« La marraine amoureuse » de Benoit Marbot reçoit les éloges de la théâtrothèque

La théâtrothèque

Au Studio Hébertot, Benoît Marbot signe une romance poignante dans un Paris dévasté par la Grande Guerre. Une femme et un jeune soldat, unis par une correspondance née de l’absence et des tranchées, vivent une valse entre amour, fatalité, espoir et renoncement. La marraine amoureuse nous plonge dans cette danse émotive, portée par une mise en scène inspirée et des comédiens habités, offrant une intensité rare dans le partage des mots.

Un écrin de mélancolie au cœur du parc Monceau

Dès les premiers instants, la magie opère. Le décor signé Philippe Varache nous plonge dans le Paris de la Grande Guerre, loin des tranchées. Ici, le parc Monceau sert d’écrin à la rencontre entre Clémence et Anatole. Un lieu presque onirique, où la beauté classique contraste avec la douleur des temps. Varache recrée un univers d’une troublante authenticité, fidèle à l’atmosphère feutrée du début du XXe siècle.

Ses costumes, réalisés sur mesure, confirment cette quête de réalisme. La silhouette de Clémence, en manteau long et chapeau sobre, évoque ces femmes de la Belle Époque dont le deuil s’habillait de dignité silencieuse. Face à elle, Anatole, trop jeune pour l’uniforme qu’il porte, incarne cette jeunesse sacrifiée, égarée entre le romantisme et la brutalité du front.

Un duo d’acteurs habité

Porter une pièce reposant sur la force du dialogue est un défi. Sylvia Roux, dans le rôle de Clémence, y parvient avec une intensité remarquable. Son interprétation rappelle les héroïnes de Jean Anouilh, tiraillées entre devoir et désir. Formée à l’École Périmony, elle a dirigé le Studio Hébertot et défendu des textes à forte résonance intime. Ce rôle semble une évidence tant elle habite chaque réplique avec justesse.

Clémence incarne une femme prise entre les carcans de son époque et ses aspirations profondes. En 1915, alors que les hommes partent au front, les femmes gagnent une autonomie nouvelle, mais restent prisonnières d’une société qui les cantonne aux marges du pouvoir. Engagée épistolairement auprès des soldats, Clémence est libre en pensée, mais contrainte par les conventions.

Le jeu de Sylvia Roux traduit avec finesse ce tiraillement. Son personnage évoque autant Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias que Madame Arnoux de L’Éducation sentimentale. Mais il résonne aussi avec les questions féministes contemporaines. À l’heure où l’égalité salariale et le poids des injonctions sociales sont débattus, Clémence rappelle que ces combats sont anciens et que la liberté des femmes s’est toujours heurtée à des murs invisibles.

Face à Sylvia Roux, Jean-Nicolas Gaitte incarne un Anatole vibrant et fougueux, dont l’audace masque mal la fragilité. Habitué aux rôles exigeants (Roméo et Juliette, Les Contes du Grand Guignol), il trouve ici un équilibre subtil entre naïveté et détermination. Son Anatole rappelle Perdican de On ne badine pas avec l’amour, croyant pouvoir bousculer le cœur d’une femme plus mûre, avant de comprendre que l’amour n’est jamais un simple jeu.

Si La Marraine Amoureuse parle d’un amour en temps de guerre, elle interroge aussi notre époque. En 1915, la guerre semblait devoir s’éterniser, et l’on croyait encore à un monde sans conflit. Un siècle plus tard, la guerre est toujours là : en Ukraine, au Proche-Orient, en Afrique.

Dans ce contexte, la pièce éclaire notre actualité de manière troublante. Le personnage d’Anatole rappelle ces jeunes hommes qui, hier comme aujourd’hui, partent au combat sans toujours comprendre leur engagement. Son insouciance brisée fait écho à ceux qui, aujourd’hui encore, doivent suspendre leur jeunesse pour défendre une cause qui les dépasse.

Une écriture précise et une mise en scène toute en nuances

Benoît Marbot, auteur et metteur en scène, prouve une fois de plus la singularité de son écriture, saluée pour son mélange de tendresse et de cruauté, d’humour et de mélancolie. Ses dialogues oscillent entre séduction légère et gravité d’un monde qui s’effondre. La construction rappelle Giraudoux (Intermezzo, La guerre de Troie n’aura pas lieu), où les échanges faussement anodins portent en filigrane le poids d’un destin collectif.

Marbot met en scène son texte avec une économie de moyens qui laisse toute la place au jeu des acteurs. Pas d’effets inutiles ni de pathos excessif : tout repose sur les regards, les silences, cette tension entre deux êtres qui savent que le temps leur est compté. Une sobriété d’une efficacité redoutable, qui sublime l’émotion sans jamais tomber dans le mélo.

Un spectacle à ne pas manquer

La Marraine Amoureuse est de ces pièces qui touchent au cœur par leur simplicité apparente et leur richesse profonde. À travers l’histoire de Clémence et Anatole, Benoît Marbot nous offre une réflexion universelle sur l’amour, la perte et l’espoir.

Servi par deux comédiens exceptionnels, un décor évocateur et des costumes d’une précision historique remarquable, ce spectacle est un moment de grâce suspendu, où l’émotion affleure à chaque instant, jusqu’à la chute réjouissante d’un amour intact que la guerre n’aura point altéré.

Yves-Alexandre Julien  

21/03/2025

« Un équilibre entre le juste et le vrai » pour « La marraine amoureuse » de Benoit Marbot

La lecture d’une nouvelle pièce de Benoît Marbot est l’assurance d’un agréable moment. Singularité d’écriture… Dialogues insolites… Humour et dérision… La marraine amoureuse ne déroge en rien au talent de son auteur.

On entame la lecture d’une pièce de théâtre pour la raison la plus naturelle et la plus modeste qui soit : se distraire. Les pages se tournent à intervalles réguliers alors que, fort égoïstement, nous décidons de n’y être pour personne, ni même au téléphone, tout au moins pas avant la fin de l’acte en cours. Et. Voyez-vous ! C’est précisément ce qu’il advient à la lecture de La marraine amoureuse, où l’on ne voit pas s’écourter le jour ni s’allonger la tête du chien qui se demande quand nous allons enfin lâcher ce livre pour satisfaire sa promenade habituelle.

Après les trois coups

Au théâtre, tout commence par la scène 1 de l’acte I. Il s’agit d’un dialogue, toujours, en l’occurrence ici celui entre Clémence et Anatole. Nous sommes à Paris, parc Monceau, début de l’hiver 1915, l’un et l’autre se cherchent dans les allées jusqu’à leur rencontre avant de s’asseoir sur un banc ; plus précisément, Clémence s’assied-elle alors qu’Anatole reste debout en proposant d’aller ailleurs, puis il finit par consentir à se poser près d’elle. Au fil d’une conversation truculente, ponctuée du vocabulaire argotique d’Anatole face à celui choisi de la jeune femme, le lecteur commence à comprendre le lien qui les (dés)unis : Clémence est une marraine de guerre.

(Entre 1914 et 1918, des milliers de femmes entretinrent une correspondances avec un soldat au front afin de le soutenir moralement et psychologiquement. Il s’agissait d’un échange épistolaire avec les conscrits dans l’espoir de maintenir leur moral au beau fixe ; souvent des hommes livrés à eux-mêmes et sans famille. Les motivations de ces mères , parfois célibataires, veuves, ouvrières ou grandes bourgeoises, étaient divers. Certaines espéraient ainsi trouver un mari et plusieurs épousèrent effectivement leur filleul.)

Voici donc nos (futurs) tourtereaux seuls dans un jardin anglais à l’heure des coups de sifflets annonçant la fermeture. Le gardien s’éloigne. Il ferme les grilles à double tours. Anatole a su convaincre – non sans mal et malgré elle – Clémence d’accepter de jouer ensemble les oubliés. A l’ouest le soleil s’écroule derrière les colonnes grecques de l’entrée principale. Venez ! venez ! Il la prend par la main et l’entraîne. Les scènes s’enchainent. Tendres… Drôles… Parfois hilarantes, tel ce cours d’anglais improvisé qui laisse Anatole sur son séant ! Le jeune homme et sa marraine quitteront bien entendu le parc monceau pour s’y retrouver l’année suivante. En juin 1916.

Deuxième acte

Une pièce de théâtre réussie doit sembler tenir du hasard. C’est ainsi qu’interfèrent comédiens et spectateurs dans la spontanéité du jeu. La justesse d’une mise en scène de bon aloi participe évidemment au succès. Au fil des scènes et à force de découvrir les personnages, l’on finit par éprouver ce qu’ils ressentent, fut-ce à travers l’artifice d’une interprétation où (s’il s’agit d’une simple lecture) de l’imagination que l’on s’en fait. La marraine amoureuse est la preuve qu’une excellente pièce se joue autant qu’elle se lit avec le même plaisir conjugué. Disons simplement que ce deuxième acte embellit le premier.

Quelques saisons plus tard, Anatole et Clémence sont (peut-être) devenus amants ; l’idée apparait lorsque l’élève-aspirant trousse la jeune femme derrière les buissons. « Vous croyez qu’il suffit d’embrasser une femme pour la connaître ? » Un peu plus loin. Lui : « Quand remettons-nous le couvert ? » – Elle : « Je n’ai plus vingt ans, monsieur Langeron. » Encore plus loin après la confession d’avoir réservé une chambre au Lutécia, Clémence ajoute avec une tendresse nostalgique : « Je croiserai peut-être dans cette hôtel des amis de mon mari, ils y retrouvent leur maîtresse, nous serons en terrain de connaissances. Ça ne sera pas vous qu’ils jugeront, ça ne sera pas vous qu’ils mépriseront, ce sera moi ! La veuve indigne qui bafoue la mémoire de son glorieux mari, mort pour la France ! »

Troisième acte

Dans une pièce en quatre partie, le troisième acte pose d’ordinaire la réussite ou l’échec des protagonistes face à l’intrigue des deux précédents ; il annonce le dernier levé de rideau qui bientôt mettra en lumière la résolution des combines et grenouillages face aux spectateurs curieux. Nous sommes désormais en septembre 1917. L’uniforme d’Anatole est celui d’un sous-lieutenant, et Clémence apparaît le ventre arrondi. La guerre fait rage. Personne n’imagine l’armistice de si tôt. Benoît Marbot signe ici parmi les plus beaux dialogues de la pièce. Il ne conviendrait pas de les dévoiler dans cette chronique ; le lecteur doit en conserver la surprise essentielle à son éblouissement. Juste dire qu’Anatole commence à comprendre (malgré lui) qu’une femme peut changer un homme pour peu d’un véritable amour entre les deux.

Avant le rideau final

La marraine amoureuse laisse imaginer les charmes d’un théâtre aujourd’hui oublié. On pense à certaines comédies romantiques qui ont fait le succès du boulevard des années 1960/70. Benoît Marbot nous fait ressentir cet étonnement et cette reconnaissance à découvrir des personnages – plus ou moins drôles et plus ou moins profonds – induisant une histoire dont on imagine volontiers la suite après le rideau final. Il y a du romanesque dans cette œuvre exposée au fil d’une action qui arrive à un dénouement tout aussi inévitable qu’il était prévu dès les premières répliques. Alors ! Faut-il lire La marraine amoureuse ? Oui. Ce texte ne souffre d’aucune réplique banale, tout en satisfaisant la copie des phrases de la vie. C’est grâce à ce parfait équilibre entre le juste et le vrai que Benoît Marbot accroche le spectateur, posant ainsi les répliques dans une action qui contribue à ce qu’il est convenu d’appeler un véritable « spectacle ».

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Mars 2025 –Esperluette Publishing & Bretagne Actuelle

LA MARRAINE AMOUREUSE, une pièce de théâtre de Benoît Marbot (texte) aux éditions L’Harmattan – 95 pages – 13,00 €