Le Contemporain soutient le roman humaniste et sensible de Maxim Schenkel

Un roman pour réenchanter la paix : Maxime Schenkel ou l’espoir en héritage

■ Maxime Schenkel.
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culture.

Un jour, nous vivrons ensemble, le premier roman de Maxime Schenkel, publié par les éditions Une autre voix, surprend, émeut et interroge. Par son titre d’abord, promesse d’un avenir pacifié dans une région fracturée par des décennies de conflits. Par son auteur ensuite, trentenaire autodidacte, ancien footballeur devenu écrivain par idéal. Par sa matière enfin, brûlante entre toutes : l’histoire d’une famille palestinienne sur trois générations, confrontée à l’exil, à la guerre et à la persistance de l’espoir. Ce récit romanesque, à la fois pudique et engagé, évite les pièges de la simplification idéologique pour offrir une fresque sensible, inspirée d’une vérité historique souvent occultée.

 

Le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Trois générations palestiniennes à la lumière de l’Histoire et du fracas de l’actualité

Il faut du courage, aujourd’hui, pour écrire un roman sur la Palestine. Non un pamphlet, non un tract, mais un roman au sens le plus fort du terme : un récit d’hommes et de femmes, d’amour et d’exil, de chair et de mémoire. C’est ce que parvient à faire Maxime Schenkel, jeune auteur de 32 ans passé par les terrains de football avant ceux de la littérature, dans Un jour nous vivrons ensemble, premier roman publié chez Une autre Voix, maison résolument hors des sentiers battus. En trois générations — Hassan, Amine, Ali — l’auteur retrace, à hauteur d’homme, le long désastre d’un peuple jeté hors de l’Histoire, et pourtant toujours debout, comme ce jeune garçon renversé mais triomphant sur la couverture.

De Tantura à Gaza, la tragédie continue

À l’origine, il y a un village : Tantura village côtier au sud de Haïfa, sur la côte méditerranéenne, où les jours paisibles de la Palestine mandataire sont balayés par la Nakba. Nous sommes le 23 mai 1948, lendemain de noces entre Hassan jeune Palestinien de 21 ans et Fatima qu’il épouse à la veille d’une tragédie : l’irruption de la Haganah, milice juive devenue l’embryon de Tsahal, qui massacre les villageois dans une opération de “nettoyage” restée taboue pendant des décennies. La mer est calme, les visages sont radieux, mais déjà, au large, gronde la Haganah, future armée israélienne nourrie aux idéaux du sabre et du droit divin. Le massacre est un fait historique longtemps nié, aujourd’hui partiellement reconnu. Hassan, épargné par miracle, fuit avec sa jeune épouse vers la France, terre d’exil qui devient terre d’accueil. Il y ouvre une épicerie en Normandie. Mais son cœur reste là-bas, entre les citronniers de Tantura et les plages de son enfance…

Maxime Schenkel exhume ici un épisode longtemps refoulé, documenté par l’historien Teddy Katz et reconnu depuis par certains témoins israéliens. Cette mémoire de sang hante le roman et lui donne sa profondeur tragique. “La vérité ne change pas selon nos capacités à l’accepter”, écrivait Aldous Huxley : c’est précisément ce que rappelle Schenkel, en convoquant la douleur fondatrice de la Nakba.

Des exils et des silences.

Réfugiés en France grâce à l’aide d’un ami français, Hassan et Fatima s’installent en Normandie. Ils y reconstruisent leur vie, sans jamais oublier leur terre perdue. La mort de Fatima précipitera la révélation du passé à leur fils Amine, élevé comme un petit Français. C’est lui qui, adulte, retourne “au pays” pour comprendre, pour revendiquer une appartenance, pour aimer aussi — Lina, Palestinienne de Naplouse, avec qui il aura un enfant, Ali. Le silence des pères, les non-dits familiaux, la transmission brisée : tels sont les fils souterrains du récit. Comme le note l’écrivain Édouard Glissant, “l’identité n’est pas une essence, c’est une relation”. Schenkel le montre avec subtilité, dans les heurts et les liens tissés entre générations et territoires.

Un roman-miroir du conflit d’aujourd’hui

Ce qui frappe, c’est combien ce roman résonne avec les images qui, depuis le 7 octobre, saturent nos écrans : attentats, bombardements, enfants mutilés, maisons rasées. L’histoire d’Amine, fils d’Hassan, revenu étudier à Naplouse dans les années 1980, rejoint celle des activistes d’hier et des journalistes d’aujourd’hui. Fondateur d’un journal clandestin, il résiste, comme tant d’autres, à la colonisation rampante de la Cisjordanie. Sa femme Lina le quitte par peur, son fils Ali est envoyé en France, nouvelle boucle de l’exil. Mais Ali, à son tour, repart : c’est une génération qui ne renonce pas, même blessée, même amputée. À Gaza, ville martyre de cette année 2023, il cherche sa mère disparue, rencontre la guerre et la lumière, tombe amoureux d’une Israélienne. C’est cette tension inextricable entre l’histoire et le présent, entre le feu et l’amour, que Maxime Schenkel saisit avec une justesse inattendue.

Une écriture sans prétention au cœur pur

La langue de Maxime Schenkel est simple, parfois maladroite, mais toujours habitée. Elle a cette sincérité brute des premiers livres, où chaque mot porte une part de vérité personnelle. Certains tics de style trahissent une formation autodidacte, mais n’enlèvent rien à l’intensité du propos. Ce qui compte ici, c’est le souffle, l’élan moral, la volonté de dire l’indicible. À la manière d’Albert Camus dans L’Homme révolté, Schenkel oppose à l’injustice non pas la vengeance, mais la dignité : “Résister, c’est participer à la reconstruction d’une humanité plus juste et plus tolérante.” Ce refus du cynisme traverse le livre comme un fil rouge. Maxime Schenkel écrit sans afféterie, parfois avec naïveté, souvent avec sincérité. L’idéalisme affleure à chaque page mais c’est justement cette innocence, proche du Tintin humaniste, qui fait vibrer le livre. Il y a du Si tous les gars du monde… comme l’écrivait Paul Fort dans cette fresque où les peuples, à défaut de s’unir, s’étreignent un instant avant de sombrer à nouveau dans l’histoire sanglante. On pourrait reprocher à l’auteur quelques facilités comme une simplification des rapports religieux mais on sent un écrivain qui cherche, qui creuse, qui s’indigne.

Un engagement sans dogme

Schenkel se défend d’une posture partisane. Loin de la rhétorique indigéniste ou des raccourcis de certains partis, il choisit la voie difficile du romanesque pour faire entendre la voix palestinienne. Sans nier les souffrances du peuple juif ni légitimer la violence terroriste, il s’interroge : que reste-t-il d’un peuple qu’on refuse d’accueillir, même dans les pays frères ? Il pointe aussi le cynisme des grandes puissances, le rôle ambigu des États arabes, la résignation des consciences occidentales. “C’est un livre de paix”, affirme-t-il. “Un cri lancé dans le vacarme des armes, pour rappeler que raconter peut encore sauver.” À l’heure où les bombardements ravagent Gaza, où le dialogue semble impossible, ce roman apporte une voix différente, sans posture, sans leçon, mais avec une espérance ardente.

Une mémoire contre l’effacement

Ce roman n’est pas neutre, et il ne le prétend pas. Il rappelle que la Nakba est pour les Palestiniens ce que la Shoah fut pour les Juifs : une déchirure fondatrice, une blessure intransmissible. Et de même que l’État d’Israël s’est bâti sur le traumatisme, les groupes armés palestiniens — OLP, Fatah, Hamas — sont nés d’un refus de disparaître. Que Schenkel évite de citer ces noms dans son roman n’est pas une faiblesse, mais un choix : il préfère la lignée à la faction, la filiation au drapeau. Il raconte les hommes, pas les doctrines. Les femmes surtout, magnifiques : Fatima, Lina, Sara, figures de résistance et d’amour, mères courage dans une guerre d’hommes.

Un espoir fragile, mais tenace

Dans une actualité où le débat sur le conflit israélo-palestinien est souvent manichéen, hystérisé, voire censuré, Un jour nous vivrons ensemble arrive à point nommé. Ce n’est pas un traité de géopolitique, c’est une main tendue. Dans un monde où l’on dresse des murs, Maxime Schenkel esquisse un pont. Modeste, incertain, vulnérable — mais un pont tout de même. Un pont entre les pères et les fils, entre les juifs et les arabes, entre le passé et demain. Un roman comme une pierre blanche dans la nuit.

Rendre justice par la fiction

Un jour, nous vivrons ensemble n’est pas un roman parfait, mais il est nécessaire. Il a la clarté des débuts, la sincérité des âmes justes. Il dit les douleurs enfouies, les ruptures intimes, les conflits hérités, et surtout l’envie de vivre, malgré tout. L’image de couverture, celle d’un adolescent palestinien bondissant entre deux rochers, résume le livre : l’équilibre instable d’une jeunesse qui refuse de tomber, même au bord du gouffre. C’est là tout le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Saisons de culture recommande le roman vrai de Malédicte sur un sujet poignant actuel

Les enfants inutiles – Une famille qui a mauvais genre

Par Paul Gérodhor

Dans Les Enfants inutiles, Malédicte explore les origines d’une profonde solitude existentielle. Même dans une famille en apparence bien sous tous rapports, la lutte pour s’affirmer peut durer pendant plusieurs décennies. Éléonore est à la fois l’héroïne de ce récit et le témoin du plus grand des bouleversements.

J’ai commencé à lire Les Enfants inutiles, de Malédicte, dans un café. Le livre bien ouvert entre les mains, la couverture en évidence, son titre a intrigué bon nombre des clients qui s’installaient aux tables voisines. Il y a en effet dans un tel titre et dans le contenu de cet ouvrage quelque chose d’assez dérangeant et même de « malaisant », puisque nous sommes ici dans l’univers des identités douloureuses.

Les Enfants inutiles est le récit autobiographique d’une femme qui fait le point sur son existence, depuis l’âge où elle peut faire remonter ses plus anciens souvenirs. La vie aime les coïncidences comme un romancier les symboles. L’histoire d’Éléonore, double transparent de Malédicte, commence dans l’appartement d’une grosse bâtisse où ses parents se sont installés avec leur autre fille. Mais cet appartement n’est pas le leur : on le leur a simplement prêté. Au rez-de-chaussée, qui abrite un bureau de poste, est exposée la copie d’un célèbre tableau de René Magritte, Le Thérapeute : une figure, assise sur un monticule de sable, déplie sa cape et laisse apparaître à la place du torse et du visage une immense cage à oiseaux. Une colombe blanche derrière les grilles, une autre à l’extérieur, sur la tablette à bascule. Le décor est éloquent. Nous sommes chez des êtres qui n’habitent pas vraiment chez eux et qui n’habitent peut-être même pas leur corps, mais qui aimeraient, sans oser l’avouer aux autres, non pas recouvrer leur liberté, mais simplement l’éprouver pour la première fois. Éléonore, donc, une petite fille débrouillarde, curieuse, vive d’esprit, et dont le « je » adulte peut dire, comme par un lapsus : « J’étais déjà grande, j’étais un bonhomme. » Diane, sa sœur aînée, plus réservée ; la mère, institutrice, que sa cadette appelle la « guerrière » et qu’on pourrait surnommer la « régente » tant elle règle la vie de chacun ; et le père policier, taiseux, très en retrait et qui semble nourrir de bien étranges idées sur lui-même.

Névroses en famille

L’histoire est bien agencée, et l’auteure sait ménager de bons effets, notamment en maintenant son regard à hauteur d’enfant. Les discussions animées entre la mère et le père, sans que l’on en comprenne les raisons, le rôle de la tante Margaret, dont l’influence sur celui-ci ne semble pas rassurante, l’arrivée du « Grand » en fin d’année, la mort d’une parente, parce que, nous dit-on, « elle a trop pris de médicaments » : les tabous s’accumulent dans cette famille à l’apparence ordinaire, épanouie. Et cela d’autant plus que, en ville, des rumeurs circulent sur la maisonnée, rumeurs toujours sibyllines et malveillantes, et malheureusement inaccessibles au décryptage.

Le monde dans lequel grandit Éléonore est complexe, mystérieux ; l’écriture de la narratrice est simple, directe (mais parfois non exempte des maladresses du premier livre). La petite Éléonore se débrouille avec les moyens cognitifs de son âge. Si sagace soit-elle, elle énumère les prémisses d’un impossible syllogisme : « Ma mère veut un garçon, car les filles ne conviennent pas et n’ont pas de chromosome Y… Mon père préfère la malice des filles et me donne une mini-pelle au godet fantastique, ma mère est une guerrière. » Pour conclure, bizarrement : « Les guerres sont inutiles. »

La difficulté à vivre dans cette famille – qu’André Gide n’aurait pas beaucoup aimée non plus – consiste en la quasi-impossibilité d’être soi. Le lecteur suit Éléonore, dont les pas sont à la fois hésitants et résolus. Il s’inquiète parfois devant la révélation à venir d’un grand secret, qu’il sait inéluctable. Ce grand secret a-t-il son explication dans contenu de la garde-robe de l’un des protagonistes ? Que doit-on comprendre lorsqu’il est dit que « la mère voulait que ses filles fassent de leur père un homme » ? Et qu’entendent les amis du vieil Albert en parlant de « trucs de grands » à faire avec Éléonore ? L’arrivée de Marie va tout changer et expliquer beaucoup de choses.

Éléonore, alias Malédicte, de son vrai prénom Bénédicte, raconte à des fins thérapeutiques l’exploration des identités. J’ai souvent eu l’impression qu’elle voulait aussi régler quelques comptes, et je la comprends facilement : « Nos géniteurs avaient à l’honneur de faire la même chose pour leurs trois enfants. En général ils ne faisaient plutôt rien pour chacun de nous. C’était effectivement équitable. » Son histoire familiale nous pousse aux confins de la quête de soi, jusqu’aux limites imposées par la nature et la logique. L’expression « naître dans le mauvais corps » suppose la dualité corps-âme, à la laquelle on peut croire, comme à la métempsycose ; elle n’explique cependant rien. Elle a toutefois le mérite de décrire un état, de résumer un sentiment que la société a tendance à réprimer. Quel parti va alors l’emporter ? Y a-t-il seulement un moi véritable qui justifie une si longue quête ? Chez moi, doucement balancé par le mécanisme du rocking-chair, j’ai refermé Les Enfants inutiles en me promettant de chercher à en savoir plus sur ce sujet.

Malédicte, Les Enfants inutiles, Une autre voix, 194 pages

Lien pour acheter : https://www.uneautrevoix.com/livre/les-enfants-inutiles/

« Déwox » jugé indispensable par Tribune Juive, vive Lena Rey !

« Dewox », de Lena Rey : L’antidote intellectuel contre la folie du wokisme

Dans un monde où le wokisme semble imposer sa vision déformée de la réalité, Dewox de Lena Rey offre une détox intellectuelle salutaire. À travers un essai incisif et provocateur, l’auteur nous invite à remettre en question les idéologies qui gangrènent l’espace public et redonne à la pensée critique toute sa légitimité. Retour sur une œuvre essentielle pour tous ceux qui souhaitent se libérer des chaînes de la pensée unique.

Le wokisme, un poison pour la raison

Dans «  »Dewox », Lena Rey dénonce ce qu’elle perçoit comme une nouvelle forme de totalitarisme idéologique : le wokisme. « Le wokisme est un poison », écrit-elle dès les premières pages, un poison « qui pervertit le sens commun et piège la pensée ». L’auteur décrit cette idéologie comme un « cancer intellectuel » dont les effets se sont propagés à travers la société, des universités aux médias, en passant par la culture populaire. Ce poison est celui de la déconstruction permanente des repères traditionnels et de l’affirmation d’une vérité subjective, au détriment de toute objectivité.

Léna Rey met en avant l’idée que le wokisme pousse les individus à « accepter des faits contradictoires », comme cette affirmation absurde selon laquelle un homme peut être enceinte. Elle rappelle que cette négation des évidences biologiques et scientifiques n’est pas sans conséquences. « Quand on déclare qu’un homme peut accoucher, on déclare que la réalité n’a plus de prise sur nous », observe-t-elle, citant ainsi la pensée de George Orwell dans 1984, où la manipulation de la vérité et la réécriture de l’histoire sont les armes d’un pouvoir totalitaire.

L’idée de « détoxifier » l’esprit est également au cœur de son discours. En se référant à l’idée de l’« intoxication mentale » de l’intellectuel et essayiste français Bernard-Henri Lévy, Lena Rey nous invite à retrouver la logique de la réalité, celle qui se base sur l’observation et la raison. Comme le souligne Lévy dans « La Barbarie à visage humain » (2015), « la pensée ne peut se satisfaire de la soumission à la règle de l’émotion ». À ce titre, Dewox n’est pas simplement un rejet du wokisme, mais un appel à une pensée rationnelle débarrassée de ses filtres idéologiques.

Le retour de Trump : Une réponse à la folie du wokisme

L’une des thèses les plus audacieuses de Dewox est son analyse du retour en force de Donald Trump. Lena Rey y voit un effet boomerang des excès du wokisme : « Si nous avons dû subir l’irruption du wokisme dans tous les aspects de notre vie, c’est parce que nous avons perdu de vue la liberté d’expression et l’importance de la critique ». Pour Léna Rey, l’élection de Trump n’est pas simplement le fruit du populisme, mais une réaction de rejet contre une idéologie qui a poussé trop loin ses revendications et déstabilisé l’équilibre politique mondial.

Cette réaction est comparable à celle analysée par l’historien et philosophe allemand Friedrich Hayek dans « La route de la servitude » (1944), où il met en garde contre les dangers du collectivisme et de la pensée uniforme, des traits que l’on retrouve dans le wokisme. Comme Hayek, Lena Rey appelle à une remise en question des idéologies collectives qui imposent des vérités absolues et excluent les voix dissidentes. Trump, dans cette analyse, incarne une forme de résistance à ce « totalitarisme des idées » imposé par la gauche radicale.

Lena Rey établit également une analogie avec les événements de 2016, soulignant que le retour de Trump est la conséquence directe de l’effondrement du système de valeurs que la gauche libérale a cultivé pendant des décennies. La victoire de Trump, pour Rey, n’est pas une défaite des démocrates, mais une victoire de ceux qui refusent de se soumettre à la logique woke, préférant un retour à une forme de bon sens populaire. Elle conclut son chapitre en citant l’essai de l’historien américain Christopher Lasch, « La révolte des élites » (1995), qui expliquait déjà comment les élites pouvaient perdre le contact avec la réalité populaire, engendrant une réaction violente des masses.

Une détox intellectuelle pour redonner la parole au bon sens

L’un des mérites de Dewox réside dans sa capacité à déconstruire les idées woke tout en proposant des alternatives rationnelles et nuancées. Léna Rey se lance dans une critique en règle de concepts tels que le « privilège blanc » ou la « cancel culture », des phénomènes qu’elle identifie comme des symptômes de l’idéologie wokiste. Elle écrit, avec une ironie mordante : « À force de vouloir effacer toutes les traces de discrimination, on finit par discriminer ceux qui sont, par leur simple existence, accusés d’être les oppresseurs ».

Dans cette démarche, Lena Rey s’appuie sur des auteurs classiques de la pensée libérale et critique. Elle cite John Stuart Mill, dont l’ouvrage « De la liberté » (1859) reste une référence fondamentale en matière de défense des libertés individuelles. Mill avertissait déjà que l’entrave à la liberté d’expression sous prétexte de protéger les sensibilités de certaines populations finissait par instaurer une société de censure et de soumission. De la même manière, Léna Rey met en garde contre la tendance à censurer les voix dissidentes au nom de la lutte contre l’oppression. En cela, Dewox invite à un retour à l’esprit des Lumières, où la liberté de pensée et d’expression est perçue comme la pierre angulaire de toute société démocratique.

Pour Lena Rey, la véritable détox intellectuelle passe par un retour à des principes simples mais essentiels : la raison, l’équité et la vérité. Elle propose une série d’exercices de réflexion qui permettent au lecteur de déconstruire les idées reçues et de se réapproprier les outils du discernement. Dans cet esprit, elle cite l’ouvrage « La société industrielle et son avenir » de l’anarchiste Herbert Marcuse, qui, dans une réflexion sur le totalitarisme, soulignait déjà les dangers de l’homogénéisation des idées.

Un plaidoyer pour la réconciliation et la pensée libre

Malgré son ton acerbe et ses critiques acerbes du wokisme, Dewox reste un appel à la réconciliation. Lena Rey n’entend pas inciter à la division, mais à la réintroduction de la diversité des idées dans l’espace public. Elle note que la lutte contre le wokisme ne doit pas se transformer en un combat idéologique de plus, mais en un retour à la discussion rationnelle. Elle écrit ainsi : « La seule chose qui nous unit, c’est le respect de la diversité des idées et de l’expression ».

Cette perspective rejoint les propos de l’écrivain et philosophe français Albert Camus dans « Le Mythe de Sisyphe » (1942), où il rappelle que la liberté réside dans la capacité à choisir ses combats sans se soumettre à des idéologies de masse. Léna Rey s’inspire également de l’essai « La condition postmoderne » de Jean-François Lyotard (1979), qui souligne que les vérités universelles, loin d’être imposées, doivent être débattues et confrontées au sein de la société. Ce dialogue permanent, selon Léna Rey, est la condition sine qua non pour que la société renouvelle ses valeurs et rétablisse la confiance entre ses membres.

Lena Rey : une voix singulière dans le paysage médiatique

Lena Rey se décrit comme une journaliste « défroquée » qui a choisi de rompre avec la pensée dominante des médias. Cette position de marginalité dans le monde médiatique est ce qui fait la force de son discours. En cela, Dewox se situe dans une tradition de penseurs et d’intellectuels qui, comme Michel Foucault dans « Surveiller et punir » (1975), critiquent les mécanismes de pouvoir qui contrôlent la pensée collective.

Léna Rey, à travers son livre, cherche à offrir une voix alternative qui ne se soumet pas aux diktats des idéologues et qui permet aux citoyens de reprendre possession de leur pensée critique. Elle se place ainsi dans une longue tradition de résistance intellectuelle, de Spinoza à Orwell, en passant par Hayek et Mill, en appelant à la nécessité de maintenir une pensée libre dans un monde où la pression sociale et politique se fait de plus en plus forte.

 Le réveil du sens commun

« Dewox » de Lena Rey est un ouvrage nécessaire pour ceux qui souhaitent déconstruire le wokisme et retrouver une pensée libre, fondée sur le bon sens et la raison. À travers une critique acerbe et documentée, Léna Rey invite ses lecteurs à se libérer des illusions idéologiques et à renouer avec la réalité objective. Dans une époque où les dogmes prennent le pas sur la raison, « Dewox » apparaît comme un antidote bienvenu, un guide pour remettre la pensée critique au cœur du débat public. En cela, Lena Rey s’impose comme une voix sincère et salutaire, dans le paysage intellectuel contemporain.

© Yves-Alexandre Julien

Tolérance, compromis, bienveillance dans « Un jour, nous vivrons ensemble » le premier roman de Maxim Schenkel

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble

Hassan, Amine, Ali, trois générations qui se succèdent, Palestiniens bouleversés par la guerre entre Israël et le proto-état palestinien, formé (comme hier Israël, on l’oublie trop avec la Haganah) par les groupes armés, OLP, Fatah et Hamas. Hassan, né en 1927, a coulé des jours heureux à Tantura, village sur la côte méditerranéenne près de Haïfa. Les pères partaient à la pêche, les femmes cultivaient les légumes, les enfants jouaient libres dans les champs et sur la plage.

Survient 1948, la création d’un État artificiel décidé par l’ONU, Israël, sur les ruines du mandat britannique. Les Arabes ne l’acceptent pas : ils sont « chez eux » et occupent les terres. Certes, les Juifs ont souffert du nazisme et du soviétisme et il est légitime qu’ils aient un État, mais pas au point de régner en vainqueurs et de chasser les Palestiniens de leurs maisons, leurs villages, leurs terres. C’est pourtant ce qui se produit. Les régimes arabes alentour entrent immédiatement en guerre contre le nouvel état juif, ce qui le radicalise. Ils ne veulent plus être les moutons que les dominants conduisent à l’abattoir. Ils se veulent dominant à leur tour, traitant les dominés comme on les a traités en Europe : massacres, expulsions, déportations.

C’est ce qui arrive au village de Tantura ce 23 mai 1948, malencontreusement attribué à Israël par le plan de partage de l’ONU. Hassan a 21 ans. Il est amoureux de son amie d’enfance Fatima, avec qui il a joué sur la plage avant de découvrir à 17 ans qu’il veut l’épouser. Par crainte de l’avenir, les familles repoussent sans cesse le mariage, jusqu’au 22 mai. Voilà les deux jeunes enfin unis, ils sont heureux, c’est la fête. Mais à la nuit arrivent les soldats de la Haganah, organisation paramilitaire des Juifs de Palestine, saboteurs et terroristes contre les Anglais jusqu’à la création de l’État, où elle s’est fondue dans l’armée. Ivres de leur victoire, ils tuent ces « Arabes » qui veulent les empêcher de s’implanter sur cette terre que Dieu leur a donné (Dieu à toujours bon dos). Un soldat israélien miséricordieux, opposé à cette violence gratuite contre des civils désarmés, n’hésite pas à loger une balle dans la tête de ses copains déchaînés pour inciter Hassan et Fatima, les jeunes mariés, à fuir.

Et les voilà partis, traumatisés, vers un camp de réfugiés au nord du pays. Grâce à Gérard, un ami français qui voyageait beaucoup avant la Seconde guerre et était tombé amoureux de la Palestine, le couple obtiendra deux visas pour la France. Ils s’installeront en Normandie, pays où vit l’auteur, dans un village près de Saint-Lô où Hassan tiendra une épicerie après avoir œuvré dans le bâtiment pour la reconstruction après le Débarquement, et Fatima cuisinera dans le restaurant du village après avoir été employé de cantine. Ils finiront par faire un enfant, Amine, élevé comme un petit français, obtenant le bac.

Mais Fatima meurt d’un cancer alors qu’Hassan désirait ardemment revenir dans « son pays », la Palestine, dont les odeurs et le climat lui manquaient, ainsi que la convivialité arabe. Cela ne se fera pas. C’est Amine, adulte à 18 ans, qui force son père à parler, à dire ce qui s’est vraiment passé et pourquoi ils se sont exilés en France. C’est Amine qui décidera en 1980 d’aller en Palestine/Israël pour y suivre des études de lettres et vivre « chez lui », à Naplouse. Il rencontrera Lina, sœur de son ami Ahmed, ils tomberont amoureux, se marieront en 1987, juste avant l’Intifada, et auront un fils, Ali. Mais Amine est un révolté, il ne peut s’empêcher de provoquer les colons juifs, de se battre avec eux. La famille de sa femme est expulsée, leur maison rasée au bulldozer ; les Israéliens sont impitoyables avec les résistants à leur occupation qu’ils appellent « terroristes ». Pourtant, Gaza et la Cisjordanie étaient des territoires destinés aux Palestiniens, selon l’ONU. Amine crée un journal imprimé pour raconter ce qui se passe, ses actions, sa résistance ; il a du succès. Sa femme prend peur, elle le quitte et entre en clandestinité, laissant l’enfant à son père, qui va bientôt l’envoyer en France auprès de son propre père, Hassan, pour le protéger.

Ali, troisième génération, devient infirmier à Caen, il côtoie Sara, juive israélienne française, infirmière comme lui, et en tombe amoureux. Il décide d’aller sur la terre de ses ancêtres pour découvrir ses racines, ses cousins et chercher sa mère qui l’a abandonné. Sara comprend. Issue d’une famille juive libérale habitant Tel Aviv, elle est pour la cohabitation des deux peuples, pas pour la guerre. Ils s’aiment et pensent obscurément que les mariages mixtes permettront peut-être de créer cet État mélangé où, en Israël, juifs et arabes vivront en paix. La réalité est plus cruelle que les rêves, Ali s’en rendra compte à Gaza, bombardée après le pogrom du Hamas le 7 octobre. Car le roman va jusqu’à aujourd’hui, reliant l’histoire au présent. Il retrouvera sa mère, qui se terre, recherchée par le Hamas (dont le nom n’est jamais cité) et le Shin Bet (pas plus) pour avoir refusé de commettre des attentats, mais convoyé des armes. Ali sera blessé, perdra peut-être ses jambes, se mariera à Sara. Et puis… tentera de créer un avenir sur les ruines du passé.

C’est le premier roman d’un jeune auteur de 32 ans auparavant footballeur, complètement autodidacte mais curieux du monde et de ses habitants. « J’aime m’enrichir chaque jour intellectuellement grâce à des aventures, des expériences, des lectures, des rencontres qui me stimulent, qui me secouent et qui me font réfléchir », dit-il sur le site de son éditeur, Une autre voix, nouvelle maison d’édition destinée à contrer la censure implicite du politiquement correct ambiant.

C’est un beau roman une belle histoire. L’auteur dit s’être beaucoup documenté. Il écrit fluide, avec parfois des tics d’époque répétés à satiété, comme ce « mutique » sorti de la psychologie de magazine, alors que « muet » ou « sans voix » serait plus juste (le mutique a une incapacité à parler, le muet seulement une volonté provisoire de se taire). Il fait preuve d’un idéalisme de cœur pur à la Tintin, qui marche toujours quand on regarde les choses de loin. « Si tous les gars du monde… » – mais comment ? Physiquement, le jeune auteur ressemble d’ailleurs un peu à l’adolescent reporter du Petit Vingtième.

Mais il fait l’impasse sur les religions, ce qui est inexplicable, car les Palestiniens sont musulmans et croyants parfois fervents, les Israéliens sont juifs pratiquants et pour certains fanatiques, les chrétiens humanistes ne sont pas absents non plus. Il fait l’impasse aussi sur la « solidarité arabe », qui a manqué cruellement aux Palestiniens depuis la guerre perdue de 1967. La Jordanie comme l’Égypte, ou même l’Arabie saoudite, la Mecque de la religion musulmane, refusent absolument d’accorder une place aux déplacés, empêchant les plaies de se cicatriser, par des camps, décrétés « provisoires » depuis plus de soixante ans.

La photo de couverture est symbolique, bien choisie. Elle montre un adolescent palestinien ivre de vie sur une plage. Il est à la fois tout retourné (par l’histoire), en position acrobatique (face à la puissance d’Israël), mais prouvant son énergie (en équilibre entre deux rochers dangereux). Tolérance, compromis, bienveillance – il n’attend que cela, le jeune être. Raconter une histoire permet de faire connaître, de faire vivre, et peut-être d’influer sur les opinions pour qu’enfin une solution de paix soit trouvée.

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble, 2025, édition Une autre voix, 313 pages, €34,00, e-book €13,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Tribune juive a remarqué « Les enfants inutiles » de Malédicte aux éditions Une autre voix

Yves-Alexandre Julien a lu « Les enfants inutiles », l’oeuvre poignante et dérangeante de Maledicte, publiée par Valérie Gans, éditrice innovante

Quand la littérature éclaire le débat sur la transidentité : « Les Enfants Inutiles » et la liberté de penser

Dans un paysage intellectuel souvent polarisé, la maison d’édition Une autre voix, fondée par Valérie Gans, se distingue par son ouverture et son courage éditorial. En publiant Les Enfants inutiles, premier roman de l’auteure « Malédicte », elle propose une œuvre à la fois poignante et dérangeante, qui interroge les mutations profondes de notre société sur le plan de l’identité. À travers une histoire vraie, celle d’une fille confrontée à la transition de son père, le livre pose des questions essentielles sur le genre, la tolérance, les regrets et la liberté d’exister.

Une maison d’édition anti-sectarisme et anti-cancel culture

Valérie Gans, Fondatrice de Une autre voix

Valérie Gans a créé Une autre voix pour offrir un espace à la confrontation des idées. Loin des caricatures idéologiques, cette maison se veut « ouverte sur le monde et sur sa diversité », selon les mots de l’attachée de presse Guilaine Depis . Avec Les Enfants inutiles, elle frappe fort : le roman témoigne d’une expérience intime – celle de Malédicte, fille d’un homme ayant changé de sexe – tout en s’inscrivant dans les débats sociétaux contemporains.

Cette démarche éditoriale, courageuse à l’heure des pressions exercées par certains lobbys, réaffirme la nécessité d’un débat ouvert. « Nous devons éclairer ces ‘progrès’ par le vécu et la réflexion », affirme Valérie Gans. Dans cette optique, Une autre voix refuse de céder à la bien-pensance et invite à explorer des thématiques complexes, sans peur ni tabou.

La transidentité : entre tolérance et incompréhension

Au cœur de Les Enfants inutiles, une interrogation universelle : peut-on accepter une réalité que l’on ne comprend pas ? Dans le roman, Malédicte raconte l’histoire de son père, qui a entrepris une transition vers le genre féminin malgré l’incompréhension de ses proches. « Il faut accepter certaines choses sans les comprendre », affirme l’auteure, qui reconnaît dans la nouvelle identité de son père la même âme qui l’anime.

Pourtant, cette acceptation ne signifie pas l’absence de douleur ni de questionnement. La psychiatre Colette Chiland, spécialiste des questions de genre, écrivait dans Changer de sexe : Illusion et réalité (Presses Universitaires de France, 2008) : « Le désir de transition traduit souvent une souffrance profonde liée à l’identité, mais il peut également engendrer des regrets lorsqu’il n’apporte pas la libération espérée ». 

Les regrets : un tabou dans le débat public

La question des regrets liés à la transition reste largement occultée dans le discours dominant, souvent dominé par les lobbys LGBT et les militants pro-transidentité. Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent pour souligner les drames individuels que peuvent provoquer des choix irréversibles.

Dans une tribune publiée en 2023 dans The Guardian, Keira Bell, une jeune femme détransitionnée dénonçait la « pression idéologique » qui l’a poussée vers une transition qu’elle regrette aujourd’hui. « J’aurais eu besoin de soutien psychologique, pas d’une prescription d’hormones », écrivait-elle. Cette pression sociale est également évoquée dans Les Enfants inutiles, où Malédicte s’interroge sur la responsabilité des professionnels qui ont accompagné son père dans sa transition.

La force littéraire du roman : un style à la hauteur des thématiques

Dans Les Enfants inutiles, Malédicte déploie une écriture qui conjugue finesse littéraire et impact émotionnel, rendant justice à la complexité des thématiques abordées. Un des passages les plus marquants illustre son incapacité à comprendre la démarche de son père tout en affirmant son amour :

« Quand il s’est présenté à moi en robe, ses épaules trop larges et ses mains noueuses dépassant de la dentelle, je n’ai vu qu’une grimace. Mais dans ses yeux, il y avait mon père, toujours. C’était cette lumière vacillante que je ne pouvais pas éteindre, même si je ne comprenais rien à sa quête ».

Ce passage, à la fois brutal et tendre, révèle la tension entre l’incompréhension et l’acceptation. L’usage du contraste — la « grimace » opposée à la « lumière vacillante » — traduit avec justesse les sentiments ambivalents de la narratrice face à une métamorphose qui bouleverse les repères familiaux.

Un autre extrait, empreint d’une poésie désenchantée, évoque la douleur d’être confrontée à un parent qui semble à la fois là et absent :

« Mon père est mort, mais il respire encore. Chaque soir, je l’enterre dans mes souvenirs, et chaque matin, il revient sous une autre forme. Ce n’est plus une métamorphose, c’est un effacement ».

Ici, la répétition des images de mort et de transformation souligne la difficulté de concilier l’amour filial avec la perte symbolique d’un père devenu étranger. Le choix du mot « effacement » témoigne d’une douleur intime, celle de voir disparaître des traits familiers sous une identité réinventée.

Malédicte excelle également dans l’art de dépeindre les conflits sociaux et intimes liés à la transidentité. À propos des regards extérieurs, elle écrit :

« Les voisins murmuraient. Les amis s’éloignaient. J’avais honte de ma honte. Et lui, ou elle, avançait, imperturbable, comme un train lancé sur des rails que personne ne pouvait déplacer ».

Ce passage, d’une lucidité froide, met en lumière l’isolement social et les jugements qui pèsent sur les familles confrontées à la transidentité. Le rythme saccadé et les contrastes entre la honte et la détermination renforcent l’impact émotionnel.

En mêlant des images puissantes et une réflexion intime, Malédicte réussit à transformer son récit en une œuvre littéraire à part entière, capable de dépasser son sujet pour toucher à l’universel.

La tolérance face à la complexité humaine

Malgré les incompréhensions, Les Enfants inutiles plaide pour une tolérance authentique, fondée sur l’amour et le respect des différences. « Nous avons besoin d’œuvres qui ne jugent pas mais éclairent », déclare Valérie Gans. Ce message illustre pleinement les valeurs de la maison d’édition, qui se veut un refuge pour les voix dissidentes et les récits atypiques.

Ce roman, profondément humain, montre à quel point les questions liées au genre dépassent les oppositions binaires. En mettant en lumière l’impact de la transition sur les proches des personnes transgenres, il ouvre une réflexion nécessaire sur les changements sociétaux en cours, tout en rappelant que la tolérance ne signifie pas l’absence de débat.

Un ouvrage qui dérange et suscite le débat

En refusant de simplifier une thématique aussi complexe, Les Enfants inutiles s’impose comme un ouvrage indispensable. Il ne s’agit ni d’un pamphlet contre la transidentité ni d’un manifeste militant, mais d’un témoignage sincère et nuancé, ancré dans le vécu.

En s’appuyant sur des références littéraires et psychologiques, le roman interroge les dogmes contemporains et invite à une réflexion collective. À l’heure où certains médias refusent encore d’aborder ces sujets par crainte de polémique, Une autre voix montre qu’il est possible – et nécessaire – de dépasser les frontières idéologiques pour éclairer les zones d’ombre de notre époque.

Avec ce livre, Malédicte nous rappelle que la littérature peut être un lieu de rencontre et d’humanité, où les blessures intimes deviennent des fenêtres ouvertes sur des débats universels.

© Yves-Alexandre Julien

Les Bretons réputés conservateurs ont le coeur qui s’ouvre à la diversité grâce au roman « Les enfants inutiles » de Malédicte

Il existe des livres étranges. Qui surprennent au point de ressentir le besoin de les lire à nouveau. Une deuxième fois. Éventuellement une troisième. L’histoire d’Éléonore est surprenante. Nullement parce qu’elle grandit dans une famille où les non-dits règnent en maître. Du tout. Chacun sait qu’insinuations et sous-entendus sont le lot commun des familles. Et c’est précisément ce qui motive Éléonore à mener l’enquête sur la sienne : elle souhaite découvrir les mystères qui l’entourent.

Nous grandissons au milieu des secrets. Les enfants sont confrontés à des mots, des mimiques et divers attitudes d’adultes dont ils ne comprennent pas (toujours) le sens, mais savent implicitement qu’il en retourne du confidentiel, de l’intime et de la dérobade. Bientôt ils questionnent. Obtiennent une réponse. Ou pas. Quelques fois les questions suscitent d’étranges réactions parentales : colère… agacement… tristesse… voire gêne incompréhensible. Ces réactions constituent le suintement d’un secret de famille, sorte d’exsudation qui incite l’enfant à penser qu’on lui cache quelque chose de grave tout en lui interdisant de le savoir.

Le cœur des secrets…

En conséquence, le travail d’une enquête autour d’un univers familial est de rapprocher certains éléments qui, mis bout à bout après leur découverte, reconstituent peu à peu la vie de famille autour d’un drame… parfois d’une haine… d’une vengeance… autant de secrets que l’on croyait à jamais enfouis. (Page 27) « Alors que les journées raccourcissaient, qu’il faisait pratiquement noir au moment où nous rentrions de l’école, Maman parlait souvent du « Grand » Je ne savais pas qui était ce « Grand », mais puisqu’il trônait dans toutes les conversations, il me rendait dingue. Je ne pensais plus qu’à lui, je me faisais mille films à son sujet. Peut-être allait-il un jour débarquer à la maison et vivre avec nous ? […] Il intimidait tout le monde, il nous regardait et nous surveillait de je ne sais où. »

… et le poids d’une inconsciente culpabilité

Si Éléonore ne ressemble pas à Diane, sa sœur aînée, ni même à son frère François, le petit dernier, en conséquence si elle grandit différemment que sa fratrie, peut-être est-ce parce qu’elle a pressenti très jeune une différence notoire entre le comportement d’un père étrange, et celui plus affirmé de sa mère. (Page 80) « Pendant de longues semaines, j’avais tenté de découvrir les ragots sur ma famille, quelles étaient les éventuelles médisances que [ma mère] dénonçait régulièrement. Je ne trouvais rien. » Quarante années et deux maternités seront nécessaires à Éléonore pour qu’enfin elle puisse répondre aux questionnements de son enfance.

Malédicte confesse davantage qu’elle ne raconte l’histoire d’un père qui en fut techniquement un : géniteur, fournisseur de gamètes ; mais, d’un point de vue social, rien ne ressemblait aux évidences d’une famille habituelle. Page 172 : « Nous avons pris la mesure de notre réalité petit à petit, sans grand fracas. C’était une bombe à retardement, insidieuse, sournoise. » Ses deux phrases dissimilent la souffrance d’un père se sentant femme depuis la naissance. Les enfants inutiles raconte la douleur physique de l’incompréhension. Qui n’a pas supporté le mépris des autres ne peut comprendre ce qu’est l’égarement biologique d’un être perdu entre deux corps tant qu’il ne sera pas devenu lui-même. (Page 175) « Nous tentions de rassurer notre père, lui garantissant notre amour. Nous le respections pour ce qu’il était. Homme ou femme, cela ne changeait rien, pourvu qu’il s’épanouisse. »

Jusqu’à ce que le mensonge rende l’âme

Personne ne peut imaginer que son père puisse devenir femme. Et pourtant ! Malédicte raconte le difficile parcours de l’acceptation : la sienne vis-à-vis de soi-même et, bien entendu, celle des autres sans qui nul ne peut se construire. Certaines scènes permettent de ressentir l’humiliation en boule qui vous bloque la gorge, sans réussir à faire comprendre aux autres que l’homme en face de vous est bel et bien une femme depuis toujours. A la fois d’une violence et d’une délicatesse inattendue. Voilà ce dont il est question dans Les enfants inutiles. L’histoire authentique et bouleversante d’un combat. Une victoire au goût de larmes. (Page 187) « La vie est composée de choix, de renoncements. Ces options dessinent notre chemin. Je déteste mes parents d’avoir contraint le mien à ce point par leur choix. Et pourtant je les aime. »

Malédicte n’aborde toutefois pas seulement la problématique transgenre, mais aussi celle de l’acceptation de l’autre (perçu pour ce qu’il n’est pas) à travers l’œil neutre de l’enfance, ainsi que la manière dont naissent les troubles et les doutes lorsque le plus jeune âge est confronté aux injonctions contradictoires. Il s’agit moins d’un secret à découvrir que de l’acceptation qu’il existe une autre vérité entre les membres d’une famille ; et surtout que l’enfant (devenu adulte) n’est en rien coupable de quoi que ce soit. Tel est (selon moi) le véritable sujet du livre : la culpabilité des plus faibles relative au secret de famille lorsqu’ils résultent des plus forts. A lire absolument pour comprendre. Et relire. Tant certaines images restent gravées sur la rétine.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2025 – Bretagne Actuelle & Esperluette Publishing

LES ENFANTS INUTILES, un roman de Malédicte aux éditions Une autre voix – Gutenberg : 31€ – eBook : 12,50€ (En vente uniquement sur le site)

Tribune juive recommande « Au bal des facétieux » de Charles-Henri d’Elloy

« Au bal des Facétieux » : la satire dansante de Charles-Henri d’Elloy

Dans « Au bal des Facétieux », Charles-Henri d’Elloy nous offre un recueil de chroniques cinglantes, qui tantôt amusent, tantôt choquent. Ces 81 textes courts nous plongent dans une réflexion mordante sur notre époque, le tout enrobé d’un humour à la fois ironique et profondément critique. Publié chez « Une autre voix », maison d’édition engagée à faire résonner les discours censurés ailleurs, ce livre semble trouver sa place naturelle dans un paysage littéraire en quête d’auteurs capables de braver les interdits. Mais alors, cette voix dissonante vaut-elle vraiment le détour ?

Une maison d’édition pour les esprits libres

La publication de « Au bal des Facétieux » chez « Une autre voix » n’est pas un hasard. Dirigée par Valérie Gans, cette maison d’édition se veut un refuge pour les auteurs que la bien-pensance contemporaine cherche à étouffer. D’Elloy rejoint ainsi une lignée de pamphlétaires tels que Michel Houellebecq (Soumission) ou Éric Zemmour (Le suicide français), dont les ouvrages, à contre-courant des valeurs dominantes, ont également été sous le feu des critiques. En choisissant d’éditer d’Elloy, « Une autre voix » réaffirme son engagement envers la liberté d’expression, un terrain où bien d’autres ont trébuché.

L’irrévérence dans tous ses états

Ce recueil frappe fort par son ton irrévérencieux, à mi-chemin entre la nostalgie d’un passé idéalisé et une critique acerbe des dérives contemporaines. D’Elloy manie la plume comme Cyrano de Bergerac maniait l’épée, avec panache et sans jamais céder aux convenances. Son ouvrage rappelle les « Chroniques Martiennes » de Ray Bradbury, mais en bien plus terrien, ancré dans les petits et grands travers de la société actuelle. L’auteur s’attaque avec une vivacité mordante aux travers du politiquement correct, tout en distillant ça et là des souvenirs d’enfance teintés d’une douce mélancolie. Le lecteur se retrouve alors balancé entre l’amusement et l’inconfort, à l’image des œuvres de Louis-Ferdinand Céline (Voyage au bout de la nuit), qui ne cessaient de bousculer les codes sociaux et littéraires de leur époque.

Une nostalgie omniprésente

L’une des forces de d’Elloy réside dans cette capacité à mêler l’actualité la plus brûlante à une nostalgie poignante. Dans ses chroniques, on retrouve cette »douce mélancolie » que le lecteur associe parfois aux œuvres de Patrick Modiano, notamment dans « Dora Bruder ». Mais à la différence de Modiano, chez d’Elloy, la nostalgie n’est jamais douce-amère : elle prend la forme d’une rébellion contre la modernité. Le passé qu’il chérit devient une arme pour dénoncer les dérives d’un monde globalisé qu’il n’apprécie guère. Il s’inscrit dans une longue tradition d’auteurs français, de Chateaubriand à Bernanos, qui ont fait du retour aux sources un acte de résistance.

Entre provocation et réflexion

Charles-Henri d’Elloy

Chaque chronique dans « Au bal des Facétieux » ressemble à une petite bombe prête à éclater entre les mains du lecteur. Loin d’une critique gratuite, d’Elloy propose de véritables réflexions philosophiques sur la justice, l’autorité, ou encore l’identité nationale. À la manière de Jean-Paul Sartre dans « L’existentialisme est un humanisme », il se confronte à des questions essentielles sur le sens de la vie et le rôle de l’individu dans un monde de plus en plus uniforme. Toutefois, là où Sartre puisait dans l’angoisse existentielle, d’Elloy préfère l’humour acerbe. Son style rappelle parfois celui de Philippe Muray dans « Festivus Festivus », qui, avec la même ironie mordante, s’amusait à dépecer les illusions modernes.

Un humour qui dérange au service de la critique sociale

L’humour, c’est l’arme favorite de Charles-Henri d’Elloy. Ses saillies acerbes rappellent les chroniques de Frédéric Beigbeder, notamment dans « 99 francs », où la provocation était utilisée pour dénoncer l’absurdité de la société de consommation. Mais chez d’Elloy, cet humour se mue parfois en une critique sociale plus profonde, flirtant avec l’irrespect des institutions et des figures d’autorité. Rien n’échappe à son regard perçant : des médias aux intellectuels, en passant par les politiques, chacun est passé à la moulinette d’un pamphlet redoutable. Et c’est précisément cette causticité qui fait tout l’intérêt du livre, à une époque où la parole se doit d’être mesurée.

Le style de d’Elloy se distingue par une plume incisive, alliant ironie cinglante et observations acérées. Dans la chronique « Les mots du virus sont aussi les maux de la langue », il s’en prend avec un humour corrosif à l’appauvrissement du langage imposé par la crise sanitaire. Le terme « cluster » est ici fustigé pour son utilisation inutilement anglicisée, et d’Elloy va jusqu’à ridiculiser les concepts de « distanciel » ou de « plage dynamique », qu’il présente comme des symboles d’une société désincarnée. Son jeu virtuose avec les mots et sa capacité à dénoncer les absurdités contemporaines sans ménagement sont caractéristiques de son écriture. À l’instar d’écrivains comme Michel Houellebecq ou Philippe Muray, il dénonce la modernité en s’appuyant sur la satire et l’ironie.

L’éloge de l’inutilité

Tel Cyrano, personnage qu’il semble admirer, d’Elloy revendique une forme d’inutilité dans ses écrits. Pour lui, l’essentiel est d’écrire sans se soucier des conséquences, comme le souligne son hommage aux « Essais de Montaigne ». Cette posture, à contre-courant de la recherche d’efficience moderne, est une manière de rappeler que la littérature doit aussi être un espace de liberté absolue, où l’auteur peut se permettre d’oser, de provoquer, sans avoir à justifier ses intentions. L’ensemble des titres des 81 chroniques sont de cet acabit : directs et sans ménagements pour leur contenu : « La France le pays des millionnaires et du déclassement » ou  « Hulot au pilori » , ou bien encore « Palmade : ni excuses ni lynchage ». Parfois enfin le titre est fade mais la personne visée en prend bien comme il faut pour son grade comme dans « Prix Nobel de littérature » ou d’Elloy fait de la récipiendaire un personnage antipathique qu’il écorche sans ménagement  après l’avoir rangée dans la catégorie des « harpies », « communardes de cocktails » et « Fausses rebelles …anciennes combattantes du féminisme arrogant », et lui de poursuivre ainsi de Charybde en Scylla en ces termes : « pensionnaire  à vie des plateaux de télévision avec Laure Adler, Annie Ernaux est le genre à signer des tribunes et des manifestes en compagnie des indigènes de la République ».  ( page 91)

En ce sens, d’Elloy pourrait presque être vu comme un disciple d’Oscar Wilde, dont le seul but de l’art était, selon lui, de n’avoir aucun but et pourtant …

La plume d’un pamphlétaire moderne contre la servitude volontaire 

Ce qui impressionne chez Charles-Henri d’Elloy, c’est l’efficacité de sa plume. Elle est à la fois élégante et incisive, sans jamais tomber dans l’excès de style. On retrouve là l’influence des grands polémistes, de Léon Bloy à Émile Zola. Comme ces maîtres du genre, d’Elloy allie rigueur et fantaisie, ironie et gravité. Sa plume est à la fois un scalpel et une plume d’oie, capable de faire rire tout en soulevant des réflexions profondes. Il n’est pas surprenant que Jean-Paul Chayrigues de Olmetta, lui-même habitué des polémiques, ait signé la préface du livre. Deux esprits libres se rencontrent, et le résultat est à la hauteur des attentes : un feu d’artifice littéraire qui ne laisse personne indifférent.

Derrière ses saillies ironiques et ses jeux de mots, d’Elloy pointe une dérive plus profonde : celle de l’abandon volontaire de la liberté individuelle face à la peur et à l’autorité. L’auteur décrit une époque où, sous couvert de sécurité sanitaire, on a accepté des restrictions sans précédent, souvent au prix de la liberté. « Ce qui reste une énigme et me navre , c’est que les personnes sensées , intelligentes et d’un niveau d’études supérieur à la moyenne, d’habitude réfractaires aux bobards propagandistes des médias dominants et opposantes à la macronie, aient pu gober avec autant de naïveté l’incroyable mascarade du Coronavirus et accepter avec une déconcertante résignation la restriction des libertés les plus élémentaires » ( page 128). On pense ici à Étienne de La Boétie et à son « Discours de la servitude volontaire », où l’homme se soumet de son propre chef, souvent par crainte ou par paresse intellectuelle. D’Elloy actualise ce propos en l’adaptant à notre époque : c’est par une obéissance aveugle aux slogans et aux diktats du politiquement correct que la société moderne sacrifie sa liberté.

Faut-il entrer dans la danse ?

« Au bal des Facétieux » est un ouvrage qui divise, sans doute parce qu’il ne cherche pas à plaire à tout le monde. Charles-Henri d’Elloy, avec son style impertinent et son goût pour la provocation, offre un véritable bol d’air frais dans un paysage littéraire parfois aseptisé. Comme l’écrivaient les lecteurs des « Chroniques radioactives » contenant des textes pleins d’ironie et non dénués de convictions comme  « J’irai cracher sur vos tongs », une de ses précédentes chroniques , « Au bal des Facétieux » est  aussi un « coup de fouet intellectuel ».

Alors, faut-il oser entrer dans cette danse endiablée ? La réponse est oui, si vous aimez être secoué, dérangé, et surtout, stimulé. Mais attention, ce bal n’est pas pour les âmes sensibles.

© Yves-Alexandre Julien