Littérature
Yannick URRIEN
Apili : apprendre à lire grâce à l’humour !
Cette semaine, nous abordons un sujet qui va concerner tous les parents : la défense de la méthode syllabique. En effet, les enfants ont de plus en plus de mal à lire et à écrire. Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Éducation nationale, estime que la maîtrise de l’écrit chez les jeunes est devenue une « urgence républicaine » et il plaide pour le retour à la méthode syllabique. Benjamin Stevens, orthophoniste, a mis au point une méthode qui facilite l’apprentissage de la lecture et des mathématiques en combinant l’humour et l’approche syllabique. Cette méthode a été vendue à 100 000 exemplaires dans 40 pays depuis deux ans.
Benjamin Stevens rappelle que « toutes les études confirment qu’il y a toute une génération d’enfants et de collégiens qui ont de grandes difficultés de lecture. Auparavant, 10 à 20 % des enfants rencontraient des difficultés de lecture à l’entrée en sixième, pour atteindre 130 mots à la minute. Mais après la crise sanitaire, nous nous sommes aperçus que quasiment 50 % des enfants n’y arrivaient plus à l’entrée en sixième. Les raisons sont multiples. D’abord, c’est la méthode de lecture utilisée, puisque nos grands-parents utilisaient des méthodes complètement syllabiques. Dans les années 60, des psychologues ont voulu apprendre aux enfants à photographier les mots, puisqu’en tant qu’adulte on arrive à les reconnaître rapidement. Mais ils ont dit cela sans connaître le fonctionnement du cerveau. Plus tard, il y a eu les travaux de Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil scientifique de l’Éducation nationale, et ils ont compris qu’il fallait absolument passer par le décodage. À force de décoder les mots, l’enfant commence à les reconnaître. Le fait d’apprendre des mots par cœur, cela freine l’apprentissage, car l’enfant ne peut pas stocker tous les mots dans sa mémoire. Les enfants qui n’apprennent pas avec une méthode syllabique sont de moins bons lecteurs à l’âge adulte. Ensuite, il y a le problème du vocabulaire et du langage. Beaucoup d’enfants comprennent moins bien les textes au CP, donc il est vraiment essentiel que les enseignants apprennent avec la méthode syllabique. Malheureusement, une étude réalisée l’année dernière indiquait que moins de 10 % des enseignants utilisaient la méthode syllabique. »
On voit de plus en plus de personnes mettre leurs doigts sur les mots en déchiffrant un texte lentement, tandis que d’autres arrivent à lire très facilement, presque en photographiant les groupes de mots. Pour l’auteur, « il y a un endroit dans la zone gauche du cerveau qui est dédié à la lecture. Cette zone va se spécialiser et, plus l’enfant va déchiffrer les mots, plus il va les reconnaître rapidement. Quand nous lisons un texte, c’est automatique, cela ne demande aucun effort, c’est l’objectif pour nos enfants. Il faut bien identifier les mots, les déchiffrer, et évidemment les comprendre. Beaucoup d’enfants ont des difficultés de compréhension. Il est aussi important de lire des histoires aux enfants, car on sait que lorsque l’on lit des histoires aux enfants, au cours de leur petite enfance, cela leur permet de développer leur vocabulaire et leur langage. À l’inverse, si l’on ne parle pas beaucoup aux enfants, ils n’ont pas beaucoup de vocabulaire et ils ont un stock d’environ 500 mots quand ils arrivent en cours préparatoire. Forcément, ils vont avoir plus de mal à comprendre les textes qu’ils vont lire. Ils vont aussi avoir plus de mal à lire, et surtout à comprendre les contextes. Le niveau de langage est déterminant pour l’apprentissage. »
Finalement, on observe que plusieurs générations ont été sacrifiées : « Cela fait plus d’une trentaine d’années que les enseignants utilisent des méthodes mixtes. Cela fait au moins quatre ans que l’Éducation nationale incite à l’utilisation des méthodes syllabiques dans les écoles, mais on voit bien que c’est très compliqué et que le changement demande énormément de temps. Il y a eu un guide pour expliquer aux enseignants ce qu’il faut faire, mais on sent qu’ils ont leurs habitudes et qu’il est compliqué de changer tout cela. Cela a évidemment un impact sur l’orthographe, puisque le niveau général a fortement baissé. Nos parents et nos grands-parents avaient une orthographe quasi parfaite au moment du certificat d’études. »
Benjamin Stevens est orthophoniste et il rappelle que ce sujet le concerne directement : « Les orthophonistes s’occupent des enfants qui ont des difficultés de langage, mais aussi de la lecture et de l’orthographe. On s’occupe des enfants dyslexiques, qui ont un vrai trouble de la lecture, cela va souvent de pair avec l’orthographe, mais aussi avec le calcul mathématique et la logique. J’ai rencontré des enfants qui avaient du mal à lire et je ne savais pas quoi leur proposer pour les motiver. J’ai essayé de leur faire lire des phrases humoristiques et j’ai bien vu que cela changeait tout pour eux. Cela permettait aussi de tester leur compréhension car, si l’enfant ne réagissait pas, c’est qu’il n’avait pas compris la phrase. À partir de là, j’ai voulu créer une vraie méthode accessible à tous et j’ai travaillé avec des scientifiques pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau par rapport à la lecture. J’ai travaillé pendant six ans pour créer la meilleure méthode de lecture au monde, en parallèle à mon métier d’orthophoniste. Et, depuis 2020, j’ai reçu des milliers de témoignages de parents, d’enseignants et d’orthophonistes qui m’expliquent que c’est une excellente approche. » La méthode syllabique est finalement la méthode fondamentale d’enseignement, que l’on retrouve dans toutes les civilisations : « Même aux États-Unis, après avoir essayé des méthodes plus mixtes, les enseignants reviennent à la méthode syllabique. C’est pareil pour toutes les langues, parce que la zone du cerveau qui est dédiée à l’apprentissage de la lecture et à l’apprentissage des mots écrits est maintenant connue. Il faut apprendre le code, comme un code secret, qui permet de décoder et de déchiffrer tous les mots. Dans notre langue, il y a beaucoup d’irrégularités, mais l’enfant peut apprendre à les reconnaître à force de s’entraîner. »
Son dernier livre porte sur les mathématiques : « On peut faire des liens. En mathématiques, il y a le triple code. Il y a le code indo-arabe, avec le système de chiffres que l’on connaît, le code oral et la quantité, c’est-à-dire le système analogique. Il faut que l’enfant puisse faire des liens entre ces trois codes. On apprend d’abord à compter à l’oral, ensuite on apprend à reconnaître les chiffres à l’écrit, enfin on apprend à les associer avec différentes quantités. Donc, les enfants dyslexiques, qui ont du mal à reconnaître les lettres, peuvent avoir des difficultés à reconnaître les chiffres. » Les chiffres romains ont donc finalement une certaine logique : « C’était effectivement un très bon système. Je pense que le système indo-arabe, inventé par les Indiens et rapporté en Europe par les Arabes, est vraiment le plus efficace. Pour l’apprendre aux enfants, il faut passer par la manipulation, avec des cubes ou des allumettes. Malheureusement, cela s’est perdu dans nos classes où il y a moins de matériel. Avant, on pouvait jouer avec les quantités et travailler avec une balance. Donc, il était plus facile pour les enfants de comprendre les notions de quantité ou de distance. »
Ce sujet est essentiel car on peut se demander quel est l’avenir d’un pays lorsqu’une jeunesse ne sait pratiquement plus lire : « C’est un problème sociétal majeur, car la lecture est la colonne vertébrale des apprentissages. Si un enfant n’a pas la lecture, il aura des difficultés pour tous les apprentissages. Avant, il faut aussi parler de vocabulaire, car un enfant qui n’a pas de vocabulaire sera en échec scolaire. Le niveau de vocabulaire est déterminant et la pratique de la lecture est la base de tous les apprentissages. C’est la même chose pour l’orthographe. Même dans un monde numérique, on est entouré d’écrits en permanence. C’est pour cette raison qu’il faut travailler l’orthographe avec des techniques plus anciennes et plus efficaces. J’ai voulu que les parents puissent être aussi acteurs de l’apprentissage de leur enfant. J’ai voulu regrouper tous ces conseils dans la méthode Apili pour m’adresser aux adultes qui accompagnent des enfants, en faisant en sorte que n’importe quel adulte puisse apprendre à lire à leur enfant. Grâce à l’humour, on passe un bon moment, on discute et on réfléchit ensemble. » Enfin, on peut ajouter que le théâtre a aussi un rôle dans l’apprentissage car « cela permet de travailler la mémorisation, la lecture et la compréhension. Certaines activités peuvent être très utiles, comme la cuisine. C’est parfait pour les enfants : ils doivent lire une recette, comprendre la recette, manipuler des quantités et réfléchir. »
« Tables de multiplication Apili : apprendre les tables grâce à l’humour » de Benjamin Stevens est publié aux Éditions Liberté.
« Apili : apprendre à lire grâce à l’humour ! » de Benjamin Stevens est publié aux Éditions Liberté.