Valeurs actuelles
Le carnet de Christine Clerc
Vraies vertus, mauvais exemples
Samedi, rassemblement de soutien à Aung San Suu Kyi, la Nobel birmane, à l’initiative d’Antoinette Fouque, fondatrice du MLF. Dimanche, mobilisation à l’appel du Dal (Droit au logement) avec Guy Bedos et Carole Bouquet, en faveur des familles africaines sans logis. Lundi, hommage non-stop à Guy Môquet, sur ordre du Président Sarkozy. Mardi, soirée sans lumière pour sauver la planète… Pas un jour sans que des personnalités de gauche ou de droite, descendues d’une villa sur la côte, d’un palais à Marrakech ou d’une scène de théâtre parisienne, ne nous somment de compatir, de déclamer, de marcher, de pédaler, de vivre dans le noir et de manger sain (au moins cinq fruits et légumes, hors de prix, pour notre coeur et contre le cancer….) A la longue, notre sensibilité s’émousse, notre bonne volonté tourne au mauvais esprit et notre crédulité – pourtant sans limite – s’épuise. Il nous prend des envies de « marcher à quatre pattes », comme l’écrivait Voltaire à Rousseau. Ou encore de dévorer une platée de frites dans une atmosphère enfumée devant la télé en regardant le sketch bête et méchant des « Guignols » sur Rachida et Cécilia, qui dévalisent une boutique Prada…
Rachida Dati, la vraie, celle que Nicolas Sarkozy a promus ministre de la Justice, poursuit en réalité son tour de France pour fermer, de Liévin à Barcelonnette en passant par Sancerre, quantité de tribunaux d’instance dont l’activité, devenue selon elle trop faible, coûte bien trop cher à la Justice. Logique : pour les mêmes raisons, on ferme chaque année des hôpitaux, des écoles et des bureaux de poste, sans compter les églises au toit percé et bientôt les gendarmeries. Avec leurs pauvres banderoles « non à la fermeture de notre… », les manifestants, fussent-ils bâtonniers de l’ordre des avocats de Millau ou d’Orléans, suscitent des commentaires apitoyés sur leur « combat d’arrière-garde ». Pourtant, quand on entend Al Gore, le nouveau Nobel de la paix, décliner sa « Vérité qui dérange », quand on écoutre aussi le Ministre Jean-Louis Borloo et les participants à son « grenelle de l’Environnement », on se convainc que la désertification rurale et l’exode accéléré des populations vers des grandes villes et des banlieues de plus en plus polluées sont un mal fatal pour le pays et pour la planète. Comment le combattre en accélérant, au nom d’une logique financière, le mouvement . Et pourquoi faire la morale aux médecins, coupables de s’installer en trop grand nombre sur les rives de la Méditerranée, pourquoi menacer les étudiants en médecine d’un régime plus contraignant, qui les forcerait à exercer dans la Creuse ou le Pas-de-Calais, si l’Etat donne l’exemple inverse ?
A propos d’exemplarité : elle tombe mal, cette nomination de Bernard Laporte, l’entraîneur affairiste de l’équipe de France de rugby, qui devient Secrétaire d’Etat aux sports le jour même où l’on célèbre la mémoire de Guy Môquet (arrêté en 1940 non pour des faits de résistance contre l’occupant allemand mais pour avoir distribué des tracts anticapitalistes). Les discours sur les valeurs d’Antan c’est bien, mais l’exemple vivant venu d’en haut, ce serait mieux. Edouard Balladur premier ministre avait instauré une règle, certes sévère au regard de la présomption d’innocence, mais rassurante pour le peuple : tout membre du gouvernement mis en examen devrait quitter son poste. C’est ce que fit Alain Carignon. C’est ce que devait faire plus tard, sous le gouvernement Jospin, Dominique Strauss-Kahn. Dommage que l’ancien porte-parole balladurien, Nicolas Sarkozy, ait décidé, une fois à l’Elysée, d’abandonner cette règle d’airain.
Henri Guaino, la plume du président de la République, a de quoi être fier : Nicolas Sarkozy lui doit en partie sa victoire. Qu’on se souvienne du grand rassemblement du Bourget (octobre 2004) avec défilé, sur écrans géants, de vedettes du show-biz. Qu’on se souvienne aussi de l’Université d’été à Marseille (septembre 2006) avec Doc Gynéco, assis au premier rang devant les élus. La campagne était mal partie ! Arrive Guaino, qui fut à bonne école auprès de Philippe Séguin. Sur ses conseils, Sarkozy se met à nous conter, à partir du 14 janvier, une belle histoire de France, qui va de Jeanne d’Arc à Jean Jaurès en passant par Jules Ferry, avec un détour par la Grèce pour l’Antigone de Sophocle revue par Malraux. C’est un triomphe, grisant pour Guaino : il avait vu juste, quand il disait que les Français n’attendaient pas seulement qu’on leur propose de « travailler plus pour gagner plus » mais qu’on leur parle de « l’âme de la France ». Cela l’autorise t-il aujourd’hui à prendre un ton aussi péremptoire pour juger « pas acceptables » les états d’âme d’enseignants « dont nous payons, insiste t-il, la formation et le salaire », lorsqu’ils osent s’interroger sur la décision impériale de lire, dans toutes les écoles de France, la lettre de Môquet . Après tout, l’école devrait être faite aussi pour former des esprits critiques. Des esprits libres.
Valeurs actuelles du 26.10 au 01.11.07