Et si, en guise de cadeaux disposés au pied du sapin, les traditionnels paquets avaient cédé leur place à de simples attestations numériques certifiant que nous sommes les heureux propriétaires d’objets virtuels? En clair, plus besoin d’ouvrir ses paquets pour, sans attendre, essayer la dernière paire de baskets à la mode, ou admirer, en l’exposant sur son mur, la peinture d’un artiste connu. À la place, nous nous contenterions d’une attestation numérique, preuve irréfutable que nous sommes bien le propriétaire d’un produit ou d’une œuvre fabriquée en quantité très limitée, voire en un exemplaire unique.
Cette vision « originale » pourrait être celle d’un futur Noël lorsque marques et clients auront cédé aux sirènes de la propriété d’objets virtuels rendue possible par l’apparition des NFT.
Le jeton non fongible, contre le « copillage » des œuvres
Un NFT (3 lettres pour signifier « non-fungible token », en français, « jeton non fongible ») est une technologie qui pourrait transformer des industries à l’instar des médias, du monde des jeux vidéo, de la mode, des loisirs ou encore celui du marché de l’art. Pour faire simple, les concepteurs des NFT sont partis d’un constat qu’il fallait protéger les créateurs d’œuvres d’art numériques, ceux-ci régulièrement dépossédés de leur travail du fait que leurs œuvres, exposées sur internet, pouvaient être très facilement dupliquées et copiées, à l’infini. Les NFT ont vocation à mettre fin à ce « pillage systématique » grâce à un procédé d’encryptage d’une œuvre sur la blockchain, registre commun de transactions réputé inviolable. À l’instar d’un acte notarié, un NFT s’apparente à une preuve électronique infalsifiable et inaltérable qui permet de savoir qui est à l’origine de quoi et qui possède quoi.
Pour être concret, et appliqué au marché de l’art (qui représente 70% de l’activité des NFT), John Karp, co-auteur de « NFT Révolution – Naissance du mouvement Crypto-Art [1] » cite l’exemple de la Joconde :
« Il n’y en a qu’une sur terre, signée Léonard de Vinci. Ce tableau est au Louvre, mais n’importe qui peut en obtenir une photo, une image, donc une copie. Posséder un NFT signifie que tout le monde convient que vous possédez l’original d’une œuvre, même si n’importe qui peut en obtenir une copie et que l’artiste en détient toujours les droits d’auteur »
Art, industrie du luxe, jeux vidéo… les NFT gagnent du terrain
Outre le marché de l’art qui s’est engouffré dans la brèche NFT (au mois de mars dernier, une œuvre d’art 100% numérique de l’artiste Beeple s’est adjugée 69,4 millions de dollars via l’émission d’un titre de propriété NFT [2]), d’autres secteurs s’y intéressent. Il y a quelques jours, Nike a racheté la marque de mode digitale RTFKT (prononcez «Artéfact») qui conçoit des articles de prêt-à-porter virtuels. Chaque pièce créée (chaussures, lunettes, vêtements…) étant associée à un jeton numérique certifié et traçable sur la blockchain, qui fait de son propriétaire le détenteur unique d’un objet qui n’existe pas « dans la vraie vie » mais qui trouve toute sa valeur auprès des collectionneurs ou importé dans l’univers du jeu vidéo, demain dans le Métaverse [3].
Dans le secteur de la mode, les grandes maisons parient, elles aussi, sur les NFT: Balmain [4], Balenciaga [5], Louis Vuitton [6]… se sont lancées via des collections hybrides (physiques et virtuelles) ou d’autres initiatives originales (jeux)… le tout permettant de tracer le cycle de vie des produits, de la fabrication en passant par la vente et la revente sur le marché de la seconde main, sans oublier l’acte d’achat en lui-même.
Selon le site Nonfungible.com, le marché des NFT (chansons, gifs, mèmes, vidéos, photos, cartes de jeu, objets physiques et/ou numériques…) devrait atteindre près de 10 milliards de dollars d’ici à la fin 2021, contre à peine 200 millions l’année dernière [7].
Il est difficile à dire si ce phénomène NFT s’apparente à une nouvelle bulle spéculative ou si l’on se trouve en présence d’une vraie révolution tant ce phénomène est encore récent, et cela dans un contexte où l’essentiel des opérations sont encore de faibles montants : les trois-quarts des transactions étant inférieures à 10 dollars et 1% supérieures à 1.600 dollars [8].
Une prochaine « révolution NFT » ?
Bien que le nombre d’acheteurs de NFT soit encore limité et que ces derniers se retrouvent plutôt autour du marché de l’art, le fait est que les FNT ne cessent de progresser, et cela grâce aux millions de gamers qui, pour enrichir leur expérience de jeux n’hésitent pas à acheter et à revendre des compléments numériques qui s’acquièrent via l’acquisition de jetons non fongibles.
À terme, et si cette « révolution NFT » devait advenir, il n’est pas fantaisiste d’imaginer que nombre de chaînes de valeur économiques pourraient s’en trouver bousculées dans un contexte où monde réel et monde virtuel seront de plus en plus proches l’un de l’autre, jusqu’à vivre de nouvelles expériences immersives ponctuées d’objets et d’univers hybrides (à la fois numériques et réels).
En attendant cette période où, au pied de son sapin (virtuel), chacun recevra un message l’informant qu’il est devenu l’heureux propriétaire de jetons non fongibles, on se contentera, plus classiquement, d’ouvrir ses paquets ; ceux-là bien réels, et d’apprécier le détournement de circonstance de ces 3 lettres « NFT » pour signifier : « Noël, Famille, Trinquons »… Joyeux Noël !
NOTES
1 https://www.thebookedition.com/fr/nft-revolution-naissance-du-mouvement-crypto-art-p-386785.html
2 https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/03/11/une-uvre-numerique-se-vend-69-3-millions-de-dollars-chez-christie-s-un-record_6072801_3246.html
3 https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/le-web-est-mort-vive-le-metaverse-891558.html
4 https://www.voguebusiness.com/fashion/exclusive-why-balmain-is-betting-big-on-nfts
5 https://www.vogue.fr/vogue-hommes/article/balenciaga-fortnite-collaboration
6 https://cryptoast.fr/louis-vuitton-lance-jeu-mobile-nfts/