Christian Mégrelis à nouveau dans L’Hebdo Bourse Plus
Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
Rampe de lancement ! Appuyez-vous sur la balustrade !
Christian Mégrelis à nouveau dans L’Hebdo Bourse Plus
Propos recueillis par Alice Pairo-Vasseur
Christian Mégrelis a été conseiller économique de Mikhaïl Gorbatchev pendant deux ans, de 1990 à 1991. À l’origine du plan des 500 jours, qui visait à assurer la transition de ce qui était encore l’URSS vers la libéralisation de l’économie et du rapprochement URSS-UE qui a conduit aux accords Tacis, il était le seul Français à avoir alors accès au Kremlin (« J’étais l’Occidental dont on guettait les réactions ! »). Il dévoile dans l’essai Le Naufrage de l’Union soviétique : choses vues (éditions Transcontinental, 2021) les coulisses de l’émergence de cette première classe dirigeante postcommuniste. Au lendemain de la mort du dernier dirigeant de l’URSS, mardi 30 août, à l’âge de 91 ans, son ex-conseiller le raconte.
Le Point : Dans quel contexte avez-vous rencontré Mikhaïl Gorbatchev ?
Christian Mégrelis : Je suis entré en Union soviétique par l’Académie des sciences, où une quinzaine d’économistes, parmi lesquels Gavriil Popov, qui n’était pas encore maire de Moscou, militait pour la décentralisation de l’économie. Ils écrivaient dans la presse internationale – à défaut de pouvoir le faire dans la presse soviétique – et m’ont proposé de les rejoindre, en tant que vice-président et seul membre étranger de leur « think tank », l’Union internationale des économistes. Ce courant d’idées a eu l’oreille de Gorbatchev, alors ministre de l’Agriculture. Et, une fois au Kremlin, il a commencé à nous convier à des réunions, en compagnie de son Premier ministre Valentin Pavlov. Puis il nous a commandé des notes et enfin un rapport sur une méthodologie de transition. Lorsqu’on s’y est attelé, il nous a dit : « Il n’est pas question que j’attende dix ans, ni même cinq, c’est trop. Donnez-moi un délai court, car le pays ne peut plus attendre ! » C’est ainsi qu’on lui a proposé le désormais célèbre plan des 500 jours (soit un an et demi), qui était, il faut bien le dire, très optimiste ! Il a tout de même été adopté par le Parlement en 1991. Ensuite, tout est allé très vite : le putsch, en août de la même année, puis la démission de Gorbatchev, dès le mois de décembre. Le plan a été mis au placard. Mais nous avions planté de premières graines – via la privatisation de toute une série d’entreprises pilotes, notamment, dans lesquelles on avait construit de nouveaux statuts et converti le capital en actions que l’on avait redistribuées au personnel…
Que pensait Mikhaïl Gorbatchev de Vladimir Poutine ? Il s’était prononcé pour l’annexion de la Crimée en 2014, mais ne s’était pas exprimé sur la guerre en Ukraine lancée en février dernier…
Après son virage totalitaire en 2010, il associait inévitablement Poutine à ce qu’il avait combattu de pire en URSS : le retour au centralisme bureaucratique et à la mainmise des « services » sur la population, avec une restriction forte des libertés individuelles. Il faut dire que les deux hommes n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. Sans être prétentieux, Gorbatchev, un homme éduqué, considérait qu’il avait une vision pour le pays et avait, à cet égard, une certaine opinion de lui-même. Sans doute percevait-il Poutine comme moins compétent. Souvenez-vous de l’appréciation que les professeurs de ce dernier ont rédigée à sa sortie du KGB : « Ne mesure pas les conséquences de ses actes. » Quant à la Crimée, Gorbatchev avait approuvé son annexion car il n’avait jamais souscrit au « don » fait à l’Ukraine en 1954 par Nikita Khrouchtchev, sans consultation de la population. Et, s’il ne s’était pas exprimé sur l’Ukraine, c’est parce que son état de santé ne le lui permettait pas. Mais il fait peu de doute qu’il était catastrophé par la situation, quelles que fussent ses opinions sur ce pays.
Que penser du très sobre hommage rendu par le Kremlin après sa mort ?
Le pouvoir actuel n’a aucun intérêt à lui faire des ronds de jambe. Et l’on peut déjà se réjouir que le Kremlin ait communiqué sur le sujet. Peut-être Poutine – qui qualifiait la dislocation de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » – a-t-il été tenté d’envoyer une bordée d’injures avant que des conseillers ne l’en dissuadent en lui rappelant que Gorbatchev était Prix Nobel de la paix et que ce n’était pas n’importe qui (rires) ! Plus sérieusement, il est fort probable que Poutine consente à ce qu’il soit enterré dans les murs du Kremlin, comme les autres secrétaires généraux, bien qu’il tienne beaucoup à la continuité du pouvoir, lui qui se considère comme l’héritier des tsars… Mais il n’y a dans les faits rien à attendre de la mort de Gorbatchev, car il n’a pour l’heure aucun héritier spirituel en Russie – tous sont âgés, morts ou partis faire leur vie (et leur fortune) aux États-Unis. Quant au peuple russe, il n’aura guère plus de mal que Poutine à le jeter dans les poubelles de l’Histoire. Car la grande majorité des Russes considère qu’il a eu un rôle néfaste pour le pays et n’a toujours pas digéré la fin de l’Union soviétique. C’est pourtant Eltsine, dans le dos d’un Gorbatchev en fin de course, qui a signé le traité de Minsk qui déconstruisait celui de 1922, signé par Lénine et instituant l’URSS… Seuls quelques nostalgiques – dont je suis – ou de fins connaisseurs de l’histoire russe le regretteront. Même si l’on peut reconnaître qu’il a commis quelques erreurs…
Lesquelles ?
Son principal tort a été de soigner davantage son image à l’étranger qu’en URSS. Il a négligé sa communication interne, comme on dirait aujourd’hui. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles son successeur Boris Eltsine stole the show [lui a volé la vedette, NDLR]. Gorbatchev pensait que les Russes le respecteraient et le légitimeraient comme leader, mais il n’obtiendra que 0,5 % de leurs suffrages lorsqu’il voudra se représenter. Quelle erreur de jugement !
Quand vous devenez chef d’État, vous entrez dans un club fermé et prestigieux avec des types formidables et des salopards, mais tous sont des gens extraordinaires. Vous avez l’impression d’être sur une autre planète et avez deux choix : soit garder la tête froide et faire au mieux votre boulot, soit succomber au charme de cette société exclusive. C’est ce qui s’est passé avec Gorbatchev, qui ne paraissait finalement jamais aussi heureux que lorsqu’il était reçu à la Maison-Blanche, à Buckingham ou à l’Élysée… Il était alors une cible de choix pour ses opposants du Parti communiste, qui le jugeaient trop libre et pro-occidental. Mais, s’il aimait les grands hôtels, les belles voitures et sa femme Raïssa, les grands couturiers, il n’était pas un homme corrompu. Il n’a d’ailleurs constitué aucun capital. Il vivait depuis dix ans sur une retraite misérable et n’avait pas même de personnel. Ce sont sa fille et ses trois petites-filles qui, dans sa résidence moscovite, se sont occupées de lui ces dernières années.
Quel homme était-il dans le privé ?
Il avait cette sorte d’humour doublé d’autorité naturelle à la Winston Churchill : on pouvait plaisanter, mais il restait le premier ! Mais c’était surtout un homme lucide. Je me rappelle ce jour de 1991 durant lequel nous recevons, avec Raymond Barre, dans un centre de vacances des environs de Moscou des patrons européens et américains de multinationales, qui payaient alors très cher pour pouvoir déjeuner avec lui. Gorbatchev accuse une demi-heure de retard et j’emmène nos invités faire un tour en extérieur. À notre retour, tous confient leur surprise d’avoir découvert un village en ruine. Il était pour eux inimaginable que la Russie de Gagarine et des fusées puisse compter des villages pareils – sans goudron ni électricité. Et Gorbatchev de rétorquer : « Vous ne saviez pas que l’Union soviétique était un pays d’arriérés ? » Être un homme d’État capable de reconnaître, avec cette franchise, les faiblesses d’un système demande un certain courage. Et c’est pour moi l’une des raisons pour lesquelles il est un des plus grands dirigeants du XXe siècle. Rappelons qu’il a sorti l’URSS du communisme sans tirer une seule balle. C’est d’ailleurs en ce sens que vont tous les hommages des dirigeants occidentaux, qui saluent, depuis sa mort, « un homme de paix ». Bien sûr, cette unanimité est déjà utilisée par la propagande russe pour rappeler combien il était d’abord l’homme de l’Occident…
Christian Mégrelis à nouveau chez Louis Daufresne
https://radionotredame.net/emissions/legranddebat/02-09-2022/
Réécoutez l’émission :
La Provence du 1er septembre 2022 par François TONNEAU
Bertrand du Chambon
Svetlana Pironko, Une Heure avant la vie, éd. Le Passeur, septembre 2022, 268 p.-, 18 €.
La critique coup de coeur superbe de Charles-Henri Dahlem
En deux mots
Dans les pays lointains où elle a grandi, L. cherche à meubler sa solitude et va trouver refuge dans les livres. Lorsqu’au sortir de l’adolescence, elle sert de guide à un artiste-peintre parisien, elle va trouver le moyen de s’émanciper. Une nouvelle vie va alors s’offrir à elle.
Une vie de femme, un parcours initiatique, une envie irrépressible d’émancipation. En suivant L. qui tente d’avancer dans la vie sans tout comprendre de la vie que mènent ses parents, on découvre une ferme volonté d’avancer mais aussi un parcours semé d’épreuves.
Parmi les images qui restent gravées dans la mémoire de l’enfant revient d’abord cette insulte proférée par une gitane à sa mère, cette conne qui n’a pas su garder son mari et qui déstabilise les deux promeneuses. L’angoisse qui l’étreint lorsque sa mère lui annonce que le P’tit Prince, son frère né dans la joie quelques mois plus tôt, est gravement malade et qu’elle part avec lui à l’hôpital. Un événement qui lui permettra toutefois de se rapprocher de ce père trop absent. Il ira jusqu’à accepter de l’emmener avec lui à la chasse, lui fera découvrir Hemingway et deviendra son superman.
Loin de tout, au gré des affectations, elle va aussi trouver un point d’ancrage dans ses lectures. Une bibliothèque qui va devenir un centre de formation pour l’adolescente en mal d’ami(e)s.
Puis viennent les premiers émois amoureux, la rencontre avec Grégoire l’artiste-peintre qui fait partie d’un groupe de touristes qu’elle est chargée de guider. Cet homme plus âgé a surtout pour L. l’aura du parisien, habitant cette ville fantasmée au cours de ses lectures et qu’elle rêve de découvrir.
Si c’est grâce à lui qu’elle prendra son envol, on comprend très vite que ce mariage est d’abord un moyen de s’évader. L’écriture tout en subtilité de Svetlana Pironko laisse deviner que l’amour pour Grégoire cache l’envie d’une autre vie, plus riche, plus dense. On va dès lors suivre le couple à Paris, à Séville, à Venise ou encore en Toscane. Mais on va surtout suivre la trajectoire d’une femme avide de connaissances, de culture, d’expériences.
En découvrant le milieu de l’édition, elle se sent enfin dans son élément. Les idées, la création et même la séduction forment alors un feu d’artifice qui permettent à L. se s’épanouir. De ses rencontres dans les salons professionnels jusqu’à la tanière d’un écrivain britannique.
Si l’on retrouve dans ces lignes bon nombre d’éléments autobiographes, c’est d’abord la volonté et l’envie qui donnent à ce roman une belle énergie. En voulant donner raison à Hemingway, après Paris est une fête elle se rappellera que Le soleil se lève aussi, prouvant qu’il est bon de rêver sa vie… avant de la vivre.
Une heure avant la vie
Svetlana Pironko
Éditions Le passeur
Premier roman
267 p., 18 €
EAN 9782368909621
Paru le 1/09/2022
Où?
Le roman est situé en Asie centrale, notamment au Kazakhstan, puis à Paris et Londres. Mais on y voyage aussi beaucoup.
Quand?
L’action se déroule de la fin du siècle passé à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Le soleil se lève sur le petit aéroport d’Assouan. Sur le désert nubien… Comme sur la steppe de la Faim ce matin lointain, avant la chasse au loup. C’est le même soleil qui se lève. Il se lève sur un monde différent. Sur une vie différente. Mais c’est le même grand disque incandescent, et elle trouve de la consolation dans cette pensée. »
Une heure avant la vie est un voyage – celui de L., une femme-luciole qui parcourt le monde, des steppes d’Asie centrale jusqu’à Paris et plus loin encore. Intrépide, elle puise sa force dans l’amour inconditionnel de son père et dans des livres qui ont le pouvoir de changer une vie.
Tour à tour lucide, ironique, émouvante ou mélancolique, L. nous entraîne dans sa quête. Que cherche-t-elle? Et que va-t-elle trouver?
Les premières pages du livre
« Un gros mot
Dans ses souvenirs d’enfance, c’est toujours l’été.
Elle marche dans la rue avec sa mère. Main dans la main. Elle est trop grande pour qu’on lui tienne la main, mais aujourd’hui maman est une copine. Elles sont allées au cinéma. Pas le cinéma du quartier, où travaille son grand-père. Elle y va quand elle veut. Avec Nina ou même seule. Le vrai cinéma, en ville ! Et avant, une glace à «La Reine des neiges».
Elles ont vu Le Lac des cygnes. Elle a un peu pleuré à la fin. Elle n’aime pas pleurer.
Après, maman lui a acheté un petit sac à main au «Monde des enfants». Presque un vrai sac de dame qu’elle porte maintenant à son coude, Comme fait maman quand ils sortent avec papa. Le sac de maman est plus beau — il est en cuir marron qui est comme du bois poli. Lisse et brillant. Papa le lui a rapporté d’une mission. Et aussi une paire de chaussures qui va avec.
Papa part souvent en mission. Elle aime bien. Il rapporte toujours des cadeaux pour elle et pour maman.
Son sac est rouge. C’est joli, mais elle voudrait un jour avoir le même que celui de sa mère. En attendant, elle parade avec son cadeau écarlate. Et ce n’est même pas son anniversaire!
Elle sent la main de sa mère serrer plus fort la sienne. Il y a une femme, une vieille femme qui fait signe à maman de s’approcher, d’un doigt crochu. Une gitane.
Elle se recroqueville intérieurement. Elle a peur des gitanes — elles crient, gesticulent, abordent des passants qui essaient toujours de les fuir.
La vieille parle à sa mère, mais la regarde, elle. Deux yeux perçants très noirs la fixent. Elle a peur de détourner son regard.
La gitane veut lire la main de maman. Mais comment? Les mains de maman sont blanches et lisses sans rien d’écrit dessus ou dessous.
Maman dit non, merci, pas besoin, et accélère le pas, en lui serrant la main encore plus fort. Elle doit courir maintenant pour suivre. Elle entend la gitane rire derrière elles:
— Pas besoin de lire ta main pour dire que ton mari ne t’aime pas, pauvre conne!
Maman ne se retourne pas. Elle, si. Elle jette un regard qu’elle veut assassin à cette vieille, si laide et si méchante. «Conne toi-même», articule-t-elle, à peine audible.
«Conne» est un très gros mot. Elle le sait. Papa aime maman. Maman est belle. Même si elle a grossi cet été.
Elles tournent dans une petite rue. Sa mère s’arrête et lui lâche la main. Elles sont toutes les deux essoufflées.
Elle enlace les jambes de sa mère et pose sa tête sur son ventre arrondi. Elle attend des mots rassurants qui ne viennent pas. Elle lève la tête. Des larmes silencieuses coulent sur les joues de sa mère. Une tombe sur son front. Elle ne savait pas que les gros mots faisaient si mal. Elle espère que la gitane aussi est en train de pleurer.
Cette nuit, elle fait un rêve. Elle est seule sur un manège qui tourne. C’est un beau manège, avec des animaux en bois, de toutes les couleurs. Il est posé, bizarrement, au milieu de la cour de la maison de ses grands-parents. Elle voit, tour à tour, le grand portail vert, la maison, le potager, le plus beau coin du jardin où sa grand-mère fait pousser des dahlias et des glaïeuls, et la pergola couverte de houblons. Toute sa famille est réunie sous la pergola. Même Mourka et Plimus.
Un autre tour, et de nouveau le portail. Il est en train de s’ouvrir en grand tout seul. Elle voit une vieille femme entrer. C’est elle! La gitane ! Sa robe noire, son grand châle aux roses rouges, ses longs cheveux mal peignés, son sombre visage tout ridé. Ses yeux…
Le manège tourne, mais elle ne veut pas perdre la vieille de vue. Elle l’entend marmonner. Des gros mots encore? Elle se détourne et cherche des yeux sa mère.
Ce qu’elle voit la tétanise. Ils sont tous en train de se transformer en animaux. Pas en bois. Des vrais… Ce grand éléphant, là, c’est grand-papa. Maman se transforme en girafe. Longue, fragile et pleine de grâce, elle se meut vers le portail ouvert. Le lion… Papa! Elle voudrait crier, mais aucun son ne sort de sa gorge. Ils partent tous. Même Mourka et Plimus.
Ils sont partis.
Elle est seule.
Elle se réveille.
Elle a peur pour la girafe. »
À propos de l’auteur
Svetlana Pironko © Photo DR
Svetlana Pironko vit entre Paris et Dublin. Après avoir été traductrice, agent littéraire et éditrice, elle signe son premier roman. De son enfance au Kazakhstan, elle a gardé l’amour des grands espaces et des longs voyages. Elle s’épanouit dans la sérénité des aéroports, où il fait si bon lire et écrire, mais elle aime plus que tout revenir à son port d’attache, Paris.
Christian Mégrelis chez Sophie Roussi sur TV5 Monde