Dans la Russie hantée par le fantôme de Grossman
Un amour aveugle et muet – Une passion française et russe (*), de Jean Winiger est l’histoire d’ une errance amoureuse et littéraire dans une Russie dirigée par le « Vieux-Blond » , surnom donné par l’héroïne du livre à Poutine. Un roman traversé par le fantôme de Vassili Grossman.
Quand un homme de théâtre Pierre débarque à Saint-Pétersbourg jouer une pièce inspirée de l’œuvre de Vassili Grossman pour faire passer son message humaniste, il a pour guide Assia, une autre amoureuse de cet auteur longtemps banni. C’est le début d’un voyage à deux dans une Russie dominée par celui que la jeune femme surnomme – au grand dam de Markov, ce mari dont elle s’est séparée et qui monté en grande dans la communication sous Poutine – « le Vieux-Blond », que ce roman nous invite alors.
De fait, Grossman fut longtemps en Russie un de ces auteurs maudits et censurés. Journaliste de guerre sous Staline, passé ensuite à la littérature, Grossman a signé une œuvre marquée par une réflexion sur le pouvoir, la foi, l’identité russe. Juif, il se refuse à sacrifier au credo nationaliste cher au Kremlin et le KGB interdit ses livres à la fin de sa vie en allant même jusqu’à confisquer son manuscrit, avec un détail que rappelle Jean Winiger : ils récupèrent tout, « y compris les rubans de sa machine à écrire » !
Il faudra le courage d’un Andreï Sakharov pour que Vie et destin, son œuvre majeure, soit passée en microfilm en Occident et éditée à l’Ouest. Il faudra attendre ensuite la Perestroïka de Gorbatchev, pour que ce gros livre ne soit enfin autorité en Russie… Or les récits de la bataille de Stalingrad, d’un réalisme effroyable, fascinent d’autant plus Pierre et Assia qu’elle est la petite-fille d’un général qui fut héros de Stalingrad quand Pierre eut, lui, une grand-mère qui résista dans les Glières.