Catherine David a eu l’excellente idée d’ouvrir la marche en rédigeant un chaleureux portrait d’Antoinette Fouque dans la rubrique « Les Uns, les autres » du Nouvel Observateur du 9 août. Agrémenté d’une superbe photo d’Antoinette Fouque (avec sa médaille d’Officier de la Légion d’Honneur), prise par Sophie Bassouls ce beau texte a été positivement remarqué par de nombreux lecteurs, hommes et femmes, qui ont valu des courriers de remerciements et de félicitations à la journaliste dont les éditions Des femmes se sont réjouies. Quant à moi, l’appel enflammé de mon amie Frigide Barjot, qui a eu un vif coup de foudre pour Antoinette Fouque, qu’elle découvrait, en tombant par hasard sur ces deux pages m’a fait chaud au coeur. Une petite erreur s’est malencontreusement glissée dans cet article : Antoinette Fouque n’a pas une sclérose en plaques.
(rubrique dirigée par Jean-Gabriel Fredet)
Antoinette fouque
Procréer, dit-elle
Pour la sage-femme du MLF, grâce à la candidature de Ségolène, les femmes n’ont plus besoin d’imiter les hommes pour affirmer leur présence
Pourquoi une femme en ces temps de détresse ?», demande Antoinette Fouque dans «Gravidanza» (Editions Des femmes, préface d’Alain Touraine) à propos de la figure symbolique de Ségolène Royal. Sur le sujets l’ex-députée européenne est intarissable, et sa voix un peu rauque, pleine de soleil marseillais, se fait vibrante, pressante. «Héritière de quarante ans d’un mouvement de libération des femmes irréversible, Ségolène nous rend au centuple ce qu’elle en a reçu.» Vous reconnaissez cette voix, cette fièvre, cette intelligence aux aguets, il s’agit bien de la célèbre Antoinette, femme savante et sage-femme historique du MLF, leader du fameux groupe Psych et Po, philosophe, psychanalyste, lacanienne dissidente, fondatrice des Editions Des femmes. Elle annonce pour cet automne l’ouverture d’un grand espace culturel à Saint-Germain-des-Prés, dédié aux femmes créatrices, ainsi qu’un nouveau livre, «Génésique», et une nouvelle revue, «Féminologie». Sur cette femme qui ne ressemble à personne, on a fait pleuvoir les étiquettes et les caricatures. Pourtant, elle n’est pas plus «hystérique», bien sûr, que Ségolène Royal n’est «incompétente». «C’est la technique habituelle, on s’efforce de nous ridiculiser pour mieux nous réduire.» Dans son enfance, elle s’identifiait avec Spartacus, le libérateur des esclaves romains. «Je dois être une rebelle, c’est possible, mais pas si dangereuse que ça», dit-elle en riant.
Simplement, elle n’a jamais pu croire qu’une femme fût un homme inachevé, un mâle défectueux. Jamais pu croire, comme l’affirmait Freud, que le désir – la libido – soit le monopole du genre masculin, et par essence «phallique». Jamais pensé qu’une femme, pour se libérer de la domination patriarcale, dût s’identifier aux hommes, adopter leurs manières et leurs valeurs. «Contrairement à ce qu’affirmait Jacques Lacan, la femme existe !», dit-elle, et cela paraît presque choquant car nous vivons dans une démocratie de l’esquive, où il paraît subversif de nommer l’évidence. « Il y a deux sexes », dit-elle encore (c’est le titre de ses «Essais de féminologie», Gallimard/le Débat), alors même que cette constatation est énergiquement contestée par les allumé(e)s du mouvement queer et les théoricien(ne)s du «genre», apôtres de l’identité à la carte. Pourtant, «même les transsexuels ne changent pas de sexe, ils perdent les deux», rappelle Antoinette; en effet, quels que soient les exploits de la biomédecine, une femme devenue homme ne produit pas de spermatozoïdes, un homme devenu femme ne peut mettre au monde un enfant.
Enfance heureuse à Marseille, rue Saint-Laurent, dans le quartier populaire du Vieux-Port. Une mère calabraise et «biblique», venue en France au tournant du siècle, analphabète mais poète, qui invente des mots – «les nuages s’accumoncellent», «ils vivent en cocuménage». (C’est en partie pour elle qu’une fois devenue éditrice Antoinette crée la Bibliothèque des Voix, collection de textes littéraires lus par leurs auteurs ou des comédiens.) A 14 ans, à la suite d’un rappel de vaccin antivariolique, Antoinette contracte une sclérose en plaques qui réduit peu à peu sa liberté de mouvement, et c’est à partir d’une chaise roulante, sans une plainte, qu’elle mène aujourd’hui ses combats.
Elle parle avec tendresse de son père, «un berger corse amoureux de la mer, tout juste sorti des «Bucoliques» de Virgile». Elle a rencontré son mari à Aix-en-Provence, et n’a jamais souffert de discrimination sexiste. «Nous étions pareils, nous faisions les mêmes études.» L’événement déterminant, ce fut en 1964 la naissance de sa fille. «A travers la grossesse et l’accouchement, je me suis aperçue que les femmes avaient quelque chose que les hommes n’avaient pas – un utérus, le lieu de création de l’être humain. Et j’ai compris que les hommes enviaient aux femmes cette capacité de produire du vivant-parlant. Freud a consacré beaucoup de pages à «l’envie du pénis», mais il aurait eu des choses à dire sur «l’envie d’utérus» des hommes, surtout les plus créateurs d’entre eux. Quand sa femme est enceinte d’Anna, il écrit à Fliess : «J’ai mis au monde quelques notions de plus.» Au fond, la procréation a toujours servi de modèle à la création.»
On le sait, dans «le Deuxième Sexe», Simone de Beauvoir a jeté l’opprobre sur la part maternelle de la condition féminine, et son préjugé reste vivace, comme en témoigne la «haine matricide» des excitées du «no kid». Limité par cette mutilation originaire, le féminisme de la non-différence n’aurait jamais dépassé, selon Antoinette, la «forme infantile de la libération des femmes». C’est pourquoi, malgré la défaite électorale, il lui semble qu’une voie nouvelle s’est ouverte avec la candidature de Ségolène, «vers une nouvelle alliance entre les sexes, vers un nouveau contrat humain». Vers une démocratie paritaire, à l’image de l’humanité. Tout cela grâce à cette mère de quatre enfants qui a osé vouloir présider la France.
Ses dates
1er octobre 1936. Naît à Marseille.
1964. Naissance de sa fille Vincente.
1968. Cofondatrice du MLF.
1974. Création des Editions Des femmes.
1994-1999. Députée européenne.
Catherine David
Le Nouvel Observateur