

Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
Rampe de lancement ! Appuyez-vous sur la balustrade !
Jeudi 06 mai 2010
Titre étrange puisque vous êtes nés aussi, l’auteur comme chacun de ses lecteurs. Mais titre qui intrigue justement parce que la naissance fait problème : naître des morts est peu courant, surtout lorsque vos deux parents disparaissent d’un coup au même moment – ce moment vital qui est celui de la naissance…
Nous sommes le 15 septembre 1943 à 20h30. Le énième bombardement les usines de l’ouest de Paris, dont Renault qui collaborait avec l’Occupant, a fait plus de sept mille morts durant la guerre. Mais ce jour-là, ce sont trois occupants d’une voiture qui sont fauchés porte de Saint-Cloud. Le chauffeur est le père, la passagère arrière la tante et la passagère avant sa femme – la mère. Enceinte, on l’accouche par césarienne in extremis d’une petite fille. C’est cette histoire que nous conte Chantal – son histoire.
Adoptée illégalement par des bourgeois, on lui taira sa naissance et les papiers seront détruits pour que jamais elle ne retrouve sa famille. A l’époque, on pensait le traumatisme trop fort pour une enfant, tandis que le couple stérile se voyait doté d’une fille de bonne origine. Mais le Nom-du-Père hantera la petite Chantal toute son enfance durant, ses écrits de 7 à 13 ans, publiés en annexe, en sont le touchant témoignage. La névrose traumatique fait passer le manque par le langage. Elle évacuera dans l’écriture cette angoisse existentielle du non-dit, du mensonge originel, de la peur tout bébé. D’où ce refuge dans le lourd manteau noir de la chercheuse d’archives, la cinquantaine venue, qui a donné son titre à la première édition de 1998.
Ce gros livre est remarquablement écrit, les phrases fluides au vocabulaire étendu n’hésitent pas à prendre parfois des longueurs à la Proust, sans jamais insister, ou d’établir des litanies à la Céline pour bien marquer le répétitif. Le ton s’adapte aux conditions des gens, mais l’argot parigot de ‘Madame de’ qui fut sa mère adoptive étonne. D’où vient ce parler popu d’une dame à particule qui se pique d’habiter Auteuil ? D’où vient aussi que l’auteur dit être heureusement accouchée page 12, tandis qu’elle se déclare sans enfants page 501 ? Peut-être me pardonnera-t-elle ma lecture, mais j’ai hésité entre récit et roman, ce qui ne se lit pas pareil. L’un et l’autre étaient possibles mais le texte hésite. Toute la « Première époque », jusqu’à la page 279 ressort du roman. Le lecteur marche mais, lorsqu’il parvient à la partie suivante, il trouve du récit. Toujours bien écrit mais – face sombre du lyrisme orienté vers la lumière du début – devenu méticuleux, obsessionnel, dans le ressassement. Le choc des deux parties rend le lecteur mal à l’aise.
Pourtant, c’est bien l’écriture qui sauve le livre. Le style, c’est l’homme. Ici la femme, mais le français entend le mot « homme » au sens neutre d’être humain lorsqu’il prend le ton de la généralité (il est bon de rappeler cette évidence aux féministes). L’auteur « essaiera de transfuser la vie dans les mots comme du sang dans les veines. Elle va essayer d’écrire… Au nom de la vie » p.525. Essai plutôt réussi, à lire pour le ton neuf qu’il apporte dans la production française !
Chantal Chawaf, Je suis née, 2010, édition des Femmes, 561 pages, 19€
Questions de Femmes – de lundi 3 mai 2010. Par Marjorie Mitucci
ZOOM SUR…
MÂKHI XENAKIS
« Elles nous regardent… » Galerie Des Femmes, Paris.
Aujourd’hui, dans un espace plus intime, à la galerie Des Femmes, à Paris, il est possible de découvrir d’autres de ces étranges et impudiques « créatures ». Sculptures de ciment armé teinté (une couleur si identique à celle de la peau que le (la) visiteur (se) ne peut résister à l’envie très sensuelle de caresser l’œuvre), celles-ci travaillent la « féminité » dans l’événement de la maternité, dans l’événement de la solitude, dans l’événement du dialogue, dans l’événement de la folie.
Mâkhi Xenakis, qui vit à Paris, a débuté par la peinture dans les années 80. Après un séjour à New-York où elle fut proche de l’artiste Louise Bourgeois, elle se consacra au dessin et à la sculpture. Dessins masse, travaillés à la gomme, qui oscillent entre le minéral et le floral. Dessins où l’on s’abîme, happé(es) par un mouvement de gouffre. Sculptures qui peuvent se dresser longilignes et solitaires ; sculptures comme celles aujourd’hui présentées qui s’adressent à nous en une demande muette… Qui sommes-nous dans nos silences et nos paroles ?
Jusqu’à la fin du mois de mai. 35 rue Jacob, Paris 6ème.
La Fédération de Paris de la LICRA, la MAIRIE du 6e arrondissement de Paris et la librairie LA PROCURE ont le plaisir de vous convier au « Salon du livre de l’antiracisme et de la diversité » le dimanche 2 mai de 14h à 19h.
Parmi les auteurs présents, signeront leurs livres :
JEAN-LUC ALLOUCHE – CLAUDINE ATTIAS-DONFUT – ELIE BARNAVI – CATHERINE BARRY – MARISA BERENSON – DERRI BERKANI – FATIMA BESNACI-LANCOU – LAURENT BINET – NINA BOURAOUI – JEAN-LOUIS BRUGUIERE – CHANTAL BRUNEL – SORJ CHALANDON – JEAN-FRANCOIS COLOSIMO – MICHELE COTTA – LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT – PIERRE DARMON – MICHEL DREYFUS – JOSY EISENBERG – DANIELE EVENOU – EMMANUEL FILHOL – JEAN-PIERRE FILIU – ANTOINETTE FOUQUE (représentée par CHRISTOPHE BOURSEILLER) – CAROLINE FOUREST – DAN FRANCK – PATRICK GIRARD – BENOITE GROULT –
RENE GUITTON – MIREILLE HADAS-LEBEL – MAREK HALTER – MARIE-CHRISTINE HUBERT – PAULA JACQUES – JEAN-NOEL JEANNENEY – LAURENT JOFFRIN – LIONEL JOSPIN – JACQUES JULLIARD – TRISSA KHATCHADOURIAN – VENUS KHOURY-GHATA – PATRICK KLUGMAN – GEORGES MALBRUNOT – ABDELWAHAB MEDDEB – ALBERT MEMMI – ALAIN DE MIJOLLA – EMMANUEL PIERRAT – JEAN-MARIE PONTAUT – GONZAGUE SAINT BRIS – DANIEL SIBONY – MOHAMED SIFAOUI – ALAIN-GERARD SLAMA – CHRISTINE SPENGLER – LUCETTE VALENSI – etc.
Des tables-rondes et des débats auront lieu également lieu de 14h à 19h en présence de certains auteurs :
Et notamment :
Vers 17 heures : Table ronde sur La situation des femmes en france aujourd’hui avec Benoite Groult, Michèle Cotta, Fatima Besnaci-Lancou et Antoinette Fouque (représentée par Michèle Idels, Vice-Présidente de l’Alliance des Femmes pour la Démocratie)
Dimanche 2 mai 2010 de 14h à 19h
Mairie du 6e arrondissement de Paris – 78, rue Bonaparte
Métro : Saint-Germain/Mabillon –
Parking : Place Saint-Sulpice
Contact – Frédéric : 01 45 08 08 08 – Entrée Libre
La Quinzaine littéraire du 1er au 15 mai 2010
Arts – Les légions des soeurs par Gilbert Lascault
Hypatie d’Alexandrie – Maria Dzielska
lundi 3 mai 2010, critique par Tristan Hordé
Sur ©e-litterature.net
Hypatie d’Alexandrie est devenue héroïne du grand écran sous les traits de Rachel Weisz dans le film Agora (présenté à Cannes en 2009) du réalisateur espagnol Alejandro Amenábar, qui raconte l’histoire de la philosophe et mathématicienne. En France, le premier à la sortir de l’oubli est un grammairien connaisseur de l’Antiquité, Gilles Ménage, qui publia en 1690 Historia Mulierum philosopharum [Histoire des femmes philosophes]. Le sujet a été repris et développé en 2006 par Éric Sartori avec son Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle : Les filles d’Hypatie. Ce titre donne à Hypatie un rôle de pionnière et on attendait qu’un livre lui soit consacré, qui reprenne minutieusement le peu d’éléments dont on dispose à son propos, textes anciens et correspondances. Il ne suffisait pas de les citer, mais de les comparer et de les analyser en relation avec ce qui peut par ailleurs être connu de la vie politique et des conflits de l’époque.
Maria Dzielska a reconstruit en partie la vie d’Hypatie et analysé la manière dont on a reconstitué sa biographie depuis le XVIIIe siècle. Sa beauté et sa jeunesse ont été constamment louées, elle a été perçue à la fois comme « un symbole de la liberté sexuelle et du déclin du paganisme (et, avec lui, de la disparition de la pensée libre, de la raison naturelle et de la liberté d’expression). » La réalité est différente et plus complexe.
Hypatie, née vers 355 et morte en 415, devint, comme son père Théon, mathématicienne et astronome (elle aurait peut-être mis au point l’édition de l’Almageste de Ptolémée), et elle enseigna aussi la philosophie. Ses disciples faisaient souvent de longs voyages pour former auprès d’elle une communauté intellectuelle, issus de Syrie, de Lybie ou de Constantinople (maintenant Istanbul). Elle était appréciée pour ses qualités morales, menait un train de vie modeste et n’eut probablement jamais de relations sexuelles ; « toutes nos sources, écrit Maria Dzielska, s’accordent à la présenter comme un modèle de courage éthique, de vertu, de sincérité, de dévouement civique et de prouesse intellectuelle. » Dévouement civique : elle était sollicitée pour conseiller les autorités d’Alexandrie ou impériales.
Hypatie n’a pas été victime d’une campagne contre les païens, non seulement parce qu’elle n’avait pas marqué de sympathie pour les cultes païens, mais aussi parce que les chrétiens s’en prirent d’abord aux juifs avant de combattre la pensée païenne. Après elle, la philosophie grecque, les mathématiques et l’astronomie ne disparurent pas à Alexandrie : « Jusqu’à l’invasion arabe, des philosophes continuèrent à expliquer l’enseignement de Platon, d’Aristote […] et des néoplatoniciens. » Par ailleurs, Hypatie fut d’une certaine manière récupérée par le christianisme : il semble que la plupart de ses qualités ait été versée à la légende de Catherine d’Alexandrie.
Maria Dzielska apporte un point de vue nouveau sur Hypatie et, en outre, étudie dans le détail le statut de ses disciples, ce qui permet de restituer la composition du milieu intellectuel d’Alexandrie dans la dernière partie du IVe siècle ; ces disciples, riches, puissants — et seulement masculins —, occupaient tous de hautes fonctions. Ce travail savant, si nécessaire à la connaissance de l’Antiquité tardive, ne fait donc pas que mettre au jour, comme l’écrit Monique Trédé dans sa préface, « la figure complexe d’une éminente intellectuelle, en un temps où l’hellénisme jette ses derniers feux. » On regrettera seulement que la traduction, à partir d’une version anglaise, soit parfois approximative.
Tristan Hordé