Pop Rock.Ca met Marie Desjardins en pleine lumière, parce qu’elle le vaut bien !

Ambassador Hotel
La mort d’un Kennedy, la naissance d’une rock star
de Marie Desjardins
( Editions du Cram / Mai 2018 ) http://poprock.ca/livres/ambassador-hotel-analyse/?fbclid=IwAR3prwDPY1kFedVP9SYvScvBk48pCstTKTiqm_Mvt1UphOx5O6ebwusVs7U

Analysé par Damie Chad du journal Chroniques de Pourpre

Comment vous ne connaissez pas les RIGHT! Et vous vous proclamez amateurs de rock! Je suis décidément entouré d’une foule d’ignorants. Je comprends pourquoi votre âme a été exilée en cette vallée de larmes, une juste punition! À votre décharge, j’avoue que moi non plus. Enfin presque. Parce que la pub du livre était passée dans le fil d’actualité de mon FB. J’ai vite abandonné la lecture de la quatrième de couverture, du n’importe quoi, un truc aussi frappé que les Rockambolesques d’un certain Damie Chad, une espèce de thriller politico-rock, à la quatrième ligne je suis passé à autre chose.

Et puis un mail de Luc-Olivier d’Algange me demandant mon adresse pour un bouquin sur Pompéi. J’accepte, et trois jours plus tard, le facteur apporte non seulement le Pompéi book mais aussi cet Ambassador Hotel que j’avais dédaigné. Affligé d’un rhume aussi subit qu’inopiné, je me dis qu’une lecture légère aiderait mon esprit embrumé à passer ce désagréable moment. Confortablement installé dans mon fauteuil je me saisis de l’objet du délit comme aurait pu dire Maurice Scève, vachement lourd, près de six cents pages, et une police minuscule, l’ai dévoré toute la journée. Et une bonne partie de la nuit.

Normal que vous n’ayez jamais entendu parler de RIGHT, le groupe n’a jamais existé que dans l’imagination de Marie Desjardins. Marie Desjardins est canadienne. Ambassador Hotel est son sixième roman, elle a l’air de s’intéresser à des personnages limites, Nelly Arcan écrivaine suicidée à trente-six ans, Irina Ionesco jugée, en nos temps de puritanisme avancé au triple galop, coupable d’avoir produit des photographies malsaines de sa fille en des âges pré-pubères, cette Irina Ionesco qui accompagna de ses photos Litanies pour une amante funèbre, recueil de poèmes de Gabrielle Wittkop, dont Le Nécrophile fut longtemps interdit à la vente en France, tous les amateurs de rock gothique devraient avoir lu ce soleil noir, et plus proche de nous, petits franchouillards patentés, elle commit un roman, son troisième, sur notre couple national, Sylvie johnny une love story.

Reste maintenant avant de passer à RIGHT à liquider Bob Kenedy. Je vous rassure tout de suite RIGHT n’y est pour rien. Le hasard a voulu que le groupe soit de passage à l’Ambassador Hotel le soir où le frère de John Kenedy fut assassiné. Marie Desjardins sait ménager le suspense. Ce n’est qu’au bout de trois cents pages que nous aurons le témoignage des membres de RIGHT et de ses proches qui n’ont pas grand-chose à révéler puisqu’ils n’étaient pas présents dans les cuisines de l’hôtel dans lesquelles le sénateur a été abattu. Ce n’est pas le sujet du livre. Une incidence sur la carrière du groupe toutefois : jusqu’à la fin il leur sera reproché d’avoir surfé sur ce terrible événement : n’est-ce pas le soir même du crime que le groupe compose Shooting At the Hotel qui se vendra à des millions d’exemplaires. De quoi faire des jaloux. Surtout que le titre leur apporte la gloire, sont désormais juste derrière les Stones et le Zepplin.

Alors RIGHT demanderont les lecteurs pressés. Du calme, ce n’est pas tout à fait le sujet du livre. Le héros c’est son chanteur : Roman Rowan. Nous le suivons depuis tout petit jusqu’au dernier concert de RIGHT. Un demi-siècle de carrière. Il est grand, il est beau, et au détour d’une page nous apprenons qu’il pousse la goualante rock à des cimes inégalables, qu’il atteint avec facilité des notes auxquelles Rober Plant n’a pas accès. Dans mes prochaines mémoires je vous apprendrai que je joue superbement mieux de la guitare que Jimmy Page. Mais laissons ces fariboles. Marie Desjardins est douée. L’a agencé son roman comme une partie de go que vous joueriez contre vous-mêmes. Ce qui est doublement idiot puisque vous seriez sûr de ne jamais perdre. Ni de jamais gagner.

Pions noirs, pions blancs. Retournés. Les plus sombres sont ceux qui content dans l’ordre chronologique les concerts de la dernière tournée de Right. Les plus clairs, les moins darkness, rappellent dans un pseudo désordre temporel les épisodes-clés de l’existence de Roman Rowan. C’est bien fait. Le ton du récit n’est pas sans rappeler le Who I am l’autobiographie de Pete Townshend qui entre parenthèses vient de sortir son premier roman…

Jetons d’abord l’os du rock aux chiens affamés qui ne voient que l’ombre du monument qui s’étend devant eux. RIGHT est un groupe de hard rock progressif, musicalement nous n’en saurons guère plus. Roman Rowan est né en 1942, il fait partie de la deuxième génération du rock anglais. Celle des Beatles, des Stones, des Yardbirds, des Kinks, des Animals, des Who, qui va magnifier l’héritage des pionniers américains, le nom de Gene Vincent est l’un des rares cités. Roman Rowan suit la filière classique. Fonde son groupe Cool and the Shutters, qui n’est pas plus mauvais qu’un autre, ( un peu quand même ) mais le déclic ne vient pas. Personne ne les remarque. Le coup de pouce tant attendu n’a pas lieu. Marnent à mort au travers de l’Angleterre brumeuse et pluvieuse, se forgent des fans dans tous les minables troquets où ils jouent, le succès d’estime, celui de la vache enragée. Jusqu’au jour où les deux survivants Roman et Clive, son ami indéfectible, sont convoqués pour être admis à la première audition dans le combo Bronteshire qui a le vent en poupe.

Tout de suite c’est la bataille d’égo entre Roman et Bronte le pianiste génial fondateur de Bronteshire. L’instinctif contre l’intellectuel. Roman le Dionysiaque et Bronte surtout pas l’Apollinien, même pas l’Apollon Lyncée ou Hyperboréen, plutôt un fils de la lune froide plutonienne. Roman impose le nom de RIGHT, exit Bronteshire. RIGTH explose, de 1967 à 1973 le groupe est au firmament. Roman le quitte sur un coup de tête. Ne reviendra que seize ans plus tard en 1989, rappelé par Bronte. Seize années d’interlude, peu amusantes… Puis ce sera au tour de Bronte de partir en 1997, pas le clash final car en 2000 Roman reprend le groupe, sans Bronte bien entendu, désormais le leader incontestable…

La dernière tournée. Pas de drame à la Steven Tyler le chanteur d’Aerosmith qui dans son autobiographie Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ? s’attarde longuement sur ses ennuis de voix qui a tendance à le lâcher en bout de carrière, celle de Roman claironne sans anicroche jusqu’à l’ultime prestation. Le problème est ailleurs. Dans sa tête. Dans sa vie. Qui revient. Ses souvenirs qui remontent. L’a beaucoup vécu. L’a tout connu, les groupies, les producteurs, les maisons de disques, les pressions commerciales et les projets foireux, tout le bataclan rock de A jusqu’à Z. Grandeur et démesure. Rock star absolue. Gloire, femmes, argent, sex and rock’n’roll mais pas de drugs. S’en méfie. Par contre l’ingurgite les vodka orange comme les gamins les fraises tagada. Nombreuses scènes de soulographie, vous êtes conviés dans les coulisses, parties fines, fêtes pimentées, réveils comateux, et l’on remet ça au plus vite.

Roman n’est pas un moine et encore moins un renonçant. Partisan des jouissances sans entrave. Rien ne lui résiste. Tout pour être heureux. D’ailleurs il ne se plaint pas. Est conscient d’avoir une vie de rêve même si parfois les cauchemars ne sont pas loin. Beaucoup mieux qu’un esclavage d’ouvrier à l’usine ou une chaîne d’employé de bureau. Une quarantaine de concerts les uns après les autres, des ambiances répétitives, c’est un peu toujours le même turn over, mais l’on ne s’ennuie pas une seconde. Marie Desjardins nous tient en haleine. Car l’essentiel n’est pas là. Ce roman qui ne cesse de phantasmer le rock’n’roll ne traite pas spécialement du rock’n’roll. Même s’il ne parle que de cela. Au début, je lui reprochais son écriture, pas foutrement rock’n’roll, très classique. Je regrettais cette apparente dichotomie entre le fond et la forme, jusqu’au moment où l’évidence s’est imposée, ce n’est pas un livre sur le rock’n’roll, mais tout simplement un roman psychologique. Un peu plus remuant que La princesse de Clèves. Pas ennuyant pour un sou. Une longue introspection.

Tout d’abord l’iceberg de carton-pâte. Roman Rowan court sur sa soixante-dixième année. Le temps idéal pour prendre sa retraite. A force de galoper après l’ombre de sa jeunesse l’on finit par l’attraper à la manière d’un boomerang qui vous revient en pleine figure vous casser les dents. Faut savoir arrêter. Preuve de sagesse. Mais aucune illusion. Une fois terminé, ce sera bien fini. La rock star devient comme monsieur tout le monde, ne lui reste plus qu’à cheminer paisiblement vers le cimetière. Une seule consolation, le nom que vous laissez gravé dans l’Histoire du Rock’n’roll. Hélas, vous n’êtes plus là pour le lire, et les marbres les plus durs ont tendance à s’effriter plus rapidement qu’on ne le penserait…

Evitons le pessimisme, gardons-nous du nihilisme. Roman a de la chance, sa femme l’attend dans un douillet foyer. Z’ont accumulé assez de fortune pour être à l’abri du besoin jusqu’à la fin de leurs jours. Mais c’est avant la fin que ça coince. Entre Roman et Gil, la mère de sa fille, il ne se passe plus grand chose, les sentiments se sont émoussés, Pénélope s’ennuie au foyer, lui reproche ses sempiternelles absences. Pour les polissonades au lit Roman est défaillant, l’a trop expérimenté sur les groupies complaisamment offertes, à moins que Dr Freud ne nous explique que c’est la froideur de son épouse qui a provoqué ces pannes de raidissement… Bref, Roman est comme l’Ulysse de Jean Giono qui s’attarde un peu trop auprès de multiples Calypso…

Mais Ulysse n’était pas menacé par le calendrier. L’avait tout son temps pour décider de son retour. Roman est victime d’une date fatidique. Le couperet de la guillotine se rapproche. A toute vitesse. L’existence dorée ne durera plus longtemps, la nouba interminable se réduit comme peau de chagrin, alors comme un noyé qui voit sa vie défiler à toute vitesse avant le dernier glouglou, Marie Desjardins nous repasse le film des trépidations de Roman. Laissons de côté le décor rock’n’roll, fixons notre regard au plus près de Roman, pas plus loin que son corps attirant, souvent collé à des chairs de partenaires féminines, qu’il baise en toute quiétude, en toute équanimité d’âme. Frénétiquement. Goulûment.

Par tous les bouts. L’a brouté des clitoris par centaines. L’a enfilé des chattes en aussi grand nombre. Ne s’est privé de rien. N’a pas eu besoin d’user de violences. Toutes consentantes, s’offrant d’elles-mêmes au désir du mâle royal. La preuve : aucune ne lui a quarante ans plus tard fait le coup à-la-me-too-ce-n’était-pas-du-tout-romantique. Marie Desjardins prend ses précautions, il a aussi détruit des rêves de jeunes femmes qui ne s’étaient pas imaginées être des objets jetables de consommation courantes… Autres temps, autres mœurs. Autre époque. Le livre s’achève tout de même en 2015… Le rock’n’roll est une musique de voyous. Vous le saviez, ne venez pas vous plaindre.

Roman s’attarde sur les quatre dames qui ont le plus compté pour lui. Sybil, une erreur de jeunesse. De toutes les manières c’est lui qui s’est fait avoir. On l’avait averti. N’a voulu en faire qu’à son désir. Il a joué, il a perdu. Il ne se plaint pas. Affaire classée. Chris qui n’a pas supporté ses infidélités, qu’il a quittée pour une scène de reproches du jour au lendemain. Elle a beaucoup souffert. Tant pis pour elle. Regrets inutiles. Gil, l’épouse en titre, la reine mère qui lui téléphone de moins en moins. Qui s’éloigne. N’a-t-elle pas un amant. Et puis Havana, qui voulait publier un livre de photos sur lui. A abandonné le projet parce que Gil… Havana, des rencontres ratées, épisodiques, une histoire inachevée qui l’obsède et le ronge. C’est toujours ce que l’on n’a pas vraiment obtenu qui nous manque le plus.

C’est tout. A ceci près que jusque à la dernière ligne Marie Desjardins nous ménage une happy end. La vie en rose. Oui mais rose très clair. Layette. A part qu’à la toute dernière ligne, tout s’assombrit. Les coeurs tendres ne partageront pas mon avis. Marie Desjardins nous laisse dans l’expectative. A vous de tirer les conclusions. Elle siffle la fin de la partie alors que le ballon décisif est en plein dans la trajectoire de la cage…

Ce n’est pas tout. Marie Desjardins est plus fine mouche qu’il n’y paraît. L’est une adepte de la théorie de la patate chaude. Le bébé de l’eau du bain que l’on refile au plus proche parce que l’on n’a aucune envie de procéder à sa toilette. D’abord du côté familial : Gil n’agit-elle pas envers Roman comme la mère de Roman qui a gâché la vie de son père ( qui l’a trahie ), la complicité entre Gil et leur fille Chance n’est-elle pas similaire à celle d’Erin envers Félicity la sœur de Roman, et Roman n’a-il pas induit par ses attitudes équivoques la reproduction d’un même et incapacitant schéma de base ? Famille je vous hais disait Gide…

Ce n’est pas du tout tout. Hypocrite lecteurs. Marie Desjardins vous a réservé un chien de sa chienne. Maintenant c’est à vous qu’elle refile la parmentière chauffée à blanc. Oubliez Roman et son rock’n’roll. Ambassador Hotel. La mort d’un Kenedy, la naissance d’une star n’est pas un roman de Marie Desjardins. Ce n’est pas moi qui l’affirme. C’est elle. Il s’agit d’un livre, une biographie non-autorisée d’un journaliste rock David Bridge ( over trouble water ) qui fait paraître son livre, le jour même du dernier concert de RIGHT. Ne se gêne pas la Marie, en retranscrit même quelques pages dans son roman. Vous connaissez l’astuce le tableau qui se représente lui-même comme un tableau reflété dans un miroir, reflété lui-même dans un miroir. Vertige abyssal ! Rien de plus terrible que la littérature qui se met à parler de littérature. Surtout si vous le faites par l’entremise d’un groupe de rock qui n’est lui-même que le reflet de groupes de rock ayant véritablement existé, parfaitement catalogués dans l’histoire du rock’n’roll.

C’est quoi RIGHT ? Une idéale figure platonicienne des groupes de rock des années soixante-dix, ou un vulgaire artefact baudruchique et chimérique bricolé à partir d’anecdotiques fragmentations de ces mêmes seventies dinosaures ?

Roman répond à la question : qu’importe que ce ce soit vrai ou faux, pourvu que ça se rapproche de la vérité de ce qui a eu lieu. De toutes les manières la vérité d’une chose n’est déjà plus, est déjà un peu plus que, la chose elle-même. Faudrait peut-être d’abord définir ce qu’est la – ou au moins une – vérité rock. Nous allons donc donner notre avis : ni plus ni moins que la vérité rock de Marie Desjardins. Et puis si le tubercule chaud bouillant que je vous repasse vous embarrasse, croquez-le, à pleines dents, de tous vos yeux, il est délicieux.

Vous voulez acheter ce bouquin exceptionnel? Profitez d’un prix exceptionnel, soit 30$ livraison incluse. Et en plus il sera dédicacé à votre nom! Ecrivez directement à l’auteure Marie Desjardins à cette adresse Forumwriter @yahoo.ca

BANNIÈRE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE

L’extraordinaire Damie Chad offre une lecture en conséquence de « Sylvie-Johnny » pour CHRONIQUES DE POUPRE

Chroniques de pourpre par Damie Chad

Cette semaine, à propos du roman SYLVIE JOHNNY LOVE STORY, Damie Chad écrit dans CHRONIQUES DE POURPRE ces lignes sublimes : « Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d’une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n’épargne rien, qui triture les chairs de l’âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l’on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes. »

SYLVIEJOHNNY
LOVESTORY
MARIE DESJARDINS
( Les Editions du Cram / 2016 )

Les livres consacrés à Johnny ne manquent pas. Certains adulent Hallyday et d’autres l’abhorrent. Pour ces derniers peut-être a-t-il vécu l’existence tourbillonnaire qu’ils auraient tant aimé vivre. A laquelle ils n’ont pas osé prétendre. Nietzsche nous a prévenus, nos conduites sont souvent filles d’un ressentiment dont nous refusons d’être conscients. Nos petits arrangements avec la vie – les citernes vides de notre si terne existence pour employer les mots qui disent au plus près nos inconséquences – grimacent comme autant d’ironiques miroirs brisés. Aujourd’hui Sylvie Vartan n’attise plus les mêmes adorations et les mêmes jalousies qu’autrefois. Certes elle fut la compagne de Johnny – il y a longtemps – mais elle n’était qu’une yé-yé, avec tout ce que ce terme induit de mépris et de condescendance. Qu’on lui en dénie ou reconnaisse le titre, au-delà de toute admonestation vitépurative ou récupération laudative, Johnny reste un rocker. Le rocker français par excellence. Le fondateur.
C’est du Canada neigeux que nous vient cette étrange chronique des amours tumultueuses de Sylvie et Johnny parue pour la première fois en 2010 chez Transit Editeur. Peut-être n’est-ce pas un hasard si elle provient de ce pays en même temps cousin et si lointain du nôtre. L’auteur n’est autre que Marie Desjardins, nous avons beaucoup apprécié voici quinze jours son Ambassador Hotel, La mort d’un Kenedy, la naissance d’une rock star, roman imaginaire d’un groupe de rock qui n’a jamais existé, hormis peut-être dans les égrégores – ces résidus psychiques – de l’inconscient collectif de tous les rockers du monde. Qui ne se tendent guère la main et ne s’unissent point davantage, mais ceci est une autre histoire. Tribus indiennes hautement bariolées toujours prêtes à déterrer la hache de guerre l’une contre l’autre.

Les passions humaines sont-elles comme ces soleils morts dont la lumière nous parvient encore des millions d’années après leurs extinctions. Existent-ils des brasiers incandescents qui jamais ne s’éteindront. Marie Desjardins s’est-elle voulue vestale sacrée chargée par les Dieux de rallumer le feu d’un foyer dévasté par les cendres oublieuses du temps passé qui toujours vole de l’avant, obstinément aussi immobile que la flèche cruelle de l’imparable Zénon, refusant de s’enfuir et renaissant éternellement dans la stagnance de sa propre présence ?
Dans les pages de garde de la rubrique  » Même auteur » Sylvie , Johnny love story est classé dans la rubrique de quatre romans écrits par Marie Desjardins. Nous en prenons acte, ce qui ne nous empêche guère de penser que nous inscririons plutôt ce texte dans la rubrique Poésie ( absente de cette bibliographie ), ou alors de l’entrevoir à la manière antique, comme ce talismanique Daphnis et Chloé, roman choral de Longus. A la mode de chez nous. De nos temporalités heurtées. Rien de pastoral ni de bucolique dans les amours tourmentées de Sylvie et Johnny.

Une histoire d’une banalité absolue, celle d’un couple qui se rencontre, qui s’aime, qui se déchire, qui divorce. Avec tout ce que ce dernier terme induit de conduites sociétales. De ces scansions indépendantes de notre seule volonté qui entremêlent en une même tresse nos inclinations atomiques les plus intimes avec les sanctions symboliques prévues par la loi grégaire du groupe. Nous y réfléchissons peu, mais à chaque moment nous subissons la manipulation prédatrice et insensible de nos congénères.
Avant d’ouvrir ce livre, l’on pourrait opérer un procès d’intentions en facilité à Marie Desjardins. Un ouvrage qui ne manque pas de pain. Facile à écrire puisque la documentation est pléthorique. Rien qu’avec les unes de France-Dimanche et les articles de Match, le volume n’est pas commencé qu’il est déjà écrit à moitié. Pour être gentil, parce que si l’on rajoute les biographies des deux principaux intéressés, les témoignages des principaux témoins de l’affaire, sans parler des nombreux ouvrages dévolus à l’exploration plus ou moins croquignolesques de la carrière de Johnny, ce sont les neuf dixièmes du bouquin qui sont performés avant même d’en avoir tapé le premier mot sur un ordinateur. Oui, mais Marie Desjardins ne mange pas de ces farines-là. Certes elle connaît son sujet, n’en ignore aucune anecdote, mais elle a refusé de se laisser envahir par les détails qui vous enlisent, avant de se vouer à cette tâche elle a soigneusement chassé de sa table de travail, vilains mots remplaçons-les par son espace – physique et mental – de création, toute oiseuse documentation. Je ne citerai qu’un seul exemple. Parmi mille autres possibles.

En juin 1973, le hit J’ai un problème squatte toutes les antennes de radio, les paroles sont de Jean Renard ( provinois notoire et grand-père de Shaké Mouradian dont nous chroniquâmes voici neuf ans le roman Jude R dans notre livraison 78 du 22 / 12 / 2011 ) elles mettent en scène les retrouvailles de Johnny et Sylvie, la énième assomption du couple qui bat d’une aile frénétique, à la télévision l’on aura droit  » en direct  » au baiser de réconciliation des deux amoureux – toute la France populaire émue en pleure de bonheur en ses chaumières – la bonne aubaine pour Marie Desjardins, un chapitre entier, au minimum vingt pages d’assuré, et en avant la musique, tous les dessous et tous les dessus de l’affaire révélés, analysés, scrutés en ses tréfonds les plus sordides. Ben non ! Pas une ligne. Pas un mot. Passé à l’as de pique. Vous n’en saurez rien. Marie Desjardins s’en désintéresse totalement. Ce n’est pas le sujet de son livre.

Vous tiquez. Comme un cheval qui n’en finit pas d’avaler de l’air en s’appuyant sur le rebord de son abreuvoir. Je suis désolé, mais ce qui va suivre renforcera votre angoisse. Qui voit-on dans cet ouvrage : Johnny et Sylvie – respirons c’est la moindre des choses – un soupçon de parents de Johnny, un petit peu plus ceux de Sylvie, David – l’enfant de l’amour – Carlos le secrétaire de Sylvie. Et puis c’est à peu près tout. Quelques noms de-ci de-là surnagent dans le désastre de cet anonymat collectif. J’oubliais la bruyante suite tapageuse non identifiée des copains de Johnny. A la cour du roi Johnny, plus on est de fous, plus on rit, plus on boit… Et puis plus rien. Marie Desjardins n’est pas une adepte du name-dropping. Ne donne pas dans ce genre de facilité. Si cela vous chante vous pouvez vous amuser à un super-jeu de société : ah oui, là c’est la scène avec Bidule… et ici c’est quand Schmoulefrite fait… Il est indubitable que Marie Desjardins ne participera pas à vos futiles amusements de Monsieur-je-sais-tout-de-Johnny ou de Madame-je-n’ignore-rien-de-Sylvie. Manifestement elle n’est pas une fanatique des triviales poursuites circonstancielles. Les noms ont ici pour ainsi dire fonction de couleur locale.

Certes vous avez le décor, les lieux, les endroits, les meubles, les objets, les couleurs. Ne décolle pas non plus de la trame chronologique, les pérégrinations familiales, les circonstances historiques de la cette première génération née durant la deuxième guerre mondiale et qui s’éveillera à l’aube des trente glorieuses, les entrechats du showbiz, l’enfance de nos héros, leur rencontre, leur attirance, leurs fiançailles, leur mariage, leur vie de couple, leurs carrières… Certes s’il avait été agent d’assurances et elle vendeuse dans une boutique de fringues… Rien ne se serait passé comme elle le raconte. Les modalités de votre existence influent sur votre personnalité, votre caractère, vos goûts, vos idées, votre pensée et vos sentiments, vos actes et vos volitions. Marie Desjardins n’oublie aucun de ces termes. Mais elle vise au plus intime. Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi. Elle raconte Sylvie et Johnny en dehors de toutes les écorces mortes du vécu.
Comment notre vécu s’interpénètre-t-il avec notre sensibilité ? Comment l’extérieur influence-t-il notre intérieur. Comment le monde nous modifie-t-il, comment se sert-il de notre étendue psychique pour la modeler entre le pouce de la nécessité et l’index du hasard afin de nous transformer à sa guise, tel Descartes joue en ses Méditations avec la cire de l’étendue, et comment réagissons-nous à cette empreinte, comment parvenons-nous à y imprimer la marque indélébile de ce que nous sommes, ou de ce que nous croyons être, ou de ce que nous désirons être !

Là n’est-il pas le problème fondamental. Savoir exactement la puissance de notre opérativité, de notre efficience personnelle sur le monde. La réponse qu’en apporte Marie Desjardins n’est pas des plus optimistes. En apparence nos deux amoureux ne parviennent à n’interagir que l’un sur l’autre. Soyons négatifs : ils sont victimes, soyons positifs : ils sont porteurs de leurs propres êtralités, ils ont beau faire, ils ont beau dire, certes ils ont choisi leur vie, n’ont pas ménagé leurs peines et leurs joies en toute connaissance de cause des nécessaires implications artistiques et existentielles – tournées incessantes, éloignements impératifs – dans le but recherché d’assouvir et d’explorer les potentialités de leurs métiers respectifs. Jamais ils n’auront la force de surmonter, non pas leurs différences, non pas leurs divergences, mais leur trajectoire impulsive, cette course toute personnelle dans laquelle nous nous propulsons selon les affinités les plus électives de notre propre consubstantialité, par laquelle et en laquelle, à nos corps semi-défendant et semi-consentants, nous sommes happés en un engrenage pervers des plus étrangers, des moins maîtrisables.

Johnny et Sylvie se sont aimés. Ils auraient pu être heureux. Ils l’ont été. Par intermittences, ce qui est déjà beaucoup, mais le pire c’est qu’ils ne l’ont pas été, sinon aussi par intermittences. Unis par un sentiment d’incomplétude souveraine. C’est cela que s’attache à rendre visible Marie Desjardins, nous fait pénétrer dans l’âme esseulée et désertée de nos deux héros. Elle s’attarde davantage sur Sylvie, peut-être parce qu’elle est femme et qu’elle distingue mieux les affres et les pâmoisons féminines, sûrement parce que Johnny est plus secret, plus ténébreux et que toute une part de la psyché masculine reste pour elle un continent noir… peut-être parce que Sylvie a beaucoup plus souffert que Johnny, qu’elle était en attente de Johnny, alors que Johnny, grand amateur de chair féminine, ne s’interdisait la consommation d’aucun lot de consolation ou de conquête… Johnny le rocker, sex, drugs and rock’n’roll, Sylvie non pas l’épouse éplorée mais la femme de tête et de stratégiques concessions… Qui ne furent pas à perpétuité. Mais Marie Desjardins ne charge point plus fort l’un des deux plateaux de la balance, un fait reste indubitable : Johnny et Sylvie se sont aimés. Sincèrement, authentiquement. Une love story qui doit se terminer comme toutes les histoires, puisque par essence toute histoire a une fin. Une passion. Autrement dit, une tragédie ontologique. Un aérolithe tombé par mégarde destinale sur deux êtres humains qui n’étaient pas faits l’un pour l’autre, si on estime le phénomène selon les paramètres de la froide raison, un cadeau des Dieux destructeurs, trop grand pour être contenu dans deux misérables vies humaines, cause kaotique d’une irrémissible fracture initiale. A entendre Le cœur en deux de Johnny Hallyday je n’ai jamais pu m’empêcher de penser à la couverture de la première édition d’Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry ( dans Folio) , en tant qu’image tarotique de haute signifiance.

Dans ce livre Marie Desjardins s’est attachée à décrire les émois d’une passion, ses désirs, ses troubles jouissances car ne jouit-on pas davantage de soi-même que de l’autre au travers des étreintes les plus fougueuses comme les plus tendres, ses folies, ses cassures, ses débris, ses détritus, ses désespoirs, ses triomphes, ses victoires, ses défaites, ses incendies, ses extases, ses outrances, ses outrages. A foison le poison ! Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d’une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n’épargne rien, qui triture les chairs de l’âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l’on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes.
Un lied sauvage et mordoré à la Tristan et Yseult, mais à la fin duquel et Tristan et Yseult oublient de mourir. Point de mort dorée. Ne se termine pas bien. Mais ne finit pas mal non plus. Piteusement, serait-il le mot le plus adéquat ? Puisque nous avons en ce début de chronique cité Nietzsche, le forgeron philosophe, empruntons-lui les mots de la fin. Humain, trop humain.
Un beau livre. Un poème. Un pur poaime. Pas forcément rassurant. Une tenace menace. L’inconciliabilité naturelle des êtres.
Damie Chad.

 

 

Damie Chad a bien lu « Ambassador Hotel » de Marie Desjardins, les grands livres ne cessent jamais d’avoir de la presse…

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com

Comment vous ne connaissez pas les RIGHT ! Et vous vous proclamez amateurs de rock ! Je suis décidément entouré d’une foule d’ignorants. Je comprends pourquoi votre âme a été exilée en cette vallée de larmes, une juste punition ! A votre décharge, j’avoue que moi non plus. Enfin presque. Parce que la pub du livre était passée dans le fil d’actualité de mon FB. J’ai vite abandonné la lecture de la quatrième de couverture, du n’importe quoi, un truc aussi frappé que les Rockambolesques d’un certain Damie Chad, une espèce de thriller politico-rock, à la quatrième ligne je suis passé à autre chose.

Et puis un mail de Luc-Olivier d’Algange me demandant mon adresse pour un bouquin sur Pompéi. J’accepte, et trois jours plus tard, le facteur apporte non seulement le Pompéi book mais aussi cet Ambassador Hotel que j’avais dédaigné. Affligé d’un rhume aussi subit qu’inopiné, je me dis qu’une lecture légère aiderait mon esprit embrumé à passer ce désagréable moment. Confortablement installé dans mon fauteuil je me saisis de l’objet du délit comme aurait pu dire Maurice Scève, vachement lourd, près de six cents pages, et une police minuscule, l’ai dévoré toute la journée. Et une bonne partie de la nuit.

AMBASSADOR HOTEL

LA MORT D’UN KENEDY, LA NAISSANCE D’UNE ROCK STAR

MARIE DESJARDINS

Editions du Cram / Mai 2018 )

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Normal que vous n’ayez jamais entendu parler de RIGHT, le groupe n’a jamais existé que dans l’imagination de Marie Desjardins. Marie Desjardins est canadienne. Ambassador Hotel est son sixième roman, elle a l’air de s’intéresser à des personnages limites, Nelly Arcan écrivaine suicidée à trente-six ans, Irina Ionesco jugée, en nos temps de puritanisme avancé au triple galop, coupable d’avoir produit des photographies malsaines de sa fille en des âges pré-pubères, cette Irina Ionesco qui accompagna de ses photos Litanies pour une amante funèbre, recueil de poèmes de Gabrielle Wittkop, dont Le Nécrophile fut longtemps interdit à la vente en France, tous les amateurs de rock gothique devraient avoir lu ce soleil noir, et plus proche de nous, petits franchouillards patentés, elle commit un roman, son troisième, sur notre couple national, Sylvie johnny une love story.

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Reste maintenant avant de passer à RIGHT à liquider Bob Kenedy. Je vous rassure tout de suite RIGHT n’y est pour rien. Le hasard a voulu que le groupe soit de passage à l’Ambassador Hotel le soir où le frère de John Kenedy fut assassiné. Marie Desjardins sait ménager le suspense. Ce n’est qu’au bout de trois cents pages que nous aurons le témoignage des membres de RIGHT et de ses proches qui n’ont pas grand-chose à révéler puisqu’ils n’étaient pas présents dans les cuisines de l’hôtel dans lesquelles le sénateur a été abattu. Ce n’est pas le sujet du livre. Une incidence sur la carrière du groupe toutefois : jusqu’à la fin il leur sera reproché d’avoir surfé sur ce terrible événement : n’est-ce pas le soir même du crime que le groupe compose Shooting At the Hotel qui se vendra à des millions d’exemplaires. De quoi faire des jaloux. Surtout que le titre leur apporte la gloire, sont désormais juste derrière les Stones et le Zepplin. 

Alors RIGHT demanderont les lecteurs pressés. Du calme, ce n’est pas tout à fait le sujet du livre. Le héros c’est son chanteur : Roman Rowan. Nous le suivons depuis tout petit jusqu’au dernier concert de RIGHT. Un demi-siècle de carrière. Il est grand, il est beau, et au détour d’une page nous apprenons qu’il pousse la goualante rock à des cimes inégalables, qu’il atteint avec facilité des notes auxquelles Rober Plant n’a pas accès. Dans mes prochaines mémoires je vous apprendrai que je joue superbement mieux de la guitare que Jimmy Page. Mais laissons ces fariboles. Marie Desjardins est douée. L’a agencé son roman comme une partie de go que vous joueriez contre vous-mêmes. Ce qui est doublement idiot puisque vous seriez sûr de ne jamais perdre. Ni de jamais gagner. 

Pions noirs, pions blancs. Retournés. Les plus sombres sont ceux qui content dans l’ordre chronologique les concerts de la dernière tournée de Right. Les plus clairs, les moins darkness, rappellent dans un pseudo désordre temporel les épisodes-clés de l’existence de Roman Rowan. C’est bien fait. Le ton du récit n’est pas sans rappeler le Who I am l’autobiographie de Pete Townshend qui entre parenthèses vient de sortir son premier roman… 

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Jetons d’abord l’os du rock aux chiens affamés qui ne voient que l’ombre du monument qui s’étend devant eux. RIGHT est un groupe de hard rock progressif, musicalement nous n’en saurons guère plus. Roman Rowan est né en 1942, il fait partie de la deuxième génération du rock anglais. Celle des Beatles, des Stones, des Yardbirds, des Kinks, des Animals, des Who, qui va magnifier l’héritage des pionniers américains, le nom de Gene Vincent est l’un des rares cités. Roman Rowan suit la filière classique. Fonde son groupe Cool and the Shutters, qui n’est pas plus mauvais qu’un autre, ( un peu quand même ) mais le déclic ne vient pas. Personne ne les remarque. Le coup de pouce tant attendu n’a pas lieu. Marnent à mort au travers de l’Angleterre brumeuse et pluvieuse, se forgent des fans dans tous les minables troquets où ils jouent, le succès d’estime, celui de la vache enragée. Jusqu’au jour où les deux survivants Roman et Clive, son ami indéfectible, sont convoqués pour être admis à la première audition dans le combo Bronteshire qui a le vent en poupe. Tout de suite c’est la bataille d’égo entre Roman et Bronte le pianiste génial fondateur de Bronteshire. L’instinctif contre l’intellectuel. Roman le Dionysiaque et Bronte surtout pas l’Apollinien, même pas l’Apollon Lyncée ou Hyperboréen, plutôt un fils de la lune froide plutonienne. Roman impose le nom de RIGHT, exit Bronteshire. RIGTH explose, de 1967 à 1973 le groupe est au firmament. Roman le quitte sur un coup de tête. Ne reviendra que seize ans plus tard en 1989, rappelé par Bronte. Seize années d’interlude, peu amusantes… Puis ce sera au tour de Bronte de partir en 1997, pas le clash final car en 2000 Roman reprend le groupe, sans Bronte bien entendu, désormais le leader incontestable… 

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La dernière tournée. Pas de drame à la Steven Tyler le chanteur d’Aerosmith qui dans son autobiographie Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ? s’attarde longuement sur ses ennuis de voix qui a tendance à le lâcher en bout de carrière, celle de Roman claironne sans anicroche jusqu’à l’ultime prestation. Le problème est ailleurs. Dans sa tête. Dans sa vie. Qui revient. Ses souvenirs qui remontent. L’a beaucoup vécu. L’a tout connu, les groupies, les producteurs, les maisons de disques, les pressions commerciales et les projets foireux, tout le bataclan rock de A jusqu’à Z. Grandeur et démesure. Rock star absolue. Gloire, femmes, argent, sex and rock’n’roll mais pas de drugs. S’en méfie. Par contre l’ingurgite les vodka orange comme les gamins les fraises tagada. Nombreuses scènes de soulographie, vous êtes conviés dans les coulisses, parties fines, fêtes pimentées, réveils comateux, et l’on remet ça au plus vite. Roman n’est pas un moine et encore moins un renonçant. Partisan des jouissances sans entrave. Rien ne lui résiste. Tout pour être heureux. D’ailleurs il ne se plaint pas. Est conscient d’avoir une vie de rêve même si parfois les cauchemars ne sont pas loin. Beaucoup mieux qu’un esclavage d’ouvrier à l’usine ou une chaîne d’employé de bureau. Une quarantaine de concerts les uns après les autres, des ambiances répétitives, c’est un peu toujours le même turn over, mais l’on ne s’ennuie pas une seconde. Marie Desjardins nous tient en haleine. Car l’essentiel n’est pas là. Ce roman qui ne cesse de phantasmer le rock’n’roll ne traite pas spécialement du rock’n’roll. Même s’il ne parle que de cela. Au début, je lui reprochais son écriture, pas foutrement rock’n’roll, très classique. Je regrettais cette apparente dichotomie entre le fond et la forme, jusqu’au moment où l’évidence s’est imposée, ce n’est pas un livre sur le rock’n’roll, mais tout simplement un roman psychologique. Un peu plus remuant que La princesse de Clèves. Pas ennuyant pour un sou. Une longue introspection. 

Tout d’abord l’iceberg de carton-pâte. Roman Rowan court sur sa soixante-dixième année. Le temps idéal pour prendre sa retraite. A force de galoper après l’ombre de sa jeunesse l’on finit par l’attraper à la manière d’un boomerang qui vous revient en pleine figure vous casser les dents. Faut savoir arrêter. Preuve de sagesse. Mais aucune illusion. Une fois terminé, ce sera bien fini. La rock star devient comme monsieur tout le monde, ne lui reste plus qu’à cheminer paisiblement vers le cimetière. Une seule consolation, le nom que vous laissez gravé dans l’Histoire du Rock’n’roll. Hélas, vous n’êtes plus là pour le lire, et les marbres les plus durs ont tendance à s’effriter plus rapidement qu’on ne le penserait…

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Evitons le pessimisme, gardons-nous du nihilisme. Roman a de la chance, sa femme l’attend dans un douillet foyer. Z’ont accumulé assez de fortune pour être à l’abri du besoin jusqu’à la fin de leurs jours. Mais c’est avant la fin que ça coince. Entre Roman et Gil, la mère de sa fille, il ne se passe plus grand chose, les sentiments se sont émoussés, Pénélope s’ennuie au foyer, lui reproche ses sempiternelles absences. Pour les polissonades au lit Roman est défaillant, l’a trop expérimenté sur les groupies complaisamment offertes, à moins que Dr Freud ne nous explique que c’est la froideur de son épouse qui a provoqué ces pannes de raidissement… Bref, Roman est comme l’Ulysse de Jean Giono qui s’attarde un peu trop auprès de multiples Calypso… 

Mais Ulysse n’était pas menacé par le calendrier. L’avait tout son temps pour décider de son retour. Roman est victime d’une date fatidique. Le couperet de la guillotine se rapproche. A toute vitesse. L’existence dorée ne durera plus longtemps, la nouba interminable se réduit comme peau de chagrin, alors comme un noyé qui voit sa vie défiler à toute vitesse avant le dernier glouglou, Marie Desjardins nous repasse le film des trépidations de Roman. Laissons de côté le décor rock’n’roll, fixons notre regard au plus près de Roman, pas plus loin que son corps attirant, souvent collé à des chairs de partenaires féminines, qu’il baise en toute quiétude, en toute équanimité d’âme. Frénétiquement. Goulument. Par tous les bouts. L’a brouté des clitoris par centaines. L’a enfilé des chattes en aussi grand nombre. Ne s’est privé de rien. N’a pas eu besoin d’user de violences. Toutes consentantes, s’offrant d’elles-mêmes au désir du mâle royal. La preuve : aucune ne lui a quarante ans plus tard fait le coup à-la-me-too-ce-n’était-pas-du-tout-romantique. Marie Desjardins prend ses précautions, il a aussi détruit des rêves de jeunes femmes qui ne s’étaient pas imaginées être des objets jetables de consommation courantes… Autres temps, autres mœurs. Autre époque. Le livre s’achève tout de même en 2015… Le rock’n’roll est une musique de voyous. Vous le saviez, ne venez pas vous plaindre. 

Roman s’attarde sur les quatre dames qui ont le plus compté pour lui. Sybil, une erreur de jeunesse. De toutes les manières c’est lui qui s’est fait avoir. On l’avait averti. N’a voulu en faire qu’à son désir. Il a joué, il a perdu. Il ne se plaint pas. Affaire classée. Chris qui n’a pas supporté ses infidélités, qu’il a quittée pour une scène de reproches du jour au lendemain. Elle a beaucoup souffert. Tant pis pour elle. Regrets inutiles. Gil, l’épouse en titre, la reine mère qui lui téléphone de moins en moins. Qui s’éloigne. N’a-t-elle pas un amant. Et puis Havana, qui voulait publier un livre de photos sur lui. A abandonné le projet parce que Gil… Havana, des rencontres ratées, épisodiques, une histoire inachevée qui l’obsède et le ronge. C’est toujours ce que l’on n’a pas vraiment obtenu qui nous manque le plus. 

C’est tout. A ceci près que jusque à la dernière ligne Marie Desjardins nous ménage une happy end. La vie en rose. Oui mais rose très clair. Layette. A part qu’à la toute dernière ligne, tout s’assombrit. Les coeurs tendres ne partageront pas mon avis. Marie Desjardins nous laisse dans l’expectative. A vous de tirer les conclusions. Elle siffle la fin de la partie alors que le ballon décisif est en plein dans la trajectoire de la cage… 

Ce n’est pas tout. Marie Desjardins est plus fine mouche qu’il n’y paraît. L’est une adepte de la théorie de la patate chaude. Le bébé de l’eau du bain que l’on refile au plus proche parce que l’on n’a aucune envie de procéder à sa toilette. D’abord du côté familial : Gil n’agit-elle pas envers Roman comme la mère de Roman qui a gâché la vie de son père ( qui l’a trahie ), la complicité entre Gil et leur fille Chance n’est-elle pas similaire à celle d’Erin envers Félicity la sœur de Roman, et Roman n’a-il pas induit par ses attitudes équivoques la reproduction d’un même et incapacitant schéma de base ? Famille je vous hais disait Gide…

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Ce n’est pas du tout tout. Hypocrite lecteurs. Marie Desjardins vous a réservé un chien de sa chienne. Maintenant c’est à vous qu’elle refile la parmentière chauffée à blanc. Oubliez Roman et son rock’n’roll. Ambassador Hotel. La mort d’un Kenedy, la naissance d’une star n’est pas un roman de Marie Desjardins. Ce n’est pas moi qui l’affirme. C’est elle. Il s’agit d’un livre, une biographie non-autorisée d’un journaliste rock David Bridge ( over trouble water ) qui fait paraître son livre, le jour même du dernier concert de RIGHT. Ne se gêne pas la Marie, en retranscrit même quelques pages dans son roman. Vous connaissez l’astuce le tableau qui se représente lui-même comme un tableau reflété dans un miroir, reflété lui-même dans un miroir. Vertige abyssal ! Rien de plus terrible que la littérature qui se met à parler de littérature. Surtout si vous le faites par l’entremise d’un groupe de rock qui n’est lui-même que le reflet de groupes de rock ayant véritablement existé, parfaitement catalogués dans l’histoire du rock’n’roll. C’est quoi RIGHT ? Une idéale figure platonicienne des groupes de rock des années soixante-dix, ou un vulgaire artefact baudruchique et chimérique bricolé à partir d’anecdotiques fragmentations de ces mêmes seventies dinosaures ? 

Roman répond à la question : qu’importe que ce ce soit vrai ou faux, pourvu que ça se rapproche de la vérité de ce qui a eu lieu. De toutes les manières la vérité d’une chose n’est déjà plus, est déjà un peu plus que, la chose elle-même. Faudrait peut-être d’abord définir ce qu’est la – ou au moins une – vérité rock. Nous allons donc donner notre avis : ni plus ni moins que la vérité rock de Marie Desjardins. Et puis si le tubercule chaud bouillant que je vous repasse vous embarrasse, croquez-le, à pleines dents, de tous vos yeux, il est délicieux. 

Damie Chad.

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Marie Desjardins, « l’acuité d’une sociologue », un roman extraordinaire et sans concurrence, hyper documenté sur les années 60

Ambassador Hotel de Marie Desjardins

La romancière Marie Desjardins nous arrive en 2018 aux Éditions du CRAM avec un pavé intitulé Ambassador Hotel et doté des sous-titres La mort d’un Kennedy et La naissance d’une rock star.

La force de l’écriture de ce roman réside dans la restitution de ces années effervescentes et créatives sur le plan culturel, surtout musical, avec l’émergence de groupes rocks et la présence de personnages charismatiques dans les médias. Je me revois gamin admiratif regardant à la télévision dans le salon de mes parents les Kennedy et leur apparence impeccable, les Beatles, les Rolling Stones, etc. Le roman ressemble à une biographie, celle du chanteur Roman Rowan (personnage fictif), et le parcours de son groupe, RIGHT. On dirait un film comme une lente cérémonie des adieux. Justement, les chapitres se tissent sur la trame du temps. D’une part, il y a les années où on veut s’extirper de son milieu modeste en Angleterre, où on chante incognito et où on se fait connaître dans les années 1960, et d’autre part, les années 2010 où on règne en roi et maître sur la scène et où on sait pourtant que le rideau de scène devra tomber tôt ou tard. Mieux vaut le faire descendre soi-même.

Marie Desjardins possède une psychologie fine des personnages et nous décrit avec brio les années 1960 et les suivantes avec l’acuité d’une sociologue. Du grand art. À découvrir.

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

 

Pop rock Canada : « un roman qui démystifie les mécanismes du rock » (Marie Desjardins)

LIVRES

Le roman Ambassador Hotel

Ambassador Hotel

Roman de Marie Desjardins 

Par Louis Bonneville

Les biographies dédiées aux rockers sont devenues monnaie courante au cours de la dernière décennie. Pas de surprise à ce sujet : la majorité des précurseurs iconiques du rock sont maintenant en bout de vie, ou pire, trépassés. Ce type de littérature est destiné à ceux qui s’intéressent sérieusement à ce style musical, ce qui leur permet de comprendre de l’intérieur la trame du cheminement d’une idole. Par ailleurs, on le sait : le mode de vie de la rockstar en est un d’excès et d’excentricités en tout genre. Manifestement, il réside dans le fondement de ce type de personnalité une prédisposition à un étrange clivage, soit celui qui pousse l’individu à emprunter un parcours éclaté plutôt qu’à épouser une prétendue normalité de vie. Les exemples sont nombreux et souvent tragiques : certains de ces jeunes élus à cette célébrité, en effet, connurent une mort précoce. Référons- nous à la liste (tristement notoire) du club des 27 ans et à sa première génération de défunts, tous morts entre les 3 juillet de 1969 et 1971 : Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et Alan Wilson (ce membre clé du groupe Canned Heat, rarement mentionné). Ces parcours éclatés témoignent sans conteste de la grande part de détresse psychologique et du dysfonctionnement social de ces légendes du rock. Mais au-delà de ces aspects gravement ténébreux, le fil d’Ariane de la vedette rock profite d’un point phare qui la guide : son succès touche une quantité considérable d’auditeurs. Cela procure à l’artiste l’assurance de sa longévité, étant donné la diffusion de son legs.

Marie Desjardins connaît bien le rouage de la biographie, s’y étant livrée à plusieurs reprises, notamment avec Vic Vogel, histoires de jazz et Sylvie Johnny Love Story. Mais ici, avec Ambassador Hotel, grâce à la forme fictive qu’offre le roman, l’auteure couvre un champ de possibilités beaucoup plus vaste, se libérant ainsi du confinement du genre biographique proprement dit qui oblige à la relation de faits, voire à la censure. Ainsi, le défi que Desjardins s’est lancé en est un de taille : élaborer de toutes pièces une rockstar à la personnalité complexe, tout en lui faisant parcourir le fil historique du hard rock et de toutes ses infimes subtilités.

Baptisé d’un nom prédestiné, Roman Rowan (R&R) est le protagoniste de cette odyssée rock. Il incarne un chanteur anglais charismatique au puissant registre vocal. Il évoque sans équivoque ces leaders qui ont marqué profondément le hard rock : Ian Gillan, Robert Plant, Paul Rodgers, Roger Daltrey et David Coverdale. En parcourant les nombreuses pages de ce roman (574), nous vivons par procuration l’entièreté du passage de la rockstar au sein de ce monde frénétique et énergique. La toile de vie de Rowan se tisse de chapitre en chapitre, de son adolescence à la fin de sa flamboyante carrière, également marquée de diverses frustrations. Une panoplie de personnages stéréotypés (mais non banals) de ce milieu viennent se greffer à ce parcours : musiciens, familles, groupies, agents, journalistes, photographes et autres. La multitude de détails fournis sont d’une telle précision que la conclusion devient évidente : ce chanteur éclectique incarne à lui seul le hard rock, et ce, à travers certains de ses thèmes clés historiques : amours, alcools et stupéfiants, aéroports, chambres d’hôtel, trajets interminables, loges, concerts, enregistrements d’albums, bars, vacances, gloires, échecs, discordes et angoisses.

C’est le 5 juin 1968 que Rowan et son récent groupe, RIGHT, scellent leur avenir en se trouvant à l’Ambassador Hotel, soit au moment fatidique où Bobby Kennedy y est fusillé. Le groupe compose alors le hit « Shooting at the Hotel » qui relate cette tragédie, une pièce qui devient ipso facto le jalon de leur carrière. Cette chanson n’est pas sans être analogue à « Smoke on the Water » de Deep Purple, qui tient aussi la position d’épicentre dans le succès de la formation, et dont les paroles réfèrent également à un malheur auquel le groupe a assisté, en témoin silencieux. RIGHT portera ainsi le poids du succès de cette chanson, tel un stigmate d’une certaine forme d’opportunisme. De fait, le morceau sera le voile ombrageant leur œuvre.

L’éclosion du rock aux États-Unis est somme toute récente. Dans les années cinquante, Sam Philips lance cette musique dans son studio d’enregistrement Sun Records à Memphis. Il met sous contrat des blancs-becs « blancs » et, avec eux, il reconstitue en quelque sorte ce que les frères Chess enregistrent à Chicago. En effet, ce sont Elvis Presley, Carl Perkins et Jerry Lee Lewis qui profitèrent du talent de Chuck Berry, Bo Diddley et Little Richard. Ce Memphis rock and roll et ce Chicago blues/early rock (et autres courants connexes) eurent un écho percutant chez les jeunes Anglais. Rapidement, dans la foulée du British Invasion, ces musiques s’intellectualisèrent (d’une certaine manière) et se métamorphosèrent en diverses avenues. Le hard rock est un de ces dérivés qui eut un fort retour d’écho partout en Occident. Encore aujourd’hui, la boucle retentissante n’est pas refermée. On le constate avec de jeunes groupes tels que Greta Van Fleet qui fait un tabac, se révélant parfait héritier de ce courant musical.

Marie Desjardins a exploré et démystifié ce genre musical du haut et du bas, de l’intérieur et de l’extérieur, et ce, dans son énergie et son émotion. Elle a compilé tous les clichés du genre avec une acuité rare dans leur compréhension – le hard rock est devenu plus réel que nature sous sa plume… Ambassador Hotel est un ouvrage qui se doit d’être exposé, et, corollairement, trouver son lecteur. Avec cette nouvelle et incontournable perspective sur ce mode de vie tordu, Desjardins a relevé le défi.

BANNIERE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
ASSISTANTE RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
RÉDAC’CHEF: GÉO GIGUÈRE

La Rock Star et les femmes : encore un article superbe sur « Ambassador Hotel » de Marie Desjardins

Le par Isabelle Brisson

À travers la radiographie ou le scanner d’une Rock Star archétypale, la Québécoise Marie Desjardins – de passage à Laurens (Hérault) – nous parle de Roman Rowan, son héros d’« Ambassador Hotel », un pavé de 587 pages rédigé en trois ans, « le roman que toutes les femmes doivent lire pour connaître les hommes ».

50 ans d’histoire du rock

Par respect pour les artistes qu’elle a connus, Marie a brouillé les pistes afin de décrire le plus précisément possible la psyché d’une Rock Star sur le retour. « Pour atteindre une vérité que la biographie factuelle ne donne pas », estime-t-elle. Ici il s’agit d’un britannique du type Mike Jagger, personne la plus vue sur la planète. En fin de parcours, à près de 70 ans, Roman Rowan fait le bilan de 50 ans d’adulation, de travail et d’épreuves. Le 4 juin 1968 son groupe de rock émergeait lors de l’assassinat de Bob Kennedy à l’Ambassador Hotel, rasé depuis. L’ouvrage est aussi 50 ans d’histoire du rock et de la société dans 25 villes aux États-Unis, Mexique, Argentine, Roumanie, Russie, France, … Et bien sûr l’histoire des femmes qui ont compté pour lui.

Roman et ses femmes 

La troisième partie du livre est dédié aux femmes qui ont compté pour Roman. La sienne doit accepter d’être trompée. Elle ferme les yeux sur ses écarts, pourvu qu’il revienne à la maison. Elle doit être solide, froide, choisir d’en faire un père et profiter de son argent. Son ex-compagne a partagé ses dix meilleures années, rongée par l’inquiétude, elle lui fait vivre un enfer, il la quitte, elle ne s’en remettra jamais. Sa mère, une intellectuelle qui ne s’est pas réalisée dans sa profession, trouve dur que son fils abandonne ses études pour le rock et reste sur ses principes. Sa sœur enfoncée dans une grande frustration vit dans la middle class londonienne. Sa fille, perdue, gâtée, hyper encadrée par sa mère trouve difficilement sa voie. Enfin, sa groupie, une ado qui se fait engager comme fille au pair, se suicide dans le garage de Roman en écrivant « I love you » sur son pare-brise.

Un mâle fini

« J’ai la fascination de la puissance des Rock Stars », avoue Marie qui a aussi publié un livre sur Sylvie Vartan et Johnny Hallyday. Dans son dernier livre, elle montre l’envers de la médaille. Comment ses personnages arrivent au dernier concert, ce que représentent les coulisses, la solitude au-delà des partouses. Comment ils vivent et ce qu’ils pensent de leur succès. Roman commence à comprendre ce qu’il a provoqué et voit qu’il a abusé de tout, trop bu, fumé, baisé, … Son corps est épuisé, sa virilité ne suit plus. C’est un mâle fini. Il n’a pas eu de véritable histoire d’amour. C’est l’échec de la Rencontre. Son égo surdimensionné lui a interdit de se connecter avec son véritable alter ego.

Pourtant notre héros peut aussi se montrer un tendre. Il est le roi d’un groupe avec ses attentes, ses succès et ses failles, un profil qui touche le cœur du lecteur et le mène de façon originale dans un monde musical particulier.

Isabelle Brisson
Mid&SudOuest

Lire de Marie Desjardins Ambassador Hotel (mai 2018, €19), Sylvie Johnny love story (Éditions du Cram)
Voir Bohemian Rapsody, A star is born
Écouter Mon pays c’est l’amour, album posthume de Johny Halliday

Regards sur la ville offre une critique très élogieuse d' »Ambassador Hotel »

Ambassador Hotel, la mort d’un Kennedy, la naissance d’une rock star de Marie Desjardins


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juin 1968, Ambassador Hotel, Los Angeles. Right, un nouveau groupe rock britannique, y débarque pour enregistrer un album. La nuit même, Robert (Bob) Kennedy est assassiné dans les cuisines. Un meurtre inspirant qui donnera le jour au titre Shooting at the Hotel qui devient instantanément un succès et propulse le chanteur, Roman Rowan, au rang de rock star.

Par Corinne Bénichou

Quelque cinquante ans plus tard, la formation fait sa dernière tournée mondiale. Occasion d’un bilan et d’un retour sur le passé, d’une réflexion sur les tristes circonstances d’une chanson mondialement connue.

Au fil des pages, le lecteur découvre la vie de Roman Rowan (enfance, famille, ascension vers la popularité, rivalités, querelles, femmes, luxure, tournées internationales) associée à une introspection du personnage principal. Peu à peu, les vérités sont dévoilées dont la déroute d’un amour avorté lié au secret d’une vie avec une belle Cubaine.

Bronte le génie contrarié, Clive l’ami fidèle, Jill son épouse et Chance sa fille, constituent une galerie de personnages secondaires bien définis influant plus ou moins sur l’humeur et les décisions du monsieur !

Marie Desjardins décrit de belle façon l’archétype d’une célébrité des années 60 encore actif à soixante-dix ans, au sein d’un groupe dinosaure fictif, pour un dernier tour de piste, dans un récit bien ficelé.

Entre le thriller psychologique et la biographie détaillée, sur fond d’Histoire rigoureusement documentée, les pistes y sont habilement brouillées, plus réelles que le réel.

Ce roman est un portrait finement rendu et représentatif d’une époque, du rock et d’un chanteur en fin de parcours, sans oublier les concerts (le frisson des guitares, l’angoisse avant l’entrée sur scène, la relation électrique avec le public).

Dans la mouvance des Jim Morrison ou Mick Jagger, sans obtenir la même notoriété, l’homme est doté d’un charisme qui lui apporte une indéniable attraction auprès de la gente féminine. La couverture du livre est d’ailleurs significative de ce style d’artistes !

Excellent moment de lecture dans un univers auquel le commun des mortels n’aura jamais accès et qui, grâce à cet ouvrage le vivra par procuration !

Publié aux éditions du CRAM

Un écrivain du Québec surfe sur la vague Sylvie-Johnny en France

Un écrivain du Québec surfe sur la vague Sylvie-Johnny en France

Marie Desjardins est un écrivain prolifique dont on parle peu au Québec. Auteur de romans, biographies, essais et divers articles, elle vient de faire paraître Ambassador Hotel, une fiction sur la dernière tournée d’une rock star, qui, en France a récolté une kyrielle de critiques élogieuses. (À lire l’article de La Métropole*).  Débarquant à Paris cet automne pour promouvoir ce livre sur le rock, Marie Desjardins s’est sans s’y attendre retrouvée en plein tourbillon médiatique. Toute la presse, attendant la sortie d’un CD posthume, était tournéesur Johnny, le seul et unique. Une déferlante qui a fait ressurgir dans les rédactions le seul et unique roman jamais écrit sur les amours du chanteur avec sa première femme : Sylvie Johnny Love Story. Lire la suite ici : http://lametropole.com/arts/litterature/un-ecrivain-du-quebec-surfe-sur-la-vague-en-france/?fbclid=IwAR0OcfcaYeIO3w2z9baux6us7t8nNWe6VbCzH5NHIU_dFxSGHAchDiz6iSg

« Ambassador Hotel : le livre dont vous êtes le rockeur » par l’excellent Benjamin Berton

Roman-fleuve et véritable page turner, Ambassador Hotel déjoue la malédiction qui touche (généralement) les romans consacrés exclusivement au rock pour nous plonger, en totale immersion, dans la longue et sinueuse vie d’un groupe dinosaure fictif.

Le livre, écrit par l’écrivain canadien Marie Desjardins, démarre à Montréal en 2014, alors que le groupe RIGHT (en majuscules) entame sa dernière tournée internationale. Fondé plus de 50 ans auparavant, RIGHT est un groupe de rock progressif qui se situe quelque part entre Led Zeppelin (pour la musique) et les Rolling Stones (pour tout le reste). Emmené par un chanteur ultra charismatique et héros nostalgique de ce roman, Roman Rowan, RIGHT est un groupe de costauds à guitares dont la renommée n’atteint certes pas celle de Jagger et sa bande mais qui évolue toutefois dans la plus haute division du rock international. De salles en salles et de concerts en concerts, on suit RIGHT dans sa dernière configuration scénique, c’est-à-dire un mélange de jeunes pousses et d’anciens, tandis que Roman Rowan effectue le bilan de sa vie et est hanté par les fantômes de sa jeunesse.

Petites chattes et électricité

L’écrivain Marie Desjardins construit ses presque 600 pages avec une belle assurance, découpant le récit autour de « séquences » marquantes qui entremêlent le récit de l’ultime tournée avec des flashbacks de l’histoire du groupe. On suit ainsi la formation du groupe, l’agrégation de deux cellules souches ennemies et complémentaires l’une menée par le chanteur et l’autre par sa némésis et en même temps catalyseur de talent, le pianiste surdoué et dingo Bronte. Mais l’événement déterminant ici est le séjour du groupe à l’hôtel Ambassador Hotel lors du fameux soir en 1968 où Bob Kennedy se fait tirer dessus. Roman Rowan et son compère composent alors une chanson à chaud sur l’événement, Shooting at The Hotel, qui cartonne et les propulse dans la stratosphère médiatique, alors que le groupe végétait depuis quelques années en seconde division. Le procédé est balourd et pas forcément des plus crédibles (on voit mal comment cet événement important, mais pas historiquement décisif, aurait pu accoucher d’un groupe générationnel quasi instantanément) mais fonctionne si on y croit. Dès lors, RIGHT est intouchable et devient grand. La chanson les suit partout et devient leur sésame pour la grande vie, en même temps que le fardeau des one-hit wonders.

I shot the Kennedy

Desjardins décrit avec passion le quotidien d’un groupe de ce type : l’alcool, le sexe (les groupies, les chattes, les jeunes filles en fleurs/pleurs), les tiraillements internes, le poids des entourages, la descente qui suit les tournées. La narration est attentive et rend à la perfection le caractère rébarbatif et répétitif des tournées, les tentatives d’isolement et l’installation d’une forme de routine organisée au sein même d’une décadence sans règle. Le livre pourra en ennuyer certains pour cette raison même mais la répétition sadienne des scènes, des orgies, des baises relaxantes du goûter et des excès est admirable et probablement l’acquis majeur du roman. Roman Rowan est hanté tout du long par la figure d’une de ses conquêtes disparues, Havannah, une photographe cubaine, dont il capte le souvenir au gré de ses pérégrinations autour du monde. Ambassador Hotelfonctionne comme un James Bond en nous faisant voir du pays. La tournée se déploie sur tous les continents avec la même émotion et le même méthodisme froid, mécanique et en même temps intime, gigantesque et à fleur de peau. La deuxième des trois parties utilise la réalisation d’un DVD en l’honneur des 70 ans de Roman Rowan pour proposer une habile biographie orale de ce dernier par les siens qui n’exploite pas tout à fait son potentiel. Si le procédé est chouette, Desjardins n’en tire pas suffisamment de matière pour offrir un contrepoint enrichissant sur son personnage principal. Roman Rowan fascine mais ne dépasse que rarement le cadre qu’on lui a assigné : celui d’un rockeur quelque peu torturé mais finalement assez simple à cerner dans son attirance pour la liberté et la peur de finir seul. Ceux qui gravitent autour de lui entre Bronte le génie contrarié, Clive l’ami fidèle, son épouse et sa fille constituent une galerie de personnages attendue mais plutôt bien croquée.

Ambassador Hotel vaut aussi pour les belles descriptions de concerts qu’il propose. On sent le frisson des guitares, l’angoisse du chanteur, l’électricité de la relation au public, le flash du succès comme si on y était.

Avec ses nombreuses qualités et ses quelques défauts (une écriture passe-partout et des longueurs), Ambassador Hotel n’en reste pas moins un excellent moment de lecture et une belle réflexion sur ce qu’est faire partie d’un groupe à succès. Desjardins se dégage très bien du caractère fictif de son groupe (souvent rédhibitoire dans ce genre d’exercice) pour nous embarquer dans la tournée la plus sexy et la plus grandiose à laquelle on aura jamais accès. Rien que pour ça, le livre plaira à tous ceux qui comme nous ne vivront jamais cela que par procuration. Ambassador Hotel est la lecture de vacances idéale.

Ambassador Hotel de Marie Desjardins Editions du CRAM – 587 pages

Entretien avec Marie Desjardins pour Profession spectacle

MARIE DESJARDINS : « LE ROCK N’EST PLUS À INVENTER : CETTE GRANDE ÉPOQUE EST TERMINÉE »

Née à l’aube des années 60, Marie Desjardins a notamment grandi au son de la chanson française et des riffs du rock, et au gré des œuvres de jeunesse, de la comtesse de Ségur à Bob Morane. Aujourd’hui écrivaine québécoise à l’œuvre prolifique et éditrice au sein des éditions du CRAM depuis un an, elle vient de faire paraître Ambassador Hotel, un roman fleuve de quelque six cents pages, dans lequel elle raconte l’histoire d’une rock star archétypale, de ses premiers errements à l’ultime tournée triomphale.

Rencontre autour d’une carrière, de goûts, de livres, de sons, d’une quête biographique et romanesque.

Interview.

Vous avez travaillé sur des personnalités très différentes, pour ne pas dire aux antipodes, entre Vic Vogel et la Comtesse de Ségur, Irina Ionesco, les geishas ou encore sainte Kateri Tekakwitha. Comment ces personnalités, souvent des femmes d’ailleurs, viennent-elles à vous ?

Je n’aime ni les catégories, ni les classifications, ni les ghettoïsations. Les sujets sont toujours liés à des circonstances. Les ouvrages sur les geishas japonaises et Irina Ionesco sont le fruit de rencontres, notamment avec les éditions des femmes, alors que j’habitais en France et que je cherchais du travail. Irina Ionesco est un personnage en soi : je l’ai rencontrée et fréquentée, au point que nous sommes dans une certaine mesure devenues amies. Elle voulait raconter sa vie, qui consistait en des morceaux épars d’une poésie extraordinaire en attente d’être structurés. J’aime, lorsque je travaille sur une personnalité, l’étudier et la respecter ; cela vient de ma formation d’archiviste. L’ouvrage sur Vic Vogel est très différent : il est né de notre rencontre, de notre amitié préexistante.

( … ) Pour lire le coeur de l’interview, rendez-vous ici : https://www.profession-spectacle.com/marie-desjardins-le-rock-nest-plus-a-inventer-cette-grande-epoque-est-terminee/ 

… et de l’exil, thème très présent dans votre œuvre.

Exactement ! Le thème de l’exil me fascine, au point qu’il est présent dans presque tous mes livres. C’était évidemment omniprésent dans le parcours de la comtesse de Ségur. Après être arrivée en France, à l’âge de dix-huit ans, Sophie Rostopchine n’est jamais retournée en Russie, contrairement à toute sa famille ; elle s’est construite sur un déchirement. Pendant cinquante-cinq ans, elle a vécu en France, ne revoyant sa mère et sa sœur qu’une fois, et n’a jamais parlé russe à ses huit enfants. Jamais ! Durant les quatorze jours d’agonie qui ont précédé sa mort, rue Casimir-Périer, elle n’a déliré qu’en russe, si bien que les enfants ne comprenaient pas. Cette anecdote est le prologue de mon prochain livre : que voit-elle ? Si elle délire en russe, ce ne peut être rien d’autre que sa jeunesse, certainement pas l’âge adulte. Ce n’est pas possible autrement : c’était un secret trop enfoui, qui éclate à la fin. La Russie est un pays fascinant ! Je dévore aujourd’hui tout ce qui touche au Romanov… Ce n’est pas pour rien que le héros d’Ambassador Hotel s’appelle Roman.

Pour conclure, quel était votre roman préféré de la comtesse de Ségur ?

J’ai beaucoup aimé Après la pluie, le beau temps, parce que c’est une histoire d’amour, ainsi que les Mémoires d’un âne. Et puis, évidemment, Les Malheurs de Sophie, parce que c’est très proche d’elle.

Propos recueillis par Pierre MONASTIER

Marie Desjardins, Ambassador Hotel, Éditions du Cram, Canada, 2018, 593 p., 19 €