https://www.lesechos.fr/2014/10/la-folie-des-chasses-au-tresor-1104397
J’ avais organisé des chasses au trésor pour mes enfants et ils avaient été vraiment enthousiastes. Je me suis dit que c’était une bonne idée d’essayer de recréer cela parmi nos collaborateurs », explique Maud de la Moissonnière, chargée de communication interne chez LexisNexis, éditeur et fournisseur d’informations juridiques. Il s’agissait aussi d’une manière d’innover dans la présentation annuelle des produits aux salariés. Tout un après-midi, près de 300 collaborateurs du groupe ont eu à résoudre plusieurs énigmes dans le quartier des Tuileries, à Paris. Pour y parvenir, ils devaient se servir de produits vendus par le groupe. « Il y avait plusieurs équipes et nous avons mélangé des salariés de services qui se croisent peu et cela a créé une véritable solidarité participative entre eux », confie Maud de la Moissonnière.
Cette chasse au trésor personnalisée a été mise sur pied par Ma Langue au Chat. Cette société organise régulièrement ce type d’événements pour des grands groupes tels que BNP Paribas ou EDF, qui en sont friands pour des opérations de « team building ». « Nous avons un réseau d’auteurs qui travaillent sur l’écriture des énigmes. Nous faisons aussi jouer des comédiens professionnels qui interviennent dans l’intrigue, donnent des indices aux joueurs et créent des quiproquos », décrypte la dirigeante Isabelle Ruelland. Ma Langue au Chat compte aussi des collectivités locales dans son portefeuille de clientèle, dont la Mairie de Paris, pour qui elle organise, tous les ans depuis 2005, une chasse au trésor réunissant près de 30.000 participants. Résultat, pour un événement de grande envergue ou concocté sur mesure, la fourchette de prix est comprise entre 12.000 euros et 30.000 euros. Des montants qui ont fini par susciter des vocations. « Le secteur est indéniablement en croissance. Cela a longtemps été un marché de niche, mais aujourd’hui on compte une dizaine d’entreprises semblables à la nôtre en France », note Isabelle Ruelland.
Positionnée sur le créneau des particuliers, la société Qui Veut Pister Paris ? organise, tous les week-ends, quatre chasses au trésor dans les ruelles parisiennes. Munies de jumelles, boussole et même d’une lampe UV pour trouver les indices à l’encre noire, plusieurs dizaines de personnes s’esquintent les méninges pour résoudre casse-tête sur casse-tête. Le fondateur, Guillaume Nanjoud, écrit lui-même toutes les intrigues. Le but ? Résoudre une enquête grâce à des indices disséminés dans la ville – flèches sous des bancs publics, énigmes écrites sur un bout de papier -, et découvrir au passage certains quartiers et leur histoire.
Les prix tournent autour de 10 euros par personne et cette entreprise a rapidement séduit touristes et Parisiens. « Essentiellement des jeunes entre 18 et 35 ans qui veulent découvrir leur ville », précise Guillaume Nanjoud. « Qui Veut Pister Paris ? va franchir la barre des 600 chasses au trésor organisées sur l’année 2014 », avance Guillaume Nanjoud, qui assure qu’après 200.000 euros de chiffre d’affaires en 2013, les revenus de son entreprise vont avoisiner les 400.000 euros cette année. Installé également à Bordeaux, Strasbourg et Lille, il prévoit de se déployer prochainement à Toulouse et Nantes. Ce phénomène de la chasse au trésor gagne peu à peu l’ensemble du territoire. « De nombreuses villes organisent elles-mêmes leur propre chasse au trésor ou leur jeu de pistes pour faire découvrir leur patrimoine aux touristes et visiteurs de manière ludique », explique Jacques Bandet, qui tient le site spécialisé www.chasses-au-tresor.com.
Un outil marketing
Les entreprises ne sont pas en reste et sont de plus en plus nombreuses à franchir le pas dans une optique de marketing. Cet été, afin de faire la promotion de nouveaux pneus, Michelin avait organisé une chasse au trésor numérique (des énigmes sont publiées en ligne et permettent, in fine, de retrouver un objet caché) avec le gain d’un roadster pour le vainqueur.
Même initiative du côté d’Asmodee en février dernier. Pour les vingt ans de Jungle Speed, son jeu de société phare, le groupe a lancé une chasse qui a duré près de cinq mois, et a permis au gagnant d’empocher 20.000 euros. « Pour un budget de 30.000 euros, nous avons eu près de 10.000 participants et 20.000 visiteurs uniques mensuels sur le site dédié », souligne le directeur marketing du groupe, Nicolas Benoist, pour qui le coup promotionnel est réussi.
Cette chasse a été écrite par l’auteur français de référence en la matière : Sam Dalmas. Son fait d’arme ? « Les 12 énigmes de Dalmas », un livre publié en 2009, qui s’est écoulé à plus de 70.000 exemplaires. Cette chasse a pris fin en juin 2013, quand le lauréat a retrouvé le trésor – enterré quatre ans et demi plus tôt par ses soins, en pleine nuit, dans une forêt de l’Eure -, empochant au passage un chèque de 150.000 euros. Un montant qui oblige à une certaine prudence : Sam Dalmas est un pseudonyme, car il craint les menaces et pressions qui le forceraient à révéler des indices ou même la cache. Pour ces raisons, aucun de ses proches n’est informé de cette activité, qu’il exerce pendant son temps libre.
Mais quel est le modèle économique pour ce type de chasses au trésor ? Un organisme partenaire, en l’occurrence Malakoff Médéric, met au pot pour la doter d’un prix à même d’intéresser le plus grand nombre. Un éditeur s’occupe de la publication du livre et l’auteur est rémunéré en fonction des ventes, comme un écrivain classique. Mais le succès des « 12 énigmes de Dalmas » n’était pas acquis d’avance… Son auteur a même lutté près de dix ans avant de convaincre des partenaires. A la fin des années 1990, il fait le tour des maisons d’éditions, qui ne donnent jamais suite, avant que Marabout ne le recontacte finalement en 2007 pour compléter sa nouvelle collection « Enigme ». « Elles étaient toutes emballées. Le problème est que, pour des raisons légales, je ne peux communiquer les solutions de ma chasse au trésor à personne. Il était donc difficile de convaincre une entreprise d’investir autant d’argent dans ces conditions », raconte Sam Dalmas… au téléphone.
Soupçons de fraudes
Il faut dire que l’affaire de « La Chouette d’or » ne lui a pas vraiment facilité la tâche. Ecrite par feu Régis Hauser – Max Valentin de son pseudonyme – cette chasse entamée en 1993 avait très vite popularisé le genre, avant de jeter sur lui un voile de suspicion. « C’était la première chasse d’ampleur organisée en France, dotée d’un trésor estimé à un million de francs [près de 150.000 euros, NDLR]. Il n’y avait pas de précédent et cela a suffi à en faire un modèle fondateur », témoigne Patrick Schmoll, socio-ethnographe et auteur du livre « Chasseurs de trésors » (1), qui décrypte le phénomène. Mais alors qu’il était censé être découvert au bout de quatorze mois maximum, personne ne retrouve trace du trésor. De quoi faire naître des soupçons de fraudes, fuites, tricheries – qui n’ont jamais été étayés. Vingt et un ans après, la chasse est toujours ouverte et le trésor attend d’être déterré dans un coin de l’Hexagone.
En dépit de cet épisode, ce type de chasses au trésor a aussi le vent en poupe. Lancée début 2010 aux Etats-Unis, « Quest for The Golden Eagle », accompagnée d’un livre d’énigmes, propose un prix de 1 million de dollars. Autre illustration de cet engouement, la parution récente du premier tome de la trilogie « Endgame », aux éditions Gallimard. Ces romans cachent une énigme et chacun des trois livres sera parsemé d’indices et de codes qui permettront de la résoudre. Le gagnant repartira avec 500.000 dollars en pièces d’or. Une particularité qui ne doit rien au hasard. « C’est un choix de l’auteur. Cela fait rêver, renvoie à l’enfance, rien ne symbolisait mieux la notion de trésor », décode Hedwige Pasquet, présidente des éditions Gallimard jeunesse.
Car de quoi cette folie pour les chasses au trésor relève-telle ? « Cela participe d’un mouvement plus général du ludique à tous les aspects de la vie sociale. Les gens veulent que la vie soit « fun ». Plus profondément, cela répond à un besoin de réenchanter un monde devenu, pour beaucoup, trop rationnel, trop gestionnaire et vide de sens » , analyse Patrick Schmoll.
D’ailleurs, l’argent n’est pas le seul eldorado des chasseurs. Depuis quelques années, une nouvelle variante est en plein essor : le « géocaching », pratique née au début des années 2000 avec la vulgarisation du système GPS, tombé alors dans le domaine public. Le principe est simple : en s’aidant de données de localisation transmises par des tiers sur des sites de « géocaching », il faut retrouver une cache – généralement une boîte étanche contenant des babioles ou un registre de visites. Une fois celle-ci dénichée, on peut notamment inscrire son nom sur le registre ou remplacer la breloque par une autre, puis il faut remettre la boîte à sa place. En France, plus de 100.000 cachettes dites actives sont recensées, pour plusieurs dizaines de milliers de pratiquants réguliers. Dans le monde, on dénombre, en tout, près de 2,5 millions de « géocaches » pour plus de 6 millions de « geocachers ». Longtemps réservée aux initiés, la pratique est en train de se répandre à vitesse grand V, bien aidée par la généralisation des smartphones, équipés de systèmes de géolocalisation, et par la floraison d’applications dédiées au « géocaching ».
Les réseaux sociaux ne sont pas épargnés non plus par la fièvre de la chasse au trésor. Pour la promotion de son dernier album, Coldplay en a aussi organisé une, via Twitter, en février dernier. Après avoir caché des paroles de leurs nouvelles chansons dans les bibliothèques de neuf pays différents, le groupe a « tweeté » des énigmes permettant de les retrouver. Même si cette fois encore, la quête ne menait à rien de sonnant et trébuchant, l’opération a quand même fait du « buzz » et leurs textes ont vite été débusqués. Après tout, peu importe le trésor, chacun sait que ce qui compte, c’est l’ivresse de la quête.