« Le Journal intime de Rudolf Noureev » dans « Service littéraire » de mai 2024
Actualités (NON EXHAUSTIF)
« La question interdite » de Valérie Gans par Grégoire Delacourt
La réponse interdite.
Mais voici que j’en dis déjà beaucoup et ne voudrais pas vous priver du plaisir de la découverte.
Juste ajouter que Valérie est une femme et une auteure libres. Son livre en témoigne. Il ne prend qu’un seul risque. Et pas des moindres.
Celui de nous faire réfléchir.*La question interdite, de Valérie Gans, aux éditions Une autre voix. En vente depuis le 15 septembre 2023.
Nicolas d’Estienne d’Orves membre du jury du Prix Cazes couronnant Nathan Devers répond à Marc Alpozzo
Nicolas d’Estienne d’Orves : « Le Prix Cazes couronne des auteurs jeunes et prometteurs »
Le mercredi 10 avril 2024 a eu lieu la remise du Prix Cazes, à la Brasserie Lipp, Boulevard Saint Germain, Paris. Ce fut le 88e anniversaire de ce prix très prestigieux, fondé en 1935 par Marcelin Cazes. Et c’est l’écrivain et philosophe Nathan Devers qui a été récompensé pour son livre Penser contre soi-même (Albin Michel, 2024). L’occasion d’interroger un membre du jury, qui n’est autre que l’écrivain Nicolas d’Estienne d’Orves.

Entreprendre – Nicolas d’Estienne d’Orves : « Le Prix Cazes couronne des auteurs jeunes et prometteurs »
Quelle est l’originalité du Prix Cazes ?
Nicolas d’Estienne d’Orves : Le Prix Cazes fait partie de ces prix littéraires germanopratins intimement liés au quartier et à la vie parisienne, comme celui des Deux Magots et celui, beaucoup plus récent, du Café de Flore. Marcellin Cazes créa ce prix en 1935, afin de couronner un auteur jeune et prometteur (ce qui n’a pas toujours été le cas, bien entendu, tout autant pour la jeunesse que les promesses) et le prix n’a jamais cessé d’être remis depuis. Son originalité tient peut-être en ce qu’il ne fait pas partie des poids-lourds de la rentrée littéraire de septembre, puisqu’il est remis au printemps. Ce qui laisse à son jury une forme de liberté. Sans compter que ce même jury est avant tout composé de gens qui ont plaisir à ripailler ensemble dans l’un des plus jolis cadres de Paris.
Quel est le lauréat le plus prestigieux du prix Cazes ?
Il faut s’entendre sur la définition du prestige. Disons que le Cazes a été lancé en 1935 en couronnant non point un livre mais une troupe de théâtre, la Compagnie Le Rideau de Paris, qui était dirigée par le couple Marcel Herrand et Jean Marchat, lesquels vivaient ensemble à la ville comme à la scène. Ce qui, en 1935, n’était pas si fréquent.
Qui sont les membres du prix Cazes ?
Mohammed Aissaoui, Eric Roussel, Christine Jordis, Gautier Battistella, Mathilde Brézet, Marie Charrel, Carole Martinez, Gérard de Cortanze, Léa Santamaria, le président Joel Schmidt et bien entendu le grand chambellan Claude Guittard.
Comment ce jury est-il composé ?
Il est composé de gens de lettres : écrivains, journalistes, historiens, romanciers, libraires… Et, dans les cas de Gautier Battistella, Mathilde Brézet, Marie Charrel, Gérard de Cortanze et moi, d’anciens lauréats cooptés après avoir reçu le prix.
Comment se passe les choix des livres ?
De façons très naturelles : il y a une sorte de débroussaillage effectué par les membres du jury qui sont ls plus au fait des nouveautés littéraires (en l’occurrence les journalistes ainsi notre chère libraire Léa Santamaria). Puis on lit, on cause, on débat, on élague, on vote, on revote, on re-revote etc.
Est-ce que vous primez des auteurs de petites maisons ?
La maison d’édition n’est pas forcément un critère. En 2016 nous avons couronné Dominique Paravel pour un livre publié chez Serge Safran. Mais il est vrai que, dans l’ensemble, nous avons souvent primé les « grosses » maisons (mais ce n’est pas un hasard si elles sont, et restent, de grosses maisons, après tout…)
Vous avez primé l’écrivain et philosophe Nathan Devers cette année. Pourquoi ?
Parce qu’il correspondait en bien des points aux critères du prix : jeune, pas encore primé, original dans son ton et son propos etc. Certes, il s’agit d’un essai et non d’un roman, mais le Cazes ne se concentre par que sur les œuvres de fiction. Nathan Devers est sans nul doute un auteur qui va compter dans les années à venir, et son Prix Cazes sera probablement le premier d’une longue liste de récompenses littéraires.
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Jean-Marc Sylvestre accorde un entretien à Francis Coulon sur Atlantico

ATLANTICO BUSINESS
Les vrais libéraux ne peuvent pas s’opposer au retour des grands projets européens pour sortir de la crise
Après plus de trente ans passés chez Danone et LVMH, Francis Coulon, professeur dans de nombreuses écoles de commerce, s’est convaincu que la « philosophie utilitariste », chère aux fondateurs du courant libéral, permet aux entreprises non seulement de réussir à créer de la richesse, mais aussi de contribuer au bien commun.
Francis Coulon a puisé, dans une expérience de plus de trente ans acquise dans deux des plus belles multinationales françaises, Danone et LVMH, la conviction qu’il fallait réveiller les travaux de Bentham, Stuart Mill ou Adam Smith, dans la mesure où ces auteurs libéraux ont explicité les recettes d’une création de richesse qui ne fait pas débat. Dans le monde entier, ce qui explique d’ailleurs que l’économie de marché, la mise en concurrence, est un modèle qui s’est imposé sur la planète toute entière, y compris dans les pays où l’organisation étatique n’est guère démocratique, comme la Chine ou la Russie, par exemple. Mais au-delà de ce constat évident, Francis Coulon est convaincu que la philosophie utilitariste, qui est à la base des idées libérales, se met ainsi au service du bien commun. Ce que beaucoup de politiques contestent parce qu’ils en sont restés à une culture de contradiction conflictuelle entre l’économie et le social.
Quand Antoine Riboud, le fondateur de Danone, essayait d’expliquer à ses pairs du CNPF, que l’entreprise ne peut fonctionner que sur un double projet : un projet économique et un projet social, il fut plutôt mal accueilli… et pourtant le succès de Danone lui a donné raison. Un demi-siècle plus tard, Francis Coulon vient nous expliquer que les sociétés développées ne sortiront de la crise dans laquelle elles sont plongées que si elles renouent avec cette philosophie utilitariste que la financiarisation a occultée. C’est sans doute le seul moyen de conjuguer les performances économiques dont nous avons besoin et les formes de la démocratie moderne.
Francis Coulon choisit là un exemple, celui de l’avenir de l’Union européenne. La semaine dernière, Emmanuel Macron a dit haut et fort ce que tout le monde soupçonne, à savoir que « l’Europe est mortelle », et pour éviter cette mort annoncée, on s’aperçoit que les hommes politiques sont assez démunis. Une solution, en revanche, que le président a esquissée : essayer de relancer des « grands projets industriels ». Mais si l’ambition peut paraître utopique à un moment de l’histoire où seule la notion de souveraineté suscite l’attention du plus grand nombre, on se trompe évidemment, car les industriels eux-mêmes ont intérêt à se retrouver ensemble pour affronter la concurrence mondiale et répondre aux grands défis de la technologie et de l’environnement. Francis Coulon est catégorique
Jean-Marc Sylvestre : Francis Coulon, sur quoi fondez-vous aussi catégoriquement cette conviction qu il nous faut revenir aux grands projets industriels ?
Francis Coulon : Ça y est ! Nous sommes en plein dans la révolution industrielle de l’intelligence. L’économie en 2035 sera profondément différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, et nous allons assister au franchissement d’une « frontière technologique », c’est-à-dire que nous allons voir la naissance de technologies de rupture inconnues aujourd’hui. La caractéristique de cette nouvelle économie est double : elle est « smart », s’appuyant sur le digital, la robotique et l’IA, et elle est « green » en étant partie prenante de la transition énergétique et écologique.
Ce mouvement, que l’on peut qualifier de « croissance verte », une phase de verdissement reposant sur une forte innovation, permettra l’émergence des produits de demain qui seront intelligents, sobres, décarbonés et préserveront nos ressources. Cette transformation demande de changer le modèle de management des entreprises dans un timing très serré. Passer à 100% de voitures électriques en 2035 nécessite de modifier les priorités stratégiques, les investissements, l’organisation et le financement des entreprises.
En quoi ces mutations obligent-elles les entreprises à croître toujours davantage ?
Cette transition demande une haute intensité capitalistique en termes de recherche, de développement, de création de sites industriels verts et ne peut être rentabilisée qu’en adressant le marché mondial. La taille est un élément clé dans ces technologies où la compétition est féroce, à l’image du marché des panneaux photovoltaïques, submergé par la Chine à travers un processus de dumping. Cette évolution va toucher de nombreux domaines : la micro-électronique et les technologies de l’information, les batteries, les énergies vertes, les transports, le bâtiment, les biotechnologies, puis au final l’ensemble de l’économie.
Cessons de croire que la France peut se battre seule dans un contexte aussi compétitif. Bien sûr, la France a des atouts, en particulier des champions mondiaux : Stellantis, Renault, Airbus, Safran, Total, Air Liquide, et des entreprises de haute technologie. Mais jouer européen c’est profiter d’un camp de base élargi à 16% du PIB mondial versus 3% pour la France seule. L’industrie de demain sera différente, plus collaborative, avec plus de mutualisation entre entreprises. Les nouvelles usines seront souvent des « giga-factories » plurinationales, telles que l’usine de fabrication de batteries ACC de Douai, une co-entreprise associant deux Français (Stellantis et Total Énergies) et un Allemand (Mercedes). Il y a aussi le domaine de la défense où il serait judicieux d’acheter des avions européens plutôt qu’américains et pour cela des projets européens seraient une bonne incitation.
Nous ne réussirons pas la réindustrialisation de la France en réintroduisant les activités d’hier, ni par des pratiques protectionnistes comme le rêvent les souverainistes, et notamment le Rassemblement National. Cette hypothèse est mortifère et reléguerait la France à une place de deuxième division à l’issue d’une politique keynésienne encourageant la dépense plus que l’investissement, allant donc à l’inverse de notre réarmement économique.
Ce redéploiement industriel nécessite des actions de grande ampleur qui seront plus efficaces menées collectivement à trois niveaux : approvisionnement en matières premières spécifiques dont l’offre sera inférieure à la demande dès 2030, maîtrise des technologies et financement. Il existe au niveau européen un programme PIIEC qui soutient les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun, ce qui est une véritable avancée, même si l’on peut souhaiter aller plus vite et plus fort.
Les entreprises d’un côté, les autorités européennes de l’autre ? Quel peut être le rôle de l’État français dans cette configuration ?
L’État français peut être utile en dépassant son rôle de régulateur pour se convertir en facilitateur (comme le font les USA et la Chine). Il doit soutenir les projets de croissance verte, à l’instar de son co-financement de la création d’une giga-usine de panneaux photovoltaïques à Fos-sur-Mer par CARBON, société lyonnaise. Mais les besoins de financement de tels projets sont énormes et il est clair que la proposition de « l’union des marchés de capitaux européens » permettra d’élargir l’offre de financement. L’Europe dégage chaque année 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire qui pourraient être utilisés pour promouvoir de grands projets stratégiques. Cela prendra du temps, nécessitera de converger, mais je crois que notre avenir demeure européen. C’est aussi au niveau communautaire qu’il peut y avoir des négociations avec la Chine et les pays émergents pour stopper les pratiques de dumping. Ce sera difficile, mais la France seule ne serait pas capable d’y arriver.
Je suis pro-européen car l’Europe peut être un levier de notre réindustrialisation. Concentrons-nous sur la croissance verte, mettons en œuvre des projets européens, utilisons la force de la finance européenne s’appuyant sur l’union monétaire dont on peut fêter le 25ème anniversaire. Back to the race !
Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva
Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva
Choc s’inspire d’une véritable histoire. Celle de François Lefebvre, 28 ans lorsqu’il se suicide après une cavale aux quatre coins du monde ; il fut un talentueux latiniste doublé d’un fervent catholique avant d’être élève officier des commandos d’élite de la DGSE, puis mercenaire dans les zones grises post-guerre froide, et enfin mis en examen pour « homicide et cannibalisme. » Mais qui était réellement François Lefebvre ?
Du roman à l’enquête
Ce livre n’est pas seulement un roman. Plutôt une enquête nécessitant mille attentions. Le texte est saturé d’informations relatives à un monumental travail de recherches autour d’un homme dont on s’attend à ce qu’il soit un véritable psychopathe ; tant s’en faut, François Lefebvre est certes addict à la dopamine soldatesque, il n’en est pour autant pas le monstre que l’on imagine avant de découvrir sa vie qui – comme celle de tout un chacun – relève d’un point de bascule, c’est à dire d’un instant à partir duquel les choses seront différentes, sans possibilité de retour en arrière. Voilà précisément autour de quoi s’arcboute le travail de Dana Ziyasheva, lorsque la machine se met en branle pour changer notre destin à tout jamais.
Notre héros essayera de retrouver les chemins ordinaires. Sans succès. La réalité de la guerre… du combat… de l’attaque… couplée à l’inexorable montée de la violence, cette vérité-là prendra définitivement le pas sur toutes les autres, fascinante dans ce qu’elle offre de plus sombre. On pense aux soldats revenus du Vietnam ou d’Afghanistan et à leur empêchement d’oublier les nombreuses situations de guerre auxquelles ils furent confrontés. Ce qui s’est joué là-bas ne les a plus lâchés. Jamais. A commencer par les circonstances floues de certaines opérations, maintenues dans le secret des haut-commandements et de la politique.
La part des choses
Choc opère la jonction entre deux types de récits rarement accolés : d’une part, la fiction de guerre post-traumatique, dont la littérature et le cinéma américain nous abreuvent d’exemples ; de l’autre, le polar noir, guidé par quelques formes contemporaines de la fatalité que sont les déterminants inattendus, ce que l’on appelle « le facteur humain ». Ces éléments quasi mythologiques rapportent ici le paysage d’une masculinité en berne où les pères font défaut… où les frères s’égarent… et où les fils, tel François, errent seuls, essayant en vain de « faire famille » avec un entourage délétère. Reste alors la désillusion nourricière d’une des drogues les plus additives : l’adrénaline guerrière.
Après le point de bascule évoqué plus-avant, le second axe du livre révèle l’incapacité au retour dans la vie civile. Les hommes rentrés du front éprouvent souvent moult difficultés à reprendre pied dans leur « monde d’hier ». Les divorces se multiplient… Les abandons de famille… Le retour au travail est compliqué… Alors certains reprennent le chemin de la guerre : les uns leur place dans l’armée régulière, là où d’autres deviennent mercenaires. Dana Ziyasheva réussit à faire l’indispensable part des choses entre débauche et morale… entre dépravation et rachat spirituel… entre obscénité et décence… Une narration prenante, terrifiante, surtout lorsque l’on sait que les horreurs (d’)écrites sont bel et bien réelles.
Véritable choc !
L’engagement absolu de François Lefebvre fascine. La force du récit amène le lecteur à vouloir comprendre l’impardonnable ; manière d’appréhender l’indicible en meublant l’espace vide de ce qui d’ordinaire est effacé des discours officiels. Car les livres doivent aussi – et peut-être surtout – être la recherche d’un format d’expression de ce qui ne peut se formuler oralement : le travail de l’auteur est de lutter contre les obstacles à dire l’impossibilité du réel lorsqu’il n’est pas concevable. Raconter demande un effort à tout le moins honnête. Dana Ziyasheva participe à l’exercice de cette honnêteté.
Jérôme ENEZ-VRIAD
© Avril 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing
Choc, un livre de Dana Ziyasheva – 502 pages – 13,70€
Merci à Pascal Galinier – Article du Journal Le Monde sur le Journal initime d’Edith Piaf écrit par Marianne Vourch et lu par Josiane Balasko aux éditions Villanelle
L’écrivain Alexandre Arditti évoque par la fiction « L’assassinat de Mark Zuckerberg » prétexte pour parler du monde d’après
L’assassinat de Mark Zuckerberg, l’émergence d’un nouveau monde
Alexandre Arditti est un curieux personnage. Journaliste et éditeur de presse dans les loisirs et le voyage, il publie ces jours-ci son second roman, un polar moderne, qui récupère les méthodes du genre pour les subvertir et donné une critique sociale sans concession sur notre monde moderne ainsi que sur l’héritage des figures dont notre époque s’inspire largement. Rencontre.

NEW YORK, USA, 25. MAY 2020: Mark Zuckerberg silhouette, Facebook tittle on blue display in background.
Votre précédent roman, La conversation, parlait de la perte des illusions, du temps qui passe, de la transmission mais aussi du confinement durant la pandémie de 2020, et des dangers des nouvelles technologies. Celui-ci, L’assassinat de Mark Zuckerberg, commence par le meurtre de Mark Zuckerberg « d’une balle dans la tête ». C’est osé, non ?
Alexandre Arditti : En effet, je reconnais que le titre est pour le moins surprenant. Disons que cet assassinat fictif et très médiatique est le point de départ retentissant d’une histoire un peu folle autour de la société du tout-numérique et de ses dérives. L’émergence d’un nouveau monde qui vient nous interroger, parfois au risque d’ébranler nos certitudes. Sommes-nous aussi libres que nous le pensons ? Avons-nous encore la possibilité de nous opposer à cette évolution ? La course au progrès technologique doit-elle prendre le pas sur nos principes démocratiques ? Comment vivre dans ce monde ultra connecté et de plus en plus déshumanisé ? Mark Zuckerberg n’est ici qu’un symbole : ce n’est pas à proprement parler un personnage actif du roman.

Votre roman commence comme un roman policier : « La mort, c’est un peu mon métier. Je suis dans la police depuis l’âge de vingt-cinq ans […] ». Selon, la quatrième de couverture, c’est un thriller. Si, pourtant, les meurtres de personnalités se succèdent, ce sont donc les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et l’ex-président des États-Unis Donald Trump, Angela Merkel sans compter des attentats contre d’anciens dirigeants comme Nicolas Sarkozy, François Hollande, on en a presque une centaine. Votre roman, à double fond, est en réalité une critique sociologique de notre époque. Et vous ne semblez pas très optimiste. Est-ce que je me trompe ?
Pour traiter ce sujet, j’ai utilisé la forme d’un faux polar, en mettant aux prises un terroriste quelque peu idéaliste et parfois immature, avec un commissaire de la brigade criminelle en fin de carrière, désabusé et revenu de tout. Franck Travis, le terroriste (un clin d’œil au personnage de Travis Bickle dans le film Taxi Driver de Martin Scorsese), est membre d’une organisation baptisée « Table Rase » dont l’objectif est de s’opposer par tous les moyens au transhumanisme, et à la mise en coupe réglée de nos libertés individuelles au profit d’une société post-numérique où le progrès technologique imposerait un contrôle de plus en plus resserré de nos existences.
Cette organisation terroriste implantée dans plusieurs pays occidentaux a décidé de faire parler d’elle en s’en prenant à des personnalités iconiques du monde des affaires et de la politique. Il s’agit d’un huis clos un peu étouffant – où l’atmosphère peut rappeler le film Garde à vue de Claude Miller -, durant lequel les deux personnages échangent leurs différents points de vue et leurs arguments dans le cadre d’un interrogatoire de police qui durera toute une nuit. La forme et le fond de l’intrigue amènent forcément à noircir un peu le trait, mais les personnages évoquent aussi à tour de rôle leurs raisons d’espérer dans l’homme et notre modèle de société, si imparfait soit-il. Dans cette histoire, tout n’est pas tout noir ou tout blanc, on évolue plutôt entre différentes nuances de gris : comme dans la vie !
Vous abordez également le contrôle de la pensée d’une population, le flot continu d’informations soit publicitaires et indigentes, le capitalisme sauvage. Vous abordez des thèmes très actuels, et qui présentent les dangers de demain, notamment avec l’endoctrinement par le réseau, la polarisation des opinions, et notamment cette société de plus en plus matérialiste. Quelles sont les vrais enjeux de notre société que vous mettez en lumière ? Quels problèmes y voyez-vous ?
Je ne suis certainement pas anticapitaliste mais je crois que nous sommes tous amenés à nous poser ces questions. Nous sommes aujourd’hui continuellement soumis à une pression médiatique et publicitaire dont les réseaux sociaux sont la forme la plus déstabilisante. Car il faut bien nous l’avouer, même si l’on peut être critique avec cette nouvelle forme d’expression et de communication, nous en sommes aussi les parties prenantes. Ces questions ne concernent pas uniquement les jeunes générations. Nous sommes tous de près ou de loin – et de gré ou de force -, des utilisateurs de technologies numériques. Nous pouvons à la fois être dans le système et en dehors.
Quant aux réseaux sociaux, c’est l’idée que développe Travis dans le livre en les assimilant à un nouveau Big Brother, qui nous surveillerait certes, mais qui serait avant tout un businessman ! Car ne nous trompons pas : les grandes multinationales du numérique et autres Gafam sont avant tout là pour faire de l’argent. Finalement, c’est un simple business, même s’il touche de fait à l’organisation de nos sociétés et à nos vies intimes. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une réalité.
Vous abordez aussi les questions du transhumanisme et du wokisme. Votre enquête policière n’est pas qu’une simple enquête comme on les connait généralement, c’est aussi un questionnement de l’idéologie moderne, qui veut en finir avec l’ancien monde, et balayer tout ce que l’on a connu, et qui se dérobe aux nouvelles morales de la censure. On nous oblige à tous penser la même chose, et si l’on refuse, on est accusé de délit d’opinion. Quelle est donc la vraie question à terme ?
À l’origine de ce roman, je me suis un jour posé une question simple : « Que se passerait-il si une partie, même minoritaire, de la population se mettait soudainement à refuser cette société du tout-numérique ? À contester ce nouveau monde où la surveillance généralisée deviendrait la norme, et par extension où la liberté d’expression, les opinions divergentes, et toute complexité dans le débat public auraient disparu.
Une société dans laquelle on réécrirait les livres lorsqu’ils ne conviendraient plus à l’idéologie de l’époque, mais aussi où les individus seraient traités différemment selon leur couleur, leur religion ou leur sexualité. Même si cela part d’une bonne intention, c’est l’exact opposé des valeurs humanistes et universalistes qui ont fondé nos démocraties depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le fait qu’il existe actuellement un tel antagonisme dans les positions des uns et des autres dans le débat public, que ce soit en France ou dans le monde entier, était un point de départ idéal pour imaginer un roman !
Peut-on dire que Facebook et Instagram ne sont pas en odeur de sainteté dans votre esprit ? Mais avez-vous des profils sur ces deux réseaux sociaux. Et pourquoi ?
L’une des citations en ouverture du livre que j’ai empruntée à Jean d’Ormesson est celle-ci : « Méfiez-vous de l’évidence, elle passe son temps à changer ». Je ne suis pas du tout un adversaire des réseaux sociaux que j’utilise largement, même si c’est uniquement dans un cadre professionnel. Mais il n’est pas inutile de les questionner, voire de les critiquer.
Cette histoire est une fiction, une parabole, presque une dystopie. Nous faisons tous partie de ce nouveau monde. Comme tout être humain, je suis pétri de contradictions. A travers ce roman, mon intention n’est pas de donner des réponses, mais simplement de poser des questions.
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Auteur de Galaxie Houellebecq (et autres étoiles). Éloge de l’exercice littéraire, Éditions Ovadia, 2024 et co-auteur de L’humain au centre du monde. Pour un humanisme des temps présents et à venir, Les éditions du Cerf, 2024.