Svetlana Pironko : « Ce livre est un hommage à tous les hommes libres » (dans Entreprendre)

Svetlana Pironko : « Ce livre est un hommage à tous les hommes libres »

Par Marc Alpozzo, philosophe et essayiste

Voici le roman de l’errance. Le roman du déracinement. De l’amour, de la recherche du père, de la liberté, de la sculpture de soi. Une heure avant la vie (Le Passeur, 2022) dont le titre, joliment construit, montre la voie d’une écriture exigeante et poétique. Cela fait du bien, en cette rentrée, plutôt morose, et dans laquelle, aucune tête ne dépasse une autre. J’ai eu la chance de rencontrer son auteur, Sveltlana Pironko, dans un lieu très littéraire, où l’on y croisait jadis, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Gabriel Matzneff, etc. Non, ce n’était ni les Deux Magots, ni le Café Flore. Je vous laisse deviner. En attendant, nous avons réalisé cette interview, dans laquelle Sveltlana, traductrice et éditrice à Dublin, revient sur l’écriture de ce premier roman, et sa trame, qui nous montre que le chemin d’une vie vaudra toujours plus que la destination, d’autant que toute destination n’est probablement qu’une illusion. Qui sait ?

Marc Alpozzo : Bonjour Svetlana Pironko, vous avez été traductrice, et vous êtes aujourd’hui agent littéraire et éditrice à Dublin. Vous avez un pied-à-terre en France, à Paris, et vous publiez aujourd’hui votre premier roman dans une très bonne maison d’édition parisienne. Vous écrivez en français, et vous avez choisi la France pour publier votre premier livre Une heure avant la vie (Le Passeur, 2022). C’est un grand honneur que vous nous faites. Mais pourquoi ce choix ?

Svetlana Pironko : L’honneur est pour moi, réellement, et c’est plus qu’une formule de politesse, car la publication de mon roman est une sorte d’aboutissement, la réalisation d’un vieux rêve, presque inavouable – même à moi-même. Tout a commencé quand, à peine adolescente, vivant au Kazakhstan (autant dire, au milieu de nulle part…), j’ai découvert Paris est une fête, les mémoires d’Ernest Hemingway sur sa jeunesse et ses débuts d’écrivain à Paris. Je suis tombée amoureuse du livre, de son auteur et, surtout, de Paris. J’ai décidé alors que j’y vivrai un jour et j’ai commencé à apprendre le français, seule (car j’apprenais l’anglais à l’école). J’ai commencé à écrire mon journal intime en français dès que ma maîtrise de la langue m’a permis d’exprimer de façon à peu près correcte mes émotions et mes pensées. J’ai ensuite fait des études de lettres et de langues étrangères, dont le français, à la fac.

Une douzaine d’années plus tard, lorsque j’ai enfin « débarqué » à Paris, je le parlais déjà couramment. Pendant les premières années de ma vie parisienne, j’ai été traductrice et interprète. Mais plus qu’une langue de travail, le français était déjà ma langue du cœur. Écrire – et penser – en français est pour moi tout à fait naturel. Même si j’ai partagé mon temps entre Paris et Dublin pendant les quinze dernières années, et que j’édite des auteurs de langue anglaise, la question du choix de la langue n’a même pas traversé mon esprit.

M. A. : Vous savez ce que l’on dit d’un premier roman ? Que c’est un récit qui s’inspire de la vie de l’auteur. Diriez-vous qu’Une heure avant la vie (Le Passeur, 2022) est un roman autobiographique ?

S. P. : Non, pas vraiment. Une heure avant la vie contient, certes, des éléments autobiographiques, et son héroïne a des traits communs avec moi, mais ce n’est pas un autoportrait, et mon intention n’était pas de raconter ma vie. Ces éléments sont surtout dans la partie enfance et jeunesse de L. – romancés, bien évidemment. Et puisque j’ai écrit ce roman comme un hommage posthume à mon père, la relation père-fille qui traverse le roman est assez proche de celle que j’ai eu avec mon père à moi. Mais c’est aussi un hommage à tous les hommes libres, une exploration de la notion-même de liberté de l’individu, des influences qui font de nous ce que nous sommes. La littérature et la créativité y occupent également une place primordiale. Peu importe si tel ou tel épisode est « vrai », imaginé ou ré-imaginé – toute œuvre est nourrie, d’une façon ou d’une autre, de nos expériences personnelles et de nos observations.

M. A. : Votre roman est une sorte de bildung roman, le roman d’une éducation. C’est aussi un récit autobiographique, le roman initiatique de votre héroïne, L. que ses proches appellent Luciole, personnage qui bourlingue, héroïne de la bourlingue, allant des steppes d’Asie centrale à Paris, d’Édimbourg jusqu’en Égypte, en passant par Venise. Vous êtes vous-même née au Kazakhstan. Et si votre roman me fait penser aux romans de James Joyce, de Henry Miller, puisqu’il ne présente aucune intrigue, c’est une longue aventure, un cheminement à la fois géographique, mais aussi intérieur, une histoire en marche inspirée de la figure paternelle recherchée par cette héroïne, serez-vous d’accord de dire que c’est surtout le roman du déracinement et de l’errance ?

S. P. : Déracinement, certainement. Mais je dirais quête plutôt qu’errance. L. n’erre pas sans but – elle est à la recherche de quelque chose. D’un lieu à elle, d’abord – pour retrouver un « chez-soi », après le premier déracinement, forcé, quand sa famille déménage et quand, adolescente, elle est obligée de laisser derrière elle tant de choses et de gens qu’elle aime. De laisser derrière elle son enfance. Telle un virevoltant, elle sera « arrachée et emportée Dieu sait où. Contre son gré. Au gré du vent. Au gré de son père, pour être exacte. » Elle trouvera ce lieu – Paris. Elle comprendra qu’il n’y a pas de retour possible – on ne peut qu’aller de l’avant. Paris, la France, est son deuxième déracinement, et celui-là sera joyeux. C’est son premier pas vers la liberté – sa liberté qu’elle chérit tant. Un rêve fou qui devient réalité, envers et contre tout.

Mais sa quête ne s’arrête pas pour autant. Et ce n’est pas le bonheur qu’elle cherche – c’est un accomplissement.

M. A. : L’errance dans votre roman est bien sûr géographique, et elle peut tout à fait se circonscrire, par le cheminement de votre personnage, mais elle est aussi intérieure, bien forcément, puisque tout cheminement est avant tout intérieur. Le poète portugais Fernando Pessoa pensait que les meilleurs voyages étaient les voyages immobiles. Pouvons-nous dire que L. accomplit finalement un voyage immobile, puisque tout départ inclut un retour, c’est en tout cas ma conviction, si l’on part sans revenir, il demeure comme une part manquante dans l’accomplissement du cheminement. Or, précisément, L. retourne dans son pays d’origine après avoir passé trente ans en France. Vous avez me semble-t-il traité les thèmes de l’exil, du cheminement intérieur et du déracinement, celui bien sûr des grands voyageurs, qui cherchent à rejoindre les grands lointains, qui ne sont autres qu’en eux-mêmes. Ne sommes-nous pas ici dans la rupture avec la doxa qui pense l’homme moderne en nomade ? N’y a-t-il pas plutôt une vision plutôt mystique du voyage dans votre roman ?

S. P. : Oui, vous avez raison : c’est au bout de son cheminement intérieur que L. trouvera ce qu’elle cherchait. Et elle le trouvera à Paris – son chez-soi…

Néanmoins, le voyage « géographique » lui est indispensable. Ce n’est pas une fuite, et encore moins un retour en arrière. Le voyage, surtout un voyage solitaire, est une rupture avec le quotidien qui lui permet de se retrouver face à elle-même, de changer de perspective – ce qui est parfois salvateur. Il a des vertus presque magiques, miraculeuses, et dans ce sens-là, oui, le voyage a pour moi une connotation mystique.

M. A. : On trouve dans votre roman à la fois une histoire d’amour, mais aussi la recherche du père, comme si finalement l’amour n’était jamais autre chose qu’un retour à l’amour du père. En tant que lecteurs, comment devons-nous ici analyser la figure du père ?

S. P. : Si le père de L. n’apparaît pas souvent « physiquement » dans le roman, il est néanmoins omniprésent. Enfant, L. – où Luciole, comme il l’appelle – est impressionnée par cet homme plutôt distant, mais qui s’avère fiable, impressionnée par sa force, sa virilité, mais aussi par son érudition et sa liberté d’esprit. Elle est flattée d’être traitée en adulte. Jeune femme, elle apprécie sa franchise, sa lucidité et son soutien inconditionnel. Il lui apprend à ne pas avoir peur. A tracer sa route. Enfant, elle ne voulait pas le décevoir. Adulte, elle cherche à l’impressionner à son tour. Pour elle, aussi imparfait qu’il soit (surtout comme mari pour sa mère !), c’est un père-modèle, un surhomme – et elle veut lui ressembler. Elle aime sa mère, mais elle s’est jurée de ne pas répéter son sort.

Si elle est consciente d’idéaliser son père, en partie à cause de leur éloignement géographique, elle sait aussi vers qui qu’elle peut se tourner dans une situation difficile… Pour L., obsédée par la liberté (ou l’idée qu’elle s’en fait), l’amour père-fille est une sorte d’amour idéal, car il la laisse libre – l’y encourage même – et il survit à la distance physique. Sa perte est d’autant plus insoutenable – jusqu’à ce qu’elle ne parvienne à tirer des leçons de vie de cette mort.

M. A. : Votre roman tranche avec cette modernité narcissique, où les romans sont souvent écrits à la première personne du singulier. Or, le vôtre, est écrit à troisième personne du singulier, comme le sont nos romans classiques, ou les romans du dix-neuvième siècle. Pourquoi ce choix ? Bien sûr, votre roman n’est pas une autofiction, il n’est pas non plus autobiographique, il s’inspire de votre vie certes, mais on ne doit pas confondre L. avec vous. Soit, mais pourquoi ne pas directement plonger dans la subjectivité du personnage ? Pouvez-vous nous expliquer cette option ?

S. P. : Ce n’était pas un choix conscient, mais j’ai toujours aimé, en tant que lectrice, ce qu’on appelle « le discours indirect libre » – la narration d’un point de vue unique, mais sans les limitations imposées par l’emploi du « moi/je ». Je trouve que cela permet la bonne distance et un certain détachement. Cela empêche, justement, de mettre trop de soi dans un personnage et donne plus de place à l’imagination. C’est aussi une question de style : le discours indirect n’oblige pas à n’utiliser que le langage parlé et permet d’avoir une seule voix, qu’il s’agisse de l’enfance ou de l’âge adulte du personnage. Cela permet aussi, je pense, de créer un univers plus onirique.

M. A. : Vous n’êtes pas seulement une romancière, mais aussi vous êtes un passeur. On ne doit pas négliger l’érudition de votre roman. Notamment une grande connaissance de la littérature russe du dix-neuvième siècle. Quel est pour vous le roman russe le plus important, et qui vous inspire lorsque vous écrivez aujourd’hui ?

S. P. : Lorsqu’on évoque la littérature russe du XIXème, on pense immédiatement aux auteurs comme Dostoïevski. Or pour moi, le roman fondateur de la littérature de ce siècle extraordinairement riche est Un héros de notre temps de Mikhaïl Lermontov. Par sa structure même, ainsi que par la portée psychologique du personnage principal, Pétchorine, il annonce la fin du romantisme byronien et le début de la modernité. Le roman se compose de cinq « nouvelles », où l’on fait d’abord connaissance du héros par narrateurs interposés, et leurs portraits de Pétchorine ne sont pas forcément flatteurs. Pétchorine est un aristocrate, officier dans l’armée russe pendant la guerre du Caucase. Il a beau être amoral, égoïste, impulsif, parfois cynique, déjà il fascine. Ensuite, il se raconte lui-même – d’abord dans un récit de voyage, puis sous forme d’extraits de journal intime, et enfin dans le récit d’un incident qui provoque des réflexions sur la fatalité et la prédestination. Malgré cela, le roman n’est pas simplement la somme de ses parts – c’est un tout, lié par une logique interne, celle du développement de son héros.

Quels que soient ses actes, on est séduit par sa lucidité extrême, sur lui-même, sur les autres et la société en général, son détachement étudié (« Je me méprise parfois ; n’est-ce pas pour cela que je méprise les autres ? Je suis devenu incapable de me laisser aller à de nobles transports : je crains de paraître ridicule à mes propres yeux. »). Et on compatit : « Le monde a gâté mon âme, mon imagination est inquiète, mon cœur est instable. Rien ne me satisfait ; je m’accoutume à la souffrance aussi rapidement qu’au plaisir, et ma vie devient de jour en jour plus vide. »

Ce roman, culte en Russie, est relativement peu connu du lecteur occidental. Il a pourtant fasciné des écrivains aussi différents que Alexandre Dumas (à qui l’on doit sa première publication en France, sous forme de feuilleton, dans sa revue Le Mousquetaire), James Joyce (à qui il a inspiré Le portrait de l’artiste en jeune homme) ou Vladimir Nabokov (qui l’a beaucoup critiqué, comme à son habitude, mais traduit, magnifiquement, en anglais).

J’espère que mon roman éveillera la curiosité des lecteurs et les incitera à découvrir ou à revisiter quelques-uns des livres qui y sont mentionnés, dont celui de Lermontov ou ceux d’Ernest Hemingway, entre autres.

M. A. : Disons-le aux lecteurs, votre roman a été accepté en trois heures, suite à un envoi par mail. C’est assez rare, mais cela arrive, et c’est bon à savoir, surtout pour ceux qui écrivent et rêvent d’être publiés. Bien sûr, c’est un roman de grande qualité, peut-être même un grand roman, en tout cas, un grand roman de la rentrée. J’imagine que vous êtes déjà en train d’écrire un deuxième roman. Pouvez-vous nous parler en quelques mots de ce projet ?

S. P. : Merci… J’ai eu beaucoup de chance avec mon éditeur que je ne remercierai jamais assez.

Oui, je suis en train d’écrire un deuxième roman, déjà bien avancé, et, en parallèle, j’écris des notes pour un troisième. C’est un peu curieux, mais je suppose que je rattrape le temps perdu… Par superstition, j’hésite à parler des projets en cours. Je dirai juste que le deuxième est écrit, de nouveau, à la troisième personne du singulier, du point de vue d’un Parisien d’une quarantaine d’années, agent immobilier. Et qu’il y a dedans des fragments d’un roman historique que celui-ci écrit en cachette. Deux voix, donc, et deux styles d’écriture différents. C’est un défi, certes, et c’est d’autant plus stimulant.

L’idée du troisième n’est pas encore tout à fait formée (j’essaie d’y résister jusqu’à ce que termine l’écriture du deuxième !), mais ce sera sans doute à la première personne du singulier cette fois-ci, du point de vue d’un homme d’un certain âge. Il est trop tôt pour en dire plus.

En tout cas, je m’éloigne de plus en plus de L. – elle a maintenant sa vie à elle, et moi, je continue mon propre « voyage »…

Propos recueillis par Marc Alpozzo

« Le livre est bien écrit et l’action soutenue » sur « Tantièmes » de Jean-Pierre Noté

Jean-Pierre Noté, Tantièmes

Dans cinq ans, en 2027, le monde sera à la merci d’une multinationale d’origine américaine qui a pour nom Babel et qui produit une box connectée qui donne accès à tout et traduit en simultané une profusion de langues. Autrement dit Alphabet, l’autre nom du gros gogol, entreprise attrape-tout qui veut le monopole sur le savoir – donc le pouvoir. Son PDG est surnommé 3K, comme on disait Y2K pour désigner (jadis) le bug de l’an 2000 (qui n’a jamais eu lieu). Les trois K viennent de son nom grec imprononçable pour un gosier anglo-saxon. Car tout doit être traduit, adapté, réduit en anglosax, la langue des maîtres du monde.

Seul un petit pays résiste encore et toujours à l’envahisseur… Pas pour longtemps. Endetté, en déclin, la France voit avec joie proposer l’achat de rien moins que l’Académie française, ce ramassis de quarante vieilles birbes, dont très peu de femmes, qui a l’outrecuidance de vouloir être maître de la langue. Aline, executive woman qui a réussi dans la tech, a sa propre entreprise de traduction à destination des pays africains francophones, TimeExpert, et 3K la convoite. Plus l’entreprise que la fille, encore qu’il aime bien dominer.

Tout ce roman « hyper » contemporain (selon le mot tendance) a pour objet de montrer l’écartèlement d’Aline entre la globalisation et le terroir, Babel et le vieil hôtel de Toulouse qu’elle habite, le mouvement pour le mouvement et l’ancrage dans l’histoire. En bref, un dilemme « ultra » contemporain (autre mot tendance). Il se trouve que, tel le yin et le yang, la contestation se trouve au cœur de sa maison en la personne de Simon, prof d’histoire sans histoires qui possède quelques tantièmes de copropriété de l’hôtel particulier qu’Aline a fini par acquérir presque entièrement. Il refuse de vendre et n’offre aucune prise. Lui aime le territoire, le vin de pays et les paysages du Carroux, ce qu’aimait aussi Aline dans sa « première éternité », son enfance et son adolescence. Curieusement, elle n’a aucune famille subsistante, donc aucune racine, sauf les souvenirs. Tout l’art de Simon sera de faire ressurgir en elle ce qui fait d’elle ce qu’elle est.

Vaste programme ! Babel a une puissance démultipliée et, grâce à sa nouvelle box connectée en drone miniature, Fly, qui suit comme une mouche son propriétaire, puis grâce à la Chip, une micropuce implantée dans le lobe de l’oreille, le maître du monde peut maîtriser les grands du monde. Il fait ainsi que le nain coréen détruise ses bombes nucléaires et se retire dans un monastère bouddhiste, que le petit dictateur russe admette que le pétrole n’est plus l’énergie du futur, que le président français consente à vendre l’Académie française. Au fond, Babel est comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses : la meilleure parce qu’elle permet à quiconque ne parle aucune des langues dominantes de suivre des cours en ligne d’universités prestigieuses dans sa propre langue aussi improbable que le corse ou l’inuit ; la meilleure parce qu’elle enjoint les dirigeants des États à œuvrer pour la planète, le climat et la paix – mais aussi la pire car elle globalise la pensée avec le savoir formaté, la politique avec la moraline universelle décrétée par un seul (Mister 3K lui-même), la surveillance de tous avec les box, les fly, les puces. Tout se sait et tout est traqué à l’aide d’algorithmes puissants. Nul ne peut échapper, même sans puce, à ce Big Brother technologique.

Aline, ambitieuse parce que solitaire et engluée dans le système où elle excelle, ne voit que les bons côtés « généreux » du programme yankee de domination technologique du monde (l’auteur aurait pu citer aussi les Chinois, guère en reste sur cette avancée du contrôle). Elle s’aperçoit in extremis de l’impasse dans laquelle elle met le monde par son ego individualiste et tout tech. Avec Simon, un mâle, un vrai, elle succombe à l’attrait du sexe, sinon à l’amour (qui peu visible dans le roman), avant que ses racines ne l’enserrent à neuf et dessillent ses paupières alourdies par la réussite. Le prof fonctionnaire et la milliardaire entreprenante vont conjuguer leurs efforts pour que le pire n’arrive pas et que les puces ne sautent pas sur les humains comme sur tous les chats pour sucer leur fluide vital.

Le plus symbolique est que tout se termine par un coup de lame de silex préhistorique dans le cerveau avancé de la technologie post-historique. Le serpent du destin se mord la queue.

L’auteur, Sup de co Toulouse et licencié en histoire, commercial international pour l’aérospatiale durant 17 ans avant de créer sa boite de consultant, connaît bien le monde technologique des multinationales. Il aime à se ressourcer dans ses Pyrénées natales où il traque les truites fario. Son roman d’anticipation montre comment, de glissement vers le savoir en glissement pour le bien des autres peuples (moins « avancés »), se met en place insidieusement, démocratiquement et moralement, une « intelligence » artificielle qui n’est au fond qu’une technologie totalitaire destinée à transformer l’humain en fourmi. Sauf le terme WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qui s’écrit sans H après le W, le livre est bien écrit et l’action soutenue.

Jean-Pierre Noté, Tantièmes – un monde sanspuss, Az’art atelier éditions, 2021, 205 pages, €20,00

Le livre n’est référencé ni sur Amazon ni à la Fnac en ligne, ce qui est probablement un choix idéologique mais restreint sans conteste sa diffusion.

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com