Saisons de culture honore Jean-Jacques Dayries pour ses romans

Jungle en Multinationale – Un séjour en business crasse sur la Riviera

Par Paul Gérodhor

Dans « Jungle en Multinationale », Jean-Jacques Dayries nous fait entrer dans l’antichambre d’une holding prospère, mais que la vieillesse de son fondateur place dans un péril extrême. En costume-cravate ou ensemble tailleur, la courtoisie de façade ne cachera pas longtemps la violence des coups entre prétendants.

Gros déchirements en famille, en soixante-neuf étapes. Il y a le père-Fondateur, manière de tyran à l’ancienne, de self-made-man, qui ne veut jamais perdre le contrôle. Il y a Jean, le fils modèle et un peu austère qui veut assurer la pérennité du groupe, une multinationale de l’hôtellerie qui a investi dans les plus belles villes d’Europe et ses rues les plus chères, comme dans un Monopoly mondialisé. La lutte sera implacable. Et cela, d’autant plus qu’entrent en scène tout une galerie de personnages – on en dénombre dix-huit – dont on n’aimerait pas forcément qu’ils forment le premier cercle de ses amis : par exemple, André, un noceur sur le retour et sans profondeur ; son épouse, la superficielle Édith, qui n’aime que les paillettes ou encore l’ambitieux Yann, actionnaire minoritaire intraitable après la donation du Fondateur, qui bouleverse la donne dans cette grande famille. Il y a en effet quelques dizaines de millions d’euros en jeu, quand le Fondateur – on ne connaîtra jamais son prénom ni son patronyme –, maintenant âgé, quittera la vie.

Jean, rêve de conclure un pacte d’actionnaires pour parer aux risques d’un démembrement de la holding, mais le Fondateur a d’autres visées. Et rien ne va se passer comme prévu. Le tout dans une atmosphère feutrée, très chic, en costume Harrod et bijoux de la place Vendôme, un peu à la manière de certains thrillers juridico-financiers anglo-saxons. Attention, pas un coup de feu ici, mais des combinaisons retorses, inspirées des meilleurs avocats pour éliminer l’adversaire.

Il faut en effet lire Jungle en multinationale comme on lit un polar : pas pour le style, mais pour l’intrigue. En effet, il n’y a pas de fioritures dans l’écriture de Jean-Jacques Dayries, volontairement dépouillée de tout ornement. C’est le style coupé : les phrases, sobres et courtes, coulent les unes des autres et la narration, entièrement assurée au présent, donne à l’histoire l’aspect d’une succession d’instants, pensées ou actions, jusqu’au dénouement. Les chapitres ne dépassent jamais non plus quatre pages (c’est la tendance actuelle – et un peu pénible – dans l’édition). Et comme souvent dans les polars, la psychologie, sans être sommaire, n’est pas très développée.

La guerre de tous contre tous

Fort de son expérience de consultant dans plusieurs grandes entreprises, le très sérieux Jean-Jacques Dayries (il a publié un ouvrage politique dans la collection « Que sais-je ? ») nous offre un bon thriller financier, qui pourrait bien déboucher sur une morale paradoxale : les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers. Entendons par là que les favoris de la compétition ne sont vraiment pas assurés de l’emporter, dès lors qu’apparaissent de bons outsiders, intelligents en diable.

L’auteur a donc eu assez d’empathie envers le lecteur pour donner dès la première page le dramatis personae de son roman (de même qu’il a placé à la fin du livre un précieux lexique du vocabulaire financier en langue globish). Reprenons : tout est suspendu à la bonne santé du Fondateur, qui après avoir engendré quatre enfants avec deux femmes a pris maîtresse, rencontrée sur la Riviera. Pour l’instant, il profite de son été indien avec celle qui sait comment satisfaire un homme et dont on ignore les intentions, si elle en a.

La bourse est un grand échiquier

L’éditeur a choisi une image de jeu d’échecs pour la couverture : c’est bien vu, mais cela tient un peu de l’euphémisme : il y a beaucoup plus que deux adversaires et chaque pièce joue sa propre partie, en avançant parfois, dans une combinaison provisoire, avec un pion, une dame ou un cavalier, que l’on sacrifiera éventuellement, le moment venu, comme on fait la part du feu dans les situations extrêmes. Mais il s’agit bien ici de ceindre la couronne du Fondateur : Jean, donc, le fils modèle, les fils d’Ingrid, néo-londoniens et ambitieux, Helmut, le fiancé de Carole, l’une des filles de Jean, qui avant ou après l’amour a laissé traîner ses yeux sur des dossiers négligemment étalés sur la table. Et il y a aussi Antoine, le directeur financier, travailleur acharné, célibataire et dont il aurait fallu peut-être remarquer la différence de longueur entre l’index et l’annulaire pour deviner la vraie nature de ses désirs et avec qui il ferait alliance.

Ainsi, au fil des chapitres, tel personnage va parfois décider de faire gambit ; un autre – toute considération faite – va reculer d’une ou deux cases pour se protéger, en attendant une meilleure opportunité ; un troisième larron risque de se retrouver cloué en découvrant les phantom shares. Le lecteur fait la tournée des personnages pendant tout le livre : le suspense est là. Il se dit aussi qu’il a sans doute affaire à un roman à clef et que les dix-sept prénoms (eux aussi dépourvus de patronymes) sont peut-être bien plus que des êtres de papier. À l’inverse de Boris Vian, l’auteur ne pourra sans doute pas dire que « cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée d’un bout à l’autre. » Les initiés, eux, liront entre les lignes. Mais cela est secondaire.

Jean-Jacques Dayries

« Jungle en Multinationale », 298 pages

Éditions Code 9

Benoit Marbot livre « une géopolitique de l’intime » selon Saisons de culture

La Marraine amoureuse, un bijou théâtral dans l’écrin du Parc Monceau

Par Erwan d’Harmental

La Marraine amoureuse” : un bijou théâtral dans l’écrin du parc Monceau

Une histoire d’amour suspendue dans le fracas de l’Histoire

Il est des spectacles dont la délicatesse vous saisit dès les premiers instants — La Marraine amoureuse, pièce originale de Benoît Marbot, en fait partie. Dans le décor somptueux du parc Monceau reconstitué avec grâce par Philippe Varache, la pièce nous transporte en 1915, au cœur d’un Paris silencieux, loin du tumulte des tranchées mais tout aussi habité par l’ombre de la guerre. Ce jardin, avec ses colonnades et son bassin, devient le théâtre d’une rencontre poignante entre une femme endeuillée et un jeune homme sur le départ. Le temps y semble suspendu, comme le souffle des spectateurs, captifs d’une émotion rare.

Les costumes, eux aussi signés Philippe Varache, participent de cette immersion : silhouettes élégantes, tissus choisis avec précision, nuances sobres d’un deuil qui n’éteint jamais totalement le désir de vivre. Un travail d’orfèvre, à la hauteur du texte.

Un duo incandescent

Dans ce huis clos à ciel ouvert, Sylvia Roux incarne Clémence avec une intensité retenue, bouleversante. Formée à l’École Périmony, passée par le Studio Hébertot qu’elle a dirigé avec passion, la comédienne porte ce rôle comme un vêtement cousu sur mesure : celui d’une femme libre d’esprit, prisonnière de son époque. On pense à Anouilh, bien sûr (Antigone, L’Invitation au château), mais aussi à Giraudoux ou même à Marguerite Duras : cette parole fragmentée, pleine d’interstices et de silences, dit tout ce que les corps ne peuvent plus dire.

Face à elle, Jean-Nicolas Gaitte (remarqué dans Roméo et Juliette, Les Contes du Grand Guignol) campe un Anatole à la fois bravache et vulnérable, adolescent attardé dans un monde d’hommes qu’il ne comprend pas encore. Leur duo irradie de tension, de désir contenu, d’amour impossible et pourtant incandescent.

Un regard féministe sans slogan

La pièce dit beaucoup, aussi, de la place des femmes en 1915 — et par effet de miroir, aujourd’hui encore. Clémence, veuve avant d’avoir été aimée, correspond avec les soldats, prend la parole, pense. Mais le monde continue à lui imposer le silence. La pièce esquisse ainsi un féminisme élégant, tout en nuances, loin des discours simplistes : une femme forte n’est pas forcément une femme qui crie, mais une femme qui pense, qui choisit, même dans l’impossibilité. Le regard de Sylvia Roux suffit parfois à tout dire. Dans une époque qui redécouvre l’importance de ces combats, La Marraine amoureuse vient nous rappeler que l’Histoire est lente, et que les émotions sont souvent les plus puissantes des armes.

Un échos  troublant avec notre monde

Ce qui rend la pièce si précieuse, c’est aussi ce qu’elle raconte de notre présent. Alors qu’Anatole s’apprête à partir pour un front dont il ignore tout, on pense à ces jeunes hommes d’aujourd’hui, en Ukraine ou ailleurs, projetés dans des conflits qui les dépassent. L’insouciance brisée, l’amour comme dernier refuge, la parole comme ultime résistance : tout cela fait écho à nos inquiétudes contemporaines. On croit assister à une simple comédie sentimentale ; on découvre un drame universel.

Un texte ciselé, une mise en scène qui respire

Benoît Marbot, à la fois auteur et metteur en scène, fait preuve d’une maîtrise remarquable. Son écriture, ciselée, joue de la légèreté et du tragique, à la manière d’un Giraudoux (La guerre de Troie n’aura pas lieu, Ondine), d’un Musset, ou d’un Marivaux en clair-obscur. Il laisse respirer ses personnages, évite tout pathos, et fait du silence une matière dramatique à part entière.

Le dispositif scénique est minimal, mais jamais pauvre. Tout se joue dans la tension des corps, l’économie du geste, la retenue des émotions. C’est un théâtre de la suggestion, profondément littéraire et infiniment humain.

Un rendez-vous à ne pas manquer

Il y a dans La Marraine amoureuse ce frisson rare que seuls les spectacles sincères peuvent offrir. Une pièce qui parle d’hier pour mieux éclairer aujourd’hui, qui touche sans asséner, qui fait rire parfois — et pleurer souvent. C’est du théâtre d’exception , mais il serait impardonnable de le laisser passer inaperçu.

                           Erwan d’Harmental

Du 20 mars au 27 avril 2025

Du jeudi au samedi à 19h, dimanche à 17h

Studio Hébertot – 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris

Avec Sylvia Roux et Jean-Nicolas Gaitte

Texte et mise en scène : Benoît Marbot

Décors et costumes : Philippe Varache

« Bioutifoul Kompany » le premier roman de Frédéric Vissense : « un bon diagnostic sur les tares du management actuel, ce délire corporatif »

Frédéric Vissense, Bioutifoul Kompany

C’est un monde de l’absurde que décrit l’auteur, sous pseudo par précaution managériale. Issu des sciences politiques, il a intégré le monde de l’entreprise. Après des expériences variées dans les secteurs à dominante technologique, en France et ailleurs, il est devenu DRH. Il décrit la dérive machiniste du management des grandes entreprises, l’ironie de ses contradictions, les limites inhumaines de la bureaucratie. Ce monde devient de plus en plus notre monde – à moins que le néo-capitalisme des ploucs des collines à la JD Vance, tonitrué par le vaniteux bouffon à mèche blonde, ne change la donne pour un retour à Hobbes, là où l’homme est un loup pour l’homme (ne parlons même pas de la femme !).

Le DRH moderne n’utilise plus les tests de personnalité tangents, ni les entretiens d’embauche soumis aux biais cognitifs. Le management a inventé une machine à scanner les pensées, même les plus intimes. Une sorte de détecteur de mensonges (dont on sait qu’il a peu de fiabilité), mais qui se veut omniscient. L’IA pénètre les cerveaux pour évaluer – régulièrement – chaque employé. Cette « note » (manie omniprésente de notre monde informatisé) mesure l’adhésion consciente et inconsciente aux « valeurs » de la compagnie (qui ne sont le plus souvent que des slogans creux). Tout écart est enregistré, analysé, menant à une correction pouvant aller d’une simple remarque au licenciement pur et simple : pas assez conforme !

Fifi est un salarié moyen qui tente de naviguer entre conformité et survie dans ce monde-là. Ce n’est pas pour rien que ses collègues le surnomment le Prudentissime. Une fois branché à la machine de la Compagnie Universelle d’Innovation, il focalise ses pensées sur des images neutres, et sur une couleur : le gris de l’uniformité, le métissage de toutes les teintes en une seule. Cette neutralité mentale peut rapidement devenir suspecte. Le Doktor Stürmer, ancien consultant berlinois reconverti en architecte du management des esprits, s’interroge : pourquoi ce salarié anonyme, qui ne fait pas parler de lui, diffère-t-il tant de ses collègues qui, eux, ne peuvent s’empêcher de penser en-dehors ?

L’objectif est de faire de chaque employé de la Kompany un galet bien lisse, permettant de rouler sur les autres galets sans aspérité qui accroche. Un management d’huile, pour bien faire actionner les rouages. Car l’entreprise est de plus en plus perçue par les technocrates « consultants » qui la gouvernent comme une vaste machine, qu’il s’agit de faire tourner au mieux. Efficacité : tel est le mantra. Toute émotion humaine interfère avec l’application des règles ; toute humanité est bannie des processus ; tout salarié est soumis volontaire pour devenir galet brillant. Agrippine est la souveraine de la novlangue d’entreprise ; elle pense à votre place.

J’ai connu les prémisses de cette évolution d’un capitalisme « de papa », volontiers paternaliste et que certains ont appelé « rhénan » pour le distinguer du capitalisme purement comptable des Américains. Au début des années 1990, les banquiers issus des meilleurs lycées de la capitale, bons élèves conformistes, se sont mis au « management » (mot qu’ils découvraient) ; ils ont singé l’anglais globish (sans comprendre le plus souvent les faux-amis, comme ce « benchmark » qui ne signifie ni objectif à atteindre, ni carcan à respecter, mais simple niveau de référence). J’en ai ri. Je l’ai subi. J’en suis parti en creusant mon trou là où la machine technocratique ne pouvait pas m’atteindre : dans l’intelligence du métier (qui n’avait rien d’artificielle).

J’ai vu comment le management pouvait devenir une doctrine totalitaire comme celle du parti communiste, avec ses experts « scientifiques » suivant les lois de l’Histoire (américaine), avec sa hiérarchie (mesurée au conformisme le plus absolu), avec ses employés réduits à l’état de béni oui-oui et de rouages anonymes, répudiant toute amabilité au nom d’une efficacité de papier. Il fallait se soumettre (en apparence), faire chorus aux réunions (obligatoires) à la majorité (qualifiée selon la hiérarchie). Une servitude volontaire était exigée ; ainsi était-on récompensé par une prime ou par une promotion. Les plus méritants devenaient « directeurs », soumis à plus directeurs qu’eux. Il fallait adopter les bons discours, afficher les bons sentiments, exprimer son engagement (enthousiaste) dans des processus validés par l’entreprise.

Les outils ont pris le pouvoir dans les grands machins bureaucratiques que sont devenues les firmes d’une certaine taille. Les hommes s’effacent derrière la régulation, l’humanité derrière les process. Les nouvelles technologies imposent leur logique, chacun doit s’y adapter sous peine de disparaître. Même si, comme le Grand Actionnaire du livre, on s’alarme dans les bureaux feutrés des dirigeants d’une « baisse continue de la productivité, l’absentéisme, les défaillances techniques ». Sans en chercher les causes : la machine ne saurait défaillir, il n’y a que des rouages usés ou rouillés, à remplacer. « Il est urgent que d’autres machines viennent ajouter un peu d’humanité au sein du Groupe », dit le Directeur général persistant et signant dans l’erreur conceptuelle (p.93).

La transparence, exigée du monde puritain yankee sous prétexte (religieux) de traquer les péchés les plus cachés, prend prétexte d’efficacité et de performance (de société) pour contrôler les humains (ces bêtes à dresser). La technologie de contrôle, de surveillance, et les réseaux, le système de notations exigé à chaque action, y aident grandement. « Voyons Fifi : de nos jours on ne peut plus faire comme si un fantasme était affaire privée ne prêtant pas à conséquence collective, ce serait inconscient, avec tous les outils de communication qui existent ! » p.126. Cette contrainte s’exerce sans violence ouverte, l’intériorisation de la norme pousse chacun à se rendre employable, à noter selon la norme admise, non par ce qu’il pense. Il se lisse, comme un galet ; ceux qui regimbent se poussent d’eux-mêmes vers la sortie.

Il manque une belle histoire pour faire de ce roman un émule d’Orwell et de son 1984, mais l’auteur livre un bon diagnostic sur les tares du management actuel, ce délire corporatif. Il est peut-être déjà insuffisant : l’IA et les idéologues autour de Trompe ne nous préparent-ils pas pire ?

Frédéric Vissense, Bioutifoul Kompany, 2025 éditions La route de la soie, 488 pages, €27,00

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Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

« La Marraine amoureuse » de Benoit Marbot : Écart de classe, écart de genre, écart d’existences 

Benoît Marbot, La marraine amoureuse

Nous sommes en 1915. Clémence est une jeune bourgeoise, récemment veuve sans enfant d’un mari officier, tué dans les premiers mois de la guerre de 14. Comme cela se faisait beaucoup à cette époque patriotique où l’arrière cherchait à soutenir le front, sur les conseils d’une amie, Clémence a pris un filleul de guerre. Elle échange des lettres régulières avec ce soldat du front. Il a demandé à la rencontrer, et les voilà au parc Monceau à Paris, à se chercher devant « les colonnes ».

Anatole est un sergent de 18 ans, engagé volontaire à 17 ans après que ses deux frères aînés aient été tués. Il est vif, intelligent, plein de vie. Son supérieur a voulu en faire un officier, car on montait vite en grade ces années-là, à cause des vides qui se creusaient. Il a d’abord refusé, puis Clémence l’a convaincu sans le vouloir d’essayer. Car lui n’est pas un bourgeois, mais issu du peuple du Nord de la France. Il parle cru, se fagote mal, et n’apprécie pas les bibis portés par la jeune femme à leur juste valeur. Devenir officier va le polir, l’élever.

De fil en aiguille, année après année, 1915, 1916, 1917, 1918, ils se revoient en coup de vent. Lui est toujours vivant, et peut-être est-ce elle qui le fait tenir. La première fois il la défonce, en même temps que le sommier dans la chambre de la bonne. La seconde fois il lui fait un enfant. La troisième fois il rencontre le ventre où dort encore le bébé. La quatrième fois, le petit est né et reconnaît sa voix ; Anatole est désormais lieutenant, il avait « disparu », il était prisonnier.

« Clémence (au gardien) – j’ai retrouvé mon mari !

Anatole – Et nous allons vivre ! »Happy end.

Écart de classe, écart de genre, écart d’existences : comment Clémence et Anatole peuvent-ils se rencontrer, s’unir et envisager de faire leur vie ensemble, avec la guerre omniprésente, qui fauche son lot d’hommes à tout moment ? Parce qu’il est très jeune et qu’il touche en elle la fibre maternelle ? Parce que le désir vital est plus fort que la mort et qu’elle est emportée par cette virilité ? Parce que l’avenir n’est écrit nulle part et que le moment présent suffit au bonheur ?

Une pièce jouée au Studio Hébertot jusqu’au 27 avril 2025

les jeudis, vendredis, samedi à 19 h, les dimanches à 17 h – 1h20 de spectacle

78bis Boulevard des Batignolles, 75017, 01 42 93 13 04 contact@studiohebertot.com

10 à 30 € en fonction des réductions

L’auteur a un parcours original, passionné de théâtre et auteur de nombreuses œuvres.

Benoît Marbot, La marraine amoureuse (théâtre), 2024, L’Harmattan, 95 pages, €13,00, e-book Kindle €9,99

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Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Prix littéraires : Le 89ème Prix Cazes sera remis début mai à la Brasserie Lipp

Le 89ème Prix Cazes sera décerné le *** mai 2025. (Brasserie Lipp)

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***date communiquée aux journalistes manifestant leur intérêt pour couvrir l’événement

contact presse : guilaine_depis@yahoo.com 06 84 36 31 85

La sélection de 2025

89emePrix Cazes Brasserie Lipp

En sélection

– Rien n’est plus grand que la mère des hommes de Diana FILIPPOVA (Albin Michel)
 
Un perdant magnifique de Florence SEYVOS (L’Olivier)
 
– Les deux tilleuls de Francis GREMBERT (Arléa)
 
– La loi du moins fort de David DUCREUX SINCEY (Gallimard)
 
– Un coup de pied dans la poussière de Baptiste FILLON (Le bruit du monde)
 
– Malestroit de Jean de SAINT-CHÉRON (Grasset)
 

Le jury

Fondé en 1935 par Marcellin Cazes, le Prix Cazes récompense un auteur pour un roman, un essai, une biographie, des mémoires ou recueils de nouvelles.

Il est décerné cette année par un jury composé de :

Léa SANTAMARIA (Présidente), Gérard de CORTANZE, Mohammed AISSAOUI, Eric ROUSSEL, Christine JORDIS, Nicolas d’ESTIENNE D’ORVES, Mathilde BREZET, Gautier BATTISTELLA, Marie CHARREL, Claude GUITTARD (secrétaire général)

1935-2019 L’histoire du PRIX CAZES

Le Prix Cazes est l’une des plus anciennes distinctions littéraires. Cette récompense, créée à l’initiative de Marcelin Cazes, continue, au fil des décennies, à révéler des auteurs prometteurs. Comme il avait une clientèle très “intellectuelle”, Marcelin Cazes eut l’idée en 1935 de créer un prix littéraire qu’il décernait chaque année au mois de mars et qu’il dotait à l’origine d’une somme de deux mille cinq cents francs.

Le jury, composé de douze membres et présidé par André Salmon, se réunissait à midi, votait, puis était invité à déjeuner par la Brasserie Lipp ainsi que le lauréat – “qui n’était jamais introuvable ni même bien loin”- et quelques courriéristes littéraires.

En 1935, la première année, le prix fut attribué à une compagnie théâtrale, Le Rideau de Paris de Jean Marchat et Marcel Herrand, deux jeunes comédiens metteurs en scène. Les lauréats suivants, véritables écrivains, devinrent souvent des auteurs à succès.

En effet, le prix Cazes servait à l’époque de “tremplin” car plusieurs lauréats obtinrent par la suite le prix Goncourt, le prix Femina ou Interallié.

En quelques années, le prix Cazes est devenu “l’événement littéraire du printemps” (contrairement aux autres grands prix, remis à la rentrée) qui mobilisait le monde littéraire et journalistique parisien.

L’ année 1950 devait marquer l’histoire du prix. En effet, cette année-là, Marcelin Cazes décida de décerner le prix qui porte son nom dans sa maison natale de Laguiole. Il organisa pour cela un voyage en car au départ de Saint Germain des Prés, le 24 mai 1950, avec à son bord 35 journalistes, courriéristes, membres du jury et amis. Un périple, sûrement plus gastronomique que littéraire, qui dura 5 jours et couronna le lauréat Marcel Schneider pour son roman Le Chasseur vert.

Depuis 1950, le Prix Cazes, toujours décerné chaque année au mois de mars, a couronné le talent de nombreux auteurs pour leurs romans, essais, biographies, mémoires ou recueils de nouvelles : de Solange Fasquelle (1961) à Jean Claude Lamy (2003), en passant par Michel de Grèce (1970), José-Luis de Villalonga (1971), François de Closets (1974), Cavanna (1979), Olivier Todd (1981), Edgar Faure (1983), Jean Paul Aron (1985), Jean Marin (1995), Jean-Paul Enthoven (1997), Clémence de Bieville (1998), Shan Sa (2001), Gérard de Cortanze (2002), Béatrice Commengé (2004), Françoise Hamel(2005), Emmanuelle Loyer (2006) ou Richard Millet (2007), pour ne citer qu’eux…

En 2018, le 83e Prix Cazes a été décerné à Régis Wargnier pour son roman Les prix d’excellence (Éditions Grasset)

En 2019, le 84e Prix Cazes a été décerné à Louis-Henri de La Rochefoucauld pour son roman La prophétie de John Lennon (Éditions Stock).

En 2020 Alexandre Postel a reçu le 85ème Prix Cazes pour Un automne de Flaubert (Gallimard)

En 2022, Mathilde Brézet (Le Grand Monde de Proust, Grasset) et Gautier Battistella (Chef, Grasset) ont tous les deux été récompensés du 86ème Prix Cazes

En 2023, Marie Charrel a reçu le 87ème Prix Cazes pour Les Mangeurs de nuit (éditions de l’Observatoire)

En 2024, Nathan Devers a reçu le Prix Cazes pour Penser contre soi-même (Albin Michel)

Un lieu chargé d’histoire

La Brasserie Lipp

Fondée sous l’enseigne “Brasserie des bords de Rhin” en 1880 par un alsacien du nom de Léonard Lipp, la Brasserie fut reprise en 1920 par la famille Cazes, d’origine auvergnate.

A cette époque, il s’agit d’un petit établissement d’une dizaine de tables seulement, mais le succès grandissant de la désormais Brasserie Lipp pousse Marcelin Cazes à s’agrandir rapidement.

Les trois clientèles de Lipp

En 1926, la Brasserie passe donc de 10 à 90 tables pour accueillir dès lors les “trois clientèles de Lipp” que Marcelin Cazes décrit dans son livre 50 ans de Lipp (éditions La Jeune Parque) : “à midi, des hommes d’affaires, des commerçants du quartier qui voulaient déjeuner dans un endroit calme et sérieux ; de cinq heures à huit heures, des écrivains, libraires, éditeurs, magistrats, artistes qui se réunissent pour bavarder ou se délasser de leurs travaux devant des demis ou des apéritifs : et le soir, le tout Paris.”

À cette époque, la Brasserie Lipp a déjà une solide réputation littéraire, fréquentée notamment par Verlaine et la dernière bohème du Quartier Latin. Au fil des ans, Marcelin Cazes, figure emblématique de la Brasserie, en fit le point de chute de grands noms qui ont marqué la littérature française : Malraux, Gide, Saint Exupery, Proust, Camus

La Brasserie sera même classée “lieu de mémoire” par le Ministère de la Culture plusieurs années plus tard.

Un lieu hors du temps

Derrière cette façade en acajou verni, se cache donc une maison plus que centenaire, reprise progressivement depuis 1990 par la famille Bertrand qui se fait un devoir de perpétuer la tradition, profondément marqué par ses racines auvergnates. Pour preuve, la Brasserie Lipp abrite aujourd’hui encore tout le monde politique, journalistique, littéraire et artistique que compte Paris. Vous pourrez y croiser le regard de Scarlett Johansson, Jack Nicholson, Sophia Coppola, mais aussi Azzedine Alaïa, Jean- PaulGaultier, Jean-PaulBelmondo, Benjamin Biolay ou Sting…

En effet, tous apprécient ce lieu chargé d’histoire où le temps semble s’être arrêté depuis bien longtemps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Soirée Georges Perec avec Hadlen, Djenidi

Rencontre avec Hadlen Djenidi

J’ai déjà parlé d’un poète inconnu, qui publié à compte d’auteur son premier recueil, imprimé à Singapour. Hadlen Djenidi est venu à une soirée poésie le mardi 25 mars, dans une petite salle du Café de la Mairie – le seul café de la place Saint-Sulpice à Paris dans le 6ème. Bien que les voix résonnent, l’endroit était dimensionné pour la quinzaine de participants.

Une seule poétesse française, un éditeur de droite (si j’ai bien compris), un travailleur aux archives de l’Armée, une Roumaine de gauche et une traductrice fan de Russie qui parle poutinien, une directrice d’agence de voyage avenue de l’Opéra en retraite, un affable gardien reconverti au musée au Louvre, le médecin Eric Durand-Billaud, dont j’ai chroniqué L’amputation – et quelques autres. Avec Guilaine Depis l’invitante, attachée de presse de l’auteur.

Hadlen Djenidi est un homme gentil. Orphelin de sa mère, puis de son père, de trop bonne heure, il est en carence d’affection et ressent très fort les émotions. Il a lu quelques poèmes, voulant omettre les plus sentimentaux, mais ce sont les meilleurs, avec ceux sur la nostalgie du papier buvard des écritures d’enfance à la plume sergent-major – et Guilaine en a lu pour lui. Né d’un père algérien, élevé dans les Cévennes, il a quitté la France à 19 ans pour œuvrer dans la vente de produits français de luxe en Asie, LVMH et Richemont surtout.

Il est venu avec son amie Jenny, son bon génie. Ils viennent de passer deux ans en Australie avant de rejoindre Singapour, d’où elle est originaire. Halden me dit qu’il va créer un site pour mettre des informations personnelles et de contexte pour promouvoir son livre, et qu’il finira un roman, commencé il y a trois ans. Je ne connaissais rien de tout cela il y a trois mois, lorsque j’ai chroniqué sa poésie, le recueil Et ceteraun bel « objet-livre », soigneusement édité.

Les canapés du café, au tarama trop rose et au saumon trop sec, étaient un peu mous, mais la part de quiche et sa salade sur assiette était confortable. Surtout avec le champagne bien frais Deutz dont l’assemblée a englouti plusieurs verres en écoutant se distiller les vers.

Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, 2023, autoédition www.writeeditions.com 114 pages, €15.00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Pour trouver le livre (qui n’est pas chez les vendeurs en ligne), demandez à l’attachée de presse en France (mél ou texto plutôt qu’appel) :

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Tolérance, compromis, bienveillance dans « Un jour, nous vivrons ensemble » le premier roman de Maxim Schenkel

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble

Hassan, Amine, Ali, trois générations qui se succèdent, Palestiniens bouleversés par la guerre entre Israël et le proto-état palestinien, formé (comme hier Israël, on l’oublie trop avec la Haganah) par les groupes armés, OLP, Fatah et Hamas. Hassan, né en 1927, a coulé des jours heureux à Tantura, village sur la côte méditerranéenne près de Haïfa. Les pères partaient à la pêche, les femmes cultivaient les légumes, les enfants jouaient libres dans les champs et sur la plage.

Survient 1948, la création d’un État artificiel décidé par l’ONU, Israël, sur les ruines du mandat britannique. Les Arabes ne l’acceptent pas : ils sont « chez eux » et occupent les terres. Certes, les Juifs ont souffert du nazisme et du soviétisme et il est légitime qu’ils aient un État, mais pas au point de régner en vainqueurs et de chasser les Palestiniens de leurs maisons, leurs villages, leurs terres. C’est pourtant ce qui se produit. Les régimes arabes alentour entrent immédiatement en guerre contre le nouvel état juif, ce qui le radicalise. Ils ne veulent plus être les moutons que les dominants conduisent à l’abattoir. Ils se veulent dominant à leur tour, traitant les dominés comme on les a traités en Europe : massacres, expulsions, déportations.

C’est ce qui arrive au village de Tantura ce 23 mai 1948, malencontreusement attribué à Israël par le plan de partage de l’ONU. Hassan a 21 ans. Il est amoureux de son amie d’enfance Fatima, avec qui il a joué sur la plage avant de découvrir à 17 ans qu’il veut l’épouser. Par crainte de l’avenir, les familles repoussent sans cesse le mariage, jusqu’au 22 mai. Voilà les deux jeunes enfin unis, ils sont heureux, c’est la fête. Mais à la nuit arrivent les soldats de la Haganah, organisation paramilitaire des Juifs de Palestine, saboteurs et terroristes contre les Anglais jusqu’à la création de l’État, où elle s’est fondue dans l’armée. Ivres de leur victoire, ils tuent ces « Arabes » qui veulent les empêcher de s’implanter sur cette terre que Dieu leur a donné (Dieu à toujours bon dos). Un soldat israélien miséricordieux, opposé à cette violence gratuite contre des civils désarmés, n’hésite pas à loger une balle dans la tête de ses copains déchaînés pour inciter Hassan et Fatima, les jeunes mariés, à fuir.

Et les voilà partis, traumatisés, vers un camp de réfugiés au nord du pays. Grâce à Gérard, un ami français qui voyageait beaucoup avant la Seconde guerre et était tombé amoureux de la Palestine, le couple obtiendra deux visas pour la France. Ils s’installeront en Normandie, pays où vit l’auteur, dans un village près de Saint-Lô où Hassan tiendra une épicerie après avoir œuvré dans le bâtiment pour la reconstruction après le Débarquement, et Fatima cuisinera dans le restaurant du village après avoir été employé de cantine. Ils finiront par faire un enfant, Amine, élevé comme un petit français, obtenant le bac.

Mais Fatima meurt d’un cancer alors qu’Hassan désirait ardemment revenir dans « son pays », la Palestine, dont les odeurs et le climat lui manquaient, ainsi que la convivialité arabe. Cela ne se fera pas. C’est Amine, adulte à 18 ans, qui force son père à parler, à dire ce qui s’est vraiment passé et pourquoi ils se sont exilés en France. C’est Amine qui décidera en 1980 d’aller en Palestine/Israël pour y suivre des études de lettres et vivre « chez lui », à Naplouse. Il rencontrera Lina, sœur de son ami Ahmed, ils tomberont amoureux, se marieront en 1987, juste avant l’Intifada, et auront un fils, Ali. Mais Amine est un révolté, il ne peut s’empêcher de provoquer les colons juifs, de se battre avec eux. La famille de sa femme est expulsée, leur maison rasée au bulldozer ; les Israéliens sont impitoyables avec les résistants à leur occupation qu’ils appellent « terroristes ». Pourtant, Gaza et la Cisjordanie étaient des territoires destinés aux Palestiniens, selon l’ONU. Amine crée un journal imprimé pour raconter ce qui se passe, ses actions, sa résistance ; il a du succès. Sa femme prend peur, elle le quitte et entre en clandestinité, laissant l’enfant à son père, qui va bientôt l’envoyer en France auprès de son propre père, Hassan, pour le protéger.

Ali, troisième génération, devient infirmier à Caen, il côtoie Sara, juive israélienne française, infirmière comme lui, et en tombe amoureux. Il décide d’aller sur la terre de ses ancêtres pour découvrir ses racines, ses cousins et chercher sa mère qui l’a abandonné. Sara comprend. Issue d’une famille juive libérale habitant Tel Aviv, elle est pour la cohabitation des deux peuples, pas pour la guerre. Ils s’aiment et pensent obscurément que les mariages mixtes permettront peut-être de créer cet État mélangé où, en Israël, juifs et arabes vivront en paix. La réalité est plus cruelle que les rêves, Ali s’en rendra compte à Gaza, bombardée après le pogrom du Hamas le 7 octobre. Car le roman va jusqu’à aujourd’hui, reliant l’histoire au présent. Il retrouvera sa mère, qui se terre, recherchée par le Hamas (dont le nom n’est jamais cité) et le Shin Bet (pas plus) pour avoir refusé de commettre des attentats, mais convoyé des armes. Ali sera blessé, perdra peut-être ses jambes, se mariera à Sara. Et puis… tentera de créer un avenir sur les ruines du passé.

C’est le premier roman d’un jeune auteur de 32 ans auparavant footballeur, complètement autodidacte mais curieux du monde et de ses habitants. « J’aime m’enrichir chaque jour intellectuellement grâce à des aventures, des expériences, des lectures, des rencontres qui me stimulent, qui me secouent et qui me font réfléchir », dit-il sur le site de son éditeur, Une autre voix, nouvelle maison d’édition destinée à contrer la censure implicite du politiquement correct ambiant.

C’est un beau roman une belle histoire. L’auteur dit s’être beaucoup documenté. Il écrit fluide, avec parfois des tics d’époque répétés à satiété, comme ce « mutique » sorti de la psychologie de magazine, alors que « muet » ou « sans voix » serait plus juste (le mutique a une incapacité à parler, le muet seulement une volonté provisoire de se taire). Il fait preuve d’un idéalisme de cœur pur à la Tintin, qui marche toujours quand on regarde les choses de loin. « Si tous les gars du monde… » – mais comment ? Physiquement, le jeune auteur ressemble d’ailleurs un peu à l’adolescent reporter du Petit Vingtième.

Mais il fait l’impasse sur les religions, ce qui est inexplicable, car les Palestiniens sont musulmans et croyants parfois fervents, les Israéliens sont juifs pratiquants et pour certains fanatiques, les chrétiens humanistes ne sont pas absents non plus. Il fait l’impasse aussi sur la « solidarité arabe », qui a manqué cruellement aux Palestiniens depuis la guerre perdue de 1967. La Jordanie comme l’Égypte, ou même l’Arabie saoudite, la Mecque de la religion musulmane, refusent absolument d’accorder une place aux déplacés, empêchant les plaies de se cicatriser, par des camps, décrétés « provisoires » depuis plus de soixante ans.

La photo de couverture est symbolique, bien choisie. Elle montre un adolescent palestinien ivre de vie sur une plage. Il est à la fois tout retourné (par l’histoire), en position acrobatique (face à la puissance d’Israël), mais prouvant son énergie (en équilibre entre deux rochers dangereux). Tolérance, compromis, bienveillance – il n’attend que cela, le jeune être. Raconter une histoire permet de faire connaître, de faire vivre, et peut-être d’influer sur les opinions pour qu’enfin une solution de paix soit trouvée.

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble, 2025, édition Une autre voix, 313 pages, €34,00, e-book €13,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Saisons de culture a aimé « Et cetera… » les poèmes de Hadlen Djenidi

Hadlen Djenidi : La poésie comme miroir et résilience dans l’ère du désenchantement

Dans Et cetera… Poèmes et proses, Hadlen Djenidi offre une œuvre lumineuse et tourmentée, où les mots transcendent les blessures pour explorer l’existence dans toutes ses nuances. Entre fulgurances intimes et interrogations universelles, il réinvente la poésie comme un acte de résistance et une quête de sens dans un monde fragmenté.

Un poète forgé par la douleur et l’exil

Hadlen Djenidi est né dans les Cévennes, au sein d’une famille algérienne ayant émigré dans les années 1960. Ce double héritage, culturel et identitaire, irrigue son œuvre poétique : « Cache tes racines pour survivre, mais ne les oublie jamais », écrit-il dans son récit autobiographique. Mais son enfance est marquée par la violence : celle d’un demi-frère tyrannique, dont les abus façonnent une part sombre de son identité. C’est l’écriture qui devient alors son refuge :

« Les coups ? Je les transforme en alexandrins.

La douleur devient mon encre, la peur mon inspiration. »

Comme Rimbaud, qui sublimait ses errances dans Une saison en enfer, ou Sylvia Plath, qui transfigurait ses souffrances dans Ariel, Djenidi fait de son vécu un matériau brut qu’il polit avec une maturité saisissante.

Quand l’ordinaire devient sublime

Avec In Extremis, Djenidi peint une scène quotidienne, celle d’un arrêt de bus sous la pluie, pour en faire une métaphore de l’absurde et de l’attente.

« La foule se défoule en se taisant sous le porche

Et elle épie les bus qui passent et qui s’effacent. »

Ce tableau, à la fois mélancolique et universel, n’est pas sans rappeler les Tableaux parisiens de Baudelaire, où la ville devient le théâtre des grandes tragédies intérieures. La pluie, omniprésente dans le poème, est à la fois un motif d’humiliation et de révélation : elle colle à la peau, elle isole, mais elle force aussi le regard à se poser sur l’autre, comme lorsque le poète offre un sourire à la vieille dame qui crie.

Une poésie de création et de transmission

Dans Papier Froissé, Hadlen Djenidi exprime une déclaration d’amour à l’écriture :

« Je veux flatter la vie des gens et leurs secrets,

Être un géniteur de bonheur sur du papier froissé. »

Ici, la poésie devient une arme pour capter l’éphémère et le rendre éternel. Ce désir de transcender le temps rappelle Mallarmé : « Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre. » Mais là où Mallarmé célébrait une poésie hermétique, Djenidi revendique une écriture accessible, tournée vers l’autre, presque militante.

Son ambition est d’écrire « avant que le temps m’emporte », de transformer ses doutes et ses blessures en quelque chose d’universel. Ce faisant, il s’inscrit dans la lignée de Pablo Neruda, dont les Odes élémentaires chantaient les objets du quotidien pour en révéler la beauté cachée.

Le mythe réinventé : entre mémoire et critique

Dans Genèse, Djenidi revisite le récit biblique avec une audace qui lui est propre :

« Bibelots de genèse, et la voûte céleste se tut !

Qui aurait pu croire en de tels déboires ? »

En imaginant un dialogue entre Dieu et le diable, il interroge les notions de pouvoir, de justice et de responsabilité :

« L’enfer est mon royaume et je m’y sens protégé ! »

Ce poème rejoint les grandes œuvres critiques comme Le Paradis perdu de Milton ou Candide de Voltaire, où les récits classiques sont détournés pour questionner les dogmes religieux ou moraux. Chez Djenidi, cette réécriture devient une manière de réconcilier les mythes anciens avec les problématiques contemporaines.

L’intime comme champ de bataille : quand l’amour brûle

Dans Cruel Duel, le poète explore les contradictions du désir et de la domination :

« Tes mains chaudes se nichent entre les miennes,

Et le vent simplement nous coiffe de délicats baisers. »

Ce poème, mêlant douceur et violence, évoque les ambivalences de l’amour, où l’abandon devient à la fois une libération et une aliénation. L’intensité émotionnelle et charnelle qui s’en dégage rappelle les Sonnets de Shakespeare ou les poèmes de Verlaine, où la passion est à la fois salvatrice et destructrice.

Pourquoi la poésie est toujours essentielle

Dans une époque où l’attention est absorbée par les écrans et les flux d’informations, la poésie offre une respiration, une pause. Elle permet de redonner du poids aux mots et de reconnecter avec les émotions profondes. Hadlen Djenidi l’exprime parfaitement :

« Je veux vivre au subjonctif,

Fuir les méandres du vent passif. »

Comme Baudelaire, Lorca ou Prévert, il démontre que la poésie est intemporelle parce qu’elle interroge ce qui est fondamental : l’amour, la mort, le passage du temps. Dans Et cetera…, chaque poème est une tentative de capturer l’essence de ce qui nous échappe, tout en offrant une vision profondément humaine et accessible.

 Une voix singulière et contemporaine

Et cetera… Poèmes et proses est bien plus qu’un recueil de poésie : c’est une traversée de l’âme humaine, un dialogue avec les grands auteurs du passé, et une réponse aux incertitudes du présent. Hadlen Djenidi, par sa plume vibrante et sa capacité à transcender le quotidien, s’affirme comme un héritier des grandes voix poétiques, tout en mettant en exergue une identité profondément contemporaine.

Ce livre est une invitation à croire encore au pouvoir des mots, à leur capacité de guérir, d’émouvoir et de changer le monde. À lire, à ressentir et à partager.                                      Yves-Alexandre JULIEN

« l’ironie s’impose comme une superposition à la vérité » dans « L’abécédaire apocalyptique » de Bertrand Carroy

Dans son Abécédaire Apocalyptique, Bertrand Carroy évoque les banlieues… la guerre… le jeunisme… l’obésité… le sport… le wokisme éducatif… En tout vingt-six thèmes traités de manière truculente et incisive. Un régal !

Les abécédaires digressent autour d’un sujet au rythme de l’alphabet et, lorsque ledit sujet est apocalyptique, il se nourrit du désespoir générationnel de notre époque. Bertrand Carroy pose un regard critique lourd sur une société en dégénérescence, une société devenue folle d’elle-même, promise à un acheminement vers la ruine. Son regard est dur… intuitif… fulgurant… parfois philosophique… mais toujours drôle malgré la violence de propos on ne peut plus lucides.

Le plaisir de la forme

Bertrand Carroy motive le lecteur avec un style néo-moderniste usant d’abréviations, ruptures et contractions orales dont il maitrise l’usage tel un maestro du verbe. Exemples. Page 31 : « Vous savez quoi ? je regarde plus les films, c’est pas possible. » Page 32 : […] « après la période tu-as-vu-mes-abdo-musclés-et-mon-corps-épilé (pour les hommes)et ma-bouche-pulpeuse-physique-de-rêve-y-a-du-monde-au-balcon (pour ces dames), z’arrivent les indéfinis, les vagues silhouettes, les qu’on a sorti du métro à cinq heures du matin, tout blafard, tout cafard » […] Page 60 : « Le marketing, vous savez, c’est une belle invention… Que ça vous appâte pire que les miettes de thon pour mon chat ! » Allez ! Une dernière. Page 90 : « Dans le pétrin qu’on s’est mis, tout au fond, bien gentiment, en douceur, la pilule est passée, année par année. »

L’oralité du style relève d’une quasi prophétie eschatologique : les constats (parfois sous forme d’accusation) ironiques introduisent la venue d’un monde nouveau, non seulement comme une destinée de l’homme, mais aussi comme une destinée de la vie toute entière ; terrible monde dont l’horizon se rapproche chaque jour davantage d’un royaume farfelu bientôt sous la couronne d’un roi nu. Rien de bien engageant. Certes. Mais c’est tellement bien vu ! Raison pour laquelle il est possible de lire chacun des vingt-six chapitres en fonction d’une vaste amplitude qui mène de l’humour grinçant à la sociologie messianique. Plaisir de la forme en dénonciation d’une actualité moribonde.

Second bonheur

Au plaisir de la forme s’ajoute celui du propos. Les thèmes choisis par Bertrand Carroy sont avant tout ceux d’une actualité rugissante. Il commence par poser le décor sociétal actuel avant de le développer quelques pages plus loin. Page 11 : « J’vois venir, avec de gros sabots, les savants engommés, l’air suffisant complice, la pupille gauche abaissée de celui à qui on ne la fait pas : contempteurs des « c’était mieux avant » ! […] « Ma grand-mère avec son certificat d’études avait plus de connaissances, des vraies et bien utiles, que les bacheliers d’aujourd’hui : les rivières, les départements de France et leurs préfectures et sous-préfectures, les ères géologiques, le nom des champignons, les vénéneux et ceux qui rentrent dans une bonne omelette, les dates fondatrices de l’histoire, ( …), Villon, La Fontaine, Corneille, tous par cœur ! »

Ce prélude introduit ce que dit l’auteur à propos des banlieues. Page 15 : « Ah la belle France que voilà, mon doux et beau pays, sa capitale scintillante ! Paname et les centres-villes historiques devenus vides, propres, aseptisés ; reléguons la racaille loin des touristes… Qu’ils dépensent sereinement leur argent dans les boutiques Louis Vuitton, Chanel, Gucci… En banlieue, les survêtements abrutis informes, les couloirs suitant, l’urine sur les poubelles, les grèves des transports… » Puis s’agissant du jeunisme. Page 47 : « Passé les quarante-cinq ans, z’êtes finis les amis, votre date limite d’usage est dépassée, z’êtes phacochère fatigué, votre vilebrequin cassé, tout juste bon ratiociner dans une chaire universitaire (pour ceux qui ont des lettres ou des relations haut placées), et encore ! » Ou encore du narcissisme. Page 64 « Pour s’éduquer, ça sert à rien d’aller à l’école, faut aller sur les réseaux, là l’instruction véritable sur la nature humaine, l’apprentissage accéléré de la sagesse (en dix vidéos s’il vous plaît), z’en savez plus sur le psychisme de l’homme et de la femme qu’en suivant les séminaires de Lacan pendant dix ans ! »

Contrepoint philosophique

On l’aura compris, Bertrand Carroy dénonce les maux sociétaux en malmenant d’autres mots, les siens ; une déconstruction de la langue qui vise à révéler de manière encore plus flagrante les confusions et la folie du monde actuel ; déconstruction répétitive et inversement (répétition déconstructive) où l’ironie s’impose comme une superposition à la vérité. De fait, y entrapercevoit-on un raisonnement philosophie, un peu comme si Heidegger s’imposait en contrepoint de Pierre dac. Alors ! Faut-il lire le l’Abécédaire Philosophique de Bertrand Carroy ? Oui. Doublement. Son dictionnaire dit tout haut ce que beaucoup pensent trop bas. En outre, Bertrand Carroy est aussi poète, son dernier recueil, Poèmes de la nuit, est édité chez l’Harmattan, et le second bonheur évoqué plus haut vaut aussi pour sa poésie.

« Les mots me parlent
Et je me réunis
Conciliabule de minuit
Harangués mes rêves hagards
Se perdent dans l’alphabet nocturne
Autant se rendormir
Une tâche noire sur la feuille fatiguée
Et quelques vers abandonnés. »

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2025 –Esperluette Publishing & Bretagne Actuelle

ABECEDAIRE APOCALYPTIQUE, un livre de Bertrand Carroy aux éditions Le Lys Bleu – 118 pages – 13,40 €

POÈMES DE LA NUIT, un recueil de Bertrand Carroy aux éditions L’Harmattan – 143 pages – 15,00€