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Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
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Nathalie de Baudry d’Asson, une femme d’histoiresDans Miniatures et pointes sèches, Nathalie de Baudry d’Asson raconte des destins de femmes. En découvrant ces histoires, au tempo très rapide, le lecteur passe sans interruption du rire aux larmes et de la compassion à l’admiration. Si la mémoire émotionnelle est la plus persistante, alors ce livre ne tombera pas dans l’oubli.
Pourquoi cette double référence, dans le titre, à l’art pictural ? Les cinquante petits textes qui composent Miniatures et pointes sèches dressent, en quelques lignes ou au plus quelques pages, les portraits de femmes d’hier et d’aujourd’hui, tels de petits tableaux, avec une écriture à l’os, un sens de la concision et une spontanéité – bien sûr très travaillés – qui renvoient à l’art du graveur.
Nathalie de Baudry d’Asson est d’abord la biographe de celles qui ignorent tout du métier d’écrire : elles sont médecins, journalistes, artistes, parfois encore lycéennes, ou même religieuses consacrées. Ce sont tantôt des vies entières, tantôt des « tranches de vie », de simples anecdotes, qui prennent forme sous sa plume. Mais ce qui intéresse à chaque fois l’auteure dans la vie des unes et des autres, ce sont les péripéties, les rebondissements, ces moments incertains entre l’échec et le succès, ces dialogues en apparence anodins, mais qui peuvent conduire d’un cabinet de radiologie à la salle Pleyel. Les enjeux sont donc énormes – il s’agit de mener la vie qui correspond à ses aspirations – et l’existence semble être un jeu à somme nulle : « Le bonheur d’Emmanuelle a été la souffrance atroce de Philippe », lit-on à la fin de l’un de ces récits. Les héroïnes de Nathalie de Baudry d’Asson font preuve d’ingéniosité face à l’adversité : quand elles se vengent, c’est avec sang-froid et subtilité. Elles vivent à l’occasion des expériences étranges, à faire réfléchir les plus rétifs à l’ésotérisme : quand elles guérissent d’un mal, elles le font en défiant la science. Elles se soumettent parfois, se rebellent le plus souvent.
Entre peinture et littérature
Si l’auteur manifeste par le titre un goût pour les arts plastiques, c’est toutefois sa longue expérience d’éditrice qui donne à son livre toute sa variété, toute sa richesse. Ainsi, de biographe – ou d’ « écrivain public » –, elle se fait épistolière, quand elle rédige une cruelle et émouvante lettre d’adieux à un amoureux… qui a tout fait pour gagner sa disgrâce. Elle est aussi parfois historienne : Miniatures et pointes sèches dresse le portrait de Résistantes encore peu connues, telle la Britannique Noor Inayat Khan, opératrice radio en France dans les années décisives, trahie et capturée, puis évadée et héroïque jusqu’au bout.
Enfin, à la marge, Nathalie de Baudry d’Asson offre au lecteur quelques fragments d’autobiographie, tel ce séjour new age à la campagne, forcément un peu étrange, avec ses namasté et son inévitable pleine conscience, ou des instants d’émotion artistique, avec des cantatrices légendaires : Dame Felicity Lott ou Jessye Norman. Il est ainsi souvent question de poésie et d’art lyrique dans son livre : Franz Schubert, le maître du lied, est au cœur de la plus belle histoire d’amour du recueil.
Une écriture romanesque
Miniatures et pointes sèches est en fait bien plus qu’un simple recueil d’anecdotes et d’histoires vraies. À tous ces épisodes de vie, dont les grandes lignes lui ont un jour été confiées par des amies ou des anonymes, l’auteure donne corps et voix, action et dialogue, par son imagination et sa faculté à transposer (car les noms et les circonstances ont été modifiés pour préserver la vie privée). On ne dirige pas en vain des maisons d’édition, comme ce fut son cas au sein du groupe Hachette, où l’on accompagne les auteurs par un travail suivi sur le manuscrit. Nathalie de Baudry d’Asson recourt ainsi aux techniques de l’écriture romanesque pour sublimer des histoires qui, autrement, seraient simplement intéressantes.
L’histoire de Jacqueline, la nourrice en apparence irréprochable, est exemplaire : la narratrice omnisciente, comme dans un bon roman réaliste du XIXe siècle, feint un moment de ne pas tout savoir des pensées du mari et de sa femme qui l’emploient, pour réserver une surprise dans le dénouement. Et mettre en valeur la profonde humanité des personnages. Entre par moments en jeu la licence de l’auteure : une femme vit seule ses derniers instants ou va commettre le geste fatal, et nul ne peut savoir avec certitude quelles ont été ses pensées. Personne sauf le romancier ou l’auteur, qui conclut : « Avec une joie absolue, elle s’immole. » Ces « tranches de vie » se lisent souvent comme des nouvelles, aussi cruelles que celles d’un Maupassant. La chute est brutale : l’auteur ouvre le tiret du dialogue et un personnage prononce une seule phrase, glaçante, violente, que le lecteur gardera longtemps en mémoire.
Si Miniatures et pointes sèches revendique de mettre à l’honneur les femmes et de pratiquer un féminisme par l’exemple, Nathalie de Baudry d’Asson n’est pas non plus béate devant son propre sexe : il y a aussi dans son livre quelques personnages repoussoirs, à l’égoïsme incurable ou à l’arrogance crasse, que l’auteur tient à distance en les moquant, entraînant le lecteur dans son rire sarcastique. Ils ne sont qu’une minorité.
Nathalie de Baudry d’Asson
Miniatures et pointes sèches (préface de Marc Lambron, de l’Académie française)
Éditions la Trace, 170 pages

Souvenirs de la soirée de la fondatrice du site Saisons de culture Mylène Vignon « Florilège » qui a eu lieu au Café de Flore jeudi 25 septembre 2025 avec BALUSTRADE à l’honneur.
Etaient présents et ont pu présenter leurs livres : Alain Schmoll, Marianne Vourch, Frédéric Vissense, Christian Brûlard, Laurent Benarrous, Patrick Houlier et Nicolas Gorodetzky














Avec Miniatures et pointes sèches, publié aux éditions La Trace, Nathalie de Baudry d’Asson signe une entrée en littérature qui a la force de l’évidence. C’est un cri du cœur.Connue pour son parcours dans le monde de l’édition – elle a dirigé plusieurs grandes maisons et fondé Le Lien Public – elle se place cette fois du côté de l’écriture. Le résultat n’a rien d’un exercice de style ou d’un passe-temps d’initiée : c’est un véritable livre d’écrivain, au souffle singulier, qui s’impose d’emblée par la densité et la précision de sa prose.
Diversité des vies
Ce recueil se présente comme une série de récits courts, fragments narratifs à la première ou troisième personne, lettre,dialogue, etc., chacun centré sur un destin féminin. L’autrice choisit la forme brève pour dire l’essentiel : une vie entière peut tenir dans quelques paragraphes, une douleur ou une joie se condenser en une image. Cette économie de moyens n’appauvrit pas le propos ; au contraire, elle donne à chaque portrait une intensité saisissante. Les femmes que l’on rencontre au fil des pages viennent d’horizons divers : certaines sont entrées dans l’Histoire, comme Noor, résistante arrêtée puis exécutée par les nazis, d’autres appartiennent à la foule des anonymes, comme Louise, une femme transgenre, ou même à une femme quittée ou une autre encore qui admire une cantatrice. Chacune devient pourtant une figure de vérité et d’humanité. La diversité des vies évoquées compose une mosaïque qui met en valeur la pluralité de la condition féminine : héroïnes tragiques, mères courage, artistes inspirées ou simples fausses amatrices d’art contemporain, toutes sont convoquées dans une fresque qui échappe à toute hiérarchie. Ce chœur de voix rappelle que l’expérience féminine ne se réduit pas à une seule figure mais s’épanouit dans une multitude de formes.
Un féminisme poétique
En effet, cette pluralité évoquée conduit tout à chacun à parler des femmes et non de la femme… Plutôt qu’un manifeste ou un traité, Nathalie de Baudry d’Asson propose une écriture poétique, tendue, ciselée comme une pointe sèche. Le féminisme qui traverse ces pages n’est pas frontal, il ne s’impose pas par slogans, mais par la prosodie du langage. Le lecteur n’est pas sommé d’adhérer : il est enjoint à se laisser aller à la petite musique de l’autrice. Une phrase brève, une image juste suffisent à suggérer l’injustice subie ou l’aplombmanifesté. Cette discrétion confère aux textes une puissance paradoxale : en laissant une part d’implicite, ils obligent le lecteur à entrer dans l’espace laissé vacant, à se confronter lui-même aux vies dont le pouvoir évocateur résonnent chez l’Autre. C’est une forme de féminisme littéraire, qui ne cherche pas à démontrer mais à émouvoir, et qui par-là atteint une portée universelle. Dans cette sobriété se cache une exigence esthétique : chaque mot est choisi avec soin, chaque phrase s’impose par sa justesse, comme si l’écriture elle-même devenait un acte de résistance.
Un écrivain sensible aux à-coups du monde
Ce livre ne se contente pas d’aligner des portraits féminins ; il révèle une manière singulière d’habiter le monde. Derrière la sobriété apparente, on sent une profonde sensibilité aux secousses de l’histoire et aux fracas du quotidien. Les existences racontées ne sont pas isolées dans une bulle : elles résonnent avec les grandes tragédies du XXᵉ siècle, avec les injustices sociales, avec les tensions de notre époque. La plume de Nathalie de Baudry d’Asson, fine et attentive, se fait réceptacle des à-coups du monde. C’est peut-être là que se loge l’originalité de ce premier livre : dans la capacité à conjuguer la miniature et l’universel, à transformer une destinée particulière en miroir d’une expérience collective. On y retrouve l’œil exercé de l’éditrice, formée à reconnaître ce qui compte dans un texte, mais aussi la voix intime d’une femme qui observe et ressent avec acuité la beauté comme la violence du réel. À travers ces miniatures, l’autrice construit une œuvre à la fois discrète et essentielle. Elle ne cherche pas le spectaculaire, elle refuse l’emphase, mais elle atteint par la rigueur de son style et l’acuité de son regard une intensité rare. On sort de la lecture avec le sentiment d’avoir approché, par fragments, une vérité sur la condition féminine : vérité multiple, fragmentée, mais profondément incarnée. C’est là toute la réussite de ce livre : en choisissant l’humilité de la forme brève, il parvient à dire ce que de longs récits peinent parfois à transmettre.
En définitive, Miniatures et pointes sèches s’impose comme une œuvre de mémoire et de transmission, mais aussi comme une promesse littéraire. Le regard que Nathalie de Baudry d’Asson porte sur ces femmes n’est jamais figé : il est tendu vers le lecteur, qui devient à son tour dépositaire de ces fragments d’existence.