Figures du féminin
Catherine Chalier
Editions Des femmes
C’est l’ouvrage d’un professeur, et bien sûr d’une femme, sensible à l’existence d' »une ineffaçable asymétrie ». C’est un ouvrage de philosophe. La condition féminine est vue à travers aussi bien le Talmud que les philosophes juifs, héritiers de la psychanalyse. Tant d’éminents parrainages n’autorisent pas le moindre « déjà vu » en renfort, mais les auditeurs du récent hommage à Levinas rendu par Passages l’an dernier retrouveront quelques-uns des propos qui y furent tenus. On remarque que l’éditeur (e) a confié à l’auteur elle-même le soin de rédiger la quatrième de couverture : est-ce la crainte qu’elle soit trahie en étant traduite ? Voici donc un rude exercice que de raconter ce livre sans que la brièveté vaille distorsion. On n’est pas surpris que l’hébreu (que nombre de nos lecteurs ne connaissent pas plus que l’auteur de ces lignes) soit appelé pour des précisions de langage où le profane doit se plonger. Et il s’y plonge avec plaisir.
Tout philosophe se heurte à ce qui n’est pas réductible à l’ensemble des concepts avec lesquels il a construit l’ordre auquel l’Être se range. Et l’Autre ne peut être que d’une « extériorité absolue » par rapport à ces concepts. Autre est la miséricorde des entrailles maternelles qui précède l’essence. (Levinas relie l’hébreu Rakhamin, miséricorde, et Rekhem, utérus.) L’aimée est contradiction. L’amant ne peut que se heurter à un « moins que rien » doux, généreux et passif (n’ayant pas choisi le fonctionnement du corps auquel elle est nouée), un visage « sans forme » car seul le crée son regard à lui, un savoir qu’elle a de l’enfant conçu « mien et non-mien », car, pour lui, le don de la vie est oeuvre au masculin. Les temps masculin et féminin se bousculent sans aller ensemble, celui de l’amant celui de l’aimée, celui prévu de l’enfant : « diachronie irréductible ».
Iche désigne l’homme, « prototype de l’humain » comme dans diverses langues et grammaires, Icha, la femme assujettie par le nom après l’avoir été par le corps. Catherine Chalier se pose la question : « Est-ce outrage à la pensée du philosophe que d’énoncer au féminin un acte éthique ? » Difficile, quand tout au long du livre on revient constamment à Levinas. Levinas, né en 1906, a connu une époque de relatif silence de l’Autre, il a toujours réfuté que l’extase amoureuse soit un échange (ou une appropriation, elle ne résout pas l’angoisse : l’auteur rappelle que Platon déjà refutait le mythe de l’androgyne). Il y reste solitaire, n’en voit que la finalité : « Avoir un fils ». Pense t-il à d’autres maîtres qu’il a étudiés en philosophie s’exprimant sur les arts et les sciences ? Il déclare, fidèle à la Bible, que la seule création pour lui est d’une génération nouvelle.
Mais il y a un féminin, cet « il y a » peut, s’il est reconnu, être riche de recherches et de découvertes. C’est le travail accompli dans ce livre. J.P.