Actualités (NON EXHAUSTIF)

« Bioutifoul Kompany » le premier roman de Frédéric Vissense : « un bon diagnostic sur les tares du management actuel, ce délire corporatif »

Frédéric Vissense, Bioutifoul Kompany

C’est un monde de l’absurde que décrit l’auteur, sous pseudo par précaution managériale. Issu des sciences politiques, il a intégré le monde de l’entreprise. Après des expériences variées dans les secteurs à dominante technologique, en France et ailleurs, il est devenu DRH. Il décrit la dérive machiniste du management des grandes entreprises, l’ironie de ses contradictions, les limites inhumaines de la bureaucratie. Ce monde devient de plus en plus notre monde – à moins que le néo-capitalisme des ploucs des collines à la JD Vance, tonitrué par le vaniteux bouffon à mèche blonde, ne change la donne pour un retour à Hobbes, là où l’homme est un loup pour l’homme (ne parlons même pas de la femme !).

Le DRH moderne n’utilise plus les tests de personnalité tangents, ni les entretiens d’embauche soumis aux biais cognitifs. Le management a inventé une machine à scanner les pensées, même les plus intimes. Une sorte de détecteur de mensonges (dont on sait qu’il a peu de fiabilité), mais qui se veut omniscient. L’IA pénètre les cerveaux pour évaluer – régulièrement – chaque employé. Cette « note » (manie omniprésente de notre monde informatisé) mesure l’adhésion consciente et inconsciente aux « valeurs » de la compagnie (qui ne sont le plus souvent que des slogans creux). Tout écart est enregistré, analysé, menant à une correction pouvant aller d’une simple remarque au licenciement pur et simple : pas assez conforme !

Fifi est un salarié moyen qui tente de naviguer entre conformité et survie dans ce monde-là. Ce n’est pas pour rien que ses collègues le surnomment le Prudentissime. Une fois branché à la machine de la Compagnie Universelle d’Innovation, il focalise ses pensées sur des images neutres, et sur une couleur : le gris de l’uniformité, le métissage de toutes les teintes en une seule. Cette neutralité mentale peut rapidement devenir suspecte. Le Doktor Stürmer, ancien consultant berlinois reconverti en architecte du management des esprits, s’interroge : pourquoi ce salarié anonyme, qui ne fait pas parler de lui, diffère-t-il tant de ses collègues qui, eux, ne peuvent s’empêcher de penser en-dehors ?

L’objectif est de faire de chaque employé de la Kompany un galet bien lisse, permettant de rouler sur les autres galets sans aspérité qui accroche. Un management d’huile, pour bien faire actionner les rouages. Car l’entreprise est de plus en plus perçue par les technocrates « consultants » qui la gouvernent comme une vaste machine, qu’il s’agit de faire tourner au mieux. Efficacité : tel est le mantra. Toute émotion humaine interfère avec l’application des règles ; toute humanité est bannie des processus ; tout salarié est soumis volontaire pour devenir galet brillant. Agrippine est la souveraine de la novlangue d’entreprise ; elle pense à votre place.

J’ai connu les prémisses de cette évolution d’un capitalisme « de papa », volontiers paternaliste et que certains ont appelé « rhénan » pour le distinguer du capitalisme purement comptable des Américains. Au début des années 1990, les banquiers issus des meilleurs lycées de la capitale, bons élèves conformistes, se sont mis au « management » (mot qu’ils découvraient) ; ils ont singé l’anglais globish (sans comprendre le plus souvent les faux-amis, comme ce « benchmark » qui ne signifie ni objectif à atteindre, ni carcan à respecter, mais simple niveau de référence). J’en ai ri. Je l’ai subi. J’en suis parti en creusant mon trou là où la machine technocratique ne pouvait pas m’atteindre : dans l’intelligence du métier (qui n’avait rien d’artificielle).

J’ai vu comment le management pouvait devenir une doctrine totalitaire comme celle du parti communiste, avec ses experts « scientifiques » suivant les lois de l’Histoire (américaine), avec sa hiérarchie (mesurée au conformisme le plus absolu), avec ses employés réduits à l’état de béni oui-oui et de rouages anonymes, répudiant toute amabilité au nom d’une efficacité de papier. Il fallait se soumettre (en apparence), faire chorus aux réunions (obligatoires) à la majorité (qualifiée selon la hiérarchie). Une servitude volontaire était exigée ; ainsi était-on récompensé par une prime ou par une promotion. Les plus méritants devenaient « directeurs », soumis à plus directeurs qu’eux. Il fallait adopter les bons discours, afficher les bons sentiments, exprimer son engagement (enthousiaste) dans des processus validés par l’entreprise.

Les outils ont pris le pouvoir dans les grands machins bureaucratiques que sont devenues les firmes d’une certaine taille. Les hommes s’effacent derrière la régulation, l’humanité derrière les process. Les nouvelles technologies imposent leur logique, chacun doit s’y adapter sous peine de disparaître. Même si, comme le Grand Actionnaire du livre, on s’alarme dans les bureaux feutrés des dirigeants d’une « baisse continue de la productivité, l’absentéisme, les défaillances techniques ». Sans en chercher les causes : la machine ne saurait défaillir, il n’y a que des rouages usés ou rouillés, à remplacer. « Il est urgent que d’autres machines viennent ajouter un peu d’humanité au sein du Groupe », dit le Directeur général persistant et signant dans l’erreur conceptuelle (p.93).

La transparence, exigée du monde puritain yankee sous prétexte (religieux) de traquer les péchés les plus cachés, prend prétexte d’efficacité et de performance (de société) pour contrôler les humains (ces bêtes à dresser). La technologie de contrôle, de surveillance, et les réseaux, le système de notations exigé à chaque action, y aident grandement. « Voyons Fifi : de nos jours on ne peut plus faire comme si un fantasme était affaire privée ne prêtant pas à conséquence collective, ce serait inconscient, avec tous les outils de communication qui existent ! » p.126. Cette contrainte s’exerce sans violence ouverte, l’intériorisation de la norme pousse chacun à se rendre employable, à noter selon la norme admise, non par ce qu’il pense. Il se lisse, comme un galet ; ceux qui regimbent se poussent d’eux-mêmes vers la sortie.

Il manque une belle histoire pour faire de ce roman un émule d’Orwell et de son 1984, mais l’auteur livre un bon diagnostic sur les tares du management actuel, ce délire corporatif. Il est peut-être déjà insuffisant : l’IA et les idéologues autour de Trompe ne nous préparent-ils pas pire ?

Frédéric Vissense, Bioutifoul Kompany, 2025 éditions La route de la soie, 488 pages, €27,00

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Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

« La Marraine amoureuse » de Benoit Marbot : Écart de classe, écart de genre, écart d’existences 

Benoît Marbot, La marraine amoureuse

Nous sommes en 1915. Clémence est une jeune bourgeoise, récemment veuve sans enfant d’un mari officier, tué dans les premiers mois de la guerre de 14. Comme cela se faisait beaucoup à cette époque patriotique où l’arrière cherchait à soutenir le front, sur les conseils d’une amie, Clémence a pris un filleul de guerre. Elle échange des lettres régulières avec ce soldat du front. Il a demandé à la rencontrer, et les voilà au parc Monceau à Paris, à se chercher devant « les colonnes ».

Anatole est un sergent de 18 ans, engagé volontaire à 17 ans après que ses deux frères aînés aient été tués. Il est vif, intelligent, plein de vie. Son supérieur a voulu en faire un officier, car on montait vite en grade ces années-là, à cause des vides qui se creusaient. Il a d’abord refusé, puis Clémence l’a convaincu sans le vouloir d’essayer. Car lui n’est pas un bourgeois, mais issu du peuple du Nord de la France. Il parle cru, se fagote mal, et n’apprécie pas les bibis portés par la jeune femme à leur juste valeur. Devenir officier va le polir, l’élever.

De fil en aiguille, année après année, 1915, 1916, 1917, 1918, ils se revoient en coup de vent. Lui est toujours vivant, et peut-être est-ce elle qui le fait tenir. La première fois il la défonce, en même temps que le sommier dans la chambre de la bonne. La seconde fois il lui fait un enfant. La troisième fois il rencontre le ventre où dort encore le bébé. La quatrième fois, le petit est né et reconnaît sa voix ; Anatole est désormais lieutenant, il avait « disparu », il était prisonnier.

« Clémence (au gardien) – j’ai retrouvé mon mari !

Anatole – Et nous allons vivre ! »Happy end.

Écart de classe, écart de genre, écart d’existences : comment Clémence et Anatole peuvent-ils se rencontrer, s’unir et envisager de faire leur vie ensemble, avec la guerre omniprésente, qui fauche son lot d’hommes à tout moment ? Parce qu’il est très jeune et qu’il touche en elle la fibre maternelle ? Parce que le désir vital est plus fort que la mort et qu’elle est emportée par cette virilité ? Parce que l’avenir n’est écrit nulle part et que le moment présent suffit au bonheur ?

Une pièce jouée au Studio Hébertot jusqu’au 27 avril 2025

les jeudis, vendredis, samedi à 19 h, les dimanches à 17 h – 1h20 de spectacle

78bis Boulevard des Batignolles, 75017, 01 42 93 13 04 contact@studiohebertot.com

10 à 30 € en fonction des réductions

L’auteur a un parcours original, passionné de théâtre et auteur de nombreuses œuvres.

Benoît Marbot, La marraine amoureuse (théâtre), 2024, L’Harmattan, 95 pages, €13,00, e-book Kindle €9,99

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Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Prix littéraires : Le 89ème Prix Cazes sera remis début mai à la Brasserie Lipp

Le 89ème Prix Cazes sera décerné le *** mai 2025. (Brasserie Lipp)

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***date communiquée aux journalistes manifestant leur intérêt pour couvrir l’événement

contact presse : guilaine_depis@yahoo.com 06 84 36 31 85

La sélection de 2025

89emePrix Cazes Brasserie Lipp

En sélection

– Rien n’est plus grand que la mère des hommes de Diana FILIPPOVA (Albin Michel)
 
Un perdant magnifique de Florence SEYVOS (L’Olivier)
 
– Les deux tilleuls de Francis GREMBERT (Arléa)
 
– La loi du moins fort de David DUCREUX SINCEY (Gallimard)
 
– Un coup de pied dans la poussière de Baptiste FILLON (Le bruit du monde)
 
– Malestroit de Jean de SAINT-CHÉRON (Grasset)
 

Le jury

Fondé en 1935 par Marcellin Cazes, le Prix Cazes récompense un auteur pour un roman, un essai, une biographie, des mémoires ou recueils de nouvelles.

Il est décerné cette année par un jury composé de :

Léa SANTAMARIA (Présidente), Gérard de CORTANZE, Mohammed AISSAOUI, Eric ROUSSEL, Christine JORDIS, Nicolas d’ESTIENNE D’ORVES, Mathilde BREZET, Gautier BATTISTELLA, Marie CHARREL, Claude GUITTARD (secrétaire général)

1935-2019 L’histoire du PRIX CAZES

Le Prix Cazes est l’une des plus anciennes distinctions littéraires. Cette récompense, créée à l’initiative de Marcelin Cazes, continue, au fil des décennies, à révéler des auteurs prometteurs. Comme il avait une clientèle très “intellectuelle”, Marcelin Cazes eut l’idée en 1935 de créer un prix littéraire qu’il décernait chaque année au mois de mars et qu’il dotait à l’origine d’une somme de deux mille cinq cents francs.

Le jury, composé de douze membres et présidé par André Salmon, se réunissait à midi, votait, puis était invité à déjeuner par la Brasserie Lipp ainsi que le lauréat – “qui n’était jamais introuvable ni même bien loin”- et quelques courriéristes littéraires.

En 1935, la première année, le prix fut attribué à une compagnie théâtrale, Le Rideau de Paris de Jean Marchat et Marcel Herrand, deux jeunes comédiens metteurs en scène. Les lauréats suivants, véritables écrivains, devinrent souvent des auteurs à succès.

En effet, le prix Cazes servait à l’époque de “tremplin” car plusieurs lauréats obtinrent par la suite le prix Goncourt, le prix Femina ou Interallié.

En quelques années, le prix Cazes est devenu “l’événement littéraire du printemps” (contrairement aux autres grands prix, remis à la rentrée) qui mobilisait le monde littéraire et journalistique parisien.

L’ année 1950 devait marquer l’histoire du prix. En effet, cette année-là, Marcelin Cazes décida de décerner le prix qui porte son nom dans sa maison natale de Laguiole. Il organisa pour cela un voyage en car au départ de Saint Germain des Prés, le 24 mai 1950, avec à son bord 35 journalistes, courriéristes, membres du jury et amis. Un périple, sûrement plus gastronomique que littéraire, qui dura 5 jours et couronna le lauréat Marcel Schneider pour son roman Le Chasseur vert.

Depuis 1950, le Prix Cazes, toujours décerné chaque année au mois de mars, a couronné le talent de nombreux auteurs pour leurs romans, essais, biographies, mémoires ou recueils de nouvelles : de Solange Fasquelle (1961) à Jean Claude Lamy (2003), en passant par Michel de Grèce (1970), José-Luis de Villalonga (1971), François de Closets (1974), Cavanna (1979), Olivier Todd (1981), Edgar Faure (1983), Jean Paul Aron (1985), Jean Marin (1995), Jean-Paul Enthoven (1997), Clémence de Bieville (1998), Shan Sa (2001), Gérard de Cortanze (2002), Béatrice Commengé (2004), Françoise Hamel(2005), Emmanuelle Loyer (2006) ou Richard Millet (2007), pour ne citer qu’eux…

En 2018, le 83e Prix Cazes a été décerné à Régis Wargnier pour son roman Les prix d’excellence (Éditions Grasset)

En 2019, le 84e Prix Cazes a été décerné à Louis-Henri de La Rochefoucauld pour son roman La prophétie de John Lennon (Éditions Stock).

En 2020 Alexandre Postel a reçu le 85ème Prix Cazes pour Un automne de Flaubert (Gallimard)

En 2022, Mathilde Brézet (Le Grand Monde de Proust, Grasset) et Gautier Battistella (Chef, Grasset) ont tous les deux été récompensés du 86ème Prix Cazes

En 2023, Marie Charrel a reçu le 87ème Prix Cazes pour Les Mangeurs de nuit (éditions de l’Observatoire)

En 2024, Nathan Devers a reçu le Prix Cazes pour Penser contre soi-même (Albin Michel)

Un lieu chargé d’histoire

La Brasserie Lipp

Fondée sous l’enseigne “Brasserie des bords de Rhin” en 1880 par un alsacien du nom de Léonard Lipp, la Brasserie fut reprise en 1920 par la famille Cazes, d’origine auvergnate.

A cette époque, il s’agit d’un petit établissement d’une dizaine de tables seulement, mais le succès grandissant de la désormais Brasserie Lipp pousse Marcelin Cazes à s’agrandir rapidement.

Les trois clientèles de Lipp

En 1926, la Brasserie passe donc de 10 à 90 tables pour accueillir dès lors les “trois clientèles de Lipp” que Marcelin Cazes décrit dans son livre 50 ans de Lipp (éditions La Jeune Parque) : “à midi, des hommes d’affaires, des commerçants du quartier qui voulaient déjeuner dans un endroit calme et sérieux ; de cinq heures à huit heures, des écrivains, libraires, éditeurs, magistrats, artistes qui se réunissent pour bavarder ou se délasser de leurs travaux devant des demis ou des apéritifs : et le soir, le tout Paris.”

À cette époque, la Brasserie Lipp a déjà une solide réputation littéraire, fréquentée notamment par Verlaine et la dernière bohème du Quartier Latin. Au fil des ans, Marcelin Cazes, figure emblématique de la Brasserie, en fit le point de chute de grands noms qui ont marqué la littérature française : Malraux, Gide, Saint Exupery, Proust, Camus

La Brasserie sera même classée “lieu de mémoire” par le Ministère de la Culture plusieurs années plus tard.

Un lieu hors du temps

Derrière cette façade en acajou verni, se cache donc une maison plus que centenaire, reprise progressivement depuis 1990 par la famille Bertrand qui se fait un devoir de perpétuer la tradition, profondément marqué par ses racines auvergnates. Pour preuve, la Brasserie Lipp abrite aujourd’hui encore tout le monde politique, journalistique, littéraire et artistique que compte Paris. Vous pourrez y croiser le regard de Scarlett Johansson, Jack Nicholson, Sophia Coppola, mais aussi Azzedine Alaïa, Jean- PaulGaultier, Jean-PaulBelmondo, Benjamin Biolay ou Sting…

En effet, tous apprécient ce lieu chargé d’histoire où le temps semble s’être arrêté depuis bien longtemps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Soirée Georges Perec avec Hadlen, Djenidi

Rencontre avec Hadlen Djenidi

J’ai déjà parlé d’un poète inconnu, qui publié à compte d’auteur son premier recueil, imprimé à Singapour. Hadlen Djenidi est venu à une soirée poésie le mardi 25 mars, dans une petite salle du Café de la Mairie – le seul café de la place Saint-Sulpice à Paris dans le 6ème. Bien que les voix résonnent, l’endroit était dimensionné pour la quinzaine de participants.

Une seule poétesse française, un éditeur de droite (si j’ai bien compris), un travailleur aux archives de l’Armée, une Roumaine de gauche et une traductrice fan de Russie qui parle poutinien, une directrice d’agence de voyage avenue de l’Opéra en retraite, un affable gardien reconverti au musée au Louvre, le médecin Eric Durand-Billaud, dont j’ai chroniqué L’amputation – et quelques autres. Avec Guilaine Depis l’invitante, attachée de presse de l’auteur.

Hadlen Djenidi est un homme gentil. Orphelin de sa mère, puis de son père, de trop bonne heure, il est en carence d’affection et ressent très fort les émotions. Il a lu quelques poèmes, voulant omettre les plus sentimentaux, mais ce sont les meilleurs, avec ceux sur la nostalgie du papier buvard des écritures d’enfance à la plume sergent-major – et Guilaine en a lu pour lui. Né d’un père algérien, élevé dans les Cévennes, il a quitté la France à 19 ans pour œuvrer dans la vente de produits français de luxe en Asie, LVMH et Richemont surtout.

Il est venu avec son amie Jenny, son bon génie. Ils viennent de passer deux ans en Australie avant de rejoindre Singapour, d’où elle est originaire. Halden me dit qu’il va créer un site pour mettre des informations personnelles et de contexte pour promouvoir son livre, et qu’il finira un roman, commencé il y a trois ans. Je ne connaissais rien de tout cela il y a trois mois, lorsque j’ai chroniqué sa poésie, le recueil Et ceteraun bel « objet-livre », soigneusement édité.

Les canapés du café, au tarama trop rose et au saumon trop sec, étaient un peu mous, mais la part de quiche et sa salade sur assiette était confortable. Surtout avec le champagne bien frais Deutz dont l’assemblée a englouti plusieurs verres en écoutant se distiller les vers.

Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, 2023, autoédition www.writeeditions.com 114 pages, €15.00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Pour trouver le livre (qui n’est pas chez les vendeurs en ligne), demandez à l’attachée de presse en France (mél ou texto plutôt qu’appel) :

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Tolérance, compromis, bienveillance dans « Un jour, nous vivrons ensemble » le premier roman de Maxim Schenkel

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble

Hassan, Amine, Ali, trois générations qui se succèdent, Palestiniens bouleversés par la guerre entre Israël et le proto-état palestinien, formé (comme hier Israël, on l’oublie trop avec la Haganah) par les groupes armés, OLP, Fatah et Hamas. Hassan, né en 1927, a coulé des jours heureux à Tantura, village sur la côte méditerranéenne près de Haïfa. Les pères partaient à la pêche, les femmes cultivaient les légumes, les enfants jouaient libres dans les champs et sur la plage.

Survient 1948, la création d’un État artificiel décidé par l’ONU, Israël, sur les ruines du mandat britannique. Les Arabes ne l’acceptent pas : ils sont « chez eux » et occupent les terres. Certes, les Juifs ont souffert du nazisme et du soviétisme et il est légitime qu’ils aient un État, mais pas au point de régner en vainqueurs et de chasser les Palestiniens de leurs maisons, leurs villages, leurs terres. C’est pourtant ce qui se produit. Les régimes arabes alentour entrent immédiatement en guerre contre le nouvel état juif, ce qui le radicalise. Ils ne veulent plus être les moutons que les dominants conduisent à l’abattoir. Ils se veulent dominant à leur tour, traitant les dominés comme on les a traités en Europe : massacres, expulsions, déportations.

C’est ce qui arrive au village de Tantura ce 23 mai 1948, malencontreusement attribué à Israël par le plan de partage de l’ONU. Hassan a 21 ans. Il est amoureux de son amie d’enfance Fatima, avec qui il a joué sur la plage avant de découvrir à 17 ans qu’il veut l’épouser. Par crainte de l’avenir, les familles repoussent sans cesse le mariage, jusqu’au 22 mai. Voilà les deux jeunes enfin unis, ils sont heureux, c’est la fête. Mais à la nuit arrivent les soldats de la Haganah, organisation paramilitaire des Juifs de Palestine, saboteurs et terroristes contre les Anglais jusqu’à la création de l’État, où elle s’est fondue dans l’armée. Ivres de leur victoire, ils tuent ces « Arabes » qui veulent les empêcher de s’implanter sur cette terre que Dieu leur a donné (Dieu à toujours bon dos). Un soldat israélien miséricordieux, opposé à cette violence gratuite contre des civils désarmés, n’hésite pas à loger une balle dans la tête de ses copains déchaînés pour inciter Hassan et Fatima, les jeunes mariés, à fuir.

Et les voilà partis, traumatisés, vers un camp de réfugiés au nord du pays. Grâce à Gérard, un ami français qui voyageait beaucoup avant la Seconde guerre et était tombé amoureux de la Palestine, le couple obtiendra deux visas pour la France. Ils s’installeront en Normandie, pays où vit l’auteur, dans un village près de Saint-Lô où Hassan tiendra une épicerie après avoir œuvré dans le bâtiment pour la reconstruction après le Débarquement, et Fatima cuisinera dans le restaurant du village après avoir été employé de cantine. Ils finiront par faire un enfant, Amine, élevé comme un petit français, obtenant le bac.

Mais Fatima meurt d’un cancer alors qu’Hassan désirait ardemment revenir dans « son pays », la Palestine, dont les odeurs et le climat lui manquaient, ainsi que la convivialité arabe. Cela ne se fera pas. C’est Amine, adulte à 18 ans, qui force son père à parler, à dire ce qui s’est vraiment passé et pourquoi ils se sont exilés en France. C’est Amine qui décidera en 1980 d’aller en Palestine/Israël pour y suivre des études de lettres et vivre « chez lui », à Naplouse. Il rencontrera Lina, sœur de son ami Ahmed, ils tomberont amoureux, se marieront en 1987, juste avant l’Intifada, et auront un fils, Ali. Mais Amine est un révolté, il ne peut s’empêcher de provoquer les colons juifs, de se battre avec eux. La famille de sa femme est expulsée, leur maison rasée au bulldozer ; les Israéliens sont impitoyables avec les résistants à leur occupation qu’ils appellent « terroristes ». Pourtant, Gaza et la Cisjordanie étaient des territoires destinés aux Palestiniens, selon l’ONU. Amine crée un journal imprimé pour raconter ce qui se passe, ses actions, sa résistance ; il a du succès. Sa femme prend peur, elle le quitte et entre en clandestinité, laissant l’enfant à son père, qui va bientôt l’envoyer en France auprès de son propre père, Hassan, pour le protéger.

Ali, troisième génération, devient infirmier à Caen, il côtoie Sara, juive israélienne française, infirmière comme lui, et en tombe amoureux. Il décide d’aller sur la terre de ses ancêtres pour découvrir ses racines, ses cousins et chercher sa mère qui l’a abandonné. Sara comprend. Issue d’une famille juive libérale habitant Tel Aviv, elle est pour la cohabitation des deux peuples, pas pour la guerre. Ils s’aiment et pensent obscurément que les mariages mixtes permettront peut-être de créer cet État mélangé où, en Israël, juifs et arabes vivront en paix. La réalité est plus cruelle que les rêves, Ali s’en rendra compte à Gaza, bombardée après le pogrom du Hamas le 7 octobre. Car le roman va jusqu’à aujourd’hui, reliant l’histoire au présent. Il retrouvera sa mère, qui se terre, recherchée par le Hamas (dont le nom n’est jamais cité) et le Shin Bet (pas plus) pour avoir refusé de commettre des attentats, mais convoyé des armes. Ali sera blessé, perdra peut-être ses jambes, se mariera à Sara. Et puis… tentera de créer un avenir sur les ruines du passé.

C’est le premier roman d’un jeune auteur de 32 ans auparavant footballeur, complètement autodidacte mais curieux du monde et de ses habitants. « J’aime m’enrichir chaque jour intellectuellement grâce à des aventures, des expériences, des lectures, des rencontres qui me stimulent, qui me secouent et qui me font réfléchir », dit-il sur le site de son éditeur, Une autre voix, nouvelle maison d’édition destinée à contrer la censure implicite du politiquement correct ambiant.

C’est un beau roman une belle histoire. L’auteur dit s’être beaucoup documenté. Il écrit fluide, avec parfois des tics d’époque répétés à satiété, comme ce « mutique » sorti de la psychologie de magazine, alors que « muet » ou « sans voix » serait plus juste (le mutique a une incapacité à parler, le muet seulement une volonté provisoire de se taire). Il fait preuve d’un idéalisme de cœur pur à la Tintin, qui marche toujours quand on regarde les choses de loin. « Si tous les gars du monde… » – mais comment ? Physiquement, le jeune auteur ressemble d’ailleurs un peu à l’adolescent reporter du Petit Vingtième.

Mais il fait l’impasse sur les religions, ce qui est inexplicable, car les Palestiniens sont musulmans et croyants parfois fervents, les Israéliens sont juifs pratiquants et pour certains fanatiques, les chrétiens humanistes ne sont pas absents non plus. Il fait l’impasse aussi sur la « solidarité arabe », qui a manqué cruellement aux Palestiniens depuis la guerre perdue de 1967. La Jordanie comme l’Égypte, ou même l’Arabie saoudite, la Mecque de la religion musulmane, refusent absolument d’accorder une place aux déplacés, empêchant les plaies de se cicatriser, par des camps, décrétés « provisoires » depuis plus de soixante ans.

La photo de couverture est symbolique, bien choisie. Elle montre un adolescent palestinien ivre de vie sur une plage. Il est à la fois tout retourné (par l’histoire), en position acrobatique (face à la puissance d’Israël), mais prouvant son énergie (en équilibre entre deux rochers dangereux). Tolérance, compromis, bienveillance – il n’attend que cela, le jeune être. Raconter une histoire permet de faire connaître, de faire vivre, et peut-être d’influer sur les opinions pour qu’enfin une solution de paix soit trouvée.

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble, 2025, édition Une autre voix, 313 pages, €34,00, e-book €13,50

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Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Saisons de culture a aimé « Et cetera… » les poèmes de Hadlen Djenidi

Hadlen Djenidi : La poésie comme miroir et résilience dans l’ère du désenchantement

Dans Et cetera… Poèmes et proses, Hadlen Djenidi offre une œuvre lumineuse et tourmentée, où les mots transcendent les blessures pour explorer l’existence dans toutes ses nuances. Entre fulgurances intimes et interrogations universelles, il réinvente la poésie comme un acte de résistance et une quête de sens dans un monde fragmenté.

Un poète forgé par la douleur et l’exil

Hadlen Djenidi est né dans les Cévennes, au sein d’une famille algérienne ayant émigré dans les années 1960. Ce double héritage, culturel et identitaire, irrigue son œuvre poétique : « Cache tes racines pour survivre, mais ne les oublie jamais », écrit-il dans son récit autobiographique. Mais son enfance est marquée par la violence : celle d’un demi-frère tyrannique, dont les abus façonnent une part sombre de son identité. C’est l’écriture qui devient alors son refuge :

« Les coups ? Je les transforme en alexandrins.

La douleur devient mon encre, la peur mon inspiration. »

Comme Rimbaud, qui sublimait ses errances dans Une saison en enfer, ou Sylvia Plath, qui transfigurait ses souffrances dans Ariel, Djenidi fait de son vécu un matériau brut qu’il polit avec une maturité saisissante.

Quand l’ordinaire devient sublime

Avec In Extremis, Djenidi peint une scène quotidienne, celle d’un arrêt de bus sous la pluie, pour en faire une métaphore de l’absurde et de l’attente.

« La foule se défoule en se taisant sous le porche

Et elle épie les bus qui passent et qui s’effacent. »

Ce tableau, à la fois mélancolique et universel, n’est pas sans rappeler les Tableaux parisiens de Baudelaire, où la ville devient le théâtre des grandes tragédies intérieures. La pluie, omniprésente dans le poème, est à la fois un motif d’humiliation et de révélation : elle colle à la peau, elle isole, mais elle force aussi le regard à se poser sur l’autre, comme lorsque le poète offre un sourire à la vieille dame qui crie.

Une poésie de création et de transmission

Dans Papier Froissé, Hadlen Djenidi exprime une déclaration d’amour à l’écriture :

« Je veux flatter la vie des gens et leurs secrets,

Être un géniteur de bonheur sur du papier froissé. »

Ici, la poésie devient une arme pour capter l’éphémère et le rendre éternel. Ce désir de transcender le temps rappelle Mallarmé : « Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre. » Mais là où Mallarmé célébrait une poésie hermétique, Djenidi revendique une écriture accessible, tournée vers l’autre, presque militante.

Son ambition est d’écrire « avant que le temps m’emporte », de transformer ses doutes et ses blessures en quelque chose d’universel. Ce faisant, il s’inscrit dans la lignée de Pablo Neruda, dont les Odes élémentaires chantaient les objets du quotidien pour en révéler la beauté cachée.

Le mythe réinventé : entre mémoire et critique

Dans Genèse, Djenidi revisite le récit biblique avec une audace qui lui est propre :

« Bibelots de genèse, et la voûte céleste se tut !

Qui aurait pu croire en de tels déboires ? »

En imaginant un dialogue entre Dieu et le diable, il interroge les notions de pouvoir, de justice et de responsabilité :

« L’enfer est mon royaume et je m’y sens protégé ! »

Ce poème rejoint les grandes œuvres critiques comme Le Paradis perdu de Milton ou Candide de Voltaire, où les récits classiques sont détournés pour questionner les dogmes religieux ou moraux. Chez Djenidi, cette réécriture devient une manière de réconcilier les mythes anciens avec les problématiques contemporaines.

L’intime comme champ de bataille : quand l’amour brûle

Dans Cruel Duel, le poète explore les contradictions du désir et de la domination :

« Tes mains chaudes se nichent entre les miennes,

Et le vent simplement nous coiffe de délicats baisers. »

Ce poème, mêlant douceur et violence, évoque les ambivalences de l’amour, où l’abandon devient à la fois une libération et une aliénation. L’intensité émotionnelle et charnelle qui s’en dégage rappelle les Sonnets de Shakespeare ou les poèmes de Verlaine, où la passion est à la fois salvatrice et destructrice.

Pourquoi la poésie est toujours essentielle

Dans une époque où l’attention est absorbée par les écrans et les flux d’informations, la poésie offre une respiration, une pause. Elle permet de redonner du poids aux mots et de reconnecter avec les émotions profondes. Hadlen Djenidi l’exprime parfaitement :

« Je veux vivre au subjonctif,

Fuir les méandres du vent passif. »

Comme Baudelaire, Lorca ou Prévert, il démontre que la poésie est intemporelle parce qu’elle interroge ce qui est fondamental : l’amour, la mort, le passage du temps. Dans Et cetera…, chaque poème est une tentative de capturer l’essence de ce qui nous échappe, tout en offrant une vision profondément humaine et accessible.

 Une voix singulière et contemporaine

Et cetera… Poèmes et proses est bien plus qu’un recueil de poésie : c’est une traversée de l’âme humaine, un dialogue avec les grands auteurs du passé, et une réponse aux incertitudes du présent. Hadlen Djenidi, par sa plume vibrante et sa capacité à transcender le quotidien, s’affirme comme un héritier des grandes voix poétiques, tout en mettant en exergue une identité profondément contemporaine.

Ce livre est une invitation à croire encore au pouvoir des mots, à leur capacité de guérir, d’émouvoir et de changer le monde. À lire, à ressentir et à partager.                                      Yves-Alexandre JULIEN

« l’ironie s’impose comme une superposition à la vérité » dans « L’abécédaire apocalyptique » de Bertrand Carroy

Dans son Abécédaire Apocalyptique, Bertrand Carroy évoque les banlieues… la guerre… le jeunisme… l’obésité… le sport… le wokisme éducatif… En tout vingt-six thèmes traités de manière truculente et incisive. Un régal !

Les abécédaires digressent autour d’un sujet au rythme de l’alphabet et, lorsque ledit sujet est apocalyptique, il se nourrit du désespoir générationnel de notre époque. Bertrand Carroy pose un regard critique lourd sur une société en dégénérescence, une société devenue folle d’elle-même, promise à un acheminement vers la ruine. Son regard est dur… intuitif… fulgurant… parfois philosophique… mais toujours drôle malgré la violence de propos on ne peut plus lucides.

Le plaisir de la forme

Bertrand Carroy motive le lecteur avec un style néo-moderniste usant d’abréviations, ruptures et contractions orales dont il maitrise l’usage tel un maestro du verbe. Exemples. Page 31 : « Vous savez quoi ? je regarde plus les films, c’est pas possible. » Page 32 : […] « après la période tu-as-vu-mes-abdo-musclés-et-mon-corps-épilé (pour les hommes)et ma-bouche-pulpeuse-physique-de-rêve-y-a-du-monde-au-balcon (pour ces dames), z’arrivent les indéfinis, les vagues silhouettes, les qu’on a sorti du métro à cinq heures du matin, tout blafard, tout cafard » […] Page 60 : « Le marketing, vous savez, c’est une belle invention… Que ça vous appâte pire que les miettes de thon pour mon chat ! » Allez ! Une dernière. Page 90 : « Dans le pétrin qu’on s’est mis, tout au fond, bien gentiment, en douceur, la pilule est passée, année par année. »

L’oralité du style relève d’une quasi prophétie eschatologique : les constats (parfois sous forme d’accusation) ironiques introduisent la venue d’un monde nouveau, non seulement comme une destinée de l’homme, mais aussi comme une destinée de la vie toute entière ; terrible monde dont l’horizon se rapproche chaque jour davantage d’un royaume farfelu bientôt sous la couronne d’un roi nu. Rien de bien engageant. Certes. Mais c’est tellement bien vu ! Raison pour laquelle il est possible de lire chacun des vingt-six chapitres en fonction d’une vaste amplitude qui mène de l’humour grinçant à la sociologie messianique. Plaisir de la forme en dénonciation d’une actualité moribonde.

Second bonheur

Au plaisir de la forme s’ajoute celui du propos. Les thèmes choisis par Bertrand Carroy sont avant tout ceux d’une actualité rugissante. Il commence par poser le décor sociétal actuel avant de le développer quelques pages plus loin. Page 11 : « J’vois venir, avec de gros sabots, les savants engommés, l’air suffisant complice, la pupille gauche abaissée de celui à qui on ne la fait pas : contempteurs des « c’était mieux avant » ! […] « Ma grand-mère avec son certificat d’études avait plus de connaissances, des vraies et bien utiles, que les bacheliers d’aujourd’hui : les rivières, les départements de France et leurs préfectures et sous-préfectures, les ères géologiques, le nom des champignons, les vénéneux et ceux qui rentrent dans une bonne omelette, les dates fondatrices de l’histoire, ( …), Villon, La Fontaine, Corneille, tous par cœur ! »

Ce prélude introduit ce que dit l’auteur à propos des banlieues. Page 15 : « Ah la belle France que voilà, mon doux et beau pays, sa capitale scintillante ! Paname et les centres-villes historiques devenus vides, propres, aseptisés ; reléguons la racaille loin des touristes… Qu’ils dépensent sereinement leur argent dans les boutiques Louis Vuitton, Chanel, Gucci… En banlieue, les survêtements abrutis informes, les couloirs suitant, l’urine sur les poubelles, les grèves des transports… » Puis s’agissant du jeunisme. Page 47 : « Passé les quarante-cinq ans, z’êtes finis les amis, votre date limite d’usage est dépassée, z’êtes phacochère fatigué, votre vilebrequin cassé, tout juste bon ratiociner dans une chaire universitaire (pour ceux qui ont des lettres ou des relations haut placées), et encore ! » Ou encore du narcissisme. Page 64 « Pour s’éduquer, ça sert à rien d’aller à l’école, faut aller sur les réseaux, là l’instruction véritable sur la nature humaine, l’apprentissage accéléré de la sagesse (en dix vidéos s’il vous plaît), z’en savez plus sur le psychisme de l’homme et de la femme qu’en suivant les séminaires de Lacan pendant dix ans ! »

Contrepoint philosophique

On l’aura compris, Bertrand Carroy dénonce les maux sociétaux en malmenant d’autres mots, les siens ; une déconstruction de la langue qui vise à révéler de manière encore plus flagrante les confusions et la folie du monde actuel ; déconstruction répétitive et inversement (répétition déconstructive) où l’ironie s’impose comme une superposition à la vérité. De fait, y entrapercevoit-on un raisonnement philosophie, un peu comme si Heidegger s’imposait en contrepoint de Pierre dac. Alors ! Faut-il lire le l’Abécédaire Philosophique de Bertrand Carroy ? Oui. Doublement. Son dictionnaire dit tout haut ce que beaucoup pensent trop bas. En outre, Bertrand Carroy est aussi poète, son dernier recueil, Poèmes de la nuit, est édité chez l’Harmattan, et le second bonheur évoqué plus haut vaut aussi pour sa poésie.

« Les mots me parlent
Et je me réunis
Conciliabule de minuit
Harangués mes rêves hagards
Se perdent dans l’alphabet nocturne
Autant se rendormir
Une tâche noire sur la feuille fatiguée
Et quelques vers abandonnés. »

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2025 –Esperluette Publishing & Bretagne Actuelle

ABECEDAIRE APOCALYPTIQUE, un livre de Bertrand Carroy aux éditions Le Lys Bleu – 118 pages – 13,40 €

POÈMES DE LA NUIT, un recueil de Bertrand Carroy aux éditions L’Harmattan – 143 pages – 15,00€

« La marraine amoureuse » de Benoit Marbot reçoit les éloges de la théâtrothèque

La théâtrothèque

Au Studio Hébertot, Benoît Marbot signe une romance poignante dans un Paris dévasté par la Grande Guerre. Une femme et un jeune soldat, unis par une correspondance née de l’absence et des tranchées, vivent une valse entre amour, fatalité, espoir et renoncement. La marraine amoureuse nous plonge dans cette danse émotive, portée par une mise en scène inspirée et des comédiens habités, offrant une intensité rare dans le partage des mots.

Un écrin de mélancolie au cœur du parc Monceau

Dès les premiers instants, la magie opère. Le décor signé Philippe Varache nous plonge dans le Paris de la Grande Guerre, loin des tranchées. Ici, le parc Monceau sert d’écrin à la rencontre entre Clémence et Anatole. Un lieu presque onirique, où la beauté classique contraste avec la douleur des temps. Varache recrée un univers d’une troublante authenticité, fidèle à l’atmosphère feutrée du début du XXe siècle.

Ses costumes, réalisés sur mesure, confirment cette quête de réalisme. La silhouette de Clémence, en manteau long et chapeau sobre, évoque ces femmes de la Belle Époque dont le deuil s’habillait de dignité silencieuse. Face à elle, Anatole, trop jeune pour l’uniforme qu’il porte, incarne cette jeunesse sacrifiée, égarée entre le romantisme et la brutalité du front.

Un duo d’acteurs habité

Porter une pièce reposant sur la force du dialogue est un défi. Sylvia Roux, dans le rôle de Clémence, y parvient avec une intensité remarquable. Son interprétation rappelle les héroïnes de Jean Anouilh, tiraillées entre devoir et désir. Formée à l’École Périmony, elle a dirigé le Studio Hébertot et défendu des textes à forte résonance intime. Ce rôle semble une évidence tant elle habite chaque réplique avec justesse.

Clémence incarne une femme prise entre les carcans de son époque et ses aspirations profondes. En 1915, alors que les hommes partent au front, les femmes gagnent une autonomie nouvelle, mais restent prisonnières d’une société qui les cantonne aux marges du pouvoir. Engagée épistolairement auprès des soldats, Clémence est libre en pensée, mais contrainte par les conventions.

Le jeu de Sylvia Roux traduit avec finesse ce tiraillement. Son personnage évoque autant Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias que Madame Arnoux de L’Éducation sentimentale. Mais il résonne aussi avec les questions féministes contemporaines. À l’heure où l’égalité salariale et le poids des injonctions sociales sont débattus, Clémence rappelle que ces combats sont anciens et que la liberté des femmes s’est toujours heurtée à des murs invisibles.

Face à Sylvia Roux, Jean-Nicolas Gaitte incarne un Anatole vibrant et fougueux, dont l’audace masque mal la fragilité. Habitué aux rôles exigeants (Roméo et Juliette, Les Contes du Grand Guignol), il trouve ici un équilibre subtil entre naïveté et détermination. Son Anatole rappelle Perdican de On ne badine pas avec l’amour, croyant pouvoir bousculer le cœur d’une femme plus mûre, avant de comprendre que l’amour n’est jamais un simple jeu.

Si La Marraine Amoureuse parle d’un amour en temps de guerre, elle interroge aussi notre époque. En 1915, la guerre semblait devoir s’éterniser, et l’on croyait encore à un monde sans conflit. Un siècle plus tard, la guerre est toujours là : en Ukraine, au Proche-Orient, en Afrique.

Dans ce contexte, la pièce éclaire notre actualité de manière troublante. Le personnage d’Anatole rappelle ces jeunes hommes qui, hier comme aujourd’hui, partent au combat sans toujours comprendre leur engagement. Son insouciance brisée fait écho à ceux qui, aujourd’hui encore, doivent suspendre leur jeunesse pour défendre une cause qui les dépasse.

Une écriture précise et une mise en scène toute en nuances

Benoît Marbot, auteur et metteur en scène, prouve une fois de plus la singularité de son écriture, saluée pour son mélange de tendresse et de cruauté, d’humour et de mélancolie. Ses dialogues oscillent entre séduction légère et gravité d’un monde qui s’effondre. La construction rappelle Giraudoux (Intermezzo, La guerre de Troie n’aura pas lieu), où les échanges faussement anodins portent en filigrane le poids d’un destin collectif.

Marbot met en scène son texte avec une économie de moyens qui laisse toute la place au jeu des acteurs. Pas d’effets inutiles ni de pathos excessif : tout repose sur les regards, les silences, cette tension entre deux êtres qui savent que le temps leur est compté. Une sobriété d’une efficacité redoutable, qui sublime l’émotion sans jamais tomber dans le mélo.

Un spectacle à ne pas manquer

La Marraine Amoureuse est de ces pièces qui touchent au cœur par leur simplicité apparente et leur richesse profonde. À travers l’histoire de Clémence et Anatole, Benoît Marbot nous offre une réflexion universelle sur l’amour, la perte et l’espoir.

Servi par deux comédiens exceptionnels, un décor évocateur et des costumes d’une précision historique remarquable, ce spectacle est un moment de grâce suspendu, où l’émotion affleure à chaque instant, jusqu’à la chute réjouissante d’un amour intact que la guerre n’aura point altéré.

Yves-Alexandre Julien  

21/03/2025

« Un équilibre entre le juste et le vrai » pour « La marraine amoureuse » de Benoit Marbot

La lecture d’une nouvelle pièce de Benoît Marbot est l’assurance d’un agréable moment. Singularité d’écriture… Dialogues insolites… Humour et dérision… La marraine amoureuse ne déroge en rien au talent de son auteur.

On entame la lecture d’une pièce de théâtre pour la raison la plus naturelle et la plus modeste qui soit : se distraire. Les pages se tournent à intervalles réguliers alors que, fort égoïstement, nous décidons de n’y être pour personne, ni même au téléphone, tout au moins pas avant la fin de l’acte en cours. Et. Voyez-vous ! C’est précisément ce qu’il advient à la lecture de La marraine amoureuse, où l’on ne voit pas s’écourter le jour ni s’allonger la tête du chien qui se demande quand nous allons enfin lâcher ce livre pour satisfaire sa promenade habituelle.

Après les trois coups

Au théâtre, tout commence par la scène 1 de l’acte I. Il s’agit d’un dialogue, toujours, en l’occurrence ici celui entre Clémence et Anatole. Nous sommes à Paris, parc Monceau, début de l’hiver 1915, l’un et l’autre se cherchent dans les allées jusqu’à leur rencontre avant de s’asseoir sur un banc ; plus précisément, Clémence s’assied-elle alors qu’Anatole reste debout en proposant d’aller ailleurs, puis il finit par consentir à se poser près d’elle. Au fil d’une conversation truculente, ponctuée du vocabulaire argotique d’Anatole face à celui choisi de la jeune femme, le lecteur commence à comprendre le lien qui les (dés)unis : Clémence est une marraine de guerre.

(Entre 1914 et 1918, des milliers de femmes entretinrent une correspondances avec un soldat au front afin de le soutenir moralement et psychologiquement. Il s’agissait d’un échange épistolaire avec les conscrits dans l’espoir de maintenir leur moral au beau fixe ; souvent des hommes livrés à eux-mêmes et sans famille. Les motivations de ces mères , parfois célibataires, veuves, ouvrières ou grandes bourgeoises, étaient divers. Certaines espéraient ainsi trouver un mari et plusieurs épousèrent effectivement leur filleul.)

Voici donc nos (futurs) tourtereaux seuls dans un jardin anglais à l’heure des coups de sifflets annonçant la fermeture. Le gardien s’éloigne. Il ferme les grilles à double tours. Anatole a su convaincre – non sans mal et malgré elle – Clémence d’accepter de jouer ensemble les oubliés. A l’ouest le soleil s’écroule derrière les colonnes grecques de l’entrée principale. Venez ! venez ! Il la prend par la main et l’entraîne. Les scènes s’enchainent. Tendres… Drôles… Parfois hilarantes, tel ce cours d’anglais improvisé qui laisse Anatole sur son séant ! Le jeune homme et sa marraine quitteront bien entendu le parc monceau pour s’y retrouver l’année suivante. En juin 1916.

Deuxième acte

Une pièce de théâtre réussie doit sembler tenir du hasard. C’est ainsi qu’interfèrent comédiens et spectateurs dans la spontanéité du jeu. La justesse d’une mise en scène de bon aloi participe évidemment au succès. Au fil des scènes et à force de découvrir les personnages, l’on finit par éprouver ce qu’ils ressentent, fut-ce à travers l’artifice d’une interprétation où (s’il s’agit d’une simple lecture) de l’imagination que l’on s’en fait. La marraine amoureuse est la preuve qu’une excellente pièce se joue autant qu’elle se lit avec le même plaisir conjugué. Disons simplement que ce deuxième acte embellit le premier.

Quelques saisons plus tard, Anatole et Clémence sont (peut-être) devenus amants ; l’idée apparait lorsque l’élève-aspirant trousse la jeune femme derrière les buissons. « Vous croyez qu’il suffit d’embrasser une femme pour la connaître ? » Un peu plus loin. Lui : « Quand remettons-nous le couvert ? » – Elle : « Je n’ai plus vingt ans, monsieur Langeron. » Encore plus loin après la confession d’avoir réservé une chambre au Lutécia, Clémence ajoute avec une tendresse nostalgique : « Je croiserai peut-être dans cette hôtel des amis de mon mari, ils y retrouvent leur maîtresse, nous serons en terrain de connaissances. Ça ne sera pas vous qu’ils jugeront, ça ne sera pas vous qu’ils mépriseront, ce sera moi ! La veuve indigne qui bafoue la mémoire de son glorieux mari, mort pour la France ! »

Troisième acte

Dans une pièce en quatre partie, le troisième acte pose d’ordinaire la réussite ou l’échec des protagonistes face à l’intrigue des deux précédents ; il annonce le dernier levé de rideau qui bientôt mettra en lumière la résolution des combines et grenouillages face aux spectateurs curieux. Nous sommes désormais en septembre 1917. L’uniforme d’Anatole est celui d’un sous-lieutenant, et Clémence apparaît le ventre arrondi. La guerre fait rage. Personne n’imagine l’armistice de si tôt. Benoît Marbot signe ici parmi les plus beaux dialogues de la pièce. Il ne conviendrait pas de les dévoiler dans cette chronique ; le lecteur doit en conserver la surprise essentielle à son éblouissement. Juste dire qu’Anatole commence à comprendre (malgré lui) qu’une femme peut changer un homme pour peu d’un véritable amour entre les deux.

Avant le rideau final

La marraine amoureuse laisse imaginer les charmes d’un théâtre aujourd’hui oublié. On pense à certaines comédies romantiques qui ont fait le succès du boulevard des années 1960/70. Benoît Marbot nous fait ressentir cet étonnement et cette reconnaissance à découvrir des personnages – plus ou moins drôles et plus ou moins profonds – induisant une histoire dont on imagine volontiers la suite après le rideau final. Il y a du romanesque dans cette œuvre exposée au fil d’une action qui arrive à un dénouement tout aussi inévitable qu’il était prévu dès les premières répliques. Alors ! Faut-il lire La marraine amoureuse ? Oui. Ce texte ne souffre d’aucune réplique banale, tout en satisfaisant la copie des phrases de la vie. C’est grâce à ce parfait équilibre entre le juste et le vrai que Benoît Marbot accroche le spectateur, posant ainsi les répliques dans une action qui contribue à ce qu’il est convenu d’appeler un véritable « spectacle ».

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Mars 2025 –Esperluette Publishing & Bretagne Actuelle

LA MARRAINE AMOUREUSE, une pièce de théâtre de Benoît Marbot (texte) aux éditions L’Harmattan – 95 pages – 13,00 €