Revue des deux mondes – mai 2013
Notes de lecture p. 186
Biographie
Monsieur Albert. Cossery, une vie de Frédéric Andrau
éditions de Corlevour, 300 p., 19,90 euros
Publiée à l’enseigne d’une maison d’édition au nom de whisky écossais, la tentative biographique du journaliste Frédéric Andrau consacrée à Albert Cossery entretient avec sympathie la notoriété de ces Egyptien parmi les plus célèbres de Paris. On connaît le mythe Cossery. L’homme a vécu près de soixante ans à La Louisiane, un hôtel de Saint-Germain des Prés. Son art de la paresse, son existence de dandy sybaritique, ses amitiés littéraires (Henry Miller, Cioran, la faune germanopratine de l’après-guerre) continuent de susciter la curiosité. Quant à Cossery, l' »esprit frappeur » selon son compatriote Georges Henein, il a écrit en tout et pour tout huit livres. Chacun, à l’exception du dernier, Les Couleurs de l’infamie, a au minimum été édité chez trois éditeurs différents. Ce champion de la réédition fut révélé par Edmond Charlot, premier éditeur de Camus, puis redécouvert par Joëlle Losfeld au seuil des années quatre-vingt-dix. Elle réveilla une oeuvre en sommeil, qui jouissait toutefois de la ferveur d’initiés. Elle l’emmenait dans les librairies de province où Albert faisait un tabac. On se souvient des files d’adolescents au Salon du Livre qui achetaient plusieurs exemplaires de ses romans. Elle lui décrocha un portrait d’une page dans Le Monde. Il y eut bien un phénomène Cossery. La saison deux (le revenant) fut la plus surprenante. Les jeunes lecteurs étaient séduits par le souffle de révolte diffusé dans ses romans pleins d’humour, de dérision, de dynamite intellectuelle et de personnages irréguliers. « Parmi les écrivains vivants de ma connaissance, aucun ne décrit de manière plus poignante ni plus implacable l’existence des masses humaines les plus englouties », écrivait Henry Miller. C’est le règne des marginaux, des prostituées, des enfants des rues, d’un philosophe devenu mendiant, de la foule des petits métiers du Caire, des « hommes oubliés de Dieu », titre de son premier livre, un recueil de cinq nouvelles paru en 1941. Le plus fameux, Mendiants et orgueilleux, avait été adapté en bande dessinée par le dessinateur Golo et l’ensemble de ses écrits avait fait l’objet d’un doctorat en 1990. Belle rançon pour un auteur qui nous disait écrire une page par jour maximum. Ou bien était-ce une par semaine ? Et aujourd’hui l’exercice d’admiration de Frédéric Andrau (auquel il manque une bibliographie et des percées profondes dans l’oeuvre d’Albert, trop survolée) fait revivre une figure à contre-courant. Une vie de pharaon qui souhaitait sauver de jeunes âmes afin de les détourner d’un parcours tout tracé et des précipices de l’ennui.
Olivier Cariguel