L’artiste photographe Laurent Denay nous livre sa critique de « La cuisine des âmes nues » de Yezza Mehira

Yezza Mehira, La Cuisine des âmes nues. Nouvelles et recettes, éditions de la Zitourme, 2023, 146 pages, 13€

L’Histoire – avec un grand H – a été écrite par des hommes. Mais les histoires, les histoires intimes ou les histoires du quotidien ont souvent été écrites par des femmes : de Georges Sand à Colette et de Violette Leduc à Sylvia Plath.

Yezza Mehira s’inscrit dans cette prestigieuse lignée. Plus précisément, par le prisme de la cuisine et de la vie domestique, elle nous permet de découvrir l’intimité de femmes de culture méditerranéenne.

À la première personne, avec pudeur, mais sans rien cacher de leurs souffrances et de leurs déceptions, ces femmes se confient. Sans haine ni ressentiment, elles nous content le « misérable petit tas de secrets » dont parlait Malraux ; ces vies infimes qui furent si souvent cachées ou méprisées.

À chaque héroïne, correspond une recette de cuisine.

Une jeune Lybienne, mariée sans amour à un homme « comme il faut ». Elle se retrouva chosifiée et humiliée, soumise aux lois du patriarcat. Répudiée, elle s’épanouit et se découvrit elle-même dans un amour adultère ; un homme marié qui l’aimait et la respectait. Il lui permit de reprendre ses études : « Je me suis dévouée et j’ai vécu pour lui et pour moi. Je savais que je vivais une relation réprouvée par la morale, pas bien accordée avec nos coutumes, mais en dix-neuf ans, je n’ai jamais cessé d’être une femme bien ».

La vie intime d’une mère de famille, à Zarzis en Tunisie, du premier matin – El Fajar – au coucher du soleil – El Mereb. Une vie rythmée par les tâches domestiques ainsi qu’une vie sociale qui tourne autour de l’hypocrisie et des ragots. Cette jeune femme a une seule amie Lobna : « Lorsque j’ai vu ses yeux j’ai su que ce n’étaient pas ceux d’une fouine. […] j’ai su qu’elle était comme moi, emprisonnée dans cette cage à histoires et à apparences ».

SoniaK2Tataouine, la jeune étudiante au regard sombre de la banlieue parisienne qui aspirait à la liberté. Issue de l’immigration, prisonnière des « quartiers » ; les études étaient la porte d’entrée vers le monde. Au moment où elle touchait son but du doigt, elle fut trahie par les siens.

La jeune fille du Caire, odieuse avec sa belle-mère parce qu’elle souffre, en silence, de la disparition de sa maman.

En cette fin des années soixante, elle se réfugie dans la lecture des magazines féminins et fantasme la femme occidentale. Elle sera libre. Son acte de rébellion : brûler son soutien-gorge… Problème, elle n’en a que deux ; et, le soutien-gorge brûle en dégageant une odeur épouvantable.

Son secret, elle ne sait pas cuisiner.

Des femmes empêchées, prisonnières du carcan familial ; il est difficile de lutter contre des traditions multiséculaires.

Pour les femmes des différentes diasporas méditerranéennes, émigrées de la deuxième génération, les choses ne sont pas si faciles : accéder au monde des valeurs occidentales implique de rompre avec son passé et sa culture ; c’est-à-dire rompre avec soi-même.

Le monde capitaliste chosifie ; différemment, mais tout aussi bien que le monde traditionnel. Être transformé en outil de production plutôt qu’être le rouage symbolique d’une organisation patriarcale.

Le problème des héroïnes de « La Cuisine des âmes nues » n’est pas tant La Liberté, en tant que concept, que l’assignation à résidence, les chemins tout tracés et les idées préétablies. Elles souhaitent ouvrir les fenêtres ; avant tout, elles souhaitent vivre.

La solution se trouve dans la vie intérieure, l’acceptation d’une solitude ontologique ; apprentissage de la liberté qui passe par l’écoute de soi et de son corps. Et la cuisine n’y est pas étrangère.

La cuisine est ici un rituel et une création ; une expression et don de soi. Un acte d’amour en somme.

La recette de cuisine comme texte hermétique- au sens philosophique du terme, permettant la transmutation des âmes et des corps au moyen d’un élixir de belle et longue vie.

C’est le chemin que nous indique Yezza Mehira dans « La Cuisine des âmes nues » ; le chemin vers sa vérité intérieure.

Laurent Denay

« La cuisine des âmes nues » de l’écrivain Yezza Mehira en entretien dans Entreprendre

Cuisine et littérature

La littérature et les plaisirs de la bouche. L’occasion de revenir sur la littérature, l’identité et les nourritures terrestres avec Yezza Mehira qui propose un recueil de nouvelles très original. Rencontre.

Entreprendre – Cuisine et littérature

Vous mariez parfaitement dans un premier recueil de nouvelles La cuisine des âmes nues, la littérature et les plaisirs de la bouche. Est-ce parce que l’une nourrit l’âme, et les autres le corps ? Pensez-vous que l’on ne peut dissocier les nourritures célestes, celles de l’esprit, des nourritures terrestres, celles de notre vie matérielle ? Pourquoi ?

Si l’étymologie de recette (recepta) nous rappelle qu’il s’agit de ce que l’on reçoit, j’ai voulu dans ce livre accueillir toutes les dimensions du repas, qui, comme l’ostie, nourrit le corps et l’âme.

Lors d’un repas, nous communions avec celui ou celle qui l’a préparé ainsi que ceux qui partagent cet instant à la même table. Au-delà de la cuisine, le repas pris ensemble, fait appel aux deux dimensions aussi bien terrestre que spirituelle.

La cuisine est aussi une expérience hybride. Une hybridité d’abord d’un point de vue sémantique, avec ce mot de “cuisine” qui se rapporte aussi bien au lieu, l’espace de la cuisine, qu’à ce qui en sort, les plats. Ainsi la pièce et les mets ne se distinguent plus et je laisse le mélange des signifiants se faire, jouant volontairement sur une certaine ambiguïté portée dans le titre La Cuisine des âmes nues, mais aussi dans le format du livre.

Moi je joue, comme dirait la chanson. Et quoi de mieux que la fluidité des genres pour jouer. Du titre, nous passons au contenu du livre, qui est à la fois un recueil de recettes et un recueil de nouvelles. Deux besoins, l’un du ventre et l’autre de l’esprit que j’ai voulu mélanger dans un livre qui se mange aussi bien qu’il se lit, donnant au lecteur deux aspects des personnages, leurs plats et leurs histoires intimes.

J’ai écrit ce livre en imaginant qu’il pouvait aussi se narrer, à la manière des veillées de contes, où le plat une fois servi à table, se dégusterait en écoutant le récit de la femme qui a transmis sa recette.

Les recettes de ce livre, le plus souvent, sont simples et ne veulent pas rivaliser avec celles de grands maîtres. Il s’agit de recettes du quotidien, de celles que les femmes qui ont les mêmes contraintes de temps ou de budget que vous et moi, font pour nourrir les leurs.

Les histoires, elles, sont avant tout féminines. J’ai essayé de parler de tous les sujets mais surtout de ceux qui concernent les femmes. L’amour, beaucoup d’amour, de la passion, de la dépression, du plaisir, de la violence ou encore des injonctions à être mère. Des thèmes dans lesquels viennent s’inscrire les histoires si particulières de ces 13 femmes et leurs manières bien à elles d’y faire face.

Dans votre titre, on retrouve cette idée des « âmes nues ». Quelles sont-elles ces âmes ? Est-ce que la cuisine, pour vous, c’est comme la littérature, un lieu où l’on ne peut réussir que lorsqu’on se montre dans sa plus parfaite nudité, donc sans masques ?

Le point de départ de ce livre est un voyage en Méditerranée effectué il y a une quinzaine d’années à un moment de mon existence où j’avais besoin de me recentrer et trouver un sens à une vie qui commençait à m’échapper. Crise existentielle ? Peut-être.

Je vivais à l’époque encore à Paris, où j’ai grandi, je venais de divorcer et suis passée directement à autre chose, c’est à dire qu’en refusant de vivre ce divorce comme un échec je me perdais dans le besoin de jouir de la vie.

Je me suis mise à faire beaucoup la fête, à sortir tous les soirs, à goûter au vertige des nuits mondaines tout en me gardant de toucher à la drogue ayant vu trop de camés dans mon enfance à la Goutte d’or pour ignorer les immondes ravages de la drogue et de l’addiction.

Je brûlais la chandelle par les deux bouts jusqu’au jour où plus rien n’avait de sens. La dépression arrivait et s’installait sans crier gare. Je passais mes journées à contempler le vide immense de ma vie.  Puis un jour, dans une sorte d’élan de survie, je décidais de tout quitter et partir.

Direction la Tunisie où mes grands-parents m’accueillirent avec joie. Je débarquais à Zarzis au printemps, une saison que je ne connaissais pas. Je me réjouissais de retrouver mes sens. Sentir l’odeur de l’eau de fleur d’oranger qui se vendait à tous les coins de rue, regarder le vert des feuilles qui bientôt seraient jaunies par le soleil d’été, peler les premières nèfles et croquer dans leur chair juteuse et délicate, écouter le bruit des vagues et des oiseaux. J’appelais cela encore du “bruit” et ce voyage me fera prendre conscience qu’il s’agissait du ressac des vagues et du chant des oiseaux.

Mon temps pour moi-même était arrivé, et avec lui, un vrai besoin de déconnection du monde parisien tel que je le connaissais et où le cercle social et le réseau fait l’homme (ou la femme). Je ne voulais plus de ces conversations de convenance, et je ne voulais plus connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaissait quelqu’un.

Je me décidais alors à poursuivre ce voyage, prenant le hasard comme compagnon, je m’en allais à la rencontre de femmes inconnues. Dans la cuisine de ma grand-mère, les femmes étaient toujours de passage, s’échangeant quelques mots, qu’une oreille non avertie appellerait des soupirs ou des chuchotements. Insinuations furtives, reproches sous forme de taquinerie, échange de savoir-faire, lenteur du temps. La cuisine de ma grand-mère m’inspirait par ce qui s’y disait et par ce qui s’y mangeait.

La nouvelle Les Matriarches, en lien avec cette première étape tunisienne, décrit une journée type à Zarzis, à la manière d’une ethnographe.

Je tenais mon idée de voyage, et me voilà donc partie à la rencontre de femmes, sur les marchés de la Méditerranée, offrant pâtisseries contre leçon de cuisine.

Entrer dans l’intimité du foyer de ces femmes m’a fait accéder à leur monde, à leur histoire et à leur sincérité. Dans cet échange les âmes ne pouvaient qu’être dénudée, d’où ces âmes nues dans La Cuisine des âmes nues.

Votre livre me fait penser à un court récit, d’un écrivain que j’ai autrefois connu, puisqu’elle était ma prof de lettres, Maryline Desbiolles, La Seiche, que la narratrice se livre à une rêverie nourrit de souvenirs durant qu’elle prépare ce met, et qu’elle le cuisine, mêlant l’art de la cuisine et l’art d’écrire, la seiche produisant l’encre de l’écriture. Votre livre m’a rappelé ce roman en ceci que vous livrez des recettes de cuisine puis revenez sur les souvenirs qu’elles vous ont laissés lorsque vous les avez dégustées pour la première fois. On est surpris de voir que votre cuisine mélange des plats méditerranéens, français, italiens… Toutefois les saveurs du sud semblent l’emporter dans votre cœur. On a le sentiment en vous lisant que vous mettez la cuisine et la littérature sur le même plan. Pourquoi ? Cela me fait également penser au roman de l’excellente Amélie Nothomb, Les combustibles, qui se demande à juste raison, si elle serait capable de brûler des livres pour se réchauffer lors d’un froid glacial ? Seraient-ils les seuls combustibles ? Quant à vous, hiérarchisez-vous ce qui est primordial dans votre échelle de volupté : la nourriture ou la littérature ?

Merci pour la référence à Maryline Desbiolles. Je m’empresse de commander La Seiche !

Je me souviens très bien du dilemme des Combustibles. Au cours de ma vie parfois instable, ma plus grande tristesse fut de laisser mes livres derrière moi, par manque d’un espace où les conserver. Mauvais souvenirs car mes livres sont une part de mon intimité. Avoir eu à les laisser derrière moi équivalait à me dépouiller.

Le voyage que j’ai entrepris en Méditerranée fut aussi un dépouillement mais plutôt culturel celui-là. Ayant atterri d’abord en Tunisie, la logistique de mon voyage m’a fait continuer sur les côtes de la rive sud, et mon tunisien basique m’a permis de facilement échanger avec les personnes de ces pays arabes. Lybie, Égypte, Syrie, Liban. Nous étions avant les guerres et les révolutions, les mêmes senteurs m’accompagnaient dans chacun des pays visités, l’odeur du jasmin, de la menthe sauvage, des roses qui se pavanaient aux façades des maisons blanches et partout la même nonchalance faisait onduler les foules des souks.

 Quelques fois, une poignée de femmes acceptait de me parler. Il s’agissait de conversations debout, dites bel ouagfè, pendant lesquelles mes interlocutrices, intriguées mais pas disposées à m’accueillir chez elles, me donnaient des conseils et me garantissaient un meilleur tour de main pour un plat qui ravirait tous les palais de ma maisonnée et garder mon homme.

J’ai fait littérature de ces conversations.

Dans le livre de cuisine, Tante Lise, 147 manières d’accommoder les pâtes alimentaire” (1930) on peut y lire que d’après les physiologistes “la fidélité masculine est intimement liée à la bonne cuisine”. Aujourd’hui, je me réjouis que l’époque ait évoluée et que les femmes aient abattu les cloisons de leur cuisine, pour y entrer et en sortir à leur guise! Toutefois, ces guides d’un autre temps mettaient déjà en avant l’idée que la cuisine puisse servir à créer un lien intime avec l’être cher.

Dans la nouvelle La plus belle femme du Monde, Monia révèle que “Le secret, c’est qu’une femme peut matérialiser l’amour dans un plat. Cet ingrédient-là, il est unique.”

Dans une autre nouvelle L’amie intime, l’héroïne propose des amuse-bouches destinés à être servis lors de jeux érotiques et suggère au sujet de son amuse-bouche n°2: “Servez et glissez une coquine allusion à votre poitrine aussi souple et douce que votre amuse-bouche.”

Pour moi, la cuisine et la volupté sont liés. Les aventureux de la Saint-Valentin savent que certains ingrédients se veulent plus aphrodisiaques que d’autres. Parmi les plus connus : le duo champagne et fraises, le plateau d’huîtres ou encore le combo piment-gingembre. La cuisine est un appel au plaisir de la bouche et des sens. La bouche, qui mange et qui dit des mots.

Avoir faim de quelqu’un, le croquer, le dévorer des yeux, le passer à la casserole, le lécher ou boire ses paroles, que d’évocations voluptueuse où le goût de l’autre et les mots se mélangent ! Comment ne pas avoir ensuite envie de brouiller les frontières entre la cuisine, la littérature et la volupté ?

Aujourd’hui, le domaine de la haute gastronomie a évolué. Jadis, la cuisine était réservée aux femmes lorsque c’était du domaine des besoins, donc mercenaire, pour reprendre un terme kantien, aux hommes lorsque c’était du domaine de l’art, donc libéral. Beaucoup de grands chefs hommes ont permis de considérer la cuisine comme une affaire d’héritage et de transmission et comme un art à part entière. Les femmes prennent aujourd’hui le relais, avec l’apparition de grandes cheffes. Ce qui est très bien. Qu’est-ce qui change, selon vous, lorsque les femmes mettent la main à la patte, et ne sont plus cantonnées au domaine de la cuisine pour les besoins vitaux, mais ouvrent leurs perspectives à la cuisine comme un art, non plus servile mais libéral et désintéressé ?

En effet, les différentes époques, depuis l’antiquité, semblent avoir cantonné la femme à la cuisine des familles et les hommes à la cuisine des grands établissements de type palais ou grandes institutions puis plus tard, à celle des restaurants que les cuisiniers de France ont commencé à ouvrir après avoir perdu leurs patrons à la suite de la Révolution Française.

Les écrits qui nous parviennent aujourd’hui semblent promouvoir les recettes de grands cuisiniers tels que Taillevent, Maestro Martino ou Maitre Chiquart, ainsi que des manuels de bonne tenue d’une maison bourgeoise à destination des femmes, à qui il est demande de savoir ordonner plutôt que de cuisiner. Le plus connu est Le Ménagier de Paris écrit par un bourgeois du Moyen Âge pour sa femme, et qui sert de traité domestique et se termine par une compilation de recettes de cuisine.

Ce n’est qu’au XVIIIème siècle, que des livres de cuisine écrits par des femmes commencent à être publiés, tels que La Cuisinière Bourgeoise de Menon, la Compleat Housewife d’Eliza Smith, La cuisine républicaine de Catherine Mérigot, ou encore The Art of Cookery made plain and easy d’Hannah Glasse, livre le plus vendu en Grande-Bretagne au 18ème siècle.

La parution de ses livres m’interroge plus sur la publication des écrits de femmes que sur le rôle réel des femmes dans la cuisine. La visibilité intellectuelle était encore très majoritairement masculine à cette époque. Sur quoi les femmes étaient-elles autorisées d’écrire ? Quel marché littéraire leur étaient ouverts ? Étaient-elles restreintes à certains sujets ? Je ne me suis pas encore penchée sur la question, mais j’ai hâte de le faire !

Le 19ème et 20ème siècle voient la parution d’autres ouvrages qui lorsqu’ils sont féminins compilent des recettes simples pour une cuisine bourgeoise, et lorsqu’ils sont masculins, sont le fruit de grand chefs tels que Jules Gouffé ou Auguste Escoffier. Aux femmes les ingrédients simples, aux hommes la technique et les ingrédients nobles !

Laissons de coté les écrits et parlons de management. Gérer une cuisine c’est aussi et surtout gérer des équipes et un business. Et pour tenir un restaurant en tant que femme, encore faut-il y être acceptée.

L’accès des femmes à la cuisine des restaurants fut très lent. La Mère Guy, première “mère” lyonnaise” s’installe aux fourneaux de sa guinguette A La Mulatiere en 1759. Suivront plus tard d’autres auberges et petits restaurants de campagne commençant à faire place belle aux femmes puisqu’elles y sont acceptées en tant que clientes mais aussi en tant qu’employées.

Les cuisines des restaurants gastronomiques, elles, restent le domaine des hommes chefs. Ces restaurants avaient avant tout une fonction de représentation sociale et de networking pour des hommes appartenant aux élites, généralement cooptés et qui s’y retrouvaient pour leurs affaires, comme le décrit très bien Le Journal des Goncourt.

Dans ces restaurants, les femmes de bonne société n’étaient acceptées qu’à l’heure du thé ou en terrasse. Les femmes du soir, elles, étaient les maîtresses ou les “soupeuses” autrement dit, des prostituées de luxe.

Il faudra attendre la fin du XIXème siècle et le développement du train pour enfin voir du changement. Le train accélère en effet le développement du tourisme, amenant tous les voyageurs, sans distinction de genre, aux bonnes tables à travers la France, suivant les recommandations des premiers guides gastronomiques, ancêtres du Michelin. Avec le trio tourisme, guides gastronomiques et clients, la restauration acquiert une nouvelle dynamique. Et les femmes entrent ainsi dans les bons restaurants pour y manger ou y travailler. Les portes de la cuisine s’ouvrent alors pour elles.

Les cuisinières les plus connues sont les mères lyonnaises, telle que la Mère Thérèse ou de la triple étoilée Mère Brazier qui forma l’illustre Paul Bocuse. Il est intéressant de noter que, bien que célèbre en son temps, Eugenie Brazier n’a jamais été interviewée de son vivant.

Au 21ème siècle, les femmes en cuisine ne sont plus invisibles, elles se forment dans les écoles de cuisine où la parité parmi les élèves y est quasi parfaite : jeunes hommes et jeunes femmes apprennent le métier. Dans leur art de cuisiner, rien ne change, que les chefs soient chefs ou cheffes, la cuisine repose sur une bonne exécution, une bonne coordination des équipes, un bon économat, c’est à dire une utilisation optimisée des aliments. Lorsqu’il s’agit des grandes tables, la cuisine devient art, et cet art ne me semble pas dépendre du genre de la personne qui cuisine.

 Toutefois, on peut se demander pourquoi en 2024, seules 6 femmes en France sont étoilées ? Et aussi pourquoi, les cuisines de restaurants sont majoritairement masculines puisque selon les statistiques de 2023, seulement 17% du personnel de cuisine est féminin ?

Je n’ai pas de réponses claires à ces questions car beaucoup de facteurs entrent en jeu tels que les salaires bas, les horaires tardifs mais aussi quelque fois l’ambiance. Dans son roman Chef, Gautier Batistella évoque une scène où une jeune femme prometteuse quitte son poste à la suite d’attouchements et d’humiliations infligés par ses collègues masculins. Si tel est le cas et si de tels comportements sont tolérés dans ce milieu, on ne peut, en tant que femmes et hommes de goût, qu’appeler à Un MeToo Cuisine…

Yezza Mehira, si vous me permettez, cela ne sonne pas français, pourtant vous êtes française, et parfaitement intégrée en France. Vous êtes même un modèle d’intégration. Or, si l’on regarde bien, nous sommes nombreux comme cela. Moi-même, si l’on prend mon nom de famille, mes origines sont d’ailleurs, et je suis même né sur un territoire étranger. Si l’on creuse un peu nos racines, nous découvrons alors, que nous sommes bariolés, « métèques », et que nous recouvrons un manteau d’arlequin, j’aime beaucoup cette formule que je dois à Michel Serre, nourri de cultures différentes, de langues, d’héritages, et d’histoires multiples et complexes. C’est à la fois la même richesse que la ou les littératures de par le monde, et la ou les cuisines, un mariage d’aliments, de saveurs et d’origines différentes. À cela, on peut ajouter que vous êtes une féministe convaincue, mais plus encore, dans la perspective et la démarche que je viens d’évoquer plus haut, une citoyenne du monde. Diriez-vous qu’à l’école de la République, Vercingétorix et Jeanne d’Arc étaient devenus vos ancêtres ? Que le mot « identité » est trop clivant car qu’il sépare les hommes ?

C’est vrai que Yezza Mehira ne sonne pas français et pourtant ça l’est.

Bien avant ma naissance, mon père a émigré vers la France. Il avait tout juste 18 ans. Il s’est ensuite marié, a fondé une famille, des enfants sont venus au monde, dont moi.

En ce qui me concerne, je suis arrivée à Paris peu avant mes 3 ans. J’ai fait ma rentrée en maternelle deux mois plus tard, et ne quittais le système éducatif que vingt ans après, DEA en poche. L’immigration n’est pas de mon fait mais un choix de mes parents. Pour ma part, je me suis contentée d’être une enfant grandissant en France.

J’ai eu la chance de grandir dans le quartier de la Goutte d’or à la fin des années 80. Quartier de familles pauvres ou modestes, ce qui m’a surtout marquée, c’est la mixité culturelle. Se côtoyaient alors des familles portugaises, françaises, italiennes, yougoslaves, maghrébines, sénégalaises ou béninoises.

Et même si Jacques Chirac, au pas de course dans la rue des Gardes, n’en a retenu que le bruit et les odeurs, moi j’y ai voyagé tous les jours.

Comme beaucoup de mes camarades d’école, j’ai grandi dans une double culture. Il y avait pour moi le monde de la vie “domestique” où je mangeais tunisien, parlais tunisien. Nous regardions la télévision française et j’aimais écouter mon père faire des analyses politiques pendant le 7 sur 7 d’Anne Sinclair ou l’Heure de Vérité et réagir à la cinglante répartie de Georges Marchais qui l’amusait beaucoup. Personne ne nous demandait de choisir l’une ou l’autre culture et en dehors du vociférant Jean-Marie Le Pen, personne n’interdisait à mes parents de croire en Dieu, même si dans notre cas, nous n’avons pas grandi avec une éducation religieuse.

De l’autre côté, il y avait le monde plus sérieux de l’école, hautement plébiscitée par mes parents car garante d’un avenir meilleur que le leur.

Ma chance ? Celle d’avoir eu des enseignants merveilleux à qui j’aimerais rendre hommage :Bruno Beauvais, Marie-Christine Rio, Alain Allardi et surtout Marguerite Delavalse qui a pris de son temps pour m’offrir des cours de rhétorique aux heures de déjeuner.

En prenant un peu de recul sur mon “intégration”, j’ai du mal à la définir exactement, Je me suis contentée d’aller à l’école et d’apprendre la même chose que les autres. A aucun moment dans mon parcours scolaire, je n’ai été mise de côté. Dans le monde de l’entreprise, ce fut une autre paire de manche !

L’intégration, dans la manière où on la regarde aujourd’hui dans les médias ou à travers les discours d’hommes et de femmes politiques me semble être excluante.

C’est comme si la question de l’intégration avait glissé d’une intégration économique à une intégration identitaire, excluant ceux qui ont “fait mieux” que leurs parents et les ramenant toujours à leur patrimoine génétique.

Aujourd’hui, soit la question se focalise sur l’origine des personnes dites intégrées leur rappelant constamment qu’elles sont françaises mais pas que, puisqu’elles sont incluses dans le néo-groupe des “Français de papier” ou “Français d’origine”- quelle absurdité dans une société où un tiers des Français a au moins un grand-parent né à l’étranger et où le taux de mixité est le plus important d’Europe.

 Soit elle se focalise sur ceux qui “posent problème” sans que l’on sache vraiment de qui il s’agit : jeune en déchéance scolaire ? Voyou ? Clandestin ? Français ? Crétin ?

Et les “intégrés” dans tout cela ? On n’en parle que pour les ériger comme modèle alors qu’ils sont la grande majorité. Des “intégrés” comme vous et moi, j’en connais à la pelle.

J’aime cette idée du manteau d’Arlequin car il me ramène à la Goutte d’or et à ses palettes de couleurs, d’odeurs et de goûts qui m’ont accompagnée dans ma construction. J’ai grandi dans un mélange de tout et n’importe quoi avec malgré tout un sentiment d’appartenance à un pays qui m’acceptait dans ma pluralité. Je suis surtout française et aussi un peu tunisienne et maintenant un peu suisse.

En fait, la véritable expérience d’immigration, je l’ai faite en m’installant en Suisse dans ma trentaine. Le pays est certes proche géographiquement, les codes culturels, eux, sont très différents. Je demande d’ailleurs pardon à tous les Suisses avec qui j’ai été involontairement méchante les 5 premières années de ma vie là-bas !

Dans cette intégration, j’ai eu la chance de pouvoir m’appuyer sur l’expérience de mes parents qui m’ont beaucoup aidée de leurs conseils. J’ai fait face aux mêmes difficultés qu’eux quant à l’accès à l’information, à la vie sociale et à l’administration car je ne maitrise (toujours) pas le suisse allemand. A la différence d’eux, j’ai pu bénéficier des miracles de Google translate…

J’habite dans une ville où 30% des habitants sont immigrés et où le mélange, se fait dans une sorte de joyeuse soupe “multi-kulti” comme on dirait en allemand. Alors oui, même si je comprends les raisons sécuritaires, souvent liées au terrorisme international, qui poussent les états à renforcer leurs frontières, j’ai pour ma part, aucune frontière symbolique avec l’autre. Je ne distingue les individus ni par leurs nationalités, leurs genres, leurs préférences sexuelles, leurs origines sociales, leurs patrimoines génétiques et encore moins par leurs religions ou leurs couleurs de peau.

Votre rêve semble être celui d’une planète sans aucune frontière où chacun soit libre de vivre selon les codes culturels qu’il affectionne dans lesquels il se reconnaît ? C’est aussi le mien. Cependant, à ce grand horizon défendu par de nombreux intellectuels, comme Edgar Morin, il faut aussi opposer Régis Debray, qui défend les frontières, sans lesquelles, dit-il à juste raison, on érige des murs ? Comment peut-on sortir selon de vous de ce dilemme ?

Dans mon monde multi-culturel, Vercingetorix, Hannibal et Guillaume Tell sont mes ancêtres. Puisque nous parlons de frontières culturelles, la défaite de Vercingétorix acte le passage de la Gaule celtique à la Gaule romaine, changeant ainsi l’histoire des peuples des Gaules que représentait ce “Roi des chefs de Guerre” (Vercingétorix), les faisant basculer soudainement dans un nouveau monde dont ils ont dû apprendre les codes et les nouvelles frontières.

L’épisode semble en quelque sorte rappeler que les hommes se côtoient et que l’histoire se déroule. Le dilemme de l’identité culturelle que certains souhaitent ne jamais faire évoluer est pour moi une utopie.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous vivons dans un monde cosmopolite et sans frontières. Nous pouvons voyager partout sur la planète et sommes capables de communiquer avec tous les peuples, grâce à quelques langues universelles et à la technologie. Communiquer ne veut pas dire accepter ou mimer, ça veut simplement dire avoir la possibilité de voir, d’interroger et d’obtenir des réponses.

Je n’appartiens pas à ceux qui regardent vers le passé. Le “C’était mieux avant”, très peu pour moi ! Mon ambition est de participer à l’avenir de nos sociétés. Nous sommes à l’aube de la révolution de l’intelligence artificielle. Dans moins de 30 ans, les machines pourront remplacer l’humain dans au moins 40% des postes de travail.

Vers quelle société allons-nous ? Que faire de notre temps ? Quel type de lien allons-nous tisser dans ce nouveau vivre ensemble ?

Frontières et identité sont, de mon point de vue, des mots pour des maux d’aujourd’hui. Nos jeunes s’occupent de réinterroger la société, ils veulent sortir d’impasses sociales, économiques, écologiques et politiques qui ne leur plaisent pas.  J’adore les voir construire leur monde et se faire leur place. Je leur fais confiance pour un monde plus responsable mais aussi plus cosmopolite et mobile.

Mon monde idéal est sans frontières, sans religions, sans guerres, dans la fraternité et dans le respect des lois d’une république indivisible. Mon monde idéal n’existe pas encore, pas même dans la réalité irréelle des livres.

Propos recueillis par Marc Alpozzo
Philosophie et essayiste, auteur de Galaxie Houellebecq (et autres étoiles). Éloge de l’exercice littéraire, Éditions Ovadia, 2024 et co-auteur de L’humain au centre du monde. Pour un humanisme des temps présents et à venir, Les éditions du Cerf, 2024.

Saisons de culture vous invite à l’odyssée culinaire de Yezza Mehira

La cuisine des âmes nues, nouvelles et recettes

Par Yves – Alexandre Julien

Une odyssée culinaire à la rencontre de 13 femmes entre sociologie et féminisme 

C’est un voyage sensoriel unique que nous fait vivre Yezza Mehira à travers les pages de son ouvrage intitulé « La cuisine des âmes nues ». Ce livre captivant invite le lecteur à un périple culinaire inoubliable, où chaque recette est une porte ouverte vers une nouvelle culture, une nouvelle histoire. Inspiré par les rencontres de l’auteur avec des inconnus , ce livre est bien plus qu’un simple recueil de recettes, c’est une véritable renaissance gastronomique.

Les fondations de la rencontre 

Dans « La cuisine des âmes nues », chaque plat est le fruit d’une rencontre, d’un échange entre l’auteur et des personnes rencontrées au hasard de ses pérégrinations. Cette approche rappelle le travail novateur du chef René Redzepi, célèbre pour ses expéditions culinaires à la recherche d’ingrédients inattendus. Tout comme Redzepi, qui a parcouru les régions les plus reculées à la recherche de nouvelles saveurs, l’auteur de ce livre nous offre une expérience culinaire authentique, où l’essence même de la rencontre se retrouve dans chaque bouchée. Cette approche évoque également les voyages culinaires du romancier Anthony Capella, dans son livre “La cuisine des péchés ”. Il écrit : “Dans chaque plat se cache une histoire, dans chaque saveur se dissimule un voyage. C’est en partageant la table avec des étrangers que l’on découvre le véritable sens de la cuisine.”

Battre les œufs et ouvrir son esprit …

Dans la cuisine, tout comme dans la vie, il y a des conseils qui vont au-delà de la simple préparation des aliments. Prenez par exemple le conseil de l’auteur  de battre les œufs fort pour obtenir une omelette bien baveuse. Cela peut sembler anodin, mais cela révèle en réalité une leçon profonde sur l’importance de l’engagement et de l’énergie que l’on met dans nos actions. Comme le souligne le philosophe Alan Watts : “Lorsque nous faisons quelque chose, faisons-le avec tout notre être, avec toute notre énergie. C’est là que réside le secret de la vie pleine et enrichissante.” Battre les œufs avec force, c’est embrasser pleinement le processus culinaire, c’est se donner entièrement à la tâche, sans retenue ni hésitation. De la même manière, dans notre vie quotidienne, nous devrions aborder chaque expérience avec cette même intensité, cette même détermination à savourer chaque moment et à en tirer le meilleur parti. En battant les œufs avec vigueur, nous nous ouvrons à de nouvelles possibilités, à de nouvelles perspectives sur le monde qui nous entoure. Et qui sait, peut-être que cette simple action dans la cuisine nous permettra de découvrir des horizons insoupçonnés dans notre propre existence.

L’art de la fusion 

Chaque recette de « La cuisine des âmes nues » est un témoignage de la capacité de la cuisine à transcender les frontières géographiques et culturelles. L’auteur maîtrise l’art délicat de la fusion, mêlant des ingrédients et des techniques culinaires provenant de différents horizons. Cette approche rappelle le travail visionnaire du chef Nobu Matsuhisa, qui a révolutionné la cuisine japonaise en intégrant des influences sud-américaines. De la même manière, l’auteur nous offre des plats qui défient les conventions et éveillent nos papilles à de nouvelles sensations, tout en honorant la diversité des cultures rencontrées. Dans son roman “Comme de l’eau pour le chocolat”, Laura Esquivel explore également les thèmes de la fusion culinaire et de la transcendance à travers la cuisine. Elle écrit : “Dans chaque plat, je verse un peu de mon âme, un peu de mon histoire. Et dans chaque bouchée, je goûte le monde.”

Le voyage comme une école de cuisine 

À travers les pages de « La cuisine des âmes nues », le lecteur découvre que voyager est bien plus qu’une simple exploration géographique, c’est aussi une école de cuisine à ciel ouvert. En s’immergeant dans de nouvelles cultures, l’auteur apprend de nouvelles techniques, découvre de nouveaux ingrédients et perfectionne son art culinaire. Cette démarche rappelle le parcours du chef Anthony Bourdain, qui a fait de ses voyages une source d’inspiration pour sa cuisine. Comme Bourdain, l’auteur de ce livre nous montre que la véritable essence de la gastronomie réside dans la découverte et le partage, et que chaque voyage est une opportunité d’enrichir notre savoir culinaire. Dans son livre “Carnet de voyage culinaire ”, Michael Booth écrit : “Chaque cuisine est un chapitre de l’histoire, chaque recette est un poème. Voyager à travers les saveurs du monde, c’est découvrir l’essence même de la vie.”

La magie du chiffre 13 : mythologie en cuisine  

Dans la mythologie grecque, le chiffre 13 est chargé de significations profondes et souvent contradictoires. D’une part, il est associé à la déesse Héra, protectrice du mariage et de la famille, car elle est la treizième divinité à avoir été invitée au mariage de Thétis et de Pélée. D’autre part, il est également lié au dieu Hadès, seigneur des Enfers et représentant de la mort et de la fin des cycles. Ainsi, le chiffre 13 incarne à la fois la fertilité et la création, mais aussi la transformation et le renouveau.

Dans le contexte de la cuisine, le chiffre 13 prend une signification particulière. Il symbolise l’abondance, la plénitude et la richesse des saveurs. Dans “La cuisine des âmes nues », la présence de 13 femmes, chacune apportant sa propre contribution culinaire, évoque cette idée d’abondance et de diversité. Comme les 13 divinités de l’Olympe, ces femmes incarnent différentes facettes de la gastronomie, chacune offrant un éventail unique de saveurs et de traditions.

De plus, le chiffre 13 est souvent considéré comme un nombre de chance dans de nombreuses cultures à travers le monde. Dans la cuisine, il peut être interprété comme un présage de bonheur et de prospérité. Chaque recette de “La cuisine des âmes nues » est une offrande à la fortune, un rituel culinaire destiné à apporter joie et satisfaction à ceux et à celles  qui les dégusteront.

Ainsi, à travers la symbolique du chiffre 13 en cuisine, nous sommes invités à reconnaître la richesse et la complexité de l’expérience gastronomique. Chaque plat, chaque ingrédient, chaque geste culinaire est chargé de sens et de significations, nous reliant ainsi aux mystères de la mythologie et à la magie de la création culinaire.

Le féminisme culinaire : révolution dans les casseroles 

Dans “La cuisine des âmes nues » l’exploration culinaire va au-delà de la simple préparation de repas ; elle incarne également une forme de rébellion contre les normes traditionnelles de genre. Cette approche résonne avec les idées féministes qui ont longtemps cherché à réclamer une place légitime pour les femmes dans la sphère culinaire. Comme le souligne l’écrivaine et activiste culinaire Charlotte Druckman : “La cuisine a longtemps été considérée comme un domaine réservé aux femmes, mais cela ne signifie pas que leur travail y a été reconnu ou valorisé de manière égale.” De la même manière, dans son livre “Cuisiner : Un récit d’amour et de rébellion ”, l’auteure et critique culinaire Kim Severson explore les liens entre la cuisine et le féminisme, affirmant que “cuisiner peut être un acte de rébellion, une façon de revendiquer sa place dans un monde dominé par les hommes.” Ainsi, « La cuisine des âmes nues » représente non seulement une célébration de la diversité culinaire, mais aussi une affirmation du pouvoir des femmes dans le domaine de la gastronomie, où leurs voix et leurs talents sont enfin reconnus et célébrés.

Sociologie du goût 

“La cuisine des âmes nues ” nous invite à réfléchir à la sociologie du goût, à la manière dont nos préférences culinaires sont influencées par notre environnement social et culturel. En mettant en lumière les traditions culinaires de différentes communautés à travers le monde, l’auteur nous montre que le goût est bien plus qu’une simple sensation gustative, c’est aussi un reflet de notre identité et de notre histoire. Cette approche rappelle les travaux du chef Massimo Bottura, dont les voyages à travers l’Italie ont inspiré sa cuisine avant-gardiste, mettant en valeur les traditions tout en les réinventant pour les générations futures. De la même manière, “La cuisine des âmes nues” nous offre une nouvelle perspective sur le lien entre alimentation et culture, nous invitant à explorer ces liens à travers le prisme de la cuisine. Dans son roman “My life in France”, Julia Child écrit : “La cuisine est bien plus qu’une simple nourriture pour le corps, c’est une nourriture pour l’âme. Chaque plat raconte une histoire, chaque recette évoque un souvenir. C’est à travers la cuisine que nous nous connectons les uns aux autres, que nous partageons nos joies et nos peines, nos rêves et nos désirs.”

Dans un monde où le temps semble filer à toute vitesse, où les moments de pause et de contemplation se font rares, “La cuisine des âmes nues ” offre un refuge, un havre de paix où chaque recette est une invitation à ralentir, à savourer, à réfléchir. À travers ces pages empreintes de voyages, de rencontres et de saveurs, ce livre nous rappelle que la cuisine est bien plus qu’une simple nécessité quotidienne ; c’est un art, un langage universel qui transcende les frontières, les différences, les mythologies .

En découvrant les histoires de ces 13 femmes à travers leurs recettes, nous plongeons dans un univers riche en couleurs, en textures et en arômes, où chaque plat est le récit d’une vie , où chaque bouchée est chargée d’émotions. De la fusion audacieuse des ingrédients à la délicatesse des gestes culinaires, chaque page de ce livre est une ode à la créativité, à la générosité et à l’amour.

Alors que nous refermons ce livre, nous sommes invités à nous poser des questions, à réfléchir sur nos propres voyages, sur nos propres rencontres. Quelles saveurs avons-nous encore à découvrir ? Quelles histoires avons-nous encore à partager ? Et surtout, comment pouvons-nous utiliser la cuisine comme un moyen de créer des liens, de briser les barrières et de célébrer la diversité ?

À travers “La cuisine des âmes nues”, nous sommes transportés dans un monde où les frontières entre les cultures s’effacent, où les différences deviennent des atouts, où la cuisine devient un pont entre les peuples. Que ce livre soit le début d’une aventure culinaire sans fin, où chaque plat est une promesse de découverte et d’émerveillement. À table, et que le festin commence !

Editions de la Zitourme

Invitation 20 mars 2024 autour de Yezza Mehira avec Fabrice Pataut, Gautier Battistella, Gilles Brochard : Littérature et cuisine

Invitation Soirée littérature et cuisine le 20 mars 2024

Yezza Mehira et Guilaine Depis vous invitent à une inoubliable soirée Littérature et cuisine 
 
Mercredi 20 mars dès 18h30 à l’Hôtel la Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris
 
inscription par sms : Balustrade 06 84 36 31 85
 
Yezza Mehira fait son miel de l’intimité des femmes. Les saveurs accrochées à ses souvenirs de la Méditerranée à la Goutte d’or se font nouvelles littéraires. Avec elle, tout devient comestible et désirable. Elle s’est immiscée par la porte de la cuisine dans des cœurs de femmes venant de Tunisie, du Liban, d’Egypte, en somme d’un ailleurs aux saveurs orientales.
 
Avec les recettes de son premier livre, La Cuisine des âmes nues à déguster sur place, et des conversations-plaisirs avec :
 
Philosophe, chercheur au CNRS (philosophie du langage)Prix de la nouvelle de l’Académie Française (Trouvé dans une poche (Buchet/Chastel, 2005). Fabrice Pataut a vécu plusieurs années à Los Angeles avant de publier un premier recueil, puis un premier roman, Aloysius (Buchet/Chastel, 2001). Son roman En haut des marches (Seuil, 2007) fait l’objet d’une adaptation théâtrale. Dernière parution : Les beaux jours (Héliopoles, 2022). Son travail a été reconnu du Monde au Figaro, de Libération à France Culture…
 
Gautier Battistella considère que « la cuisine est le langage du monde ». Scénariste, goûteur, et amoureux de tout ce qui s’admire ou se met en bouche. Quinze ans au Guide Michelin, voilà qui vous éduque un palais ! Il publie des romans chez Grasset : Un Jeune Homme Prometteur (2014) et Ce que l’homme a cru voir (2018). Avec Chef (Prix Cazes 2022, adaptation en cours pour la télévision), il trouve un sujet susceptible de flatter son goût pour les belles lettres et les plats mijotés. Il travaille à son prochain opus, ainsi qu’à un roman graphique consacré à un chef célèbre.
 
Gilles Brochard

est l’auteur de plusieurs livres sur le thé dont Un thé chez les tigres (P.G.de Roux), Cuisine d’altitude (Verlhac Edts), Guide secret des tables politiques (Verlhac), journaliste gastronomique, littérature et art de vivre, il collabore à Radio Notre Dame, Valeurs actuelles, Voyage de Luxe et Service littéraire….

 

Yezza Mehira par Emile Cougut dans Wukali

Yezza Mehira par Emile Cougut dans Wukali

Il arrive que parfois dans un roman, on finisse par trouver quelques recettes de cuisine. On pense bien sûr aux livres d’Aurélie Foucher qui se terminent généralement par quelques recettes des spécialités de l’île de Groix, à Michelle Barrière dont l’œuvre vous incite à cuisiner des plats allant du Moyen-Âge à notre époque, ou encore le succulent Livre de recette de la série noire, car dans les romans policiers : on mange et souvent très bien. Mais, je n’ai pas le souvenir qu’au fil de mes lectures avoir trouvé une recette de cuisine qui serve de fil conducteur à une nouvelle. Et c’est exactement ce que fait Yezza Mehira dans La cuisine des âmes nues publié par la courageuse petite maison d’éditions de la Zitourme.

Toutes s’ouvrent par une recette, ce qui nous en fait 13 en tout. 13 recettes provenant du pourtour Méditerranéen, en incluant la blanquette de veau, car ce plat symbole de notre pays, est aussi Méditerranéen vu l’emplacement géographique de la France. Certaines comme l’omelette internationale (à base d’herbes) ou les amuse-bouches des amants, n’ont pas « signatures » géographiques, alors que d’autres (la fenkata, le baba Ganoush ou la kamounia, entre autres) sont issues d’endroits, de pays bien identifiés.

Alors ces recettes? Comme d’habitude, leurs lectures titillent mes papilles gustatives et j’en essaie quelques unes. Elles sont toutes d’une remarquable simplicité et le résultat est à la hauteur de la sensualité qui se dégage de ces nouvelles, mais c’est ma seconde partie.

Après, nous sommes essentiellement dans une cuisine du Sud ou de l’Est Méditerranée, ces endroits où les épices sont reines (parfois un peu trop), et savoir les utiliser parfaitement, savoir trouver les équilibres, les dosages qui ravissent le palais demande, de fait, des années de pratique qu’un simple occidental gascon, hélas n’a pas ! ( Pleurons, pleurons NDLR). Mais il n’empêche que j’ai mangé grâce à Yezza Mehira une excellente soupe de pois chiche.

Les nouvelles nous font voyager de la Libye à l’Espagne (et l’Histoire numéro 1 n’est pas sans faire penser à Lucià Etxbarria, cette autrice débordant de talent), de l’Égypte à la France, de la Syrie à la Tunisie). Toutes sont des histoires de femmes : soumises, révoltées, victimes de sociétés patriarcales qui les corsètent jusqu’à être mises dans un moule qui les étouffe. Toutes se réfugient, s’expriment à travers la cuisine, le lieu où elles sont les maîtresses incontestées, le lieu où, de fait, elles peuvent s’exprimer, créer, dévoiler leurs vraies personnalités.

Ces nouvelles s’adressent à nos cinq sens d’où la sensualité (dans le sens étymologique du terme) qui s’en dégage.

Avec son style limpide, dans lequel pas un mot n’est de trop, juste à sa place, Yezza Mehira nous entraîne dans des lieux où, quelque soit le contexte parfois difficile ou oppressant, l’âme humaine trouve à s’épanouir.

« La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros » (Argoul sur « La cuisine des âmes nues » de Yezza Mehira)

Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues

Ce sont treize nouvelles entrecoupées de treize recettes de cuisine, dont le sommaire est rappelé judicieusement au début. Des nouvelles des femmes du Maghreb et du Proche-Orient où les hommes sont dominants, de par la religion d’Allah. Le seul travail bien vu de la femme, en ces coutumes, est de faire des enfants et la cuisine.

Les enfants n’ont pas leur place dans ces nouvelles où l’auteur invente des personnages qui lui ressemblent. Née en Tunisie, elle est arrivée à Paris à 2 ans et a été élevée à la Goutte d’or, quartier célébré par Michel Tournier. Elle a étudié les lettres et les langues germaniques et travaillé comme une Occidentale d’un pays démocratique libéral dans les grandes entreprises. Et pris ses aises en Suisse, où la fiscalité est moins socialiste.

La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros. Quand les deux sont en conjonction, le paradis est sur la terre et dans les âmes. Mais une seule nouvelle sur treize parvient à ce nirvana – lors d’un second mariage, cette fois consenti. C’est que les familles s’en mêlent, prises dans le milieu social où tout le monde s’épie et cancane. L’arabe tunisien a même deux mots pour désigner ces potins : le glak et le gotlak, moment de sociabilité du matin entre femmes, entre petit-déjeuner et ménage.

La « plus belle femme du monde » cuisine avec plaisir pour son mari, tout en se faisant belle. Elle séduit par l’apparence extérieure et par les saveurs intérieures. Mais elle finit par s’apercevoir que son mari n’aime que ses abords corporels et ses résultats culinaires ; il est resté au fond ce petit garçon égocentré que toute mère méditerranéenne couve jusqu’à la fin de sa vie. La « soupe de pois chiche » (recette en prime) est comme le lait de la mère, une douceur de chaque soir. Lorsque le cancer lui ôte un sein, « la plus belle femme du monde » est déchue pour son époux. Elle se rend compte alors que c’est elle-même qu’elle aime, et pas son époux. « J’étais l’aimant de ma propre vie ». Si son mari ne l’avait pas épousé, il n’aurait pas eu cette existence paisible et goûteuse. Comme quoi le vrai mariage est la conjonction de deux êtres qui se sentent complémentaires et assurent leur bonheur personnel l’un par l’autre.

Quant à l’énigmatique « SoniaK2Tataouine », au pseudo tout droit sorti d’un réseau social, a-t-elle existé ? Une nouvelle lui rend hommage. Toutes deux du sud tunisiens, toutes deux réussissant leur « cursus » (drôle de mot technocratique) à Paris, toutes deux rêvant du bon job qui paye bien, et sur le point de réussir. Mais… « Tous ces chocs culturels en pleine figure ». L’immigration, même à la seconde génération, n’est pas un parcours de tout repos. « Nous ne savions pas vivre comme eux. Mais nous le voulions tellement » p.73. Donc, à la fin des études, la fugue de chez les parents tunisiens, restés traditionnels ; puis le chantage affectif à la « mort de la grand-mère », le mensonge utile et permis – la taqiya – et le mariage arrangé, au bled, où il ne fallait surtout pas revenir. Dès lors, la prison à vie. La famille, le milieu, les traditions, la religion.

A quoi cela sert-il d’émigrer ?

Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues, 2023, éditions de la Zitourme (micro-édition de Zoug en Suisse), 144 pages, €13,00 – non référencé sur Amazon

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

« La force des femmes qui échappe aux hommes », Yezza Mehira dans la revue littéraire Souffle inédit

Yezza Mehira

par Margaux Catalayoud

dans Souffle inédit

La cuisine des âmes nues de Yezza Mehira

Par Margaux Catalayoud

Que les Éditions de la Zitourme soient remerciées pour leur première publication – il n’y en aura qu’une tous les neuf mois, le temps qu’un bébé grandisse – : La cuisine des âmes nues, Recettes et nouvelles de Yezza Mehira. Le ton est donné par la maison d’édition, il s’agira de patienter, de savourer les mets, délices pour la bouche et le cœur de cette autrice qui fait son miel de l’intimité des femmes, de celles qui tournoient en cuisine.

Vous avez dit littérature ?

Chaque recette de cuisine est reliée à une nouvelle, et dans chaque nouvelle émerge ça et là l’histoire de cette recette telle un indice sur la vie des personnages, une entrée dans leur charme de femmes fait de détails et d’observations délicates. Les lecteurs et lectrices se surprendront probablement à apprécier la poésie des recettes, le rythme des impératifs et les sonorités amusantes des divers ustensiles. L’autrice donne à entendre la petite musique du Cake d’amour que Michel Legrand inventa pour le film de Jacques Demy, Peau d’âne. Les protagonistes du livre seraient au moins aussi belles que Catherine Deneuve. Au fond, la forme questionne l’art, à quels mots peut-on refuser ce qui fait littérature ? Cet art du banal nous apprend à regarder, à lire, à écouter et à sourire. La littérarité du quotidien et de la nécessité des recettes engage le décorum des nouvelles sur la voie de la modestie, modestie et lucidité des femmes, modestie et précarité des ménages. La beauté des mots en version originale tels que « fifla », « gozo » ou « fenkata » sont autant de realia qui enchantent les oreilles curieuses.

Exotisme et intimité universelle

A l’origine de ces multiples récits : le voyage en méditerranée de Yezza Mehira. Elle s’est immiscée par la porte de la cuisine dans des cœurs de femmes venant de Tunisie, du Liban, d’Egypte, en somme d’un ailleurs aux saveurs orientales qui ravira les nostalgiques de l’orientalisme, quoiqu’ici, les couleurs sont authentiques et dures. De fait, il est notamment question de mariage forcé, de guerre, de refus du rôle de la femme au foyer. Les femmes tentent de modeler leur quotidien selon la tradition, avec ceci en plus de ladite tradition qu’elles veulent du plaisir, souvent leur propre chair communie avec celle qu’elles préparent pour elles seules ou un foyer. Elles apprennent à faire le jeu de la féminité et même à être une « salope » si bon leur semble. L’écriture, malgré la complexité des situations évoquées, se veut naïve, au sens littéraire, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de candeur, laquelle est empruntée à quelques femmes pleines de dignité dont l’autrice trace un portrait détourné. D’ailleurs, certaines lignes sonnent comme un dialogue dont on peine à imaginer la subtilité de l’interlocuctrice-narratrice qui écrit cependant à la première personne. Les confidences apparaissent naturelles et simples, de celles qui content un passé qui les ont façonnées en stoïciennes, entre autres choses.

Érotisme

Les scènes quotidiennes qui découlent sur les grands bonheurs et grands malheurs des femmes donnent l’espace à l’autrice d’y développer toute leur sensualité qui émane de leur proximité. La question de l’écriture féminine ne fait pas de doute : aucune sorte de male gaze ne point. Tout devient comestible et désirable ; une femme ressent ceci « Et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de mes recettes intimes. Des petits amuses-bouches raffinés à mélanger avec notre amour. Et quand tout s’est arrêté, j’ai commencé ma troisième vie de femme, avec la satisfaction d’en avoir été une. » Une autre raconte une séance masturbatoire qui n’excitera pas le ou la potentiel.le libineux.se. La femme est multiple, mouvante, tout le contraire du mystère féminin perpétuellement évanescent, elles cherchent à se saisir certes, mais l’acuité qui les gouverne les responsabilise. Les héroïnes comme en elles-mêmes sont juste douées pour la vie. Elles ont du goût, veulent leurs goûts. C’est peut-être cette force qui échappe aux hommes.

Le livre

Souffle inédit