La Défense d’aimer ou lorsque quarante ans seront passés
La Défense d’aimer, bref roman de Domitille Marbeau Funck-Brentano, préfacé par Jean-Claude Casadesus, ravive la nostalgie des wagnériens. Son action se déroule à Bayreuth en 1978. Pendant le Ring par Chéreau/Boulez !
Pour témoigner du Ring du Centenaire, il y avait eu Histoire d’un « Ring », splendide ouvrage d’images et de mots (dont le beau texte de Patrice Chéreau Lorsque cinq ans seront passés) et, dans le domaine de la pure littérature, le roman de Pierre-Jean Remy Salue pour moi le monde. Les deux étaient parus en 1980, année du dernier tour de piste de ce qui était alors considéré comme le plus beau spectacle du monde.
Il y a aujourd’hui, quarante ans plus tard, La Défense d’aimer, roman de Domitille Marbeau Funck-Brentano. Dans l’esprit du mélomane qui suivit, ou fut de la belle aventure au sommet de la Colline verte, le poids plume des 148 pages de l’arrière-petite-nièce du poète Clemens Brentano entame, avec les petits cailloux semés çà et là par l’auteure, un dialogue des plus troublants avec le poids lourd du Fafner littéraire des 385 pages de Remy. La Défense d’aimer se situe en 1978 et la splendeur de son cadre (Bayreuth à l’époque Chéreau) n’a d’égale que la minceur de son intrigue : la rencontre amoureuse entre un homme (qu’elle surnomme Fasolt) et une femme (qu’il surnomme Waltraute). La plus vieille histoire du monde réactive assez finement la problématique de l’approche amoureuse selon laquelle la femme préférera toujours l’Amour à l’Art, au contraire de l’homme plus fuyant, voire commodément cadenassé par la passion artistique. « Cet homme-là n’a qu’une maîtresse, déesse ou muse à trois visages qui se nomme Erato, Euterpe ou Astarté. Je ne peux rivaliser avec aucune d’entre elles» , conclut l’héroïne. A moins que ces deux-là n’aiment davantage la Musique que l’Amour ?
Après Albert Lavignac (Le Voyage artistique à Bayreuth), après Jean Mistler (À Bayreuth avec Richard Wagner), bibles wagnériennes inlassablement feuilletées par l’impétrant, le livre émeut dans sa description des préparatifs de ce nouveau Voyage à Bayreuth (les billets reçus, que l’on peut choyer des mois en amont), des us une fois in loco (« échange un Tannhaüser contre un Götterdämmerung »). Mais il est nettement frustrant dans sa capacité à parler de la scène : le fabuleux livre d’images de Chéreau est davantage préhensible par son versant sentimental et sensuel que par son apport esthétique. L’ouvrage comporte quelques bourdes (l’héroïne fait enfiler le Tarnhelm à Siegfried à l’Acte II du Crépuscule, attend les fanfares le matin alors que la première ne résonne qu’à 15h45 au plus tôt,…) Le livret documentaire qui le clôt écorche le nom de quelques chanteurs de ce Ring historique et tente un résumé de La Tétralogie dans lequel un dragon peinerait à retrouver ses petits. Mais l’essentiel n’est pas là…
…le titre de la comédie de jeunesse de Wagner est devenu le titre d’une tragédie. Fasolt et Waltraute, comme tant d’autres, retourneront à leur vie. Une vie où brûle encore, quarante ans plus tard, la marque éphémère et indélébile d’un dialogue amoureux entamé sous emprise de l’Anneau wagnérien.
La Défense d’aimer. Domitille Marbeau Funck-Brentano. Editions de l’Harmattan. Paris. 148 pages. 15,50 €. Juin 2019