Souvenirs de la soirée de la fondatrice du site Saisons de culture Mylène Vignon « Florilège » qui a eu lieu au Café de Flore jeudi 25 septembre 2025 avec BALUSTRADE à l’honneur.

Souvenirs de la soirée de la fondatrice du site Saisons de culture Mylène Vignon « Florilège » qui a eu lieu au Café de Flore jeudi 25 septembre 2025 avec BALUSTRADE à l’honneur.

Etaient présents et ont pu présenter leurs livres : Alain Schmoll, Marianne Vourch, Frédéric Vissense, Christian Brûlard, Laurent Benarrous, Patrick Houlier et Nicolas Gorodetzky

 

L’article de Margaux Catalayoud sur Nathalie de Baudry d’Asson dans Zone critique en entier

L’article de Margaux Catalayoud dans Zone critique en entier
ici l’intégralité de l’article pour vous : 

Avec Miniatures et pointes sèches, publié aux éditions La Trace, Nathalie de Baudry d’Asson signe une entrée en littérature qui a la force de l’évidence. C’est un cri du cœur.Connue pour son parcours dans le monde de l’édition – elle a dirigé plusieurs grandes maisons et fondé Le Lien Public – elle se place cette fois du côté de l’écriture. Le résultat n’a rien d’un exercice de style ou d’un passe-temps d’initiée : c’est un véritable livre d’écrivain, au souffle singulier, qui s’impose d’emblée par la densité et la précision de sa prose.

Diversité des vies

Ce recueil se présente comme une série de récits courts, fragments narratifs à la première ou troisième personne, lettre,dialogue, etc., chacun centré sur un destin féminin. L’autrice choisit la forme brève pour dire l’essentiel : une vie entière peut tenir dans quelques paragraphes, une douleur ou une joie se condenser en une image. Cette économie de moyens n’appauvrit pas le propos ; au contraire, elle donne à chaque portrait une intensité saisissante. Les femmes que l’on rencontre au fil des pages viennent d’horizons divers : certaines sont entrées dans l’Histoire, comme Noor, résistante arrêtée puis exécutée par les nazis, d’autres appartiennent à la foule des anonymes, comme Louise, une femme transgenreou même à une femme quittée ou une autre encore qui admire une cantatrice. Chacune devient pourtant une figure de vérité et d’humanité. La diversité des vies évoquées compose une mosaïque qui met en valeur la pluralité de la condition féminine : héroïnes tragiques, mères courage, artistes inspirées ou simples fausses amatrices d’art contemporain, toutes sont convoquées dans une fresque qui échappe à toute hiérarchie. Ce chœur de voix rappelle que l’expérience féminine ne se réduit pas à une seule figure mais s’épanouit dans une multitude de formes.

Un féminisme poétique

En effet, cette pluralité évoquée conduit tout à chacun à parler des femmes et non de la femme… Plutôt qu’un manifeste ou un traité, Nathalie de Baudry d’Asson propose une écriture poétique, tendue, ciselée comme une pointe sèche. Le féminisme qui traverse ces pages n’est pas frontal, il ne s’impose pas par slogans, mais par la prosodie du langage. Le lecteur n’est pas sommé d’adhérer : il est enjoint à se laisser aller à la petite musique de l’autrice. Une phrase brève, une image juste suffisent à suggérer l’injustice subie ou l’aplombmanifesté. Cette discrétion confère aux textes une puissance paradoxale : en laissant une part d’implicite, ils obligent le lecteur à entrer dans l’espace laissé vacant, à se confronter lui-même aux vies dont le pouvoir évocateur résonnent chez l’Autre. C’est une forme de féminisme littéraire, qui ne cherche pas à démontrer mais à émouvoir, et qui par-là atteint une portée universelle. Dans cette sobriété se cache une exigence esthétique : chaque mot est choisi avec soin, chaque phrase s’impose par sa justesse, comme si l’écriture elle-même devenait un acte de résistance.

Un écrivain sensible aux à-coups du monde

Ce livre ne se contente pas d’aligner des portraits féminins ; il révèle une manière singulière d’habiter le monde. Derrière la sobriété apparente, on sent une profonde sensibilité aux secousses de l’histoire et aux fracas du quotidien. Les existences racontées ne sont pas isolées dans une bulle : elles résonnent avec les grandes tragédies du XXᵉ siècle, avec les injustices sociales, avec les tensions de notre époque. La plume de Nathalie de Baudry d’Asson, fine et attentive, se fait réceptacle des à-coups du monde. C’est peut-être là que se loge l’originalité de ce premier livre : dans la capacité à conjuguer la miniature et l’universel, à transformer une destinée particulière en miroir d’une expérience collective. On y retrouve l’œil exercé de l’éditrice, formée à reconnaître ce qui compte dans un texte, mais aussi la voix intime d’une femme qui observe et ressent avec acuité la beauté comme la violence du réel. À travers ces miniatures, l’autrice construit une œuvre à la fois discrète et essentielle. Elle ne cherche pas le spectaculaire, elle refuse l’emphase, mais elle atteint par la rigueur de son style et l’acuité de son regard une intensité rare. On sort de la lecture avec le sentiment d’avoir approché, par fragments, une vérité sur la condition féminine : vérité multiple, fragmentée, mais profondément incarnée. C’est là toute la réussite de ce livre : en choisissant l’humilité de la forme brève, il parvient à dire ce que de longs récits peinent parfois à transmettre.

En définitive, Miniatures et pointes sèches s’impose comme une œuvre de mémoire et de transmission, mais aussi comme une promesse littéraire. Le regard que Nathalie de Baudry d’Asson porte sur ces femmes n’est jamais figé : il est tendu vers le lecteur, qui devient à son tour dépositaire de ces fragments d’existence.

Le Contemporain met en Une le livre de Nathalie de Baudry d’Asson

« Miniatures & Pointes sèches », la gravure vive du courage féminin

■ Nathalie de Baudry d’Asson.
 

Par Yves-Alexandre Julien – Critique littéraire.

Avec son premier livre, Miniatures & Pointes sèches, Nathalie de Baudry d’Asson signe un hommage rare aux femmes réelles, souvent invisibles, toujours émouvantes. Entre parcelles de mémoire et lignes incisées comme au burin, elle compose une fresque intime de destins féminins. Ni manifeste, ni discours, mais une écriture tendue, ciselée, qui éclaire sans juger. Préfacé par Marc Lambron de l’Académie française, ce recueil s’impose dès sa parution aux éditions La Trace comme un événement de la rentrée littéraire 2025.

Un art de la miniature et de la gravure

Le titre dit déjà beaucoup : « miniatures » et « pointes sèches ». Miniatures, comme ces portraits délicats où un visage se concentre en quelques traits. Pointes sèches, comme l’outil de gravure qui incise le métal pour toujours. La métaphore est transparente : Nathalie de Baudry d’Asson dresse des portraits courts, mais définitifs. Quelques lignes parfois suffisent à faire surgir une vie entière.

Ces textes sont des éclats d’existence, « des fragments de conscience, des éclairs d’humanité », qui trouvent leur force dans la concision. Montaigne l’avait pressenti : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Ici, chaque femme incarne à sa manière ce tout universel.

Comme en peinture ou en gravure, l’art réside dans l’essentiel, non dans le détail accumulé. Baudelaire l’écrivait dans son Salon de 1846 : « Le dessin de l’artiste doit être une ligne juste et définitive. » Nathalie de Baudry d’Asson adopte cette même justesse, refusant le bavardage narratif pour tracer au contraire des lignes qui demeurent.

Des femmes qui affrontent, sans poser

La galerie de portraits proposée n’a rien d’héroïque au sens rhétorique. Ce sont des femmes qui affrontent, parfois malgré elles. Noor, princesse soufie et résistante, parachutée en France pendant la guerre, meurt sous les coups sans avoir trahi. Jeanne, silencieuse, découvre que son enfant grandira sans père. Une autre femme, chaque soir, s’allonge devant la porte close de l’homme qu’elle aime.

Ces récits condensent la fragilité et la puissance, l’élan et l’abandon. Ils rappellent ce que Simone de Beauvoir affirmait dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme, on le devient. » Ces femmes ne sont pas héroïques par choix, mais par nécessité. Elles deviennent elles-mêmes dans la douleur, dans l’obstination, dans le refus de céder.

Marguerite Yourcenar, dans ses Mémoires d’Hadrien, donnait cette leçon : « Chaque vie est une tentative d’arrachement. » Les femmes de Nathalie de Baudry d’Asson ne posent pas, elles s’arrachent à la fatalité. C’est là que réside leur grandeur, dans ce combat muet contre l’effacement.

Une écriture de l’attention

Le recueil n’est pas un pamphlet féministe. Il ne cherche pas à démontrer, mais à faire entendre. « Nathalie de Baudry d’Asson ne juge pas, elle éclaire », souligne Marc Lambron. Son écriture, tendue mais ouverte, laisse place au silence, à l’implicite, à ce qui échappe au langage.

À rebours de l’autofiction nombriliste, l’autrice choisit le geste de l’hommage. Elle recueille, elle transmet. Ce choix la rapproche de Virginia Woolf, qui écrivait dans Une chambre à soi : « Pour la plupart des histoires de femmes, nous devons imaginer ce qui n’est pas écrit. » Ici, précisément, Nathalie de Baudry d’Asson imagine en donnant voix à celles qui n’ont pas laissé de traces.

L’attention qu’elle porte au moindre détail rejoint la démarche d’Annie Ernaux, lorsqu’elle revendique dans Les Années de « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ». Ces portraits gravés sont une sauvegarde, une mémoire offerte.

Un féminisme tempéré et universel

Le livre refuse le piège de l’opposition binaire. « Pas tant la haine des hommes », insiste-t-on. Ce féminisme-là n’exclut pas, il élève l’humanité tout entière. Les femmes racontées n’incarnent pas une revanche, mais une liberté. Leur courage est une invitation adressée aussi aux hommes : entendre, vraiment.

George Sand, que Baudry d’Asson semble rejoindre, écrivait : « L’homme et la femme ne sont pas deux espèces ennemies. » Cette vision d’un féminisme inclusif, vigilant mais non vindicatif, nourrit le recueil. C’est un féminisme de la mémoire et de la transmission, qui se méfie autant de l’oubli que de l’idéologie.

Camus, dans L’Homme révolté, rappelait que la vraie révolte est celle qui refuse l’injustice tout en cherchant la mesure. C’est bien de cela qu’il s’agit ici : une révolte douce, mais ferme, qui refuse d’effacer les femmes sans pour autant condamner les hommes.

Une trajectoire au carrefour des mondes

L’autrice n’émerge pas dans le vide. Issue d’une famille de littéraires et d’artistes, elle a dirigé la Revue des Deux Mondes, ainsi que plusieurs grandes maisons d’édition. Elle a fondé Le Lien Public, espace de dialogue entre politiques, universitaires et entrepreneurs. Son parcours intellectuel, éditorial et politique l’a placée au cœur des débats contemporains.

Ce premier livre n’est donc pas une rupture, mais un prolongement intime. Il est nourri de ce qu’elle a vu, entendu, traversé. À travers lui, elle « tire le signal d’alarme, rend hommage, encourage, relie ».

Dans sa préface, Marc Lambron parle d’une « capacité projective remarquable ». Cette formule dit tout : Nathalie de Baudry d’Asson sait non seulement raconter, mais épouser l’expérience des autres, en faire sentir le poids, la respiration, la vibration.

Une œuvre discrète mais essentielle

La rentrée littéraire 2025 verra paraître des centaines de romans. Beaucoup hausseront la voix. Miniatures & Pointes sèches choisit l’inverse : la discrétion, la densité, la nuance. Dans un monde saturé de bruits et d’opinions, ce recueil propose une autre voie : écouter, se souvenir, accueillir.

Paul Valéry écrivait : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable. » L’équilibre rare de ce livre tient à ce paradoxe : dire l’essentiel en peu de mots, sans tomber dans la simplification. En cela, l’ouvrage se distingue comme une œuvre de résistance au bavardage contemporain.

La flamme des guerrières inconnues

Certains lecteurs voient dans Miniatures et Pointes sèches une entreprise comparable à l’hommage rendu au Soldat inconnu : « Nathalie de Baudry d’Asson a allumé la flamme des guerrières inconnues. » L’image souligne que ce recueil rend hommage aux femmes ordinaires, souvent effacées de l’Histoire, mais dont les vies disent l’essentiel.

« C’est une écriture sans fioriture, concentrée, parfois elliptique », observe-t-on encore. Cette sobriété rejoint ce que Roland Barthes appelait une « écriture blanche », où le silence fait partie du sens. Le livre apparaît alors comme un « hymne à la liberté », un geste de gratitude qui met à nu la « substantifique moelle » de l’éternel féminin

Dans un contexte où la question des droits des femmes demeure brûlante, ce regard insiste sur un féminisme « vigilant mais tempéré », entre mémoire des aînées et transmission aux jeunes générations. Comme l’écrivait Amélie Nothomb dans Biographie de la faim : « La liberté, c’est de pouvoir choisir celui qui vous asservira. » Les héroïnes de Nathalie de Baudry d’Asson, elles, transforment cet asservissement en résistance, parfois en création, toujours en affirmation de soi.

Des étincelles de liberté

À la fin, il ne reste pas des slogans, mais des vies. Ces femmes, qu’elles aient choisi ou subi leur destin, tracent toutes une réponse singulière à l’imprévisible. Entre rires et larmes, elles invitent chacun, chacune, à « vivre au vrai, à plein », comme l’écrit l’autrice.

Ainsi Miniatures & Pointes sèches se lit comme une mosaïque fragile et tenace. Une gravure fine, incisée dans la mémoire. Un hommage qui n’appartient pas seulement aux femmes, mais à l’humanité tout entière.

La Revue des Deux Mondes congratule Nathalie de Baudry d’Asson pour son premier livre « Miniatures et Pointes sèches »

La revue des Deux Mondes se septembre 2025

N’y aurait-il pas un brin de malice dans le choix de Nathalie de Baudry d’Asson du titre « Miniatures et Pointes sèches » ? A première vue, on y décèle une manière singulière de présenter au lecteur son premier livre, fait de récits à l’inspiration féminine affichée, pour celle qui dirigea la Revue des Deux Mondes puis les maisons d’édition universitaires et professionnelles de Vivendi Universal Publishing, Editis et Hachette Livre. Dans un genre qui n’admet pas la disgression, ses miniatures sont de brefs portraits tirés de la vie, sinon des récits sur les hasards et les circonstances qui féçonnent le destin, et sur la capacité qu’ont les femmes de s’y acclimater. Il semble évident que leur auteure a pris un grand plaisir à raconter comme elle l’annonce dès la première page, toutes ces « histoires du courage, de la folie et de l’amour des femmes », qui sont « toutes vraies ! ». Mais aussi à y entremêler l’autobiographique. Pourtant, l’essentiel n’est pas là. Il est dans les éclats de sensualité qui traversent une écriture classique, faussement sage. Il est dans la finesse d’observation et dans l’humour tendre ou corrosif qui surgit, l’air de rien, au tournant d’une phrase, au détour d’une page, ou qui s’enchaîne d’une histoire à l’autre, nous faisant aller de surprise en surprise. Il est enfin dans l’envie qui fait naître ce livre, joliment préfacé par Marc Lambron, de lire les prochains. Eryck de Rubercy

1266 pages, 20 €

 

Saisons de Culture a adoré le premier roman de Frédéric Vissense « Bioutifoul Kompany »

Bioutiful Kompany, la satire de Frédéric Vissense

Par Rodolphe Ragu

Dans son roman intitulé « Bioutiful Kompany », Frédéric Vissense raconte avec un humour féroce les tribulations de la Compagnie universelle d’innovation pour dénoncer les stratégies absurdes et le management cruel des grandes organisations. Grâce à la littérature, des millions d’individus sont ainsi vengés.

La couverture a été très bien pensée par l’éditeur du livre. La Trump Tower à New York, un gratte-ciel au fade style moderne avec sa façade en verre et en aluminium recouvert d’une teinte cuivrée, qui l’assombrit fortement. Vu en contre-plongée, l’édifice provoque un sentiment d’oppression, d’écrasement. Il est le siège d’une « Bioutiful Kompany », en l’occurrence la Compagnie universelle d’innovation dans laquelle travaillent les personnages du roman : la « Bioutiful Kompany » est en fait un monde en soi et totalisant – de la vie des personnages en dehors du bureau, (si jamais ils ont en une), on ne saura jamais rien – et elle en devient une allégorie de l’Entreprise. Et, à ce titre, les personnages sont des personnages types, souvent sans prénom (ou alors seulement avec un diminutif un peu ridicule, comme Fifi ou comme Manu, qui demande d’ailleurs qu’on l’appelle Man…), ou bien réduits à leur fonction (le Machiniste, le Philosophe, le Directeur Général…), avec emploi obligé de la majuscule. Et comme dans le célèbre gratte-ciel new-yorkais, un homme règne en maître, assimilé au type du monarque, ici John III.

Humour à tous les étages

On peut autant parler de fresque ou de (sinistre) épopée que de roman, puisque c’est une aventure collective que raconte le livre de Frédéric Vissense. La Compagnie universelle d’innovation connaît des hauts et des bas. Elle a d’abord opté pour un management issu de la philosophie zen, incarnée par le galet des jardins japonais. Qu’est-ce qu’un galet ? Un caillou dur, lisse et léger, trois caractéristiques qui sont aussi dans l’esprit de John III et de son éminence grise, le Philosophe, les trois qualités de l’employé idéal. L’atmosphère dans les bureaux de la Compagnie se « nipponise » et, comme dans une maison traditionnelle de l’archipel japonais, on élève des murs en papier, laquelle matière « présente l’avantage de mieux laisser passer la lumière et de rendre l’observation des gestes aux alentours possible à tout instant. » Cette nouvelle stratégie ne va pas donner de très bons résultats. La sentence est impitoyable : « Vos employés crissent comme des graviers quand ils devraient crisser comme des galets. »

Ni ressources, ni humanité

Bioutiful Kompany est une satire réussie. Doté d’un très bon style, où l’on reconnaît un habitué des bons livres et un véritable amoureux de la littérature, Frédéric Vissense dresse un portrait à charge du monde de l’entreprise. Il manie habilement le paradoxe pour critiquer l’obsession de la productivité : « Grâce à cette méthode infaillible [celle des galets], nous fabriquerons dès demain autant de qualité que de quantité, et plus encore. » Il recourt aux possibilités plaisantes de la rhétorique et des figures de styles, comme le zeugme, lorsqu’il est question d’« un jeune manager versé dans les théories iconoclastes, revenu d’un voyage en Extrême-Orient, et ayant croisé le Doktor dans des séminaires de cohésion managériale et de joie de vivre ». Il faut dire aussi que, dans la réalité, nos chers managers tendent la verge pour se faire battre tant ils savent se montrer cyniques. Il suffit de les laisser parler et certaines phrases de Bioutiful Kompany sonnent tellement vrai que l’on jurerait qu’elles ont été proférées dans une de ces salles aux murs tout blancs et aux ampoules blafardes, que les salariés du tertiaire connaissent bien ; on pense aux conseils donnés à John III par l’Assistante Adjointe: « Si, en plus, vous devez ramener le cigare et la Ferrari, des années de dialogue social et de sourires forcés seront anéanties : le jeu n’en vaut pas la chandelle : des milliers de rictus maladroits, de poignées de main moites, et pour quoi ? » Un humour grinçant et une ironie désinvolte traversent le livre. Les titres de certains chapitres sont éloquents : « C’est alors que le temps passa », « Le cerveau masculin archaïque franchit la ligne rouge » ou « Notre respect avéré du dress code et des codes en général ». Et est souvent moquée, en rappel du titre, l’affreux globish des product owners et autres marketers. D’autres chapitres sont des morceaux de bravoure : celui qui est intitulé « Le nitrocarbohydrométadone » est drôle de bout en bout et il est aussi l’un des tournants du récit, puisque c’est à ce moment-là que le Herr Docktor Stürmer présente sa toute nouvelle invention, qui fait clairement basculer le roman dans la dystopie.

Comme dans un épisode de Black Mirror, pilules miracles ou implants du dernier cri forment le décor quotidien des employés de la Compagnie universelle d’innovation. Si ces avancées technologiques sont prometteuses par certains aspects, elles induisent aussi des conséquences potentiellement catastrophiques. Reste la Communication pour sauver ce qui peut l’être et faire la part du feu, car « la communication, c’était toujours ce qu’il fallait faire quand on n’avait pas d’idée précise de ce qu’il fallait faire ». En refermant Bioutiful Kompany, on se met à rêver d’un débat entre Frédéric Vissense et la philosophe Julia de Funès, auteure de plusieurs essais sur la vie en entreprise et très critique d’un certain type de management.

Frédéric Vissense

Bioutiful Kompany

La Route de la soie Éditions, 490 pages