Madame Figaro aime autant que nous Eve Ensler, youpi :o) (interview du 9 janvier 2010 par Marie-Christine Deprund)

EVE ENSLER, « SEUL LE THEÂTRE PEUT CHANGER LE MONDE »

eve-ensler.jpgLe succès planétaire des Monologues du vagin permet à cette auteure de soutenir les femmes en détresse. Aujourd’hui, Des mots pour agir, le recueil de textes qu’elle publie (1), dénonce les violences familiales et sexuelles à travers le monde. Retour en six mots-clés sur le parcours de cette infatigable militante.

Paru le 09.01.2010 , par Marie-Christine Deprund

Frange noire sur des yeux rieurs, Eve Ensler est à la fois sombre et lumineuse. Elle nous a donné rendez-vous dans l’île Saint-Louis, à deux pas du nouvel appartement où cette globe-trotteuse de la condition des femmes aime trouver refuge. Voilà bientôt dix ans que l’on peut écouter dans les théâtres de la capitale ces variations autour de la sexualité féminine, recueillies après quelque deux cents interviews de femmes, et lues sur scène tour à tour par Fanny Cottençon, Rachida Brakni, Marilou Berry, Bernadette Lafont ou Sara Giraudeau ; en écho aux Jane Fonda, Cate Blanchett et autre Winona Ryder, qui, à New York, ont égrené le même texte. À chaque fois, les recettes des représentations – 50 millions de dollars à ce jour – financent des actions de soutien aux femmes en détresse. On savait Eve Ensler acérée, audacieuse et drôle. On la découvre passionnée, généreuse, plus que jamais prête à en découdre.

SUCCÈS
« Les Monologues du vagin ont été traduits en cinquante langues, et joués dans cent trente pays. Jamais je n’avais imaginé un tel succès. Pourquoi cet engouement ? Sans doute parce que la pièce dit à voix haute ce que les femmes pensent, mais n’avaient pas osé dire. Au début, j’ai joué la pièce dans un petit théâtre de New York. Par la suite, de temps en temps, je remontais sur scène. Beaucoup de femmes venaient me voir et me disaient : “Je vais vous raconter mon histoire.” Je pensais qu’elles allaient me confier leur plaisir sexuel… Pas du tout ! Elles parlaient d’inceste, de viol, de sévices physiques. Voilà pourquoi de ces confessions j’ai tiré un nouveau texte. Dans le même temps, une autre pièce, The Good Body (« Un corps parfait », NDLR), est en train de parcourir les scènes du monde entier. Elle parle des femmes qui sont obligées de changer leur apparence pour s’adapter à leur culture. Ici avec le Botox ou les régimes, au Pakistan avec la burqa. Cette pièce sera bientôt montée en France. »

ENFANCE
« Je suis le pur produit de mon enfance dévastée. Vue de l’extérieur, ma famille américaine était un modèle de respectabilité. À l’intérieur, c’était un enfer, tenu par un père violent et incestueux. Petite, je me haïssais. À l’adolescence, j’ai noyé mon mal de vivre dans l’alcool et la sexualité débridée. Je voulais mourir. Par chance, j’ai rencontré des gens qui m’ont aidée. Dès que j’ai su que je survivrais à ce que j’avais subi, je me suis rapprochée de femmes qui avaient vécu la même chose que moi. J’avais besoin de cette solidarité. »

Ensler_couv.JPGFÉMINISME
« J’ai rejoint le féminisme aux États-Unis dans les années 70, et c’est comme si une la fenêtre s’était ouverte. J’ai compris que je pouvais être maîtresse de mon destin, libre et active. Le féminisme réellement m’a sauvé la vie. »

HOMMES
La violence faite aux femmes détruit aussi la vie de leurs fils, de leurs frères, de leurs pères, de leurs maris. J’ai adopté mon fils (l’acteur Dylan McDermott, NDLR) quand il avait 15 ans ; moi, j’en avais 23. J’ai épousé son père. La mère de cet adolescent avait été assassinée quand il avait 5 ans. Nous avions huit ans de différence, et j’ai voulu qu’il ait une mère pour la vie. Je l’ai adopté dans les règles. C’est aujourd’hui un superbe acteur et un homme magnifique, je l’adore ! Et je suis grand-mère de deux petites-filles merveilleuses. Je crois que mon fils a toujours été fier de mon combat. Tous les hommes sont concernés par cette lutte contre la violence, c’est pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre notre cause, et j’en suis très heureuse. Je crois que dans l’avenir, les mouvements féministes seront mixtes. »

THÉÂTRE
« Je crois que seul le théâtre peut réellement changer le monde, et mettre fin aux violences. La politique, c’est fini. J’ai commencé à écrire quand j’avais 10 ans. Je tenais un journal que je retrouvais chaque fois que mon père m’avait agressée. L’écriture est devenue une part de moi-même. J’ai choisi le théâtre parce que c’est un lieu fédérateur, un des derniers lieux révolutionnaires. Il transmet, il insuffle de l’énergie. Brecht, Pinter, Tennessee Williams ont changé notre conscience. À chaque représentation des Monologues, j’ai vu les spectateurs indiens, anglais ou américains rire et pleurer aux mêmes passages du texte. Je les ai vus boire les paroles des femmes et se transformer. En 1998, j’ai organisé une lecture des Monologues réunissant des comédiennes très connues comme Glenn Close, Whoopi Goldberg, Susan Sarandon… Et c’est le jour de cette première que nous avons lancé V-Day (sur www.vday.org). »

V-DAY
« V comme victoire sur la violence, Saint-Valentin, vagin, volupté… Partout dans le monde, des femmes ont répondu à l’appel, et à une vitesse grand V ! Le mouvement est entièrement financé par les représentations des pièces. Grâce aux 5 à 6 millions de dollars collectés chaque année, nous faisons vivre des safe houses, des maisons où peuvent se réfugier des petites filles et des femmes victimes de violences. Il en existe deux au Kenya, deux en Haïti, une au Caire, une au Pakistan, deux en Irak. Nous ouvrons actuellement une très grande Maison de la joie au Congo, où la situation des femmes est la pire au monde. Nous assurons l’éducation des résidentes jusqu’à ce qu’elles puissent voler de leurs propres ailes. »

(1) Codirigé par Mollie Doyle, aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque.

Lecture de son roman « L’effacée » par Daniel Mesguich, mardi 12 janvier à 18h30, à l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque

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Mardi 12 janvier à 18h30, Antoinette Fouque vous invite 35 rue Jacob à une rencontre-dédicace avec Daniel Mesguich qui nous présentera par une lecture son dernier roman, L’effacée, paru chez Plon en septembre 2009.

Pourquoi K. Hell dit-il : « je vais encore mourir » ?
Qu’est-ce que ce blanc, ce blanc partout, autour d’Ellen ?
Qui est celui qui la suit alors qu’elle marche vers la mer ?
À quoi rime la barque en papier qu’Hervé dépose sur une flaque pour lui parler ?
Pourquoi Ellen écrit-elle le mot FAC sur son manuscrit ?
Qui aime Ellen ?

Entre quête et errance, le lecteur est entraîné sur les traces du mystérieux K. Hell, que poursuit Ellen dont la passion, les pensées folles, les rêves et les cauchemars traversent ce roman de la création.

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Metteur en scène, théoricien du théâtre, comédien, directeur du Conservatoire National d’Art dramatique de Paris, Daniel Mesguich révèle, avec « L’effacée », qu’il a une corde de plus à son arc. Dans ce premier roman à clefs, il explore la naissance du roman par l’itinéraire d’Ellen, à la recherche d’un mystérieux metteur en scène, K.Hell.

Truffé de références, de jeux de miroirs et de mots, de résonances et métaphores, Daniel Mesguich sonde l’essence de la littérature.

Pourquoi écrire un roman et pas du théâtre ?

Je ne voulais pas écrire un roman avec des personnages en chair et en os. Il y a des structures, des lignes, des forces dans la langue et c’est cela qui m’intéresse. J’ai voulu commencer par le signifié, les mots. C’est une histoire de lettres en réalité, de lettres qui s’effacent. J’ai souhaité être au plus près de l’aube de l’écriture d’un roman.

Dans “L’effacée”, tout est illusion… Comme au théâtre ?

Je suis un amoureux de Shakespeare. Dans les comédies, il n’y avait que des acteurs et pas d’actrices, or, il y a parfois des personnages féminins qui se déguisent en hommes. Que regardaient les spectateurs du théâtre du Globe ? Un homme déguisé en femme, déguisée en homme ! Ce sont les spectateurs qui imaginaient. C’est ce qui se passe dans ce roman, K.Hell disparaît, avec Hamlet qui file tout au long du livre. D’abord, une femme amoureuse de lui part à sa recherche dans les rues de Marseille en laissant libre court à sa rêverie. Puis on se rend compte qu’elle a tout écrit et que K. Hell n’a peut être jamais existé, un peu plus tard, on comprend qu’Ellen n’a jamais quitté la clinique parce qu’elle s’était, comme une Ophelia, noyée. Enfin, on apprend qu’elle n’existe pas et que c’était son ami Hervé qui a tout inventé puis les lettres s’effacent et c’est donc K.Hell qui a tout écrit. « L’effacée » est l’histoire d’un auteur qui explore l’acte d’écrire un roman.

Peut-on dresser des ponts entre la littérature et le théâtre ? Et pourquoi cette symbolique permanente de la blancheur ?

Le théâtre est fait de littérature. L’absence de texte n’existe pas, même dans le théâtre sans texte. Le roman, quant à lui, n’a pas besoin qu’on l’incarne. Il se suffit à lui-même. La blancheur, c’est la page blanche. J’ai voulu raconter de manière métaphorique ce qui m’arrivait : j’avais à écrire un roman. Il y a aussi une histoire du noir. Au fond, c’est du noir sur du blanc, mais qu’est-ce qu’un livre sinon du noir sur du blanc ? Ce livre se raconte lui-même.

Christelle Guibert interviewe Antoinette Fouque sur le masculinisme (Ouest-France, 5 janvier 2010)

 Ouest-France (5 janvier 2010) Le masculinisme, ou la revanche de la ‘virilité’ mardi 05 janvier 2010

mec.JPGAprès des années de lutte pour les droits des femmes, la prochaine décennie verra-t-elle exploser le « masculinisme » ? Ce mouvement, né pour promouvoir « la cause des hommes », s’oppose au féminisme et lui reproche d’avoir instauré un « matriarcat déstabilisant ». Il est particulièrement actif aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où il est mené par le groupe Fathers for Justice (F4J sur Internet) : des pères qui, au départ, se battaient pour que les gardes d’enfants soient plus égalitairement accordées, en cas de divorce.

Le mouvement est très virulent au Québec. Il a refait parler de lui en décembre, vingt ans après le drame de l’école Polytechnique, à Montréal : quatorze femmes tuées par un homme qui avait hurlé « Je hais les féministes » en tirant. Une journaliste de Radio Canada a révélé qu’un site Internet masculiniste érigeait ce tueur en héros, quelques jours avant la commémoration. Un cas extrême.

En France, le mouvement semble beaucoup moins structuré. Antoinette Fouque, la cofondatrice du MLF, observe cependant l’émergence de « quelques ténors d’un virilisme à la française ».

« Un machisme new age »

Le jour où une femme est devenue pilote de ligne, en 2000, ils ont donné de la voix pour dénoncer la féminisation des professions (La cause des hommes de Patrick Guillot, Vers la féminisation d’Alain Soral), pour reprocher aux mères d’élever leurs fils avec des valeurs trop féminines, et aux sportifs d’adopter une esthétique homosexuelle en posant nus pour un calendrier.

Face à cette « perte du modèle masculin », certains prônent le retour de la virilité. Dont le journaliste Éric Zemmour, auteur d’un livre intitulé Le premier sexe. Il est cité dans le documentaire La domination masculine, sorti à la fin de l’année au cinéma, mais il a contre-attaqué, en indiquant que ses « propos avaient été déformés » par le réalisateur.

Antoinette Fouque analyse l’origine de ce nouvel élan de virilité : « Toute révolution connaît sa contre-révolution. C’est ce que vit le féminisme. L’Américaine Susan Falludi a appelé ce phénomène ‘Backlash’, le retour du bâton. » Selon l’intellectuelle, « il faut absolument barrer la porte à ce machisme new age », puisque l’égalité des sexes est loin d’être acquise : « On n’observe pas de régression, mais un frein à la progression. Je rappelle que les femmes produisent les deux-tiers de la richesse mondiale et n’en possèdent que 2 %. »

Elle demande même d’urgence un « Grenelle mondial des femmes », en 2010.

Christelle GUIBERT.

Bernard Géniès, auteur d’un splendide article sur « Scènes d’enfants » de la photographe Carole Bellaïche pour le supplément SORTIR du Nouvel Obs (24 déc 09 au 6 jan 10)

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LE NOUVEL OBSERVATEUR – SORTIR OBS
 
Jeudi 24 décembre au mercredi 6 janvier 2010
 
Il y a du bonheur dans les photos de Carole Bellaïche. Il y a du bonheur parce qu’il y a des enfants qui font des gâteaux, qui courent vers le bord de la mer, qui plongent dans l’eau miroitante d’une rivière, qui regardent des fleurs. Rien de plus simple. C’est la vie de tous les jours, telle que la mènent les enfants de la photographe. On est loin des clichés de stars réalisés par la photographe – Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Jane Birkin – que l’on retrouve également dans l’expo. Loin, vraiment ? Peut-être pas tant que cela. Car photographier ce n’est pas seulement montrer. C’est aussi dire. Une émotion, un sentiment. Mais ce peut-être également l’amorce d’un récit, l’évocation d’une situation. De fait, les images de Carole Bellaïche apparaissent parfois comme les plans d’un film dont l’action semble un instant suspendue. En couleur ou en noir et blanc, ces photographies sont empreintes d’une douceur qui ne doit rien à la naïveté ou à la mièvrerie. Elles sont, pour reprendre le titre du livre de Catherine Grive qu’elles illustrent, « Ces choses qui font battre le coeur » (Albin Michel). Tout est dit là, dans quelques mots. Bernard Géniès
Des Femmes Espace-Galerie, 35 rue Jacob (6ème), 01.42.22.60.74 www.desfemmes.fr Du lundi au samedi, de 11 h à 19 h. Jusqu’au 31 décembre

Le magazine Photos a aimé l’exposition de Carole Bellaïche (décembre 2009)

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PHOTOS
Déc. 09
Carole Bellaïche – Moments d’enfance
 
Ode à l’enfance et aux joies du quotidien, cette exposition est née d’une rencontre entre l’auteur Catherine Grive et la photographe Carole Bellaïche. La première cherchait une illustratrice pour son livre « Ces choses qui font battre le coeur » (Albin Michel Jeunesse). La seconde a pris prétexte de cette invitation pour capter chez ses enfants une quarantaine d’émotions. Carole Bellaïche, « Scènes d’enfants » Galerie des Editions des Femmes, 35 rue Jacob, Paris 6ème.

Le(la ?) mystérieux(se ?) J.-L. D. signale la sortie du coffret Duras dans Le Monde 2 (12 décembre 2009)

durasblog.jpgLE MONDE MAGAZINE
12 Déc. 09
 
Marguerite Duras
Filmée par Benoit Jacquot. Côté visuel, un DVD contenant deux films : en 1996, devant la caméra de Benoit Jacquot, Marguerite Duras explique son désir d’écrire l’histoire de « la mort du jeune aviateur anglais », ce jeune homme abattu dans le ciel par les Allemands près de Deauville et veillé par les gens du village. Elle dit que la mort de ce jeune homme symbolise l’amour du petit frère, l’amour des hommes, des gens. Elle explique aussi dans Ecrire comment elle a découvert sa passion littéraire. Côté audio, deux CD dans lesquels Fanny Ardant lit des textes de Marguerite Duras : ceux qu’elle écrivit à partir des deux films, des propos échangés. J.-L. D.
1 coffret, 1 DVD. 2 CD, Montparnasse/Ed. des femmes

Têtu annonce les deux livres phares d’Antoinette Fouque de cet hiver ! (comme auteure et comme éditrice !) (janvier 2010)

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af.jpg TÊTU NEWS – Jan 2010

Mémento
Après L’Imparfaite, revue sociologique érotique décloisonnée des étudiants de Sciences-Po Paris, voilà Monstre, une revue « gay » qui revitalise un adjectif qui n’était plus assez transgressif, devant les très à la mode bobo ou queer. C’est « justement cela qui laisse le champ libre à sa réactivation », dixit les fondateurs de Monstre. * Aux éditions Bourin : Qui êtes-vous Antoinette Fouque ? Interviewée par Christophe Bourseiller, elle expose sa pensée phare, qui place la procréation au coeur de l’éthique et de la libido des femmes. A méditer… * Fouque encore, avec, aux éditions Des femmes « Des mots pour agir contre les violences faites aux femmes. Souvenirs, Monologues, Pamphlets et Prières », édition augmentée des Monologues du Vagin, sous la direction d’Eve Ensler et de Mollie Doyle.

La Quinzaine se remémore son numéro 85… Avec Antoinette Fouque ! (16 au 31 décembre 2009)

antoinette_fouque.jpgLA QUINZAINE LITTERAIRE 16/31 Déc. 09 – biMensuel

Il y a 40 ans dans La Quinzaine
 
Sur le site de La Quinzaine littéraire
 
Le numéro 85 du 16 décembre 1969 vient d’être mis en ligne.
 
Au sommaire :
Les livres de La Quinzaine : Bonjour minuit, Les tigres sont plus beaux à voir de Jean Rhys sont chroniqués par Diane Fernandez ; « Soljenitsyne, la Russie, l’exil » d’Yves Léger fait le point sur la situation de l’écrivain dissident. A la rubrique Romans français, Jean Wagner parle de Tentative de visite à une base étrangère de Raphaël Pividal et de Portrait de l’enfant de Louis Calaferte, Joseph Guglielmi chronique Le Carnaval de Jean-Claude Montel, Marie-Claude Jalard Brancula de Roger Curel. Suivent ensuite les romans étrangers : Fiorella de Carlo Cassola par Antoinette Fouque-Grugnardi Blanche-Neige de Donald Barthelme par Serge Fauchereau, Les Oeuvres d’Eustace de James Purdy par Alain Clerval, Infantilia de Lars Gyllensten par Claude Bonnefoy ; à la rubrique Livres cadeaux : « Les meilleurs livres pour enfants » par Simone Lamblin, « Les meilleurs livres d’art de l’année » par Jean Selz. Louis Marin rend compte de l’exposition Klee et le visible. En Histoire : le monde que nous avons perdu de Peter Laslett par Philippe Aries ; en Philosophie : Maurice Merleau-Ponty La Prose du monde par Anne Fabre-Luce ; Gilbert Lascault rend compte du numéro 39 de la revue L’Arc consacré à Michel Butor ; Rachid Boudjedra chronique Andreï Roublev de Tarkovsky ; Gilles Sandier célèbre l’Open Theater de New-York ; George Perec poursuit son feuilleton W.

Nelly Carnet repère le livre audio de Charles Juliet et Valérie Dréville dans la revue « Autre sud » (septembre 2009)

julietblog.jpgAutre sud – septembre 2009 – n°46 Chroniques et notes p.155

« J’ai cherché… » de Charles Juliet. Lu par l’auteur et Valérie Dréville, la Bibliothèque des Voix, éditions Des femmes. CD.
 
Un ensemble de textes retrace le trajet de Charles Juliet, de la voix tragique à la voix de l’exultation. Les souvenirs, « de l’enfance à l’âge adulte » en passant par l’école militaire, deviennent des micro-récits autobiographiques scandés, martelés par une voix qui, posée d’une certaine manière, souligne certains des mots les plus importants. Retenons par exemple cette « attente de ne rien attendre » prenant sa source dans la mort portée en soi. Devant la tombe, dans le cimetière de plein champ en surplomb du village, Juliet cherche la mère morte. La voix entendue fait alors résonner toute la lourdeur des mots ressassés. La multiplication des deuils, celui de la mère génitrice puis celui de la jeunesse fraternelle, ne fait qu’accentuer la solitude radicale. Le tutoiement de cette mère inconnue comme au travers l’expression « le tragique de ton regard » permet de confondre la disparue et celui qui en porte le deuil éternel. La faim, le double de soi comme un autre en négatif, harcelant, épuisant et plongeant dans l’ennui, occupent les nuits et les jours de l’auteur qui vit la mort dans le corps et dans l’âme. Il est comme terrifié par lui-même. C’est « la haine de soi/qui s’acharne », dit-il. Solitaire, refoulé dans la cave du monde, il est demeuré en survivance pendant de longues années. Les mots qui demeurent de cette expérience radicale sont devenus la mémoire de cette « descente aux Enfers ».
 
La lecture, qui devient parfois le sujet même des textes, est l’une des autres activités qui aura également occupé Charles Juliet une bonne partie de son existence. L’expérience de la lecture qui nous fait plonger en nous-mêmes et nous sépare du monde quotidien, projette le lecteur, pourrait-on dire, dans un autre enfer fervent et éclairant. Car Juliet a été travaillé par de qu’il lisait et s’est retrouvé écartelé entre deux mondes, interne et externe.
 
D’autres textes sont cependant plus lumineux mais concernent la période la plus récente de la vie de l’auteur. Ils disent son enthousiasme dans le cadre de rencontres. Si certains sont encore frappés de noirceur, ils ne concernent plus l’intériorité de l’auteur mais le chaos du monde dans lequel il vit aujourd’hui.
 
L’écriture, sans doute plus féminine que masculine à cause de sa superposition avec la figure tragique de la mère, est une écriture parturiente. Elle fait naître et laisse parler les morts aussi bien que les « exilés des mots ». A l’écoute des deux voix, on comprend que la conquête des mots fut aussi conquête de soi et de son destin.
 
Nelly Carnet