 ans, avec la démission de Mikhaïl Gorbatchev. Un homme a vécu ces événements de près : Christian Mégrelis, polytechnicien, HEC, chef d’entreprise, essayiste, a été le seul économiste étranger impliqué dans la transition de l’URSS vers l’économie de marché, chargé du plan de 500 jours qui devait désétatiser le pays. Il était chargé par les autorités russes elles-mêmes de sensibiliser les élites politiques et économiques mondiales aux changements promis par le régime. Il ne raconte pas seulement le naufrage de l’Union soviétique, mais nous plonge dans la réalité russe qui demeure. Et les rapports de forces aussi : 30 ans après, la Russie et les Etats-Unis se retrouvent en face-à-face autour de l’Ukraine.

 

« Âmes sensibles et oies blanches (vertueuses en fonction des critères dominant) s’abstenir » (sur Pierre March)

Pierre March, La petite fille qui regardait le Bosphore

Il s’agit d’une histoire d’amour, un récit, pas un roman. Un peu spécial parce que sadomasochiste.

C’était au début des années 1990 en France, au temps encore du Minitel. Des élites nanties s’amusaient entre elles sur le réseau et échangeaient des messages pour des rencontres sur le fameux 3615. FETISH était l’un de ces sites d’entre-soi où des gens de bonne compagnie faisaient connaissance avant d’aller plus loin, jusqu’à la rencontre et plus si affinités.

Ce fut le cas de Marine et d’Hugo, deux pseudos pour une chercheuse en génome de Saint-Quentin en Yvelines et d’un directeur de société à Montpellier. Chacun mûr, marié, avec enfants. Cherchant un piment érotique à leur existence entrée dans la routine, même s’il ne s’agissait pas de la changer.

Marine est morte, le lecteur saura comment, et le narrateur son partenaire se souvient, 25 ans après. Son récit embellit peut-être, avec la nostalgie du temps qui passe, mais dresse un monument à celle qui fut sa Soumise.

Car le sadomasochisme est l’art de jouir et de faire jouir par la souffrance graduée. Le Maître (qui peut être pour les hommes une Maîtresse) adopte pour Esclave une femme consentante qui ne demande qu’à être dominée pour entrer en jouissance. La violence sur la chair offre la rédemption du plaisir. Il y a peut-être des racines profondes avec la culture des religions du Livre où le Père tout-puissant punit de leur faute les faibles humains. Ne me demandez pas pourquoi ce qui heurte le sens commun peut être un plaisir, ni comment trouver le bonheur de la chair en la tourmentant : c’est ainsi. Jean-Jacques Rousseau, fessé enfant, y a trouvé une jouissance qu’il a gardé adulte.

Ce livre de chair, bien écrit entre Donatien Alphonse François de Sade et Philippe Joyeux dit Sollers, ne cache rien des pratiques de fouet, martinet et pinces à sein, ni du léchage clitoridien, ni de la sodomie. Âmes sensibles et oies blanches (vertueuses en fonction des critères dominant) s’abstenir. A conseiller aux curés cependant pour qu’ils connaissent autre chose que la manipulation perverse des anges. Oui, deux adultes consentants (parfois trois), peuvent s’envoyer en l’air à leur gré sans que la société ait à mettre son nez dans leurs parties. Même si l’on ne peut s’empêcher de penser que désirer souffrir ou faire souffrir a quelque chose à voir avec la pulsion de mort.

Mais c’était en 1994 et 1995 et l’auteur, alors en plein âge dominant, avoue que les relations sadomasos se sont bien dégradées depuis, la pratique attirant tous les exaspérés de la queue et toutes les inavouées putains. Tel n’était pas le cas entre Gila K, juive d’Istanbul émigrée en France pour y fonder le premier laboratoire privé de séquençage d’ADN en France, et Pierre M, DRH de grands groupes, le narrateur. Elle s’offre pour fuir une enfance contrainte et un mariage étouffant dans la religion juive, malgré ses deux fils qu’elle aime, lui se sent Maître du monde et de la Femme. Un destin peu commun.

Pierre March, La petite fille qui regardait le Bosphore, 2021, Le four banal, 203 pages, €16.50 non référencé Amazon (en raison du sujet pas assez puritain ?)

Présentation de la maison d’édition

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Causeur publie « Comment peut-on être heureux au temps du Covid ? » une tribune du philosophe Emmanuel Jaffelin

Comment peut-on être heureux au temps du Covid ?

Une tribune du philosophe Emmanuel Jaffelin, auteur de « Célébrations du Bonheur » (Michel Lafon)

La pandémie nous invite à repenser notre définition du bonheur. Être heureux est une affaire de volonté, nous ont appris les stoïciens…


La question est aussi pertinente que celle qui aurait pu être posée en 1918 alors qu’il n’y avait pas de vaccin. Pouvait-on être heureux pendant cette période (1918) de grippe (dite) espagnole [1]? Pourtant, autant cette question paraît, au moins en France, pertinente en 2021-2022 tant les hommes vivaient, avant l’apparition de ce virus, dans le monde pacifié de la consommation, autant elle n’est pas évidente si l’on ne définit pas clairement le Bonheur (Xingfu en chinois, Happyness en anglais).

Il va de soi que, dans notre société consumériste – qui est aussi une société de médicaments – le bonheur paraît une suite du plaisir, soit un plaisir plus intense, soit un plaisir plus durable. En fait, si l’on y réfléchit, le Bonheur n’est ni l’un ni l’autre. En grec antique, le Bonheur (eudemonia) n’a rien à voir avec le plaisir (hédonè). Ainsi, loin de tout hédonisme, disons que le Bonheur est un état de l’âme qui se caractérise par l’aptitude d’un être dit «heureux», à accueillir tous les événements, bons comme mauvais.

Mais un tel état de l’âme, l’équanimité, suppose de ne pas faire du Bonheur un but de l’existence. Disons alors qu’à défaut d’être un but de l’existence, le Bonheur ne peut être qu’un effet de la sagesse. Et précisons qu’une telle sagesse est celle qui est offerte (et non vendue!) par la philosophie stoïcienne. En pleine période de ce virus Corona (Covid-19), il n’est donc pas impertinent de nous demander:

1- si nous pouvons être heureux.

2- si nous pouvons l’être lorsque nous nous nous retrouvons atteints par un tel virus qui (nous) rend malade et peut entraîner notre mort.

3- si nous pouvons l’être lorsque nous perdons un proche qui a été contaminé par ce Corona.

1- Pour répondre à la première question,  rappelons d’abord que l’équilibre de l’âme – l’équanimité – est le produit de la volonté et d’un apprentissage à la sagesse qui ne découle jamais d’un événement positif (ou d’une série d’événements positifs) qui nous arrive(nt) comme, par exemple, le fait de gagner à la loterie, ou de voir la naissance d’un enfant désiré, ou de constater que les ennemis deviennent des amis, etc. Si ces événements sont indéniablement vus comme étant «positifs», il s’avère négatif que votre bonheur découle de tels événements extérieurs. Epictète nous apprend ainsi, dans son Manuel, qu’il y a deux sortes de choses: celles qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. Or, les événements évoqués ci-dessus relèvent évidemment de la deuxième sorte de choses. Il est facile de comprendre que ces événements vont faire plaisir à celui qui les vit et reçoit, mais il ne les conduira nullement au Bonheur. La joie est une passion qui nous remplit de bonne humeur, mais qui reste étrangère et hétérogène au Bonheur, attitude de l’âme et de la personne qui se produit aussi bien quand de mauvais événements se produisent que lorsque de «bons» événements arrivent. Le Bonheur n’est donc ni une passion, ni une action; il est, toutefois, le fruit d’une action,  de la volonté intelligente, qui consiste à anticiper ce qui peut nous arriver afin de l’accueillir (quelle que soit sa prétendue négativité: mort, maladie, accident, etc.).

L’homme heureux, par sa capacité d’anticipation des événements, accueille donc les événements qui lui arrivent, quelle que soit leur tonalité positive ou négative (établie par la psychologie moderne). Ainsi, ce qui arrive et qui est estimé «négatif» rend malheureux le non-sage, c’est-à-dire celui qui ne pense pas et n’anticipe pas les événements de sa vie [2].

2- Le fait d’être atteint par le virus Covid-19 ou l’un de ses variants, suppose d’en chercher la cause. Si celui qui l’a «attrappé» n’a appliqué aucune des contraintes obligées ou recommandées, la moindre des conséquences logiques et philosophiques est qu’il se reconnaisse comme responsable [3] de sa maladie. Une telle conscience de soi est difficile à pratiquer dans une société qui préfère reconnaître ses citoyens comme des victimes potentielles ou réelles plutôt que comme des responsables, d’où le rôle de l’avocat lors d’un procès dans un tribunal correctionnel, avocat qui s’efforce de mettre en évidence les facteurs qui n’excusent pas, mais qui diminuent la part de responsabilité du criminel dans le meurtre qu’il a commis. Ce virus est donc l’occasion [4] non seulement de faire des tests pour savoir si l’on en est atteint, mais surtout de se préparer à être responsable. Dès lors, le fait d’être contaminé par le virus n’est positif que si celui qui l’a reconnaît, non sa malchance, mais sa responsabilité.

3- Dès lors, si vous perdez des proches à la suite de cette contagion, mieux vaut la lucidité que la tristesse. Vous devez savoir que cette (ou ces) personne(s) est (ou sont) morte(s) à la suite d’un mauvais usage de leur liberté. Bien sûr, tous ceux qui nagent dans l’idéologie de la victimité auront du mal à entendre ce lien de la liberté et de la vérité.

Les plus sages sauront accepter ces événements dits «négatifs» en les replaçant dans un contexte où la liberté a sa place. Par conséquent, le Bonheur stoïcien consiste à accepter ce qui arrive, même si ce qui arrive est estimé négatif par notre entourage. Mais attention, il ne s’agit pas d’accepter ce qui arrive parce qu’il arrive, mais de l’accepter car nous nous y sommes préparés en l’anticipant. 

Comme l’écrivait Shakespeare: dès qu’un enfant est né, déjà il est assez vieux pour mourir. Bref, le Bonheur est un effet d’une structure de l’âme qui a l’intelligence du réel!

Célébrations du bonheur

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[1] De mars 1918 à juillet 1921, la « pandémie grippale de l’année 1918 » a fait entre 20 et 100 millions de morts dans le monde, dont environ 400 000 en France.

[2] Ce que les compagnies d’assurance font pour lui, en lui proposant de le dédommager selon les types d’événements supposés négatifs qui peuvent lui arriver et qui rendent les assurances joyeuses car fructueuses ! L’Avenir est pavé de bonnes intentions ! Pour l’Enfer, on l’a déjà vu.

[3] Du latin responsus signifiant: Qui doit répondre de ses actes

[4] ou la chance

Remy Monget admire François de Combret repérer l’humour de Musil

« La substantifique moelle de l’homme sans qualité ».

François de Combret par Remy Monget

« La substantifique moelle de l’homme sans qualité. » François de Combret. Éditions du Palio. Janvier 2022. 438 pages. 21 euros 50.

François de Combret, magistrat honoraire à la Cour des comptes est l’auteur du livre : La substantifique moelle de l’homme sans qualité. Cet écrivain a déjà publié le Bréviaire de la recherche du temps perdu (Droz 2019).

L’ambition de ce livre est de rendre accessible la lecture de « l’ Homme sans qualité » de Robert Musil.

L’auteur réussi la gageure de présenter et de commenter ce livre foisonnant.. Musil a écrit l’œuvre de sa vie, L’ouvrage de Musil est à la fois philosophique, moral, politique, et poétique. Il décrit l’Empire Austro-Hongrois, surnommé par Musil la Cacanie, à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce surnom, la Cacanie cela vient de K et K kaiserlich und königlich.

Le thème principal qui sous-tend l’action n’apparaît pas tout de suite dans l’œuvre de Musil, « Ce n’est qu’à la page 110 qu’apparaît pour la première fois cette « Action Patriotique », qui sera le fil conducteur de toute le roman. » : nous dit François de Combret page 67.

Cette Action patriotique vise à fêter le jubilé les soixante-dix ans de l’empereur François-Joseph. Jubilé, jamais fêté car l’empereur est décédé en 1916.

Ulrich, le héros du roman fait partie de l’Action Parallèle, qui prend le relais de l’Action Patriotique et devient un laboratoire d’idées pour cet important évènement à venir.

François de Combret décèle l’humour de Musil dans cette satire brillante de société Austro-Hongroise à veille du chaos. De grandes idées sont pourtant brassées par l’Action Parallèle, notamment celles concernant l’âme. François de Combret cite l’auteur de l’Homme sans qualités page 127 : « Dans la jeunesse, c’est un sentiment très fort d’incertitude que l’on fait. Dans la vieillesse, c’est l’étonnement de n’avoir pas fait davantage que l’on s’était proposé. Dans l’entre deux, c’est la consolation de penser que l’on est un brave type ou un type tout court. » p127

Ulrich fréquente le salon d’Hermine Guzzi, une lointaine cousine d’Ulrich que celui-ci surnomme Diotime, en référence à un personnage féminin de Platon dans le banquet.

Les chapitres à portées philosophiques, alternent avec d’autres plus légers. François de Combret par les choix des citations de Musil nous montre l’enlisement de l’Action Parallèle et la chute inéluctable de l’Empire des Habsbourg, pourtant le lecteur pressent une autre fin possible, la figure de François-Joseph, empereur de la paix est évoquée. Les parallèles possibles avec l’Europe actuelle sont nombreux. »

Save the date ! Quatre invitations de Balustrade en janvier 2022

Pour chacun de ces 4 événements, inscription obligatoire par sms à Guilaine Depis 06 84 36 31 85)
* Jeudi 13 janvier 2022 de 19h à 22h :
Soirée sur le bonheur dans la sagesse avec deux philosophes
Denis Marquet et Emmanuel Jaffelin * cocktail dînatoire
(Hôtel La Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris)
* Mercredi 19 janvier 2022 de 19h à 21h30 :
Rencontre entre l’écrivain François Coupry et le journaliste littéraire Pierre Monastier autour de «L’agonie de Gutenberg tome 2» (librairie Libres Champs 18 rue Le Verrier 75 006 Paris)
* Samedi 22 janvier 2022 de 14h30 à 17h30 : 
Après-midi Musil et Proust.
Table ronde en présence de Luc Fraisse : Faciliter l’accès aux grandes oeuvres littéraires est-il souhaitable et judicieux ? (librairie Pedone 13 rue Soufflot 75 005 Paris) avec François de Combret (éditions du Palio) et notamment Hélène Waysbord (éditions Le Vistemboir)
* Dimanche 30 janvier 2022 de 17h00 à 17h45 :
Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas Ospital, les deux organistes titulaires, présenteront en musique au public toutes les possibilités de l’Orgue de Saint-Eustache, leur projet de rénovation et la campagne de parrainage des tuyaux pour le financer. Tout don à partir de 40 euros est déductible fiscalement à hauteur de 66% et vous devenez Parrain d’un des 8000 tuyaux à rénover.
Concert ouvert à tous et gratuit.

« Une bonne surprise » pour Hilaire Alrune qui a bien lu Denis Marquet pour Yozone

Dernières nouvelles de Babylone
Denis Marquet
Aluna éditions, nouvelles, 180 pages, octobre 2021, 17 €

Entre noirceur et lumière, “Une bonne action” oscille entre la fable et le récit noir. En mettant en scène la volonté de bien faire, ce texte attire l’attention sur notre incapacité à mesurer, anticiper et même connaître un jour les conséquences de nos actes et sur l’imprédictibilité à moyen terme des effets d’actes apparaissant différemment orientés ou semblant dénués d’importance (une thématique dérivant des lois physiques de la théorie du chaos, que l’on retrouvera dans d’autres textes comme “Petites causes” et “Une rose”). Et les amateurs de récits policiers y verront une belle illustration de l’éternel adage disant que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Récit à chute également pour “La Fan de sa vie ”, où un auteur découvre à travers les réseaux sociaux une femme qui a su merveilleusement comprendre son œuvre. S’ensuit une relation électronique qu’il ne demande qu’à poursuivre dans le monde réel, estimant avoir enfin trouvé l’âme sœur. Totalement inattendue, même pour les amateurs de récits du genre, la surprise finale – joliment trouvée – fera grincer des dents.

Intelligence artificielle”, qui relève ouvertement de la science-fiction, mais est aussi à considérer comme une fable, met en scène, par temps politiquement et militairement troublé, la nécessaire transposition de l’esprit d’un président américain, trahi par son corps, sur un support électronique destiné à assurer la continuité de son action. Hélas, cette immortalité expérimentale ne fonctionne pas tout à fait comme prévu. Une belle manière de rappeler aux amnésiques et aux esprits faibles hypnotisés par les tweets d’un ex-président américain à cravate rouge que quelques années auparavant, sous des aspects plus policés, un authentique alcoolique sur le retour, totalement inculte, profondément analphabète, aussi fou que lui sinon plus, a réussi au cours de ses deux mandats successifs à ruiner une large partie de ses concitoyens et à entraîner son pays dans des guerres insensées.

Science-fiction également avec “Bébé éprouvante”, dans un futur proche où la procréation bénéficie des apports de l’ “assistance médicale à la prédétermination infantile”. Dans ce meilleur des mondes, il n’est pas seulement possible (du moins pour ceux qui en ont les moyens), de choisir le sexe et la couleur des yeux de votre bébé à venir, mais aussi ses futures aptitudes cognitivo-comportementales, tout comme le poids et la taille (au centimètre près) qu’il aura à l’âge adulte – et bien d’autres choses encore. Mais à trop vouloir considérer les enfants comme des objets, à déléguer les soins à leur apporter à des machines, reste-t-il encore une part d’humanité ? Un récit qui à travers l’égoïsme forcené d’une mère fait bien plus que frémir, et que l’on classera, dans les récits consacrés aux progénitures du futur, à côté du non moins inquiétant “Chaton éternel” de Peter F. Hamilton (initialement publié dans la prestigieuse revue scientifique Nature), dans le recueil « Manhattan à l’envers »

Pour qui n’a jamais eu affaire à un paranoïaque, la nouvelle intitulée “Une dernière pour Norbert” est à lire absolument, tant elle apparait démonstrative de la force de conviction et de la logique souvent difficile à démonter de tout paranoïaque qui se respecte. En ce sens jubilatoire, elle dresse une magnifique interprétation paranoïaque de la paranoïa elle-même. (pour les amateurs, dans ce registre, on trouvera dans l’essai « ABC Dick  » d’Ariel Kyrou une étrange définition dickienne de la paranoïa flirtant également avec la maladie). Un récit plaisant et abouti, avec en prime une fin qui pour les connaisseurs évoquera la dernière phrase du récit « Escamotage  » de Richard Matheson (du moins dans la bonne version, pas dans celle que, dans une de ses éditions françaises chez Gallimard, un typographe crut bon de devoir « corriger », ruinant ainsi l’effet de chute de la nouvelle).

Plus réaliste, “Contrat à terme ” dénonce, si besoin était, le caractère inhumain de la finance mondialisée et, par contraste, le caractère effroyablement humain de ses conséquences. Un récit qui rappellera indirectement à quel point un certain onze septembre n’avait rien de l’attentat aveugle et a pu être considéré par beaucoup comme visant une cible légitime. Un récit qui a pour mérite de mettre en évidence ce qui est certes déjà une évidence, mais que nous préférons, jour après jour, ne pas voir et ne pas vouloir voir. Une perte d’humanité portée à son paroxysme dans la très brève qui lui fait suite, “Rationalité économique ”, à la fois noire, grinçante, savoureuse et désopilante.

Changement de tonalité avec “Nettoyage par le vide”, texte d’inspiration presque borgésienne mettant en scène l’éternel terme du double, né avec la fiction et renaissant de la fiction, peut-être sous forme d’un double du double, où l’on découvre que la cave, lieu de terreur s’il en est, peut aussi faire office de porte ouverte à des révélations en apparence anodines et en réalité vertigineuses. Changement de tonalité également avec “Petites causes ” et “Une rose”, fables idéalistes mettant côté à côte le monde tel qu’il est et le monde tel qu’il pourrait être. Des fables à la morale transparente, des textes dont le caractère optimiste et poétique viennent faire équilibre avec la noirceur affichée, et parfois jubilatoire, d’autres nouvelles.

« Blanche avait éprouvé, un jour l’infinie béatitude de n’être plus en recherche de rien et, depuis, elle la cherchait sans répit. »

L’auteur s’essaie également à la forme très brève (quelques phrases ou quelques mots) comme l’avait fait Philip Le Roy dans « Qui veut gagner le Paradis ? », en plusieurs textes courts venant, comme une respiration, s’intercaler entre les nouvelles au format plus classique. Avec “Le Sens de l’existence”, “L’impasse” , “Je suis né posthume”, “Le Désert du monde”, “Il n’y a pas de hasard”, « L’Interdit », “Semper aedam” , “La Sculpture de soi ” , “Disparition ” , “La Passion” , “Pensée créatrice”, et “La Fin du récit”, Denis Marquet brosse de minuscules fabliaux noirs, féroces et percutants (on peut penser à Ambrose Bierce), mais aussi des trouvailles émouvantes qui font sourire et donnent à réfléchir, entre autres au sujet de nos egos et de nos vanités.

Au total, ces « Dernières nouvelles de Babylone » apparaissent comme une bonne surprise. Plaisantes et faciles à lire, elles s’adressent autant aux amateurs de nouvelles de genre qu’aux lecteurs de littérature « blanche ». Avec un bel éventail de tonalités, avec un arrière-plan moral mais sans naïveté aucune, avec une pointe de noirceur et beaucoup de recul, elles amusent, séduisent et donnent à réfléchir.

Sommaire :
Le Sens de l’existence
Une bonne action
L’Impasse
Le fan de sa vie
Je suis né posthume
Le Désert du monde
Intelligence artificielle
Il n’y a pas de hasard
Bébé éprouvante
L’Interdit
Semper aedem
La Dernière de Norbert
La Sculpture de soi
Contrat à terme
Rationalité économique
Nettoyage par le vide
Disparition
La Passion
Petites causes
Pensée créatrice
Une rose
La Fin du récit


Titre : Dernières nouvelles de Babylone
Auteur : Denis Marquet
Couverture : Denis Marquet, En quête de souffle
Éditeur : Aluna éditions
Site Internet : page recueil (site éditeur)
Pages : 180
Format (en cm) :14 x 21
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782919513383
Prix : 17 €

John Karp sur le Mooc digital

John Karp est entrepreneur et évolue depuis quinze ans dans le domaine de la technologie. Spécialisé dans les applications mobiles, il a cofondé Food Reporter, un précurseur des réseaux sociaux culinaires, et BeMyApp. Il organise des hackathons (marathons de programmation) où les développeurs disposent de 48 heures pour concevoir une application originale. John Karp a commencé à s’intéresser aux NFT au tout début du confinement de mars 2020, d’abord en tant qu’investisseur, puis comme collectionneur. Captivé par cet univers, avec son associé Rémy Peretz, il y consacre un podcast, NFT Morning. Ensemble, ils ont écrit NFT Revolution, ouvrage paru en version numérique et papier dans lequel ils partagent leur passion et leur expérience des NFT.

nftmorning.com

Si la blockchain est récente, son procédé reposant sur la cryptographie remonte à la Seconde Guerre mondiale et n’a jamais cessé d’évoluer depuis. John Karp cite le mathématicien Alan Turing et le film qui lui est consacré, Imitation Game. Avec la naissance de la blockchain il y a 12 ans, on est passé d’un système centralisé à un système décentralisé, explique John Karp. Le gain : plus de sécurité, donc de confiance. Cela a donné naissance aux crypto-monnaies dont le Bitcoin est la première née. John Karp explique les avantages des crypto-monnaies, citant les pays où les banques et les États ne sont pas fiables. Il compare la blockchain à “un grand notaire de l’Internet” car les transactions sont d’une fiabilité totale, infalsifiables et traçables. « Le système est tellement puissant qu’il n’a jamais été piraté ».  Et ce qui est nouveau, c’est que la confiance est établie sans la présence d’un tiers. Il en découle l’apparition des smart contracts (contrats intelligents). John Karp donne des exemples d’applications dans le monde de l’art.
S’il existe des centaines de crypto-monnaies, le Bitcoin et l’Ethereum sont les plus connues. Pourquoi leurs cours sont-ils très fluctuants ? Qu’est-ce qu’un wallet ou porte- monnaie électronique ? Une définition de la culture “crypto-monnaie ”. Qu’est-ce que les NFT ? Un cours réalisé pour le MOOC Digital de l’École professionnelle supérieure d'arts graphiques de la Ville de Paris (EPSAA) animé par Dominique Moulon à l’EPSAA et coproduit par Ars Longa.
Qu’est-ce que le minting ? En dehors de l’art, dans quels autres domaines, les NFT se sont-ils développés ? John Karp cite notamment les cartes de collection et l’univers du jeu vidéo. Transparence et pseudonymat.
John Karp explique que les deux grandes salles de vente que sont Christie’s et Sotheby’s commercialisent des NFT. C’est pour elles une question de survie.  « On assiste peut-être à la plus grande démocratisation du monde de l’art » car apparaissent des milliers de collectionneurs qui n’existaient pas avant. John Karp revient sur le Pop Art et le Street Art, deux mouvements artistiques qui ont, en leur temps, contribué à la démocratisation de l’art. Avec les NFT, l’impact est encore plus massif parce que cela passe par Internet. Cela va aller en s’amplifiant parce que l’accessibilité est plus grande, notamment grâce à Tweeter car ce réseau social est ouvert à tous, pas besoin “d’être ami”. John Karp cite aussi Discord et ses forums de discussion où se créent de vastes communautés d’artistes.
John Karp décrit les CryptoPunks de la blockchain Ethereum lancés par Larva Labs en 2017, une société précurseur. Il s’agit de 10 000 pièces uniques générées de manière aléatoire par des algorithmes. Aujourd’hui, certaines sont rares, donc plus recherchées, et par conséquent très chères alors qu’au départ on pouvait se les procurer gratuitement. Depuis quelques années, on assiste au développement des PFP (projet de photo de profil). John Karp donne l’exemple de Jay-Z et précise que les prix des PFP ont considérablement augmenté. Répertoriant quelques plateformes NFT dédiées à l’art, il en désigne trois types différents, en fonction de leur niveau de “curation”. Il cite SuperRare, Foundation, Opensea et Rarible. Nifty Gateway est un cas à part car on peut payer avec de la monnaie traditionnelle, par carte bancaire.
John Karp explique que les technologies de la blockchain vont être de moins en moins énergivores. C’est un enjeu dont tous les acteurs du secteur ont conscience et ils travaillent pour limiter les consommations d’énergie. De toute manière, celles-ci sont dérisoires par rapport à Netflix, YouTube ou les voitures. Il cite l’exemple de la plateforme HicEtNunc en open source qui est très respectueuse de l’environnement. Pour terminer, il égrène quelques tendances artistiques NFT : la pratique en série avec Beeple, la 3D avec Murat Pak, le graffiti avec Fewocious, la réappropriation avec Trevor Jones, le graphisme avec Hackatao… Et explique que toutes les tendances se mêlent désormais en art : graphisme, illustration, jeu vidéo, finance, etc., les frontières sont en train de disparaître.